Le grenier de la mémoire 32 : ma plus belle opération... Les Concerts sous la mer !
Avez-vous déjà entendu de la musique sous l'eau ? Concept apparement contradictoire ! Un mur liquide contre des particules invisible sonores. On n'imagine pas avoir la tête sous l'eau et pouvoir entendre clairement. Et pourtant ! Depuis mes "Concerts sous la Mer", je sais que, immergé totalement dans un liquide, la perception sonore est parfaite, absolue, distincte. C'est par tous les pores de la peau que nous percevons le bruit, comme si la musique nous rentrait dans le coeur pour monter au cerveau ! Expérience troublante... mais que nous fûmes plusieurs milliers à connaître en ces 3 et 4 aout 1 999 pour la plus incroyable opération que j'ai menée... La plus folle aussi, la plus déroutante, celle qui alliait les plus grands défis techniques à la magie d'une création/prouesse artistique surréaliste !
Tout est venu d'une rencontre, une fois de plus, avec Michel Redolfi, un homme délicieux, intelligent, provoquant l'enthousiasme ! Il n' a pas eu à beaucoup à me provoquer ! Il était connu comme l'un des pionniers des démonstrations sonores sub-aquatiques dans des piscines... et était en train de négocier avec des Australiens pour créer un évènement, un concert/démonstration vers la grande barrière de corail.
Je n'ai pas résisté ! Sans comprendre vraiment ce que je faisais, je lui ai proposé de réaliser son concert sous la mer dans le cadre de nos animations d'été, aux Rochers Rouges de La Bocca, "mes rochers", en face de chez moi, là où je venais enfant, affronter mes peurs en plongeant, où j'avais appris à nager comme un poisson...
Ces rochers rouges me tenaient à coeur, et quand Michel Redolfi me parla de son projet, je voyais comme dans un film, ma crique s'illuminer !
Une anse naturelle avec deux barrières de rochers latérales et un éperon en pointe... Un triangle parfait pour dessiner une géométrie impossible !
Et nous sommes rentrés dans les détails sordides (!) du montage. Une profondeur de 3 mètres était indispensable. Le fond sableux était un handicap, notamment en cas de vents côtiers qui auraient généré une houle brassant le sable, rendant la vision sous-marine impossible. Il fallait donc arriver à illuminer le fond marin avec un système de caisson lumineux tout en y rajoutant une prière pour que la mer soit la plus étale possible ! Les dates des 3 et 4 août furent retenues, garantes, si tant est que cela fût possible, des meilleures conditions météo !
Restait alors à sonoriser le fond de la crique comme un auditorium avec des enceintes spécialement conçues par Michel Redolfi et donc à tirer des câbles électriques sous-marins alimentés par un générateur extérieur, à monter un spectacle cohérent qui justifie les prétentions des producteurs que nous étions en réunissant un plateau d'artistes. De plus, ce spectacle devait être et visible et audible tant pour les spectateurs immergés que pour ceux qui resteraient sur la plage. Rajoutons le montage d'une infrastructure technique lourde (2 tours lumières, 2 supports des enceintes extérieures, 2 bungalows régies...), tout cela sur une plage étroite en plein rush touristique, et comme un rappel à la réalité, la logistique (autorisations de la Mairie, fermeture de la route du bord de mer (en plein mois d'août... ! ), et accessoirement, un financement complémentaire aux moyens limités de mon budget d'animation d'été !
Et en plus, je me devais de régler leur compte aux sombres pensées qui m'envahissaient à chaque fois que je repensais à la féerie des lasers qui devaient illuminer la baie de Cannes (cf. article n° 28 : Mon plus grand bide !). Je peux l'avouer désormais, mais dix fois je me suis demandé si on pouvait tirer sur un signal d'alarme pour arrêter ce train qui fonçait dans la nuit obscure, s'apparentant à une folie... contagieuse ! Car tout le monde s'était passionné pour ce projet, dans l'équipe de l'Évènementiel comme chez la plupart de nos interlocuteurs.
Jean-Marc Solbes à la régie générale, Sophie Dupont à l'organisation et à la communication, Michel Rédolfi à la conception artistique, plus l'ensemble de l'équipe pour la réalisation.
Grâce à Redolfi, nous avons trouvé un acteur atypique, Michael Lonsdale, qui passionné par l'idée, accepta un salaire de misère pour venir déclamer des extraits de textes de Jules Vernes portant sur la mer, Alex Grillo, un ami percussionniste Jazz, en costume de plongée avec bouteilles, lesté pour jouer d'une harpe immergée spécialement conçue par Sosno, et j'embarquais mes potes du Corou de Berra, un ensemble polyphonique niçois, positionné sur la crête des rochers, silhouettes sombres fantomatiques en train de chanter une étrange mélopée !
Tout était donc fin prêt pour le show !
