Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Ephéméride Novembre 06

Publié le par Bernard Oheix

Le tour du monde en 24 séances.

Du 1er novembre, date de mon retour de Séville au 28 novembre, mes pérégrinations m'ont mené devant les écrans et les scènes  de la Côte d'Azur, de Marseille, Paris et Lyon, dans une marche forcée vers la « culturation », un doux chemin de croix pavé de beaux sentiments, d'émotions et de rires, un livre ouvert empli de désirs et de rêves. Privilège extrême d'être le passeur, celui qui va accompagner le spectacle d'un lieu à un autre, qui analyse et juge, qui donnera sa chance et effectuera la séparation du grain et de l'ivraie. Pour qu'elle advienne, cette possibilité du rêve, un long cheminement est nécessaire, de la présentation devant des acheteurs potentiels d'un objet artistique, de la négociation sur la date, le rapport qualité/prix, son insertion dans un programme qui se doit d'être cohérent dans ses équilibres, et toutes les contraintes et impondérables d?une tournée à construire dans la douleur de ces routes jamais droites qui ne mènent jamais à Rome.

Et puis il y a l'arrivée à Cannes, l'accueil des équipes techniques, les hôtels et restaurants... Et plus l'heure avance, plus le public est censé être convaincu et escalader les marches du grand Palais. Belle cuisine que la présentation d'une oeuvre que vous bouderez peut-être !

Tout ces petits riens font un monde de riens, mais c'est cela la culture, des bouts de ficelles pour des noeuds d'humanité, des sanglots pour lutter contre le désespoir, des rires pour vaincre la folie. Et si tous les êtres humains réfléchissaient un tant soit peu, peut-être que la fureur des hommes pourrait se noyer dans un océan de bons sentiments. Vision vertueuse et idyllique s'il en est, mais après tout, les marchands de sable sont aussi des fabricants de mirages !

 PS : D'accord, Hitler pleurait en écoutant la 9ème de Beethoven dirigée par Von Karajan... mais c'était des larmes de crocodile !

Et donc en avant toute pour ce tour d'horizon d'un mois de novembre riche en expériences. Beaucoup de films, de théâtre, de danse. Dur, dur d'être directeur au Palais des Festivals et de devoir programmer une saison 2007/2008 !

 

2 novembre : Cannes. Ne le dis à personne. (Film).

 

Harlan Coben revisité et reficelé par Guillaume Canet. Trame fumeuse pour une distribution éclectique dans un casting de gala (Dussolier, Cluzet, Belfond, Rochefort... avec en prime la belle Kristin Scott Thomas).  Un vrai talent de réalisateur, une façon d'approcher au plus près le rêve hollywoodien sans se trahir. Un bon polar détente pour penser aux choses sérieuses.

 

4 novembre : Cannes. Scoop de et avec Woody Allen (Film) 

Un bijou de plus pour monsieur Woody. Le talent des histoires, l'art des images, la magie des mots. Entre le réel et l'irréel, une comédie enquête reposant sur les graciles épaules de la sublimissime Scarlett Johanson , journaliste débutante récupérant un scoop de l'au-delà et tentant de démasquer le tueur aux tarots avec l'aide d'un magicien raté au sac plein de malice. Woody Allen brode une de ces comédies dont il a le secret, alerte, virevoltant, parsemé de mots d'auteur d'anthologie, maîtrisant chaque élément du film pour composer un hymne léger à la gravité de la vie. A voir absolument.

 

6 novembre : Paris. La goutte au pépère. Olympia. Richard Gotainer (comédie musicalo-écologique)

L'Olympia dans ses atours, salle bourrée d'amis du monde du spectacle. Attendue cette arrivée sur Paris d'un show rôdé en province par un chanteur qui ne tourne plus depuis quelques années mais dont le nom reste une énigme pour ceux qui traque « les ringards »... comme si l'humour préservait du temps qui passe !

Richard, c'est mon pote. Un copain d'amitié alors ne comptez pas sur moi pour dire du mal du spectacle ! En plus il est étonnant sur scène. Il vit le rapport au public, il est un vrai comédien qui dévoile tout son talent et sa finesse d'interprétation. Il bouge avec élégance comme un félin des planches qu'il est, les chansons sont délicieuses, les décors beaux. Reste que cette histoire entre la pub et l'écologie dégage un parfum de déjà-vu, ou peut-être une résonance trop claire, évidente, avec des problèmes contemporains. Paradoxe. Je m'en contrefiche, le public a aimé et moi j'étais heureux pour lui, même si j'attends avec impatience son nouveau disque et qu'il fera sa première à Cannes comme il me l'a promis. Rendez-vous en 2008 pour un show à la Gotainer inspiré d'une verve canaille, un chanteur hors du temps, niché dans les vers de ses poèmes absurdes qui en disent si long sur la vrai nature de l?homme !

 

7 novembre : Paris. Dolores Claiborne. (Théâtre des Bouffes Parisiens)

Tiré d'un roman de Stephen King, dans une distribution géniale où Serge Riaboukine est d'une veulerie absolue et Michèle Barnier totalement possédée par son personnage de « mère courage ». Une femme va solder une mort passée, celle de son mari disparu d'une façon mystérieuse 20 ans auparavant, au cours d'une enquête où elle est injustement accusée d'être responsable du décès de sa patronne, Vera Donovan, une riche et vieille femme qui lui lègue sa fortune. 

On peut avoir le livre en mémoire, le film dans les yeux, il reste l'éblouissante prestation d'une actrice qui s'impose sur la scène dans un rôle dramatique à la mesure de son talent. Timbre émouvant de la voix, souvenirs qui émergent dans ses yeux désabusés, solitude, destin brisé et malgré tout, cette force exceptionnelle qui donne de l'espoir, un amour désenchanté de la vie qui porte à la rédemption. Pas seulement la sienne, celle de toute une humanité qui souffre par la faute de ceux qui salissent la terre en la foulant. La pédophilie, l'ivrognerie comme baromètre de la déraison.

A Cannes l'an prochain, c'est sûr, comme un élixir de vie. Préparez vos mouchoirs !

 

10 novembre : Cannes. Théâtre de la Licorne. Babel. Cie Najib Guerfi. (Danse)

Membre fondateur de Kafig, (cf. plus loin), Najib exploite le Hip-Hop en le confrontant à une double culture : celle d'une danse contemporaine plus charnelle et animale et celle d'une danse asiatique (la Malaisie) avec sa précision du geste et ses conventions hiératiques.

