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Le clap de la Faim (!)

Publié le par Bernard Oheix

 
 
Il fallait bien que je vous laisse des traces de ce 60ème Festival International du Film. Alors, pour vous, en exclusivité, voici quelques impressions d’après cérémonie de clôture, quand les verres sont vides, que les équipes débarrassent les reliefs de la grande bouffe du 7ème Art et que Cannes redevient Cannes, petite ville accrochée aux rives de la Méditerranée, courant après son prestige d'un Festival hors norme !
Au fond, pour un 60ème annoncé grandiose, le Festival ne fut qu'un bon et honnête Festival... la faute aux films où beaucoup séduisirent mais peu enthousiasmèrent !
En ce qui concerne le palmarès, on peut noter l’erreur de casting de l’interprétation masculine, (le Russe de Bannissement) alors que Jude Law ou Amalric auraient été parfaits dans ce rôle de vainqueur. Je n’ai pas vu les deux films asiatiques qui paraît-il, étaient très bons ! Par contre le Roumain en Palme suprême, même si j’ai aimé le film, me semble un peu « too much ». Un prix du jury aurait été parfait. Le prix du 60ème anniversaire aurait collé comme un gant à Wong Kar Waï par sa double culture et son aspect romantique (Ah ! Nora Jones !). Reste les Cohen et le Tarantino, mes deux coups de cœur ! Etrange d’avoir sauvé le Gus Van Sant, le moins abouti des trois, celui qui finalement est calqué sur le style et la méthode d’Elephant en légérement moins bien. Alors j’ose vous donner mon palmarès à moi !
Palme d’or : Tarantino
Pris du 60ème : Wong Kar Way
Pris de la mise en scène : les frères Cohen.
Prix spécial du jury : le Roumain et Persépolis
Interprétation féminine : la japonaise
Interprétation masculine : Amalric
Et après tout, c’est mon choix et les goûts et les couleurs ne se discutent pas, na !
 
Il restera à titre personnel, que je n’aurai vu que 30 films, petite cuvée pour un cinéphile tel que je le suis et qu’il m’en manque une dizaine pour être totalement satisfait. Cela s’explique par des fêtes incessantes dans mon jardin dues à un afflux intempestif de festivaliers squattant mes murs (mais quel pied !!!), à ma santé qui n’est pas au top, et à quelques charges occasionnées par mon travail et au défi que je me suis lancé de mettre en ligne à chaud toutes les critiques des films visionnés... qui m’ont phagocyté de longues heures.
Une autre de mes missions consista  en la récolte de sésames pour la montée des marches pour mes multiples affidés. De ce point de vue, grâce à ma copine Ginou, la moisson fut particulièrement riche. Une véritable corne d'abondance qui permit de nombreuses « premières fois », vous savez, cette étrange sensation d’être au centre du monde quand on foule le tapis rouge sous le mitraillage des caméras, devant des gardes enturbannés, escaladant les 24 marches entre deux stars, dans les « flons-flons » d’une sono qui cascadent des escaliers… Il y en eut plusieurs, de Malou à Marie-Louise, de Cynthia à Thomas, sa copine Cubaine... et  tant d’autres, qui, affectant les poses les plus blasées, n’en ont pas moins vécu ce moment de grâce avec le cœur battant la chamade.
 Thank you mister Polanski
Sinon quelques images. La répétition de la cérémonie du 60ème où je viens glaner « quelques mains », avec une vingtaine de cinéastes à faire pâlir n’importe quel être normalement constitué. La gentillesse de Roman Polanski à qui je déclare que c’est un Dieu vivant et qui sourit en me dédicaçant mon carton, la douceur de Michel Piccoli qui imprime ses mains dans la glaise pour une prise d’empreintes chargée d’émotion.
 
Quelques OVNIS qui marqueront l’histoire de cette édition : le « gore » De l’intérieur et ses morts inutiles terrorisant le public à minuit pour la clôture du théâtre La Licorne, (enfin un grand rôle pour Béatrice Dalle), le baiser à la myrtille de Jude Law et Norah Jones (décidément, j’ai une certaine difficulté à m’en détacher !), le tueur psychopathe des frères Cohen, les poursuites du Tarantino, le cadavre du fœtus chez le Roumain…
Au rayon du ridicule l’effervescence autour de Brad, Matt et Georges contrastant avec la médiocrité de leur production d’Océan 13, le jeu académique et stéréotypé du film Bannissement, les queues interminables d’un Cannes asphyxié, l’impression de déjà vu et d’éternel recommencement… comme chaque année, les discussions volées où chacun s’érige en censeur du bon goût et de l’art de filmer… etc, etc.
 
