Festival 2021 : 2è étape !
Ce vendredi 9 juillet est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du Festival du Film : 27 personnes pour un film en compétition à 12h dans la salle de 400 places de la Licorne à La Bocca ! Voilà bien la preuve, si besoin été, de l’inconséquence des mesures prises qui, en gros, chassent les vieux cinéphiles cannois dépassés par la complexité du système et la nature particulièrement répressive de la présentation des nouvelles mesures dont cette billetterie « on line » sur un site capricieux, chassent les cinéphiles de passage, non-accrédités, dans l’incapacité d’obtenir des places sur un site dédié n’offrant aucune options pour les séances de films en compétition de La Licorne, chassent le tout-venant qui pourrait désirer « voir un film » du Festival comme on observe un monument en détresse !
Pourquoi ne pas réagir et tenter de répondre au problème ? Pourquoi ces salles désespérément vides ne peuvent-elles décréter un moratoire dans l’exécution des nouvelles mesures en décidant, par exemple, une « entrée des dernières minutes » pour tenter de meubler ces fauteuils rouges des salles périphériques dans lesquelles le vide se fait tant ressentir ! Attention, dans une semaine, il sera trop tard pour rattraper le coup !
Mais la vie continue et les films, pour les rares spectateurs présents, continuent d’offrir des moments de rêve. C’est le cas avec Lingui, les Liens Sacrésde Mahamat Saleh-Haroun dont j’avais encensé en 2010, L’Homme qui crie.
Dans N’Djaména la capitale du Tchad, Amina survit en dépeçant des pneus pour fabriquer des objets d’artisanat qu’elle vend au long des routes. Fille-mère, abandonnée par un homme qu’elle aimait, rejetée par sa famille et la société, elle élève sa fille adolescente Maria qui se fait renvoyer de son lycée car elle est enceinte. Dans ce pays musulman, où l’avortement est interdit par la loi comme par la religion, elles vont tenter de trouver une possibilité d’avorter et régler leur compte, tant avec l’homme qui a violé l’adolescente, qu’avec une foi qu’elles rejettent pour s’émanciper et retrouver leur dignité. Ce film est un uppercut à notre vision occidentale bienséante, un hymne à l’entraide et la solidarité des femmes, un pardon pour les fautes du passé et une lucarne sur l’avenir de ces femmes qui déclinent leurs blessures dans le drame et le rire de l’espoir.
Pitié cher jury : ne passez pas à côté de ce film si engagé contre les forces obscures qui règnent, ne faites pas comme en 2014 avec la bande de Jane Campion incapable de saisir l’importance de Timbuktu en l’ignorant dans la remise des prix.
Un prix spécial du Jury est le minimum imposé pour cette œuvre filmée avec une immense rigueur, une esthétique « propre » dans une ville capharnaüm, des actrices parfaites, un montage fluide et sur un temps d’1h30 qui tranche avec les longueurs en vigueur ! Bravo à Mahamat Saleh-Haroun.
Bon, la série des bons films devait bien s’arrêter un jour ! C’est chose faite avec la 7èmepellicule, Julie en 12 chapitresde Joachim Trier que j’ai décliné en 8 pour aller reposer mes yeux et sur La Colline des Lionnesde la jeune surdouée Luàna Bajrami qui a écrit ce scénario à 16 ans mais prouve à 20 ans, que même si elle a du talent, l’âge n’excuse pas tout. Au travail Luana, tu as un bel avenir devant toi, il faut nous le prouver désormais en montrant un peu plus de rigueur et un peu moins de complaisance devant tes sujets !
Samedi 10 juillet : Une journée au paradis du 7è Art !
Que se passe-t-il en terre de cinéphilie ? Comment imaginer un tel foisonnement de qualité, dans des genres si différents et des univers si disparates. Du jamais vu à Cannes !