Cela donne un spectacle lunaire, construction d'un geste libéré de toutes attaches, mélange subtil à la croisée des cultures définissant une gestuelle intemporelle et universelle. C'est somptueux ! Un ballet moderne, qui puise dans l'alphabet contradictoire de ces cultures qu'il revisite une sensualité et une actualité que le titre souligne. Babel, comme un espoir que les hommes s'entendent enfin, comme une fresque vivante où la bande-son osée (un mixe de sonorités électro et asiatique) permet de suivre le chorégraphe et ses interprètes dans sa volonté de communier.

Najib Guerfi est adorable. Talentueux, il a l'humilité des grands, l'humanité de ceux qui ont côtoyé l'enfer pour s'échouer sur les plages dorées de la reconnaissance et du partage. Son livre, le Sauvageon, devrait trôner sur les commodes de tous les politiques qui parlent de la banlieue sans y avoir mis les pieds et échafaudent des plans sans la comprendre. Ambassadeur de l'intégration, Najib, je te nomme ministre de la reconnaissance et de la fierté retrouvée. En plus t'es mon pote !

 

                   Il y a le jeune des banlieues et le vieux baba-cool...cherchez l'erreur !

11 novembre : Cannes. 19h45. Prête-moi ta main. (Film)

Sympa. Une bonne première partie de soirée avec une Charlotte Gainsbourg étincelante qui occulte même Alain Chabat.

 

                                      22 H. Le Dahlia noir (Film)

Brian De Palma est fatigué. Il n'arrive même plus à réunir les bouts d'images somptueuses de son film incompréhensible. Reste un jeu qui tourne à vide dans une parodie de glissements de sens et de boucles allusives auxquelles plus personne ne comprend rien. Déjà que l'histoire est foutraque ! Si on me fournit le mode d'emploi, je changerai peut-être d'avis mais en attendant, pitié monsieur De Palma, retrouvez votre verve et un peu d'humilité avant de nous proposer un nouveau film !

13 novembre : Cannes. 19h45. Le labyrinthe de Pan (Film)

Je l'avais raté au Festival du Film. Dommage ! Guillermo del Toro signe un film éblouissant, un conte cruel et désespéré, quête d'une petite fille pour survivre à l'horreur d'un franquisme incarné par un Sergi Lopez transcendé en tortionnaire d'une dictature sans état d'âme. Amaigri, froid, bourreau glaçant, il va contraindre Ophélia à fuir dans l'imaginaire, la réalité d'un mal étouffant. Rien n'est beau dans cet irréel qu'elle s'invente, versant fantastique d'une sordide fuite, les épreuves s'enchaînent alternant les retours au présent de la guerre et de la traque des partisans. Un monde se tisse où chacun se retrouve confronté à ses propres peurs, la mort seule sort grandie, comme la signature d'un malin démon devant la petitesse des hommes. C'est beau et oppressant.

Un film qui aurait mérité un peu plus de reconnaissance de la part du jury du Festival du Film.

                                      22 H. La mémoire de nos pères (Film)

 

Clint Eastwood au zénith. Il continue son travail de sape des mythes contemporains. Le héros de guerre en cette heure de bourbier irakien n'a plus d'odeur, il a les pieds dans la boue et sombre, broyé dans une mécanique de la guerre qui ne laisse place qu'à l'absurde. Règne d'une faucheuse qui hache le corps de l'homme aussi sûrement que ses rêves meurent dans le sang des combattants anonymes. Même les héros, ces fameux guerriers qui hissèrent le drapeau américain à Iwo Jima, sont prisonniers d'une logique qui les dépasse. Ils sont tout autant broyés dans la victoire que dans la défaite car le message de Clint Eastwood est clair... c'est l'humanité qui sombre dans la guerre ! Hommes simplement, geste de l'horreur, souvenirs de ceux qui disparurent pour que la victoire soit proclamée au prix du sang qui souille les plages de cet îlot perdu ! On attend désormais avec impatience le deuxième volet de cette saga guerrière, la vision dans le camp des perdants de cette même bataille. Nul doute  qu'il trouvera encore les voies pour nous désarçonner et nous donner un nouvel opus crépusculaire. Qu'ils sont durs ces mythes à abattre d'un monde généré par les flammes de l'enfer.

14 novembre : Saint-Raphaël. Palais des Congrès. Terrain vague. Cie Kafig. (Danse)

Mourad Merzaki. Un des promoteurs de l'irruption du Hip-Hop sur les scènes de l'hexagone, le passeur de la rue à la salle, un créateur de génie à l'expression douce et suave. Mais si on aime Terrain vague, ce n'est pas parce que Mourad est aimable... le ballet se suffit à lui-même. Formidable hymne de vie, énergie d'une banlieue perdue dans un désert de béton, la scène est une agora où se croisent des personnages qui vivent au rythme d'un monde de frénésie. Arène cernée de tôles ondulées, palissades surchargées de « graph », garçons et filles vont se croiser et inventer des figures qui, chacune, dessinent un univers de bruit et de fureur tout en transcendant cette énergie en force de vie. C'est cela la force et la vision de Mourad. Interpréter la gestuelle moderne et la rendre sublimée, poétique, capable de toucher n'importe quel être pensant du côté du coeur. Ode à la mixité, tempo d'une urbanité perplexe, il donne des réponses aux questions que l'on ne se pose pas toujours.

Commentaires : Mourad et Najib avaient créé  ensemble Kafig dans les années 90. comment expliquer tant de talents et de visions dans un même lieu, au même endroit, à la même époque... mystère ! L'an prochain je le programmerai si Yorgos Loukos ne le sélectionne pas dans le Festival de Danse.

15 novembre : Cannes. Palais des Festivals. Corneille. (Musique)

Hystérie de la salle conquise. Deux notes et c'est parti... Cela tombe bien, il n'en connaît que deux. Je suis resté sans voix... mais comme lui n'en a pas non plus, on était à l'unisson ! Pour le public, c'est l'extase, un orgasme de foule incompréhensible. Il est le gentil sans doute, celui qui part de la nuit pour arriver à la lumière et le public aime les success story, même porté par un souffle de voix épais comme du papier à cigarette. On peut lui accorder un certain talent d'animateur, les poses affectées d'un sex-symbol à l'origine soufrée mais cela en fait-il une star pour autant ? L'avenir nous le dira.

