Malik Oussekine : série en cours !
Paris Lundi 9 mai 2022. 18h30
La façade du Grand Rex est couverte d’un immense visage où une cicatrice rouge dessine la trace sanglante d’un destin brisé. Un nom s’étale, Malik Oussekine, qui remonte d’un passé pas si lointain comme une blessure enterrée, un crime que le rideau de l’oubli a renvoyé au néant.
Pourtant, tous ceux qui ont plus de 50 ans ont vécu ce drame. C’était en 1986, François Mitterand était le Président d’une France qui avait rompu avec un ancrage à droite que nous avions toujours connu depuis la fin de la guerre mais se trouvait confronté a une 1ère cohabitation avec les ténors de la droite, Chirac, Pandraud, Pasqua... qui tenaient les rênes d’un pouvoir qu’ils rêvaient de reconquérir à temps plein. Pendant ce temps, les jeunes lycéens défilaient, réinventant la contestation et les manifestations violentes, 20 ans après Mai 68, contre le projet de loi d’un Alain Devaquet qui voulait réformer à la hussarde les Universités et inscrire des critères de sélection pour accéder aux études supérieures.
Malik Oussekine mourra le 5 décembre sous les coups des «voltigeurs», ces policiers à motos équipés de bâton avec lesquels ils tapaient à l’aveugle sur les manifestants. Il deviendra le symbole d’une lutte et la victime d’un système. Il sera surtout une page de plus dans la longue histoire des bavures policières.
Son nom est resté mais son histoire s’est fondue dans la nuit des temps.
Le temps a passé et d’autres convulsions, d’autres drames sont venus balayer une actualité toujours chargée en morts inutiles, de raison d’état en crimes cachés.
Et c’est tout l’art d’Antoine Chevrolier d’exhumer cette tragédie afin d’en solder les effets pervers à l’heure où les rejets de l’autre, le racisme, et l’impunité des forces de l’ordre continuent de jeter un voile sur la vérité.
Avec 3 co-auteurs, après avoir renouer avec la famille de Malik Oussekine, ils ont trouvé un étrange producteur, Dysney+, pour une série en 4 épisodes qui donne un sens à la notion même de quête de la vérité et de la nécessité de régler nos comptes avec les pages sombres de notre histoire, ce que le cinéma Français à beaucoup de difficulté à réaliser. Combien de films sur l’esclavage dans nos colonies, sur la guerre d’Algérie et le sort des harkis, sur les pages sombres de la collaboration et d’un Pétainisme « sauveur des juifs » ont été traités ? Si peu !
Quand nous sommes si forts à ancrer un certain réalisme social dans la problématique de filmer notre environnement, nous sommes trop souvent paralysés par le poids de notre propre histoire dans ses pages les plus sombres, à la différence des américains, aptes à peindre la guerre du Viet-Nam en direct, le drame de l’extermination des indiens, les affres de leur politique intérieure...
Et grâce à Dysney+, dont le fond de commerce et plutôt constitué de sagas historiques et de super-héros, Malik et son histoire peuvent revivre enfin et rendre son honneur à une famille dévastée par un drame atroce, dépeindre les ravages d’un racisme au quotidien, camper l’incroyable difficulté d’une assimilation toujours exigée des politiques mais rendue impossible par une discrimination rampante et une inégalité devant la loi de ceux qui sont différents mais tentent de s’intégrer.
Cette série fera date par la qualité de son scénario tiré de la réalité mais aussi par la perfection des acteurs (bouleversante Hiam Abbass, qui interprète la mère de Malik), frères et soeurs, flics sans vergogne, politiques sans états d’âme.
L’équipe technique est parfaite entre les prises de vue, la photo, le montage, une réalisation soignée qui donne un souffle à cette série et lui offre une audience prévisible sur les écrans du monde entier.
Il fallait ressentir l’incroyable vibration de la salle du Grand Rex bourrée à craquer en cette présentation officielle des 2 premiers épisodes, où « peoples » et spectateurs lambdas se côtoyaient et communiaient dans une réelle émotion.
Les bons sentiments peuvent aussi déboucher sur l’art de conter une histoire éternelle, celle de la lutte contre l’injustice, pour la fraternité et le respect de l’autre.
Il fallait être en ce 9 mai 2022 dans cette salle pour se convaincre que le cinéma a encore de magnifiques pages à écrire. Merci à toute l’équipe de production et de réalisation de nous avoir permis d’oublier les miasmes d’une campagne présidentielle ignoble, les délires Poutinesques d’une invasion de l’Ukraine, le développement sordide du travestissement de l’histoire par les fake-news et d’avoir remis de l’humain au sein d’une oeuvre de mémoire indispensable !