Le grenier de la mémoire 26 : L'envol de l'aigle !
Un peu pompier le titre, n'est-ce point ?
Mais en même temps, comment ne pas se souvenir avec émotion de cette période extraordinaire des années 1997 et 1998 où tout se joua .. Mon sort d'abord, l'avenir d'une équipe soudée que j'avais forgée avec Sophie Dupont, une mission qui allait enfin atteindre les sommets auxquels nous aspirions et que compléterait la France du foot obtenant sa première étoile avec Zizou le Cannois !
C'est Gilles Cima, Adjoint au tourisme de Maurice Delauney, le Maire qui avait succédé à Michel Mouillot, emporté par les affres de l'affaire des casinos, qui provoqua une secousse tellurique en m'invitant dans son bureau. Il m'informa que les principes qui avaient fondé les 2 évènementiels étaient devenus obsolètes. D'un côté, un Évènementiel Fêtes dirigé par Pierre Jean composé de 8 personnes qui s'occupaient du Festival des Jeux, de 4 feux d'artifices, des animations gratuites d'été et des quelques fêtes locales. De l'autre, un Évènementiel Culturel dirigé par Bernard Oheix composé aussi de 8 personnes qui géraient 4 festivals (danse, musique classique (2), marionnettes), et de quelques programmations ponctuelles (une dizaine sur l'année)... Avec en corollaire des doublons, une perte d'efficacité, l'absence de cohérence, un manque cruel d'ampleur du projet culturel et d'animation pour la ville...
Gilles Cima, jeune, ambitieux, intelligent, sentait le moment venu d'incurver le cours de l'histoire et de prendre sa place dans le concert des ambitions Cannoises. Nous avons échangé sur les inconvénients de la situation et les options à mettre en oeuvre et quand il me proposa la tête d'un nouvel exécutif chargé de coordonner et developper les programmations, je sentis une douce chaleur m'envahir. Elle avait le goût des années perdues, de ma fuite à La Palestre, de cette période si longue à tenter d'exister en se battant contre le mur de l'indifférence et de l'amateurisme.
J'ai émis quelques réserves à mon acceptation. Choisir les membres de l'autre équipe qui rejoindraient la mienne (avec au passage une économie de 5 postes réaffectés dans les services administratifs de la SEMEC), recréer un Festival des Feux d'Artifices, vieux serpent de mer de la Ville de Cannes que la service Fêtes n'avait su mener à bien, et c'est sur un nuage que je suis sorti de son bureau. Ce soir-là nous avons mangé avec Sophie, le monde à nos pieds et la tête dans les nuages !
Dario Perez et Philippe Villechaize me reçurent et confirmèrent les options que nous avions posées en y rajoutant une augmentation de salaire pour moi. Pierre Jean fut affecté à une mission "Le Passage de l'an 2000", belle voie de garage qui lui permettrait d'atteindre l'âge de la retraite. Je choisis 3 personnes de son team dont Nadine Seul, responsable du festival des Jeux et Daniel Delesalle de la pyrotechnie qui intégrèrent mon équipe (les négociations furent tendues avec eux qui avaient l'impression de se rendre à Canossa !). Je refusais un statut de Directeur Adjoint pour Daniel Delesalle, option indispensable pour préserver Sophie Dupont, mon adjointe, d'une guerre intestine Picrocholine, et dans de nouveaux bureaux situés en dehors du Palais en plein travaux d'extension, nous avons entamé notre marche vers "Sortir à Cannes".
Et par un heureux hasard de circonstances, c'est à ce moment précis que le Casino Croisette décida de ne plus gérer en direct "la contribution artistique" du cahier des charges mais de reverser à la Ville la compensation financière correspondant à cette mission, à charge pour elle de les réaliser. Et Maurice Delauney, dans son bureau de la mairie, en compagnie de Gilles Cima, me confia la mission de programmer une dizaine de pièces de théâtre en sus... J'avais tout ! Encore fallait-il faire la preuve de nos aptitudes à passer au régime supérieur !
Une nouvelle équipe autour du Président Dario Perez dans nos bureaux du Boulevard Carnot (notez l'affiche des Muvrini au dessus de mon bureau... déjà !) et dessous, la conférence de presse, le 4 mai 1998 présentant le programme d'été et la saison future... On reconnaît Dario Perez, Gilles Cima, l'adjoint au tourisme, Paul Simonet, l'adjoint à la Culture et René Corbier, le Directeur des Affaires Culturelles. Les 5 acteurs d'une politique de culture et d'animation ambitieuse pour la ville sont réunis pour ouvrir un chantier gigantesque et passionnant !