Quant à Perle Lama qui avait chauffé la salle en première partie en exhibant son nombril comme un passeport pour la gloire, elle confirme qu'un joli postérieur n'est pas suffisant pour avoir du talent.

 

16 novembre : Paris. 19 H. En allant à St Yves. (Théâtre Marigny)

Petite bourgade anglaise. Une spécialiste des yeux traite la mère d'un dictateur africain. L'une a un fils mort en héritage, l'autre a enfanté d'un monstre assoiffé de sang. Elles vont nouer une relation ambiguë et conclure un pacte qui les enchaînera à jamais. Le texte est beau et puissant, un souffle brûlant du vent de la folie meurtrière des hommes. Yane Mareine en mère blessée et Béatrice Agenin (qui signe aussi la mise en scène) le portent toute en retenue et subtilité. La mort et le sang comme expiation pour libérer le monde de ses propres fautes et des blessures du temps. Un choix cornélien pour deux mères qui vont se délivrer de leur fardeau en enterrant l'espoir. C'est du théâtre dramatique contemporain, c'est joué juste et l'émotion est sincère dans le regard de Béatrice Agenin qui a porté ce projet jusqu'à son aboutissement.

Pourquoi pas à Cannes ? A voir suivant le reste de la programmation et l'équilibre entre comédies et pièces plus sérieuses. Tentant.

                                   21 h. Le jardin. (Théâtre des Mathurins)

 

Particulièrement à l'abandon « le jardin ». On l'annonçait comme la succession du « petit jeu sans conséquence » qui avait fait fureur l'an dernier. Quelle idée aussi de faire jouxter ce jardin où vont se croiser des personnages archétypaux de la société française avec un cimetière ! Un coup à enterrer ses espoirs ! Texte convenu et plat, réparties prévisibles, jeu mollasson... pas nécessaire de le fouler ce jardin pavé de si bonnes intentions qui ne débouche que sur une impasse broussailleuse où errent nos attentes déçues.

17 novembre. 19 H et 21 H. Paris.  Adultères. Woody Allen. (Théâtre de l'Atelier)

3 pièces en un acte conçu par l'auteur comme un triptyque autour de liaisons en train de se dénouer.

Comment utiliser des adjectifs pour décrire ce festival de bons mots, ce feu d'artifice de situations cocasses, de quiproquos, de hasards malencontreux portés par des comédiens extraordinaires qui se livrent avec jouissance aux délires de l'auteur ! Eblouissants de virtuosité Pascale Arbillot et Xavier Gallais... mais tous les autres aussi, jonglent, surfent, se glissent dans un texte plein de verve où se côtoient les pièges du désir. Nombrilisme et égotisme, drames sous-jacents de ces êtres qui errent au bord du chemin, mamelles abondantes sur lesquelles Woody Allen tire avec jubilation pour camper des portraits tragiques, des ambitions avortées immergées dans la misère affective et les contradictions des coeurs qui battent.

Et comme pour nous prouver que derrière le futile se niche un véritable auteur, Old Saybrook, la dernière pièce de la trilogie, dynamite les conventions du théâtre de genre, exhibe l'auteur bâillonné et ligoté, impuissant à terminer son oeuvre, en panne d'idées achevant sa pièce grâce au renfort des acteurs qui inventent un fin cohérente !

Et vous imaginez que cette pièce ne sera pas à Cannes l'an prochain !

En prime et uniquement pour vous, ce florilège de réparties pour vous donner une pincée de cette saveur distillée tout au long des 3 oeuvres.

 

-David, essaie de comprendre... à part le sexe, c'était platonique !

 -Ce n'est pas grave! c'était un fétichiste de la chaussure. Il s'excitait uniquement les jours de soldes de Prada.

 -Je ne vais quand même pas bazarder des années d'intimité et d'amour à cause d'un mari dentiste qui jouait de sa fraise avec ma soeur.

 -J'ai toujours su que si on lui tenait la tête, tu baiserais un serpent.

 -Madeleine Cohen est une freudienne orthodoxe... elle porte même la barbe.

 -Rejeté par les suicidés anonymes... si c'était moi, je me tuerais.

 -Elle m'a supplié de la mettre enceinte, c'est ce que j'ai fait...

 

-Non sans mal, mon chéri... autant fourrer une huître dans un parcmètre !

-Personne n'est détesté pour ses faiblesses... uniquement pour ses prouesses.

 -Il ne faut jamais baiser avec un juriste, il te coince toujours sur le vocabulaire.

 -Tu as couché avec mon co-auteur ?

 -Une fois, tu étais à l'hôpital pour tes électrochocs. On était tous les deux très inquiets pour toi et on ne savait comment exprimer ça.

Samedi 18 novembre. 18 H. Opus coeur. Israël Horowitz. (Théâtre Hébertot)

 

Mise en scène de Stéphane Meldegg. Un vieux professeur d'anglais et de musique condamné par la maladie prend une jeune veuve pour l'assister. Tout les sépare, pourtant chacun va faire un pas vers l'autre pour aller vers l'amour par-delà le trépas. Pierre Vaneck est un lion blessé, Astrid Veillon, sublime trait d'union entre le passé et le futur, porte l'espoir d'un apaisement, une énergie vitale au service de cette mort au travail. Solder son histoire et guérir ses blessures en un mouvement convergent qui les lie à jamais.Ils sont divins, atteignent cette zone merveilleuse d'un paradis d'acteurs, quand tout se conjugue pour créer l'illusion, beauté du texte, qualité des décors, profondeur des sentiments, interprétation ciselée. Du théâtre, du vrai !

Ne vous précipitez pas à Paris, ils seront à Cannes l'an prochain.

                                    21 H. Paris. Le gardien. Harold Pinter. (Théâtre de l'Oeuvre)

 

Mise en scène de Didier Long. Robert Hirsch porte pendant plus de deux heures la pièce sur ses épaules de vieux monsieur de plus de 80 ans. Un texte où l'absurde naîtrait du quotidien et de la répétition assumé physiquement dans une violence extraordinaire poussant le spectateur à la limite du supportable. Un vagabond veule et raciste hébergé par un homme simple va tenter de profiter de la situation en utilisant le frère de celui qui lui a donné l'hospitalité pour devenir le gardien de l'immeuble. Une pièce dense, physique, louvoyant entre les misères du monde, huis clos pervers où l'anti-héros tente de survivre par tous les moyens, même les plus abjects. Reste cet affrontement physique, cette violence sadique à glacer le sang, poupée abandonnée, le corps malingre de Robert Hirsch instille une pulsion irrationnelle parmi le public tétanisé.

