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La femme sans plaisir

Publié le par Bernard Oheix

Femme sans plaisir, femme outragée... Il y a des nuits de soufre, des actes qui ne peuvent s'effacer. Elle aurait sans doute aimé être comme toutes les autres. Vie brisée, il reste l'horreur d'un chemin qui mène vers le crépuscule. Quand le plaisir volé se réveille, il faut solder les comptes d'une vie sans raison. On se brûle à fuir ses cauchemars.
 
 
 
 L’homme agitait mécaniquement son visage à quelques centimètres du sien. Elle percevait les poils de son nez qui jaillissaient de ses narines en une touffe disgracieuse, sa moustache drue qui recouvrait ses lèvres, ses yeux froids de poisson mort qui la fixaient comme une marchandise sous des sourcils en accents circonflexes et ne s’interrogeaient même pas sur la nature de cette femme qu’il avait achetée comme un steak à la boucherie chevaline. Son haleine l’enveloppait. Il avait fumé, une âcre odeur de nicotine s’exhalait de sa bouche ouverte laissant entrevoir des dents jaunies. Fragrances de reliefs de repas, un couscous épicé, du vin vulgaire au relent aigre, du fromage, elle pouvait lire son déjeuner dans ses odeurs mêlées qui l’étouffaient et la portaient à la nausée. Il la chevauchait, c’est bien le mot, sans un regard, ni une parole, comme si elle n’existait pas, simple élément dont la présence s’imposait pour la satisfaction de son propre plaisir mais qui n’avait aucune réalité. Ses bras s’appuyaient contre le coussin sur lequel sa tête reposait et ses aisselles dégageaient une odeur de sueur d’homme, une vague et écœurante proximité avec la nature bestiale d’un être qui faisait peser son membre entre ses lèvres intimes. Elle s’arc-boutait et chaque progression du sexe masculin déclenchait une pression de tout son corps pour ne pas sentir cette tétanie qui envahissait ses cuisses. Comment avait-elle pu en arriver là ? Par quel mystère un destin facétieux l’entraînait dans cette ronde du désespoir, dans cette absurde situation qu’elle ne contrôlait plus. Elle pressentait des vagues monter à l’assaut de son corps, elle eut peur soudain.
 