Claude Nougaro, Sylvie Vartan, Khaled, et en gratuit sur le marché de La Bocca, Carlos, Herbert Leonnard, Jean-Luc Lahaye et mon pote Vincent Absil !
Et même les Marionnettes sur eau du Vietnam du 5 au 7 juillet sur l'esplanade du Palais des Festivals !
Et enfin, le retour d'un Festival d'Art Pyrotechnique qui avait bercé notre adolescence et qu'Anne-Marie Dupuis avait supprimé car le public piétinait les fleurs de La Croisette et que cela drainait toute une populace peu en phase avec l'image d'excellence (!) de la Ville de Cannes ! Sauf que ces soirées drainaient plus de 100 000 personnes sur Cannes et représentaient les meilleures recettes de tout l'été pour nombre d'établissements (plages, restaurants, tabacs, parkings, glaciers...) et que du jour de la reprise, plus personne n'osa le remettre en cause !
La première saison de Cannes (1997/1998) fut menée à marche forcée dans une frénésie incroyable. Nous manquions de repères, de contacts, tout était à créer dans une totale improvisation. Mais l'expérience accumulée depuis des années, le véritable challenge que représentait cette configuration unique de pouvoir façonner l'histoire locale était un moteur qui nous permettait de nous dépasser en d'enchaîner les épreuves. J'ai fait jouer mon réseau embryonnaire, fait sonner le téléphone arabe pour les autres, suis monté faire le tour des agences à Paris et sans filet, avec l'impression étrange de se jeter à l'eau, nous avons enfanté une première saison de "Sortir à Cannes".
Ouvrir la saison fétiche initiale avec le berbère IDIR, "A Vava Inouva" était un rêve et déjà symbolique de la démarche suivie et enchaîner avec "ma" soirée corse une provocation à l'académisme ! Une touche d'exotisme (Clowns russes, Ballet ThaÏ, les tambours de Tokyo) et la chanson française, Gilbert Bécaud l'ancien et Juliette la nouvelle, du café-théâtre (Palmade/Laroque et Metayer), de jeunes compagnies (Fievet/Palies) avec un Dom Juan d'origine ou La Castafiore avec Almanach Bruitax...
En théâtre, un Tartuffe avec Roger Hanin, Guitry avec Francis Perrin, La Nuit des Rois de Shakespeare (Roger Pierre, Jacques Fabri), la Terrasse avec J-P Marielle, Chantal Lauby et Hippolite Girardot, le Journal d'un fou de Gogol...Darry Cowl, Daniele Darrieux, Jacques Dufilho, un Labiche...
Et un sublime ballet, Carmen d'Antonio Gades...
Si l'on rajoute quelques productions locales (Jacquin, Lyricannes de Suzanna Rosander) et les festivals de Marionnettes et de Musique Classique... cela a donné une saison bien "bricolée" mais diablement efficace qui obtint immédiatement l'adhésion d'un public Cannois qui n'avait pas de repères de "saison" et se rendait en général à Nice pour les sorties spectacles d'hiver !
Un succès immédiat et un nombre d'abonnés impressionnant !
Cette 2ème saison fut celle de la confirmation de nos choix initiaux. Plus de 40 spectacles conjuguant un éclectisme , une volonté de rompre avec le conformisme mais en offrant quelques points d'ancrage, de surprendre mais aussi de confirmer. Higelin, Serge Lama, Claude Barzotti, Jean-Louis Murat avec Zuccherro, Lili Boniche, El Cabrero et Vicente Amigo !
La recette (et je ne l'ai pas inventé, rassurez-vous... mais senti intuitivement, peut-être parce que j'étais le premier spectateur des spectacles que je programmais), permettait à chacun de s'y retrouver et de picorer dans l'offre globale des spectacles qui les séduisaient. Un abonnement souple mis sur pied par Sophie qui avait la haute main sur la communication et avait monté un réseau de relais dans les entreprises et établissements où des responsables locaux diffusaient nos programmes et vendaient des places en obtenant un quota d'invitations, permis un vrais succès entretenu par la presse pas avare d'articles et renvoyant une image dynamique et novatrice.
C'est dans cette période que collectivement, nous avons forgé ce qui sera globalement la colonne vertébrale du paysage culturel cannois des 15 années qui suivront ! Des années exaltantes où nous avons appris, où nous nous sommes "plantés" quelques fois, où nous avons beaucoup réussi de coups improbables, où le rythme incroyable des "saisons" à forgé notre identité et notre vie quotidienne !
L'apprentissage était terminé !