Commentaires : Je ne sélectionnerai pas cette oeuvre à cause de la dimension de ma salle. Cette violence qui fait l'intérêt de la pièce se diluerait dans les immenses espaces de la salle Debussy. C' est un spectacle qui implique que le spectateur soit le nez sur les acteurs, sur leur sueur. Leur angoisse, quand ils s'affrontent, ne doit pas se dissoudre dans la nuit, elle doit s'exposer aux yeux du public !

Voir les commentaires

Chérie, et si on faisait l'amour ?

Publié le par Bernard Oheix

Bon, un peu de sexe, après tout, cela ne fait pas de mal ! Et puis, les horreurs de la guerre, les cris de douleur, la famine... Y en a marre ! Un peu de tendresse enfin, de la douceur et de la volupté... L'histoire se passe entre un homme et une femme... et si l'on ne donne pas la date de cette soirée d'amoureux, hélas, elle ne devrait pas tarder cette copulation programmée, ce sexe de cadres dynamiques à qui rien ne résiste.

Bon, rassurez-vous, cette romance n'est que presque vraie !



-Tu es si belle, un ange dans ma vie, et si on faisait l'amour ce soir !
Elle a souri et ses joues prirent une belle couleur rose tendre. Les flammes des bougies auréolaient son visage fin, ses yeux en amande qui m'avaient toujours fasciné, son sourire dévoilant des dents blanches parfaites, des lèvres carminées pulpeuses soulignées par une intervention discrète au silicone lui donnant une bouche sensuelle qui appelait le sexe. Une cascade de cheveux cendrés frémissait à chaque mouvement de sa tête. Elle possédait le port altier d'une reine que j'avais épousée il y a plus de six ans et qui résistait à l'usure du temps en continuant à me ravir.
Sa dernière intervention au botox était vraiment une réussite, sa peau était lisse comme un fruit frais mûri au soleil. Elle ressemblait à une jeune fille pure comme de l'eau de roche malgré ses trente-deux ans, et je discernais sous son chemisier de soie une poitrine ferme et orgueilleuse que les implants mammaires maintenaient en équilibre et dont les tétons durcis laissaient une trace pointant sous le tissu vert pomme. Elle était symphonie de couleurs, oeuvre d'art, ma femme pour l'éternité.
Nos amis s'étonnaient de la longévité de notre couple, le cap des sept années bientôt atteint, cette ligne qui paraissait infranchissable à tant de nos relations allait devenir notre horizon, un objectif bien tangible de notre vie commune qu'aucun nuage menaçant ne semblait pouvoir mettre en péril. Il faut dire que nous ne lésinions pas sur les moyens nécessaires pour contrer la monotonie d'une relation de couple et sur les ingrédients indispensables à l'harmonie de notre foyer malgré les aléas du quotidien et les tracas de la vie professionnelle.

Ma fonction de directeur commercial dans une société de congrès particulièrement connue dont je tairai le nom pour d'évidentes raisons, impliquait un investissement total de ma personne. Des journées de dix à douze heures, des voyages incessants autour de la planète, des relations à faire fructifier pour maintenir l'activité de mon secteur dans un contexte de concurrence mondiale, la lutte permanente pour m'accrocher à mon poste et continuer à percevoir un salaire confortable, me mobilisaient et occupaient une grande partie de mon temps et de mon énergie. Il faut dire que le culte de la performance, la rentabilité poste pour poste et les objectifs toujours plus ambitieux de ma direction générale ne me laissaient aucune alternative, ma réussite était à ce prix.
Je voyais arriver des jeunes de moins de 30 ans bardés de diplômes, prêts à toutes les concessions pour obtenir ma place, se proposant à la moitié de mon salaire, mais à trente-neuf ans, je n'étais pas encore totalement fini et j'escomptais bien résister encore quelques années avant de me faire éjecter comme un outil usagé d'avoir trop servi. Les jeunes avaient de grandes gueules, une propension à tout connaître avec leur tête trop pleine d'un savoir scolaire, ils étaient formatés pour devenir ces « winners » de l'entreprise mais moi j'avais l'expérience et un carnet d'adresses, j'étais rompu à toutes les arcanes du monde souterrain qui structurait l'entreprise. Ils n'auraient pas facilement ma peau, il allait falloir qu'ils s'emploient encore beaucoup pour conquérir mon bureau et s'installer dans mon fauteuil.
Mon épouse était analyste financière dans un cabinet d'audit spécialisé dans les entreprises événementielles. Elle avait débarqué, pétillante de jeunesse pour réaliser une étude sur mes coûts de production et accordé un satisfecit à ma gestion en même temps que son coeur et le droit de partager sa vie. C'était une carnassière et je l'aimais pour son aptitude à mordre dans la vie. Le coup de foudre avait été mutuel, deux esprits forts s'attirant pour régner sur un champ d'espoir, la certitude de construire ensemble les bases d'un couple solide que rien n'altérerait.
Elle avait énormément de travail, se déplaçait sans arrêt et nos agendas respectifs ne nous autorisaient que trop rarement un dîner en amoureux dans un restaurant de luxe comme ce soir. J'étais décidé à la séduire et persuadé que nous finirions cette soirée dans les bras l'un de l'autre, j'avais vraiment une grosse envie de sexe. J'étais son mari.

Elle a semblé jouer avec l'idée, retardant avec coquetterie sa réponse, affectant une pose langoureuse qui était déjà en soi une réponse.
-Pourquoi pas, il me semble qu'il y a une éternité que nous n'avons pas fait l'amour ! C'était quand la dernière fois ?
-A Pâques, pendant notre week-end à Venise. Rappelle-toi, le Pont des Soupirs, la promenade en gondole, et la suite au Danieli, cette nuit extraordinaire, tu as joui trois fois, cela ne t'était jamais arrivé.
-Gros bêta, bien sûr que je m'en souviens, de tels orgasmes ne sont pas si fréquents qu'on puisse les oublier, il faut dire que l'on avait fait ce qu'il fallait !
-Pour cela, c'est certain ! La tronche du pharmacien quand tu lui as commandé deux boîtes de Micromégax et que tu les as avalées avec la bouteille de cognac en lui disant que tu avais une urgence !
Nous avons ri et elle m'a saisi la main, me caressant avec le pouce les veines apparentes qui couraient sous ma peau et remontaient vers le poignet. Il y avait une telle connivence et communion d'esprit entre nous que je comprenais pourquoi notre couple s'ancrait si profondément dans notre vie de tous les jours. Je l'aimais comme ma déesse du soleil et elle bornait mes rêves de sa sensualité.
-Attends, il nous reste le dessert, si je prends mon Viagrus tout de suite, je serai prêt dès que nous arriverons à la maison.
-Tu n'as pas intérêt à me faire attendre, sinon je fais descendre le voisin !
-Pas lui, tu sais bien que je ne le supporte pas avec ses airs de sainte nitouche, son affectation de gay branché pour mieux séduire les bourgeoises, je ne peux pas le piffer, un marginal qui vit des largesses de la société.
-Mon petit mari jaloux ! 