 
Jeanne aurait pu vivre la vie d’une petite fille normale, dans une famille normale, avec des parents aimants et attentionnés. Elle avait tout. Une maison avec de grandes fenêtres, un jardin intérieur plein de mystères dans lequel son rire résonnait, certes un papa trop absent, sans cesse en déplacement, mais qui compensait le vide de sa présence en la couvrant de cadeaux à chaque retour, une maman qui l’aimait, journaliste pigiste dans les pages locales du quotidien, la santé exubérante, une beauté de petite fille, l’insouciance des jours heureux pour celle que le destin porte sur les rivages du bonheur. Elle eut tout cela et encore plus, jusqu’au jour anniversaire de ses six ans, une fête interrompue par le départ précipité de sa mère au chevet de son père terrassé par une rupture d’anévrisme. Elle ne comprit pas vraiment ce qui se passait, juste s’aperçut-elle que l’absence de son père se prolongeait bien au-delà du raisonnable. Elle était prête à s’en offusquer quand sa mère si pâle depuis quelque temps, qui semblait incapable de l’aimer, devant faire un reportage, la confia à un voisin qui la gardait pendant que la nounou était en voyage dans son Portugal natal. Elle le connaissait bien cet homme qui venait la chercher à l’école et la ramenait à la maison, puis jouait avec elle en lui racontant des histoires de princes et de princesses.
Elle ne se souvenait pas vraiment de ce qui s’était passé en cette nuit de cauchemar. Un éclair sombre, la peur et l’angoisse. Elle, si petite, si pure, que l’ombre de cet homme recouvrait et qui se forçait un passage dans la douleur de ses chairs. Il avait l’air si gentil quand il lui offrait des bonbons, qu’il la balançait sur ses genoux et qu’elle riait à gorge déployée devant ses mimiques. D’habitude, il la serrait dans ses bras pour des gros câlins, il l’enveloppait de sa gentillesse et la couvrait de cadeaux, lui faisant même oublier le vide que son père avait laissé.
Il paraît qu’il y a un innommable, des actes que l’on ne peut décrire, ni seulement imaginer. Il semble que Jeanne ne put jamais mettre de mots sur ce qui lui était arrivé. Il y eut des flashes, des gyrophares qui lançaient des traits de feu sur sa douleur, des hommes bleus envahissant ce coin de paradis pour le souiller, des images à jamais enterrées dans des abysses sans lumière. L’homme avait disparu, emportant sa douleur, son souvenir, son enfance.
Elle grandit, paraît-il, prenant des années et des formes de jeune fille mais le vide seul occupait l’espace de son présent. Ce n’est que vers l’adolescence qu’elle tenta de se reconnecter aux autres. C’était si loin, le temps de l’oubli était sans doute venu. D’ailleurs, avait-elle jamais existé cette nuit d’horreur ? Elle en doutait parfois. Il y avait si peu de souvenirs auxquels se raccrocher, si peu de matérialité à la peine si profondément enfouie dans son inconscient.
Elle avait perdu une partie de sa grâce. Elle ne s’aimait pas vraiment, plus vraiment. Elle mangeait trop, s’habillait mal, ses résultats scolaires étaient inégaux, ses évidentes dispositions intellectuelles se brisant sur cette difficulté à se faire confiance, à s’estimer à la hauteur de la situation. Ses camarades étaient des inconnus qu’elle fuyait, les adultes une menace souterraine, le monde, une chausse-trappe dans laquelle elle ne voulait pas tomber sous peine de rompre ce fil qui la reliait à la réalité.
Pourtant, vers ses dix-sept ans, un garçon se fraya un chemin à travers les barricades qu’elle dressait pour l’atteindre, écartant ses peurs et ses angoisses. Ce n’était pas le plus beau des garçons de sa classe, loin s’en faut, mais il était patient et tendre. Ils restèrent de longues heures à se lire des poèmes, les yeux dans les yeux, s’écrivant des lettres dans lesquelles, à sa passion, elle feignait de répondre par l’intensité d’un sentiment qu’elle était loin d’éprouver. Le temps fit son œuvre. Sa résistance s’émoussa. Un jour elle décida de lui offrir son corps parce qu’elle n’en pouvait plus d’attendre et d’avoir peur. Elle le fit cliniquement, se dévêtant dans la lumière crue d’un après-midi d’automne, s’allongeant sur son lit, écartant les cuisses comme elle savait qu’il fallait faire.
Il était amoureux et vierge. Il lui grimpa dessus et la pénétra avec appréhension, sans attention, jouit rapidement et dégorgea son membre avec la satisfaction d’une étape franchie dans sa vie d’homme. Elle ne ressentit rien, juste un peu de dégoût, un vide d’émotions, une parcelle de son corps qu’on lui avait volée, il y avait si longtemps, réclamait toujours son dû. Elle s’attendait à si peu qu’elle ne fut pas surprise, elle n’eut même pas peur, rien dans son corps qui ne put meubler cette nuit d’offrande où un homme était né sans que la femme puisse tracer un trait sur son passé et exiger son présent.
Pourtant cela lui fit du bien. Devenir normale, pouvoir parler de son amant à ses amies, la stabilisa paradoxalement. Elle n’osait pourtant se confier totalement et exprimer ce vide d’un corps qui résonnait encore des coups du passé, mais elle affectait de devenir une femme et cela la grandissait. Et puis, comment mesurer ce que l’on ne connaît pas, ce qui reste une énigme dans les replis de cette chair dissimulée par un voile de plus de dix années d’obscurité ? Comment exprimer l’indicible ?
Elle passa son bac de justesse, intégra l’université de droit dans une ville distante de quelque cent kilomètres qui l’éloigna de sa mère et du territoire de son bourreau disparu. Ses résultats se bonifièrent d’être livrée à elle-même. Elle apprenait doucement à se connaître. Les rudiments de la philosophie et de la psychologie inculqués à l’école lui permirent, sinon de mettre le doigt sur le mal qui la rongeait, tout au moins d’apprendre à vivre avec lui. Elle cernait confusément ses turbulences intérieures et jonglait avec les arêtes vives de ce diamant enfoui dans son cœur. Au fond, elle aspirait à être normale et y parvenait pratiquement, seule la solitude qu’elle ressentait avec des amants de passage lui rappelait vaguement qu’on lui avait brisé ce capital d’amour que la nature lui avait octroyé. Elle ne jouissait pas, ne comprenait même pas ce que ce mot recouvrait, ne pouvant concevoir un abandon total dans des bras qui l’enserraient. Le produit de ce frottement incongru dans son intimité d’un sexe masculin ne provoquait qu’un ennui profond, une nostalgie de ce qui aurait dû être et ne pouvait se déclencher.
Elle chercha auprès d’amants plus mûrs cette expérience définitive d’un abandon qui lui apporterait enfin la sérénité. Malgré la tendresse et le réel amour que certains lui offrirent, son sexe restait désespérément hermétique à tout jaillissement de son plaisir. Elle apprit à faire semblant pour ne pas heurter ses partenaires et les conduire à se libérer sans trop tarder, comme si leur plaisir en soi, lui suffisait et permettait d’accepter son propre handicap. Elle avait une vie normale, tous les aspects extérieurs d’une désespérante normalité. Seule, elle mesurait ce gouffre qui la séparait des autres et des attributs de leur jouissance.
Sa licence en poche, elle décida d’intégrer l’école de la police nationale. Dans son choix, inconsciemment, elle protégeait ses sœurs d’une atteinte subie, leur fournissant une protection, elle qui aurait tant eu besoin d’être rassurée et aidée. Comme souvent, un mal déclenchait son contraire, une blessure non cicatrisée la volonté de soigner. Elle fut brillante, sortant major de sa promotion et affectée à la ville de Marseille, dans une unité de terrain chargée d’infiltrer la maffia locale.
Les réseaux de drogue et de prostitution fleurissaient, se gorgeant de proies si faciles, ces filles de l’Est livrées pieds et poings liés à la gourmandise des consommateurs locaux. Les autorités avaient décidé de pénétrer le réseau et une nouvelle arrivée, inconnue des truands qui tenaient d’une main de fer cette toile du désespoir, était une opportunité qu’ils se dépêchèrent de saisir. Dans sa naïveté, elle accepta avec ferveur cette mission dangereuse, comme la rédemption tant attendue depuis cette nuit de fureur qu’elle portait comme une chaîne et qui l’entravait. Le plan fut soigneusement élaboré, rien n’étant laissé au hasard, toutes les précautions prisent pour assurer sa sécurité. Une équipe serait en permanence en connexion avec elle reliée par un biper, une arme de poche dans son sac qu’elle maîtrisait au prix de longues heures de pratique, des entraînements intensifs dans un centre secret la préparant du mieux possible à son infiltration du réseau de truands. Elle était volontaire et acceptait le prix éventuel à payer pour cette mission sacrée.
Elle devait, sous les habits d’une call-girl de luxe approcher un des responsables du quartier nord et obtenir des renseignements susceptibles de devenir des éléments à charge contre lui. Elle avait du temps devant elle, jouait à la guerre et oubliait la nature profonde de son mal. Elle se mouvait comme un poisson dans l’eau dans cet univers de turpitudes, s’approchant toujours plus de cette zone où elle pourrait se regarder dans un miroir sans craindre son reflet. Elle ne se souvenait toujours pas de la douleur et de l’horreur, juste une réminiscence qui, loin de l’empêcher d’agir, l’entraînait à se rapprocher des flammes dans l’espoir inavoué de se brûler. C’était bon de jouer aux cow-boys et aux indiens, de se sentir une autre, dans la peau d’une femme de vie facile aux aventures romanesques. Elle se grisa et perdit lentement le sens du danger, la dimension réelle du combat en train de se mener entre les forces de l’ordre et celles du désordre. Personne ne s’en rendit compte, ni ses chefs qui ne la connaissaient que si peu finalement, ni ses collègues qui prirent pour du sang-froid ce qui n’était qu’inconscience, ni elle-même, ligotée par son passé et le jeu qu’elle s’inventait pour chasser des démons évanouis.
Après deux mois de traque, elle réussit à cerner le personnage et à se retrouver dans son entourage, figure locale de la nuit, rassurante par son omniprésence et l’apparente facilité avec laquelle elle se fondait dans son alter ego, cette femme de tous les phantasmes, libérée, vivant de ses charmes, fumant et buvant en séduisant les hommes des comptoirs. Sa vie n’avait de prix, à ses yeux, que dans cette farce qu’elle inventait pour fuir sa réalité.
 