Disons-le tout net ! Une telle opération serait impossible de nos jours au vu des contraintes sécuritaires qui se sont renforcées... Mais en ce mois d'août 1 999, tout nous réussissait dans une totale improvisation. Il fallut convoquer sur l'autel de Mare Sonans, les pompiers marins et leurs embarcations qui devraient veiller aux destinées de centaines de personnes s'immergeant en pleine nuit... puisque c'était le but final de les faire plonger avec leur masque sous l'eau (tête des sapeurs pompiers !). Et des cohortes de policiers pour interrompre la circulation du bord de mer de 18h à minuit... en plein été !
Gérer l'occupation des lieux sur une semaine entre des techniciens et des plaisanciers qui assistaient en premières loges au montage et aux essais divers n'était pas le moindre de nos soucis. La cohabitation fut parfois rude ! Mais c'est lors d'un des premiers tests que nous avons été confrontés aux fameux belges que vous connaissez bien désormais... Ils m'avaient supplié de pouvoir embarquer dans l'aventure, nous devant une revanche pour l'échec des Lasers de la Féérie, disaient-ils, et se proposèrent gratuitement pour concevoir les caissons lumineux qui devaient éclairer le fond de la crique. La gratuité était un argument particulièrement séduisant à mes yeux et je conclus le deal, non sans quelques angoisses ! J'aurais dû me méfier !
Et le jour J de l'immersion des caissons arriva... Las ! Les essais techniques de leur ingénieur avaient été conçus dans une piscine de Bruxelles, mais entre l'eau de Bruxelles et celle de la Méditerranée, il y a un facteur que personne n'avait entrevu... la salinité de l'eau rendait les caissons insubmersibles, ce qui était gênant vu qu'ils devaient reposer sur le fond ! Il fallut donc lester à coup de plomb et de fonte ces caissons qui, par ailleurs, leurs hublots partiellement occultés par les poids de rajout, n'éclairaient plus que fort parcimonieusement le harpiste et son instrument divin !
Qu'a cela ne tienne, on renforça les projecteurs extérieurs en concentrant la puissance de feu sur la zone concernée et vaille que vaille, nous avançâmes vers la première soirée, affrontant comme on le pouvait les aléas de la nature et de la technique en se calant sur le concept artistique de Michel Redolfi qui jonglait entre les textes de Jules Verne lut par Lonsdale, une musique électro pré-enregistrée, les choeurs du Corou de Berra et le soliste harpiste au fond de l'eau ! L'objectif était d'offrir un spectacle tant à ceux qui restaient sur le sable qu'à ceux qui plongeaient... et cela impliquait un mixage de l'extérieur renvoyé vers les fonds, et la captation du la musique sous marine pour la diffuser en extérieur !
Et cela a fonctionné ! Des hordes de touristes et de Cannois, certains, comme on les avait invités, avec lunettes de plongée, palmes et tuba, d'autres s'installant dans la nuit qui tombait, sur le sable avec piques-niques et bouteilles de rosée. Indescriptible ! Les enfants tout d'abord qui osaient être les premiers à se baigner et appelaient en hurlant, les autres à les rejoindre, puis la foule qui, insidieusement, se mettait dans l'eau pour glisser seulement la tête entendre, puis, se lâchaient pour rejoindre le fond et tourner autour du harpiste qui tapait sur son instrument en mesure, le "retour" dans les oreilles ! Le Corou, enfin, majestueux, se découpant dans la nuit, hiératique, et Michael Lonsdale, un spot sur son fauteuil coincé sur une langue de rocher rouge, avec sa voix inimitable de conteur !
Deux soirs merveilleux avec des pompiers dépassés, au bord de l'apoplexie. "-On ne contrôle plus rien !", et moi de les rassurer en croisant les doigts devant ces formes sombres qui nageaient dans une eau noire où tout aurait été possible, même le pire ! Mais la belle étoile était avec nous. Elle se découpait dans les nappes lumineuses des tours de lumières en nous offrant la certitude que rien ne pourrait arriver qui n'entache ces deux soirées de bonheur !
Modestement, dans mon coin perdu de La Bocca, avec un Michel Redolfi qui rayonnait, nous avons créé l'histoire en ces 3 et 4 août 1 999 pour ces premiers concerts sous la mer. Au moment du démontage final, j'ai sorti le champagne et épuisés, tous ensemble, nous avons communié à la santé des muses ondines qui nous avaient épargné dans une mer d'huile !
Mare Sonans avait vécu, grâce aux talents de tous et à la formidable opportunité d'un moment de grâce !
Je n'ai malheureusement pas retrouvé beaucoup d'archives de cette soirée. Pas de photos, pas d'articles de Nice-Matin qui avait couvert la manifestation... Un appel est lancé, si quelqu'un à des traces ou des souvenirs de ces soirées, qu'il me contacte, il aura mon amitié indéfectible en retour !