Je lui ai parlé de mon travail et des résultats inespérés de la convention des Harley Davidson que j'avais convaincue de venir s'installer pour trois années dans mon Palais des Congrès et du bonus que j'en retirais, une prime confortable que j'avais transformée en actions immédiatement. Mon portefeuille était au beau fixe et s'enflait d'une manière intéressante. J'espérais dans quelques années pouvoir me retirer de cette course harassante avant d'être chassé de mon poste, mon statut de vieux cadre onéreux obérant mon avenir. Puis nous avons dégusté notre flan au miel et aux fruits de la passion, un dessert qui venait à point nommé alors que les effets du Viagrus commençaient, à ma grande surprise, à se faire déjà sentir. Je suis sorti du restaurant en tenant ma serviette devant moi tant je bandais ce qui fit beaucoup rire ma compagne et l'émoustilla jusqu'à me caresser dans mon coupé jaguar. Elle avait ouvert ma braguette et son ongle glissait sur mon pénis pendant que je conduisais à toute vitesse vers notre havre de paix et d'amour.

J'avais une envie incroyable de baiser et pas seulement à cause de ses caresses. Je me suis précipité dans la maison en hurlant qu'elle se dépêche, que j'avais le feu à la bite et que l'incandescence me guettait, qu'elle seule pouvait calmer ma douleur.
-Je règle le lit sur passion et grandiloquence ?
-Non, tendresse et félicité.
Elle a fait glisser le curseur sur le niveau 4. C'était une soirée trop intime pour les exploits, j'avais vraiment un désir de tendresse et notre accouplement se devait de refléter notre attachement mutuel. Elle aurait, en y repensant, peut-être préféré une soirée plus sauvage mais elle se plia à ma volonté et se rendit dans la salle de bain pour ses ablutions.
Quand elle revint, j'étais allongé nu sur le lit qui vibrait et s'adaptait au biorythme de notre passion. J'avais enfilé le condom à la machine d'asepsie et mon dard flamboyait, parfumé à l'orange, luisant de lubrifiant, se dressant vers le plafond constellé d'étoiles brillantes qui nimbaient la pièce d'une clarté langoureuse. Dans l'encadrement de la porte, elle est apparue nue comme au premier jour, ses hanches pleines de vie comme une anse dans laquelle j'aspirais à mouiller. Son contraceptif anti-VIH débordait largement de son sexe épilé lui faisant une corolle dentelée irisée dont le centre m'appelait en palpitant.
Elle m'a rejointe et avant de se pénétrer sur mon sexe, a avalé deux cachets de Micromégax, la pilule de l'orgasme que les Japonais avaient conçue pour assurer aux femmes de se guider jusqu'à l'extase. Elle a rampé sur les draps et s'est embrochée sur moi pendant que le lit s'ouvrait en entamant son cycle de vibrations spécialement étudiées par les Norvégiens après de longues études sur la dynamique des accouplements et les phases nécessaires à l'accomplissement d'une sexualité libérée.
Une musique ad-hoc créée pour endormir les sens périphériques s'échappait des baffles incorporés dans les montants du lit. Nous étions heureux, enfin réunis, si seuls dans les mystères de l'amour et nous chevauchions de concert vers la jouissance ultime comme si l'homme et la femme ne pouvaient se rejoindre que dans la galaxie de l'indicible. Au bout de deux heures, le vibrateur m'a annoncé que je pouvais me libérer et j'ai joui en de longs spasmes pendant qu'un double orgasme l'embrasait, la laissant pantelante, essoufflée, rassasiée de bonheur. Quelques gouttes de sueur perlaient à son front et je l'ai essuyée tendrement.
-Mon amour, si tu savais combien je t'aime.
-Mon grand fou ! On aurait peut-être dû programmer passion dévorante, j'ai encore un peu faim.

Je n'ai pas hésité une seconde. J'ai jailli de notre couche comme un diable sort de sa boîte et j'ai couru vers ma salle de bains. J'ai avalé la potion régénérant express, ingurgité une double dose de Viagrus, réglé le lit sur le niveau maximum d'intensité pendant qu'elle se resservait une tablette de Micromégax et après 16 minutes nous nous sommes jetés dans les bras l'un de l'autre pour entamer une ultime danse née au fond des âges primaires, quand l'homme était une bête et possédait la femme comme un animal. Nous avons remonté le temps et je l'ai mordue, frappée, m'enfonçant en elle à coups de piston violents, sans aucune retenue, libérant ces forces sauvages issues des nuits lointaines où le soufre brûlait, jusqu'à attendre l'instant fatidique du minuteur qui m'autoriserait l'éjaculation. J'étais bien et quand mon jet vint ricocher contre la pellicule plastifiée de mon condom et glisser sur la membrane gelée de son intérieur, j'ai compris que nous nous aimerions toujours et que la vie se partageait à deux.

Le souffle court, j'ai plongé mes yeux dans les siens. Elle avait un regard indolent, repu des fastes de notre passion.
-Je sais ce qu'est l'amour depuis que je te connais. Tu m'as ouvert les portes de l'infini et je rends grâce au ciel de t'avoir rencontrée. Puissions-nous vivre ainsi jusqu'à la fin du monde et finir dans les bras l'un de l'autre ce que l'humanité a entamé avec la naissance de l'homme primitif.

