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Le grenier de la mémoire 21 : Nosfératu dans le Palais des Festivals de Cannes dévasté !

Publié le par Bernard Oheix

Fin septembre 1988. Au matin blême d'un aube sans gloire, une poignée de Cannois sont réunis sur La Croisette. je suis parmi eux. Nous contemplons une procession de monstres d'acier s'approcher de ces marches blanches et mordre de leurs dents voraces dans le marbre de nos cauchemars. Le démolition d'un passé de prestige vient de commencer dans l'indifférence des heures de gloire qui l'ont précédé !

Sur notre gauche, le "Bunker", le nouveau temple du cinéma barre l'horizon, il faudra du temps pour qu'il obtienne ses lettres de noblesse. Pour l'heure, c'est un symbole que l'on assassine devant nous !

C'est en 1938 que ce rêve avait débuté. Au retour d'une Mostra de Venise où la "fascisation" du cinéma rendait indispensable de lutter contre les idées nauséabondes qui envahissaient le monde. En septembre 1939, les prémices de ce réveil s'étaient échoués sur le feu qui avait embrasé  la planète. 5 longues années de barbarie plus tard, en 1946, au Casino des Fleurs, l'histoire avait balbutié et un Festival s'était déroulé à Cannes dans l'improvisation et l'ivresse d'un monde qui voulait retrouver son insouciance et chasser les nuages !

En 1947, pour sa 2ème édition, après 4 mois de travaux menés au forceps, ce nouveau "Palais" était sorti de terre, même si son toit inachevé s'était envolé dans le ciel entre deux projections, emporté par les bourrasque d'une tempête aussi soudaine qu'imprévisible !

Mais le futur était en marche, inexorablement ! Et c'est dans cette salle aux fauteuils pourpres, les appliques en forme de rosace s'éteignant pour illuminer l'écran, que la planète allait venir communier chaque année au mois de mai pour devenir le lieu incontournable du cinéma mondial.

Les 1001 nuits blanches des cinéphiles, les couloirs arpentés par les vedettes et les critiques qui se retrouvaient, à l'issue des projections, au "Blue Bar", pour rencontrer leurs fans dans cette époque où la Liberté s'apprêtait à lancer son Nom et où la distanciation sociale inconnue !

Ce sourire éclatant d'une starlette venant annoncer aux femmes une ère nouvelle, la liberté d'un corps sans contraintes, Brigitte Bardot illuminant l'avenir en conquérant la planète ! Godard et Truffaut s'accrochant aux rideaux rouges pour rejoindre le cours de l'histoire en interrompant le Festival de 1968 ! 

Et les lazzis de La Grande Bouffe de Ferrerri, les rires horrifiés de La Maman et La Putain d'Eustache, John Lennon et Yoko Ono présentant leurs courts métrages (The Fly...) en se promenant  main dans la main sur l'esplanade du Grand Hôtel, une curieuse "salade cannoise" en train de naître, entre le star système, la fête populaire, le glamour et une authentique cinéphilie !

Mais toujours les films comme le fil conducteur d'une narration en train de s'écrire en lettres d'or comme cette Palme imaginée en 1955 !

J'avais grandi dans cette ville. J'étais né presque en même temps que le Festival du Film. J'y ai vécu des heures à forger mon imaginaire et à conditionner mon futur. 

Je me souviens des séances de cinéma présentées par Sonika Bo pour les enfants des municipaux pendant les festivals des années 60... J'y étais !

J'ai encore dans les yeux "Quand passent les cigognes" de Kalatozov présenté par Francis Legrand dans ce qui allait devenir les Rencontres Films et Jeunesse...

Et surtout l'explosion de 1969. La Quinzaine des Réalisateurs au secours de la modernité, éperonnant les conventions et obligeant le festival à grandir pour coller à la réalité d'un nouveau monde en train de s'ériger ! Une jeune garde ouvrant les portes avec Doniol-Valcrose, Mitrani, Malle, Costas-Gavras et tant d'autres. C'est au Rex, un cinéma de la rue d'Antibes que l'on a pu voir The Trip de Roger Corman, avec Peter Fonda et Dennis Hopper présents pour un débat après une séance ouverte à tous, Philippe Garrel et sa Marie pour Mémoire, la découverte que le cinéma n'était pas seulement un reflet de la vie, mais bien portait la vie en soi ! IF de Lindsay Anderson, avec Malcom McDowell, future Palme d'Or atomisant le vieux monde !

Depuis 1969 j'ai suivi tous les Festivals du film, à l'exception de ceux de 1981 à 1986 où j'étais à Bourg en Bresse. J'en suis donc à 45 éditions (il n'y aura pas de 46ème, covidis oblige !) et à une centaine de séances dans ce vieux Palais devenu trop étroit que les pelleteuses mettaient à bas en emportant une poignée de mes rêves !

Cartons d'invitations, entrées par les portes de derrière grâce à la complaisance de gardiens bien loin des consignes sécuritaires qui allaient arriver toujours assez tôt, vraies ou fausses cartes de presse... tous les moyens étaient bon pour obtenir un sésame et partager le déroulement de ces 24 images/seconde d'une pellicule en train de dévoiler le monde !

Mais si j'ai fait une maîtrise de cinéma, ce n'est pas un hasard !

Mais si j'ai été critique de cinéma non plus ! 

Et si un jour on m'avait dit que je serai Directeur dans ce Palais des Festivals, je ne l'aurai assurément pas crû !

Et c'est pourquoi, en la veille de ce jour qui devait consacrer la destruction de ce temple du cinéma, je me suis introduit, tel un fantôme de Murnau, en cachette par une ouverture latérale dans "mon" Palais des Festivals ! Il faisait une nuit noire de Walpurgis et j'avais une lampe torche pour tracer mon chemin. J'ai traversé des cloisons éventrées, j'ai piétiné des gravas, j'ai erré dans un dédale morbide à la recherche lugubre de mon passé perdu !

Au passage, j'ai récolté quelques maigres souvenirs, un lot de charbons, ces tiges qui permettaient de produire l'arc électrique des appareils de projection (on est loin du numérique en 1988 !), des monceaux de chutes de films, quelques papiers survivants dans un océan de misères. Et je suis sorti à l'air libre avec l'impression que c'était une page de ma vie qui allait se refermer avec la destruction de ce temple !

Et dans la foulée, j'ai envoyé par la poste, dans de grandes enveloppes, à une vingtaine de mes amis cinéphiles qui m'avaient accompagnés au cours de ces années bonheur, ce mot et un charbon en souvenir de ce qui fût et ne serait jamais plus !

Le grenier de la mémoire 21 : Nosfératu dans le Palais des Festivals de Cannes dévasté !
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