Cette nuit aurait dû être comme toutes les nuits. Une observation patiente, des prises de photos et de notes permettant de circonscrire son entourage et d’évaluer ses méthodes dans cette périphérie où on l’avait cantonnée. Tout un matériau qui s’accumulait et devait permettre l’arrestation de la bande qui régnait sur le commerce florissant du vice et de la drogue de ces trottoirs de Marseille. Quand le chef lui envoya un de ses lieutenants pour lui demander son prix pour une passe, elle aurait pu se défiler, disparaître, renoncer à sa couverture, sur un simple appel de son biper, voir ses collègues faire irruption pour faire cesser la mascarade. Elle ne le fit pas. Sans doute se sentit-elle plus forte qu’elle ne l’était. Peut-être, inconsciemment aspirait-elle à cette confrontation définitive avec son passé caché. Peut-être, aussi, ne s’aimait-elle pas suffisamment pour renoncer à s’avilir. Elle donna un tarif et suivit le chef dans cette chambre d’hôtel sordide. Elle se dévêtit et écarta ses jambes nerveuses et fuselées, les ouvrant largement, scrutant son sexe, cette cicatrice verticale qu’elle connaissait si peu, dans l’attente des assauts de l’homme. Elle contempla sans rien ressentir ce membre raidi qu’un préservatif vint encapuchonner, détachée d’elle-même, sans comprendre réellement ce qu’elle faisait. Elle avait si peu à perdre et tant à expier que rien ne pouvait désormais arrêter le cours des événements enclenchés.
 
