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Eloge des enseignants. In mémoriam Max Gallo, mon Prof !

Publié le par Bernard Oheix

C’est la série en cours de ce blog... un départ à la retraite, un décès, un hommage à des profs disparus... Le prix d’un certain âge, il fait nul doute ! Dans notre scolarité, nous avons tous rencontré des enseignants qui nous ont particulièrement marqués. Moi, j’en ai eu 5 en 20 ans qui m’ont façonné ! 5 soleils déterminants qui m’ont, sans aucun doute, sauvé la vie, permis d’être ce que je pouvais devenir, d’éviter de plonger dans les eaux noires du désespoir où l’anonymat des sans espoirs.

Le premier est un instituteur à l’ancienne, monsieur Legal qui a convaincu mes parents de ne pas m’aiguiller vers le  «certificat de fin d’études» malgré des résultats scolaires catastrophiques en CM2. Il faut dire que j’étais traité par un psychiatre/boucher comme para-épileptique à coup de médicaments à assommer un boeuf (trimétadione/ Phénobarbital...12 pilules quotidienne) et que ce barbare héritier de la tradition d’une psychiatrie américaine toute neuve (celle de Vol au dessus d’un nid de coucou ou de Shok Corridor) avait annoncé à mes parents que je ne ferai jamais d’études. Je me souviens en contrepoint, encore aujourd’hui de la voix de Monsieur Legal tentant de convaincre mes parents «-il faut lui donner sa chance, comme à ses frères. Il a quelques petits problèmes mais laissez le aller en 6ème tenter le coup. Il va murir, les enfants ne vont pas tous à la même vitesse.» Et c’est peut-être pour le remercier, ce directeur de l’école communale de Mouans-Sartoux à l’ancienne, vêtu de sa blouse grise, avec ses marques de craie blanche sur les doigts que je me suis acharné à ne pas le trahir et à finir mes études avec 2 licences, 2 maitrises et un DEA !

Et puis, en 1964/1965, il y a eu Dédé Aschiéri, au collège de La Bocca en 4ème et 3ème. Un jeune prof de math représentant l’avenir de ce mai 68 qui s’annonçait à l’horizon. Beau, intelligent, ouvert, parlant aux élèves, construisant des projets avec eux. La modernité en marche. Il me fit basculer dans le handball (j’étais un piètre footballeur !) dont il était l’entraineur, m’initia à la philosophie de la vie, me prépara à devenir un homme...même s’il me fit croire faussement que j’étais aussi un «scientifique» et que je pouvais viser la filière «S», son seul tort à mes yeux ! Merci Dédé de m’avoir lancé sur les chemins de la vie. Il faut dire qu’entre temps, j’avais expédié le boucher/psychiatre dans les limbes grâce à une psychologue révolutionnaire de Cannes (Mademoiselle Quertant) et que j’arrivais enfin, libéré de mes médications à être un peu moi-même ! Toi, tu allais devenir le maire inamovible de Mouans-Sartoux (plus de 40 ans sans opposition !) et même un député écolo extraterrestre dans un territoire du Sud plus à l’extrême droite que la moyenne !

En terminale au lycée Carnot de Cannes, c’est un prof de philosophie qui me permit de comprendre et de digérer les soubresauts d’un mois de mai 68 pas ordinaire vécu l’année auparavant en première.  Je me souviens de son premier cours. «-Voilà, je suis votre professeur de philosophie, je m’appelle monsieur Blanche et comme vous le voyez, je suis noir. Bien, vous avez 5 mn pour en rire et après, on en reparlera plus !». Et toute l’année, chaque cours devint une aventure intense, un moment de réflexion profonde et un moment d’apprentissage, de jongleries intellectuelles, de découvertes de ce qui sous-tend le réel et ne se voit pas toujours mais qu’il est indispensable d’explorer. Merci Monsieur Blanche, colosse sur votre vélo sillonnant les routes de la région  qui avez marqué tant d’élèves de votre sceau, de m’avoir fait entrer dans l’âge des idées à défaire et des constructions intellectuelles à élaborer.

Et il m’en reste deux pour le final, l’université de Nice où j’ai passé 10 années de bonheur. Deux professeurs jeunes, héritiers de  cette tradition française des lettres mais en phase avec un présent complexe où les professeurs se devaient de muter et où les étudiants se cherchaient une nouvelle place.