Et nec plus ultra, quelques gouttes d’un Château Margaux 1981 qui célébrèrent les noces de l’amitié, des rêves et de la nostalgie dans mon jardin, par une soirée de printemps où le monde nous appartenait !
Et pour finir, Monsieur Pomuk, Prix Nobel de Littérature qui m'a transvasé (je l'espère !) un peu de son talent en me signant un autographe.

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Le Festival du Film de Cannes (5)

Publié le par Bernard Oheix



Dernier sprint ! Ouf ! Le ras le bol s’installe, un peu plus tôt que d’habitude, peut-être à cause de la qualité moyenne générale, du manque d’audace et de surprises. Je me suis promis de me rattraper sur le week-end… mais je n’en suis même pas sûr ! Alors, on courbe les épaules, entre deux rendez-vous au bureau, une visite chez lez dentiste et ma recherche de tickets ( un grand merci à Ginou, ma pourvoyeuse officielle !), le temps s’écoule trop vite.

Vendredi 25 mai
17h. Tout est pardonné. (France). Mia Hansen-Love.
Un film à la Française. Ce qui aurait pu être une belle histoire, un père drogué largué par sa femme qui emmène sa fille en Amérique du Sud et qui la retrouve 11 ans après, s’échoue largement sur les écueils de la direction d’acteurs. Le jeu stéréotypé de l’acteur principal empêche toute adhésion. Un film bancal et fagoté. Tant pis !
22h30. Smiley Face (USA) Gregg Araki.
Tous les films américains ne sont pas forcément bons. C’est à se demander comment il a pu être sélectionné ! Une grosse daube, mal tournée, mal interprétée, insipide et sans saveur ! Les émois d’une blondasse à gifler, « stone » en permanence et qui se fait chier en nous emmerdant !
Pour être honnête, je n’ai tenu que 40 minutes !

Samedi 26 mai.
9 h. Cartouches Gauloises. (France) Medhi Charef.
Enfin un coup de cœur ! Les dernières heures d’une Algérie Française vu au prisme de l’amitié d’enfants blancs et arabes. Tout les sépare, sauf justement cette capacité de gommer les frontières et d’oublier les différences et tout en s’interpellant avec les mots durs des parents, de vivre la réalité des sentiments, la construction d’une cabane, les parties de foot où plus rien ne compte. La grande histoire est en train de se dérouler avec ses drames de chaque côté, ses incompréhensions et l’horreur qui guette. Superbement filmé et interprété, avec un réalisme étonnant et une justesse de ton évitant tout manichéisme, ce film devrait être projeté dans toutes les écoles comme un témoignage définitif d’une guerre sans nom et des drames de l’incompréhension mutuelle ! Une bien belle leçon sur un pan de notre histoire trop longtemps remisé dans les non-dits de notre mémoire collective ! Mais avant tout un magnifique film !
17h. La nuit nous appartient. (USA). James Gray.
Robert Duval, Marc Wahlberg, Joaquim Phoenix… Distribution de choc pour un polar efficace. Un excellent scénario basé sur une famille de flics dont un des fils trahit les idéaux et tient une boîte de nuit pour des Russes. Confronté à un trafic de drogue, il va se retrouver au beau milieu d’une guerre de gang et devra choisir son camp entre les policiers et les truands. C’est un film de facture classique, un vrai film de cinéma qui se laisse regarder avec beaucoup de plaisir, où l’action est continue, le suspense à son comble. Ne vous inquiétez pas, vous le verrez prochainement un dimanche soir sur TF1 !

Petite histoire de Festival. Hartmut R, mon pote de l’université, cinéphile germain acharné campe depuis des années chez nous pour la durée du Festival en un rituel d’amitié. Pour ses 60 ans, (le 25 mai) correspondant aux 60 ans du FIF, et pour fêter un évènement littéraire dont je vous parlerai prochainement, j’opte pour allier aux grandes causes les grands effets ! Un château Margaux 1981 pieusement conservé depuis que Christian F. me l’avait offert afin de fêter l’élection de Mitterrand. Imaginez ! Un pinard à près de 1000€ la bouteille, dégusté dans mon jardin par 12 soiffards qui s’écroulent devant la sensualité d’un vin de légende, sa robe son panache… car il s’agit bien de cela, sans snobisme ; un très grand vin nous a permis ce soir-là de communier avec les Dieux, nous sommes devenus des géants par la grâce de quelques gouttes d’un nectar issu de la nuit des temps. La tête de Hartmut ! Le cinéma s’est effacé ce soir là devant le rite d’un partage pendant lequel les bacchanales s’étaient invitées au banquet de l’amitié. Vive le vin ! Et dans la foulée, une dernière séance de projection annoncée « très spéciale » au théâtre de la Licorne.