 
L’homme la regardait avec étonnement. Dans son sexe froid, il n’y avait qu’une mécanique bien réglée de possession. Un pacte mutuel où quelques billets échangés devaient permettre une transaction, la libération de la semence de l’homme contre l’asile d’un sexe chaud, un trou sans vie. Rien n’aurait du entraver cette combinaison, ce rituel d’une décharge sans passion. Il ressentait pourtant le corps de cette femme se contracter, cette tension des muscles des cuisses qui prolongeait en ondes de choc la butée de son membre contre les parois intimes de la femme. Elle partait dans le plaisir, dérogeant à la règle, s’embrasant comme une brindille au feu de l’amour. Elle se tétanisait, refusant cette vague montante, une déferlante qui asséchait sa gorge, brouillait son regard, lui faisait se mordre les lèvres pour ne pas hurler le dégoût de son plaisir.
Les billets de son salaire d’une passe étaient rangés dans son sac, posé sur la table de nuit branlante, froissés par les doigts d’un homme sale qui portait tant de crimes et de honte dans son corps qu’elle avait envie de vomir de percevoir enfin ce que le plaisir était, ce qui se dessinait dans le corps d’une femme qui jouissait. L’homme posa sa bouche sur la sienne et lui força les lèvres pour pointer sa langue dans son être, s’enfonçant si profondément qu’elle ne pouvait plus respirer. Un cri perça malgré elle quand l’orgasme la saisit, l’obligeant à s’arquer, tous les muscles raidis par cette expulsion de toute sa douleur, de ses années volées par un homme qui lui avait dérobé son enfance, pour qu’un autre l’achève dans cette chambre miteuse, dans un amour tarifé qui ouvrait un gouffre sous ses pieds.
Des larmes coulaient de ses yeux, toutes celles qu’elle n’avait pu faire couler quand il aurait fallu et qui s’imposaient désormais pour achever son parcours de douleurs. L’homme se redressa en appui sur ses genoux, le sexe toujours raide. Ses yeux la fixaient, l’incompréhension laissant place à une moue dubitative. Elle sentit l’horreur la gagner pendant que les derniers spasmes de l’orgasme agitaient son corps de réflexes irrépressibles. Il contempla le tableau de cette femme écartelée par le plaisir et un rictus déchira sa face en accrochant des ombres noires dans son regard.
Il prit son sac et le vida sur le lit. Son examen lui permit de se forger une certitude. Cette femme nue dévoilait tant de secrets qu’il aurait mieux valu taire, son sexe parlait trop d’une vie qui n’était pas la sienne. Des papiers n’auraient jamais du se trouver là où ils étaient dissimulés.
Il confia la femme à ses sbires qui la violèrent à tour de rôle. Elle ne cria même pas. Son esprit s’évadait déjà, refusant l’horreur, sa vieille complice, regardant vers un futur impossible, se demandant si tout aurait été différent si elle n’avait jamais croisé la route de son bourreau à l’orée de ses six ans d’enfance.
Son corps fut retrouvé dérivant dans les eaux sales du vieux port de Marseille. Malgré son sexe lacéré, malgré la douleur des coups, son visage tuméfié, elle souriait étrangement, emportant ses secrets dans un monde qui lui avait dérobé ses rêves.
La bande fut arrêtée et jugée. Le chef prit 12 ans de réclusion et ses comparses, des peines s’étalant entre 5 et 8 ans de prison. Jeanne, elle, avait l’éternité pour oublier son rendez-vous manqué avec le bonheur.
 
  

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Publié le par Bernard Oheix

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La danse des canards version  "babouchkas"... Une façon comme une autre de représenter la France !

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Si l'on savait... c'est bien nous qui assurons les destinées du Festival ! Le soir, nous plongions dans l'eau d'un puits artésien (7°)... après un "sauna russe" avec flagellation imposée. Le pied ! Ensemble !

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