L’un est toujours mon ami, Jean A Gili, professeur de cinéma, section licence d’histoire. Il fut mon directeur de mémoire de Maitrise (mention Bien) «L’ambiguïté et l’incertitude en miroir» sur Bernardo Bertolucci, dont une grande partie fut édité dans un collectif de la collection 7ème art, sous sa direction. Il est le grand spécialiste du Cinéma Italien (Ah ! La richesse de ce cinéma dans les années 60 et 70 !) et nous sommes restés amis, à travers toutes ces années. Il m’avait fait l’honneur d’être invité d’honneur de mon jury de la pyrotechnie il y a une dizaine d’années. On s’est encore revu récemment en se promettant de ne pas laisser filer le temps sans se retrouver régulièrement. Merci Jean, de m’avoir pris sous ton aile et d’avoir sublimé mon amour du 7ème art.

L’autre s’appelait Max Gallo est vient de disparaitre. Imaginez le bonheur d’avoir Gili et Gallo en même temps en année de licence... auxquels on pourrait même rajouter Christian Loubet pour l’étude des civilisations disparues Maya et Aztèque. Période fertile s’il en fut. Dans une France en effervescence, deux lumières pour nous guider, nous éclairer et nous transmettre l’amour de la réflexion, du savoir, de l’interrogation. Il venait de publier son double livre sur le Franquisme et son opus sur Mussolini, se faisant de nombreux jaloux dans le monde universitaire où son succès public faisait bien des envieux. Il préparait La Baie des Anges et quittera l’enseignement quelques années après avoir été mon prof. Je me souviens, le concernant, d’un exposé en binôme avec Sylvie Gros, ma complice d’enfance, sur la succession de Lénine. Trotsky/Staline, le duel... Dans un exposé enlevé, nous l’avions mimé et vécu cette Russie soviétique en train de se déchirer pour l’héritage d’un pouvoir sans partage. C’était le début des «exposés» comme méthode de fond, et nous nous étions mis en scène avec passion et je dois l’avouer, un certain panache. Max Gallo avait écouté sans broncher, les étudiants applaudirent. Et lui d’intervenir : «- Quel brillant exposé. Pour la forme c’était parfait, vivant, passionnant. Quand au fond, si vous le permettez, réduire l’opposition Staline/Trotsky a un conflit quasi oedipien me parait un peu osé ! Alors je vais quand même vous donner un 13... mais je vous en supplie, ne réduisez pas le courant de l’histoire à de la psychologie de comptoir. L’histoire c’est avant tout l’analyse des faits dans leur perspective historique, pas des suppositions aléatoires sur des états d’âmes supposés. Revenez aux faits ! Mais bravo quand même ! 13, cela vous convient ?

Comment résister à son magnétisme. J’avais même un ami étudiant en droit (Dominique Aubin) qui venait assister à ses cours par pur plaisir. C’était magique, de haute volée, un pur esprit brillant attaché à transmettre combinant la pédagogie et le lyrisme. je ne l’avais plus revu jusqu’à il y a une dizaine d’années, pour un Festival du Livres de Nice dont il était l’invité d’honneur. Académicien, ex-politicien de gauche appelant à voter pour Sarko..Image brouillée certes ! Pourtant, nous avons eu l’occasion de reparler en tête à tête et je lui avais rappelé l’anecdote de notre exposé sur la filiation de Lénine. Il avait souri et m’avait dit «- Finalement, ce 13, c’était un bon compromis entre l’histoire avec un grand H et votre propre histoire...». Respect !

Voilà donc une page de tournée, une de plus. Max Gallo, un de mes maîtres s’en est allé en champ d’ honneur. Gloire à cet esprit éclairé. Grandeur de ce corps d’enseignants qui a formé des générations d’étudiants avides de trouver des réponses à leurs interrogations. Merci à vous tous d’avoir mené votre mission avec tant de passion ! L’école de la République et l’ascenseur social, les deux mécaniques qui ont projeté ma génération vers le futur d’un monde dont nous avions rêvé... Mais où sont nos espoirs passés ?

 

En 1975, à la sortie de La Baie des Anges. Photo empruntée à Hélène Espesset, elle aussi victime du charme de Max

En 1975, à la sortie de La Baie des Anges. Photo empruntée à Hélène Espesset, elle aussi victime du charme de Max

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