Elle n'a rien dit, juste un sourire et a fermé les yeux. Je l'ai regardée s'endormir et j'ai su, à ce moment précis, qu'aucun homme n'a jamais aimé une femme comme j'aime celle qui se love à mes côtés, qu'aucun amour n'est aussi puissant que ce fil qui me relie irrémédiablement à toi pour l'éternité.
J'avais hâte d'être à Noël, encore quelques trois mois à attendre pour que nos agendas coïncident, un petit voyage aux Baléares que j'avais concocté nous permettrait certainement de nous retrouver physiquement et de refaire l'amour. Je m'en délectais d'avance.

Voir les commentaires

Les sentences du jour

Publié le par Bernard Oheix

Lundi 13 novembre.

Dans la séquence des brèves de comptoir et des rencontres du bord de nuit, quand tout devient étrange, mon copain Momo, grand maître es belote devant l'Eternel, m'a alpagué dans la rue et entrainé dans un bar de la rue Meynadier. Minuit passé, je sortais d'un film, Mémoires de nos pères, et eus la faiblesse de me laisser porter par son enthousiasme communicatif et sa volonté de partage. Après moultes tournées, des discussions acharnées sur la stratégie du dix de der et l'enculage de mouche, d'une voix grave et chargée d'alcool, il m'a confié que "si la merde valait de l'or, les pauvres n'auraient plus de trous du cul".

Quelques verres plus tard, il m'a annoncé qu'il "n'achèterait une vache que quand il serait sûr de boire le lait gratuit".

La nuit s'est étirée et quand je me suis couché, outre un mal aux cheveux persistant, j'avais l'impression bizarre d'avoir raté quelque chose ! Quoi exactement ?

Voir les commentaires

Histoire vécue (7)

Publié le par Bernard Oheix

Lasers à rien


Eté 1990. Une nouvelle municipalité s’est installée à Cannes avec Michel Mouillot à sa tête. Françoise Léadouze est une adjointe à la culture passionnée, mère Térésa des « sans culture », révolutionnaire humaniste persuadée qu’elle peut transformer la réalité à coups de rêve. Elle nous booste, bobo avant l’heure, et nous oblige à trouver du sens à notre action.
Nous sommes une équipe jeune, celle de l’Office de la Culture, Une dizaine de filles dont je suis le directeur-adjoint, chargées des manifestations. Elles sont issues de stages, de Tuc, de bric et de « broque », manquent cruellement d’expérience mais compensent avec une farouche volonté de bien faire, une capacité de se dépasser et d’accomplir des miracles. Elles sont jeunes et belles, et moi, moins jeune mais toujours rêveur !
Et justement, en ce mois de mars 1990, le miracle a eu lieu. Dans mon esprit torturé, mon imagination débordante a encore sévi. L’espoir fou de marquer l’histoire (de Cannes !) et de laisser une trace indélébile me provoque une acné tardive et entraîne toute mon équipe dans un de ces cauchemars récurrents dont je suis un grand spécialiste.

Tout est venu, à ma décharge, d’une rencontre avec un Belge trop amateur de bière dont les effets néfastes sur son équilibre intellectuel le poussa à me proposer d’illuminer la rade de Cannes avec des lasers dont il faisait la promotion et la commercialisation. Il me dessina si bien le tableau de ce qui adviendrait, que je la voyais cette immense baie, éclatante de soleil de nuit, croulante sous les faisceaux se décomposant en myriades d’étoiles, découpée comme les remparts de Carcassonne, montagnes de lumières assemblées par un architecte divin. C’était moi, ce Dieu de l’impossible, j’allais montrer à quel point le désir est capable d’imposer sa loi à la réalité.

Le projet consistait à illuminer la Croisette à l’aide de lasers, à l’entracte d’un concert qui se déroulait sur le parvis du Suquet, la colline qui surplombe Cannes de son clocher où se déroule un festival de musique classique. Pour corser l’affaire, nous avions récupéré l’écran géant du stade de foot (à l’époque, Cannes avait une bonne équipe… Zidane, Vieri, Micoud…etc.) pour l’installer sur le parvis du Palais des Festivals afin de retransmettre le concert en « direct live ». Il manquait juste une montgolfière pour y accrocher des miroirs réfléchissants qui renverraient les lasers vers les cieux cléments. Une bagatelle somme toute au vu de ce que nous envisagions.

Je me souviens alors, de ces nuits de repérages au port Canto, à la pointe du Palm-Beach, des essais pour aligner les faisceaux sur les palaces, visant des disques minuscules qui permettaient de faire diffracter les pinceaux lumineux. Du phare du quai du vieux port pour cibler la pointe du Palais et même la colline du Suquet. Pour être honnête, j’avais l’impression très nette de ne rien voir mais vu les exclamations enthousiastes des techniciens belges, je mis sur le compte de ma fatigue et de mon inexpérience cette absence d’émotion…ce qui aurait dû m’alerter.
Et puis, nous avions tant de choses à préparer. Trouver la montgolfière, organiser le transport de cet écran géant, obtenir les autorisations de la marine, de la sécurité, ceinturer le parvis du Palais, tirer des tracts dont le titre alléchant explosait en un : « illumination aux lasers de la Baie de Cannes » comme un vœu qui allait rapidement devenir pieux.

Le soir du concert arrive, l’Orchestre de Vienne interprétant des valses, dirigé par un chef autrichien hilare devant le bordel ambiant. Inquiétude générale. Au dernier moment, les lasériens belges nous demandent un bateau pour étendre un rideau de fumée sur la mer trop étale et claire. Imaginez le ridicule d’une barcasse avec un enfant de Wallonie en tête de proue, le bras levé comme la Victoire de Samothrace, qui dégage à l’aide d’un fumigène un maigrelet trait de brouillard qui se fond dans la vastitude du plan d’eau. Qu’à cela ne tienne ! Il faut désormais boire jusqu’à « l’hallali » cette coupe frelatée de mes propres délires.

Pendant la première partie du concert, le vent se lève et la nacelle de la montgolfière arrimée au bord de l’eau se couche sur l’eau, endommageant irréversiblement le matériel et faisant courir des frissons auprès des spectateurs inconscients qui batifolent autour du ballon secoué comme un prunier. Un effet à l’eau, déjà, et en l’occurrence, ce n’est pas qu’une image !

