Histoire vécue (4)
Bon d'accord ! Vous allez être jaloux et me maudire. C'est dur, je le sais mais que voulez-vous, quand on a du charme... Et puis, il fallait bien que je vous la sorte celle-là, d'histoire vraie. C'est ma perle, mon bijou, un diamant taillé dans ma légende. Chut, je ne vous en dirai pas plus, à vous de lire désormais.
Encore Kim Basinger !
Dans le cadre du Festival du Film, c'est ma direction qui est chargée de réaliser les empreintes des stars, vous savez, ces mains qui jalonnent le parvis du Palais des Festivals que les touristes contemplent, dans lesquelles ils glissent leurs menottes, à quatre pattes, en tentant de saisir un peu de l'âme de leur idole. Les plus grands noms se retrouvent ainsi inscrits pour l'éternité au revers de nos désirs, gravés dans le marbre de nos émotions. Et cela marche, les appareils de photos qui mitraillent ces augustes doigts plein de rêves nous le prouvent toute l'année. Une véritable aubaine pour les millions de touristes qui déferlent vers le « grand palais » du Festival du Film !
La technique de prise d'empreintes est sophistiquée. Un carré d'une terre glaise est préparé spécialement par un potier de Vallauris. L'artiste imprime sa main mais le responsable de la prise est dans l'obligation de peser sur cette main et sur les doigts (à plat, l'impétrant n'a pas de force !). Par la suite, quand la trace de la main est bien visible en creux dans la terre, il s'agit d'apposer une signature lisible grâce à une pointe qui mord dans la surface plane et d'ajouter l'année de réalisation. L'octroi d'une petite lingette permet de nettoyer les scories déposées sur les mains de nos stars devenues immortelles !
Chaque année, à partir des noms des vedettes annoncées dans la programmation des films, ma collaboratrice, Nadine, effectue son choix, contacte les attachés de presse, organise les rendez-vous et gère les egos divers de nos invités. En général, si l'entourage dresse des barrières autour de sa vedette, l'artiste lui, redevient un enfant pendant cette opération. Cela l'amuse et disons-le, le flatte, de savoir que la postérité retiendra une trace concrète de son passage sur terre. Il rit, plaisante, se prête au jeu, s'enthousiasme comme un enfant devant des pâtés de sable.
Au vu de la liste des postulants à l'interprétation masculine et féminine, j'ai choisi trois noms, (je suis le directeur, quand même !) pour en devenir l'officiant dévoué. En cette édition particulièrement brillante de l'année 1998, j'avais sélectionné Julie Delpy (Ah ! La grâce fragile de deux yeux d'émeraude), Claudia Schiffer (une bombe de naturel aux formes bouleversantes comme un bonbon d'amour) et... Kim Basinger dont je ne pouvais décemment pas rater l?occasion de la « prendre dans mes bras » même si la figure de style est un peu osée en regard des présupposés techniques énoncés plus haut !
Arrive le moment sacré, dans un salon d'un partenaire champagne du festival au 3ème étage du Palais, dans une quasi intimité, 150 photographes et journalistes seulement se pressant autour de nous pour immortaliser notre étreinte. Présentation, dans mon anglais de collège constipé.
- Hello, Kim, how are you ?
- Fine, thank you ( Yes ! C'est elle qui me parle ! A moi, Bernard !)
- One or two hands, as you like !
- One
- Ok, we go, now.
Je sais, dans la gamme d'un échange shakespearien, avoir relativement peu de chance de passer à la postérité comme un dialoguiste de génie, mais j'étais très fier de m'en être tiré sans dommage collatéraux pour le sabir de
Deux remarques à ce moment crucial de cette authentique anecdote. La première fait référence à une symbolique éminemment sexuelle. Contact intime, couvrir, peser, proximité des corps qui s'effleurent, pousser, souffle divin, j'en passe et des meilleures sur ce qui se déchaîne dans ma tête, où plutôt, dans l'ouragan de mes sens exacerbés !
La deuxième est beaucoup plus prosaïque. Les plaques sont changées à la moitié du festival car elles ont tendance à sécher et deviennent moins souples à travailler au fil des jours. Petit détail, nous étions à la moitié du festival et les plaques avaient perdu de leur morbidité du fait d'une grande chaleur régnant en ce mois de mai. C'est le lendemain que nous devions recevoir une nouvelle provision. En attendant, il fallait faire avec les moyens du bord !
J'entame donc ma danse nuptiale comme un gros bourdon. J'appuie sur chaque doigt, imprime ma paume sur le dos de sa main, puis les deux mains, je m'arc-boute, me dresse sur la pointe des pieds pour avoir un meilleur angle de pesée et sens que cette main de star refuse de prendre sa place dans la terre élue. Je redouble d'efforts et sous mes yeux horrifiés, m'aperçois que ses doigts deviennent tout blanc, perdent leur couleur et que seul le rouge vermillon des ongles surnage dans ce Waterloo de la prise d'empreintes. C'est la Bérézina, je panique, défaille, ne réussis à extraire de ma gorge nouée qu'un râle dans lequel son oreille experte discerne un : « -Sorry, Kim, sorry », balbutiant. Sans se démonter, se tournant légèrement pour plonger ses yeux dans les miens, papillonnant des cils comme un sémaphore épileptique devant un bateau ivre en train de sombrer dans une mer démontée, elle m'octroie un : « -More, more ! » d'une voix basse et sirupeuse avec un grand sourire moqueur de connivence ravageant toutes mes certitudes.
Ainsi donc, par la nature rétive d'une plaque d'argile, je suis devenu en cette année 1998, l'Homme à qui Kim Basinger a susurré dans le creux de l'oreille un « Encore, encore » qui résonne toujours comme une douce et lancinante mélopée. Ma légende s'en trouva, ma foi, fort agréablement enjolivée d'une page dorée. Et je vous assure, que dans les soirées arrosées entre amis, le « more, more » de ma Kim adorée à plus fait pour conforter ma réputation que des heures de discussions sur la dialectique du changement pacifique des institutions dans l'Union Soviétique de Mikaïel Gorbatchev !
Merci Kim Basinger. Et si j'osais : «-Encore, encore !» une fois merci du fond du coeur de me permettre de narrer cette histoire sans mentir.
C'est arrivé près de chez moi, je vous le jure !