Cela commence avec La fracturede Catherine Corsini, en compétition. Un service d’urgences par temps de manifs et de répression policière. S’y croisent dans une panique générale, des « patients » normaux, des accidentés de la vie et des réprimés par les forces de l’ordre, tout cela au milieu d’une équipe soignante débordée, sans moyens et s’accrochant à la nécessité de sauver envers et malgré tout. Ce n’est jamais misérabiliste, bien au contraire, un humour féroce décape les scènes de tension. A noter les compositions de Valeria Bruni-Tedeschi, de Marina Fois et de Pio Marmaï qui portent sur leurs épaules ces respirations salutaires qui renvoient à la vie réelle. Et comment ne pas être éblouis par Aissatou Diallo Sagna, aide-soignante qui joue son 1erpropre rôle, tour de contrôle de ce service d’urgence qui craque de toutes parts, dont les plafonds s’effondrent et que les gaz tirés par des policiers envahissent. C’est un bijou de film social et cruel, humoristique et passionné, qui tend la main à toutes les déchirures. Un film d’allégresse sur un sujet brûlant à voir en urgence… mais pas dans ce service !
Mothering Sundayd’Éva Husson nous transporte dans les années 1920, dans une Angleterre Victorienne. Une belle servante devient la maitresse d’un fils de famille promis à une autre. Les drames passés (la mort des frères à la guerre) se répètent et le temps n’épargne personne. Le film oscille entre un conte en costume et une chronique de l’ascension d’une jeune fille vers la célébrité. Il y a du James Ivory dans cet univers peint par une Française qui respire l’air de ces 3 familles aristocrates unies par le deuil et les faux-semblants. La servante deviendra cette romancière à succès qu’incarnera, en un ultime clin d’œil, Glenda Jackson, l’immortelle Charlotte Corday du Marat/Sadede Peter Brook et l’amante passionnée de Music Loversde Ken Russel ! Un beau film émouvant et sensuel.
Oranges Sanguinesde Jean-Christophe Meurisse, présenté en séance de minuit est un formidable coup de poing à la bienséance et au conformisme. Hilarant du début à la fin, un rire franc et contagieux qui a embarqué la salle sans pouvoir s’arrêter !
Un fil ténu relie une palette de personnages : un vieux couple surendetté qui tente de gagner un concours de rock, l’avocat manipulateur d’un ministre des finances corrompu, une jeune fille en attente de son premier rapport sexuel, un détraqué sexuel qui se jette sur ses proies… mais tous les liens convergent vers un règlement de compte général où la morale sera sauve ! Les seconds rôles sont exceptionnels (Blanche Gardin en gynécologue, monumentale, Dedienne et les autres membres du jury du concours de rock, historique, un chauffeur de taxi odieux, fabuleux). Et de voir un prédateur sexuel dans l’obligation de dévorer ses propres couilles, préalablement chauffées au micro-ondes, n’arrive pas souvent, avouons-le !
Fou-rires garantis, déraison au service de la raison, Oranges Sanguinesest LE FILM à voir si vous avez le cafard et que la Covid vous traumatise. Il devrait être remboursé par la sécurité sociale !
Reste le Benedettade Paul Verhoeven, et un casse-tête de plus pour le jury dans son attribution de la Palme d’Or ! Les délibérations s’annoncent chaudes !
Virginie Efira intègre toute jeune un couvent dans l’Italie du XVIIéme siècle. Entre miracles et impostures, elle va découvrir les plaisirs de la chair dans les affres de son amour pour un Dieu tout puissant. Dans des décors sublimes, une image d’une beauté renversante, des acteurs et actrices incroyables (Lambert Wilson, Charlotte Rampling…), le film parcourt tous les chemins de croix d’une rédemption, dans le cauchemar d’une peste qui rôde, des jeux de pouvoir et de séduction. Lectures multiples à tiroir, aveuglement d’une foi qui oblitère la nature humaine, somptuosité des effets, grâce d’une bande son subtile… tout est réuni pour faire de Benedettaun prétendant à une Palme d’Or qui s’annonce particulièrement convoitée en cette année 2021. Et c’est tant mieux pour les rares spectateurs qui sont dans les salles de cette édition de tous les contrastes !