Le public, aussi bien dans l’enceinte du Suquet que sur le parvis, chaloupe et tangue dans la tempête qui se lève. Une nuit de soufre. A l’entracte, le maire de Cannes et les invités de marque se massent au bord du muret dans l’attente du flamboiement de la baie. Après quelques minutes d’intense attente, un filet vert s’échappe presque par hasard du port Canto. Frémissement dans la foule. Enfin le spectacle commence. Las, c’était l’effet final ! Deux doigts anémiques se courant l’un après l’autre, tentant vainement d’accrocher l’attention et de s’imposer devant le grand vide de la baie ouverte à mon désespoir. Je disparais derrière les buissons et me cache aux yeux de tous. Séparé des officiels par un rideau de buissons, j’entends les commentaires fuser, portant tout autant sur le ridicule des lasers que sur la température trop élevé de la coupe de champagne où sur les petits fours rances que le traiteur nous avait refourgués. Certains même se gaussent de moi et je ne peux les en blâmer, sincèrement, j’avais autant envie qu’eux de me moquer de moi. J’ai honte comme rarement un directeur peut avoir honte. Le voile rouge devant les yeux, la gorge nouée, c’est Sophie mon adjointe et Françoise Léadouze qui viennent me déloger de ma tanière. Elles tentent maladroitement de cautériser les plaies à vif de mon orgueil et ne réussissent qu’à me rendre ombre qui marche, zombie de la culture, pâle ectoplasme du pouvoir de faire.
La deuxième partie du concert fut un feu d’artifice (enfin) d’humour et de déraison. C’est comme si un vent de folie venait doubler les rafales qui soulevaient les tentures du Suquet. En bas, sur le parvis, des milliers de personnes valsaient en riant de cette fête impromptue et gratuite où le grain de la déraison dispensait ses vapeurs hilarantes.
Pourtant, sur ma vespa, j’entendais, encore et toujours, rire des fameux lasers qui avaient inoculé une dose confortable de ridicule dans l’ego et les couleurs d’un directeur dérouté !
La conclusion. Le lendemain, Michel Mouillot m’attendait dans son bureau de maire. En entrant, dans mes petits souliers, je m’excusai platement…Eclats de rire ! J’ai rarement vu le maire de Cannes rire autant et si franchement. Il en avait les larmes aux yeux de me raconter son attente des lasers. Il doit s’en régaler encore et j’entends sa voix me glisser entre deux hoquets : « Oheix Bernard, il n’y a que les imbéciles qui ne se plantent pas… mais là, vous avez fait fort !!! Par contre si les huiles ont pâti d’être sur les hauteurs, mes électeurs étaient en bas et se sont bien amusés. Bon, avertissez-moi quand même si vous avez une autre idée de ce genre ! »
Et la vie a continué… comme quoi, on survit au ridicule… même si, quand j’entends parler de lasers belges, je me mets à avoir des palpitations et que le rouge me monte au visage.

****************************************************************************************************************

 

Sabine G, ma copine irresponsable d'une structure de diffusion de spectacles qui a, sur son tableau de chasse, les corses d'A Filetta. Adhérente de mon blog, elle me photographie à Séville afin de me faire chanter, un soir où manifestement je n'avais pas (encore!) arrêté ma consomation d'alcools forts. Elle signe le management de Darko Rundek et Cargo Orchestra (cf. mon article précédent), une des révélations du Womex. Honneur à elle !


Voir les commentaires

Carnet de bord de Séville

Publié le par Bernard Oheix

Une orgie de spectacles.


Nice le 19 octobre. Acropolis. Stomp. 8 jeunes, filles et garçons, de toutes les couleurs, anglo-saxons dans un décor de bric et de broc, amoncellement de pots, couvercles, tubes et autres surfaces sur lesquelles un être normalement constitué peut taper à s'en déboîter l'épaule. Ils ne vont pas s'en priver dans cette messe du temps présent (notez le glissement sémantique induit par le passage du pour au du !). Symphonie de boîtes d'allumettes, de balais et de bidets plein d'eau. Crissement de papiers et gonflement de sacs en plastique ! Tout y passe, accompagné d'un humour décalé « so british », airs lunaires et airs enchanteurs. On rit, on se divertit, on aime et aspire à retrouver nos chers ustensiles de cuisine afin de copier les acteurs qui s'éclatent en laissant libre cours à notre imagination. Public jeune et connaisseur, issu du bouche-à-oreille, qu'une maigre présence publicitaire semble ne pas justifier. C'est la magie du spectacle, le cauchemar des programmateurs... trouver l'objet indéfinissable qui se vend tout seul ! Stomp n'a besoin de personne, si peu des médias. C'est une cérémonie à laquelle on convoque ses amis et le public croît en cercles concentriques ! Mystère de l'alchimie moderne.

Aucune surprise le 22 octobre dans la loge rouge et or de l'opéra qui nous abrite. La Norma de Bellini. Cela faisait un bon bout de chemin que je n'avais plus vu d'opéra, un vrai dans un vrai ! Le dernier c'était Aïda, en 19... C'est toujours aussi kitch, délicieusement rétro. Les vieilles dames n'ont pas pris une ride sur leur visage parcheminé et les beaux habits sont toujours de circonstance, indémodable mode ! Quand la cantatrice se glisse dans le halo de lumière, sa tiare ridicule surplombant son visage poupin, son corps imposant de dame première et d'amoureuse drapé dans un rideau azur, on craint le pire. C'est le pire, envie de rire et de se gausser. Sauf que la bouche d'Alessandra Rezza s'ouvre si grande, si béante, et que de cette poitrine plantureuse, vont naître des trilles magiques, des roucoulades incroyables, des airs majestueux qui vous emportent dans un éther indicible. Puis-je avouer mes yeux humides dans l'extraordinaire air de la « casta diva », dans le duo invraisemblable de la Norma et d'Adalgisa du dernier acte. Moi, l'opéra, j'aime, envers et contre tout, parce que cet art rococo vous parle directement au coeur sans passer par la case cerveau, évoque l'artifice absolu, celui qui devient magique de créer par le vide, d'être porté par le souffle du vent ! Du kitch, mais du vrai !

24 octobre. Paris. Une rencontre qui s'annonce explosive. Pierre Palmade et Pierre Richard, les deux Pierre et fils, dans une comédie écrite sur mesure par Palmade himself et Christophe Duthuron. J'avais accueilli en janvier dernier, le grand blond dans son one man show, Détournement de Mémoire, un bijou d'émotions qui permettait à Pierre Richard de se pencher sur son personnage lunaire avec humour, tendresse et intelligence. Patatras. L'addition de deux talents n'est pas forcément synonyme d'une augmentation de la qualité même si elle implique une hausse conséquente du cachet des artistes. Scènes convenues cousues de fil blanc, un père marginal et un fil cadre, l'homosexualité dans sa variante bi et la vie sociale, le travail et le loisir, la séquence en voiture, tout y passe pour s'écrouler à bout de souffle après une heure et demie de souffrance ! Pitié les Pierre, n'amassez pas la mousse !

Round de Séville. Le Womex. Du 26 au 29 octobre.
La Babel de la musique du monde, celle qui campe à l'orée du showbiz pour irriguer les champs fertiles de la créativité. Racines des musiques de l'Afrique et de l'Asie, melting-pot fabuleux, richesse des croisements et de la mixité entre l'ancien et le moderne, l'électrique et l'éclectique, le barde songeur et l?univers rugissant de la contre-culture. C'est cela le Womex, dans une ville magique. Des rencontres où les rêves s'égrènent comme des perles sertissant un collier d'espoirs. Séville, c'est l'avenida de la constitution, la cathédrale de la plazza Vittoria de los Reyes, érigée pour défier le temps, les ruelles aux maisons fraîchement repeintes avec des balcons surplombant les passants, des couleurs chaudes et des arbres et parcs qui noient les immeubles bas, le Guadalquivir qui serpente dans la ville au long du paseo de Cristobal. De l'espace et toujours ces bars à tapas autour de l'Arènas, où l'on grignote en buvant du vino tinto, en parlant jusqu'au bout de la nuit des affaires du monde. Séville est une beauté ibère qui se dérobe en permanence et qui possède la fierté d'un peuple conquérant, des traces de son passé comme un rappel vivant de sa noblesse orgueilleuse.
Et des spectacles à n'en plus finir, dans le bruit et la fureur du Palais des Congrès et, il faut bien le dire, les approximations (c'est un comble !) d'une accoustique qui ne fait pas honneur à la musique.
Quelques perles glanées entre les soirées arrosées et les négociations de comptoirs. Des projets futurs qui naîtront sans doute au moment propice, et la réalité du présent qui nous accroche, les amis et les relations d'un jour, quand tout est possible, même l'espoir.
The shin/project « EgAri » vient de Géorgie. Coup de coeur et coup de maître. Entre le trad. et le moderne, sur des chants géorgiens, les musiciens se fondent dans un univers chatoyant. C'est beau et touche à l'essentiel. La musique s'évade, oscillant entre la force et la finesse, ponctuée par les voix de deux chanteurs instrumentistes. Un danseur intervient par intermittence, hiératique, les bras en croix, il tourne et syncope la musique. Etrange cet univers macho où la danse est l'apanage de l'homme, le reflet de sa virilité et de codes d'honneur, si loin de notre conception occidentale plutôt efféminée.
Orange Blossom, entre l'Orient et l'Occident, est un groupe qui monte. Ils tiennent la scène, une chanteuse à la voix chaude surfe sur des complaintes envoutantes. Elle crée un contraste entre l'énergie de la rythmique et la sonorité arabisante des instruments. C'est beau, étrange et dynamique, vous en entendrez parler ! Ils occupent un créneau original, synthèse idéale entre un rock nerveux universel et les mélopées orientales. La chanteuse va se balader entre ces deux univers et donner le tempo d'un concert où les portes de la perception s'ouvrent sur l'ailleurs.


Darko Rundek et Cargo Orchestra est un mixte entre la Croatie et la France, porté par un chanteur Croate, un ensemble « balkan » qui introduit une vraie poésie dans cette musique efficace porté sur la fête. On pense aux films de Kusturica, à Goran Brégovic, aux tsiganes des Carpates. Univers étrange, oscillant entre le rythme pur, vagues montant à l'assaut pour cristalliser la passion en d'étranges compositions qui font références à la nature, à la sérénité, à l'amitié et à l'amour. C'est mon coup de coeur avec les Géorgiens, vous les verrez sans aucun doute du côté de Cannes, un jour prochain.
Tcheka vient du Cap-Vert, une partie de son équipe est portugaise. Il a une voix chaude, des textes superbes en plusieurs langues. Son batteur officie avec des balais sur une caisse métallique produisant des roulements fins et puissants. Guitare et basse l'accompagnent. Il est le renouveau de cette filière Cap-Verdienne si riche qui produit des pépites. Pourquoi certaines régions de notre planète croulent sous les groupes, accouchent de tous les talents musicaux pendant que d'autres peinent à imposer leurs rythmes. Mystère que les Balkans, la Corse, Le Cap-Vert, l'Afrique noire (le Sénégal, le Mali, la Guinée...) ne veulent pas dévoiler mais qui nous séduit à chaque plongée dans leur monde de sons si parfaits !
Beaucoup d'autres groupes aussi, pas toujours géniaux, mais acharnés à conquérir la planète des sons. On les reverra demain, ailleurs, dans d'autres formations et projets avant de toucher à la grâce et à la perfection de ceux qui ont trouvé la voie intérieure !

Come back to Séville et au passage, le lundi 30 octobre, Paris, les Chevaliers du Fiel dans L'Assassin est dans la salle. Enfin du rire, du vrai. Sur une trame classique, un meurtre dans le théâtre « Rive gauche », deux policiers du petit « Nicolas » vont mener l'enquête, chercher le coupable sensé assister au spectacle et en profiter pour mettre à feu et à sang toutes les conventions et les tares de notre société. Regards absurdes par le petit bout de la lorgnette où rien ne trouve grâce. C'est sans prétention, un feu roulant de non-sens où l'absurde côtoie le présent, où les victimes choisies parmi le public sont consentantes et acceptent les règles d'un jeu jamais cruel mais toujours iconoclaste. Rendez-vous en 2007/2008 dans la saison de Cannes, vos zygomatiques me remercieront.

Voilà donc le périple « culturello-touristique » de mes deux dernières semaines. Quelques photos l'agrémentent. Si elles vous font rêver, tant mieux. Sinon, rendez-vous au paradis des artistes, celui de la note pure et du geste parfait. Ils sont aussi un moyen de mieux comprendre le monde et de s'évader du présent.

PS : Merci à ceux qui m'ont accompagné pendant ces spectacles et supporté pendant ces deux semaines. Thérèse, Angéla et Julien O. Bertrand D. Yves A. Annie R. Adriana D. Jean-Paul B. Anna B. Sabine G. Sylvain C. Magali L. Virginie B... et tous les autres, ceux pour qui un simple regard vaut un passeport vers l'amitié !


Voir les commentaires