23h30. A l’intérieur. (France). Julien Maury et Alexandre Bustillo.
Béatrice Dalle en femme démon acharnée à kidnapper l’enfant d’une femme enceinte…en l’extirpant avec des ciseaux du corps de sa mère ! Cela, c’est le peach ! Bon, c’est que le début parce que si la future mère désirait le calme et la solitude en ce jour de réveillon… cela n’a pas été vraiment concluant ! 3 flics, un délinquant, un rédacteur en chef, la mère de la future mère… ils vont tous y passer à coup de ciseaux, de bombes à gaz enflammées, d’aiguilles à tricoter, de revolvers, de tout ce qui est possible d’enfoncer dans un corps humains dans des effets d’un réalisme effrayants, à donner des cauchemars pour toute la nuit (c’est ce qui m’est arrivé !). La maison finit rouge sang. Les réalisateurs s’en donnent à cœur joie en en rajoutant sans arrêt dans un gore de plus en plus hallucinant. La nuit des morts vivants est un enfantillage à côté, Massacre à la tronçonneuse, une aimable plaisanterie ! Des cris fusent dans la salle, des rires nerveux, des gens sortent en hurlant… Grand Guignol, nous voilà ! La gerbe au bord des lèvres, il faut reconnaître le talent des réalisateurs qui ne se sont pas dissimulés derrière le genre mais ont réalisé un vrai film de cinéma, magnifiquement dirigé et sans temps morts… quoique les morts, il n’en manquait pas ce soir-là sur l’écran de nos terreurs.

Dimanche 27 mai. 21h.
Voilà. Clap de fin. C’est l’heure du palmarès. On échafaude toutes les combinaisons possibles mais on sait que toute façon on sera pris à contre-pied. Surprise ! Exit les Cohen et leur tueur sanguinaire, le Wong Kar Waï et son baiser de feu, Tarantino et sa jubilation. La palme d’or va au Roumain dont j’ai dit le plus grand bien… même si cela me semble un peu forcée. Encore une fois, le prix ne va pas réconcilier le grand public avec le cinéma. Sinon mention bien pour le Turco Allemand, pour Persépolis, pour Gus Van Sant… Je n’ai pas vu l’interprétation féminine, mais comment rater Norah Jones ? Pour L’interprétation masculine, je pouffe de rire devant l’acteur du Bannissement. Il me manque aussi un petit prix pour Le souffle de Kim Ki Duk. Allez, c’est comme d’habitude, dans un peu plus d’une semaine, tout cela aura disparu et il ne restera que les traces de quelques mains sur le parvis du Palais pour nous rappeler que le cinéma règne en maître pendant l’espace de quelques jours du moi de Mai. Rendez-vous donc l’an prochain et en attendant sur mon blog pour de nouvelles aventures !

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le Festival Du Film de Cannes (4)

Publié le par Bernard Oheix

 
Cette année… dur, dur de se lever pour la séance de 8h. Le boulot, la thyroïde, l’âge, et les parties rituelles de rami vers 1h du matin y sont, il fait nul doute, pour quelque chose. Le rythme de 3 films en moyenne n’est pas très élevé pour un « cinéphage » comme moi, j’ai fait nettement mieux, ce sera juste une petite année de festival avec un peu plus de 30 films au compteur ! La maison est de nouveau pleine à craquer, c’est la fête, à tous les étages et les repas dans le jardin sont  des moments de bonheur. Mais bon, il faut traverser la rue et se rendre au théâtre de la Licorne, la séance va bientôt commencer !
 
Mercredi 23 mai.
9h La citadelle du désir. (France). Bô Dukham.
Une photo violine troublante, une histoire étrange, entre réalisme et surréalisme, une première œuvre qui se situe à la confluence de l’humour et de la déraison d’un jeune réalisateur. L’histoire est complexe, personnages qui se croisent, couples qui s’élargissent et se transforment en phalanstère de toutes les libertés dont celle, première, d’une sexualité sans tabous. Bataille et Sade sont des références directes mais l’auteur inscrit son projet dans un réalisme comportemental tout à fait surprenant. L’utopie est en marche et c’est dans le sexe qu’elle devrait devenir ce fruit mûr d’une société du désir. Ambitieux et surprenant. A suivre pour sa qualité d’écriture !
11h45. L’homme de Londres. (Hongrie). Bela Tar.
Bon un premier plan de 15 mn, avec de la fumée, un jour grisâtre, des entrecroises de fenêtres, une proue de bateau et les épaules d’un homme qui a une certaine propension à fuir l’objectif de la caméra …donnent le ton de ce qui nous attend ! Le pire est à venir. Même Bastia est méconnaissable, ce sont les Corses qui vont être contents ! Ce ne sont que silences, plans fixes, travellings interminables, plans-séquences sinueux, esthétisme insupportable de celui qui nous inflige un pensum poético-absurde sur le mal être de la vie. Mais où est Simenon, où est le cinéma ? A fuir sauf si on veut dormir !
19h. A mighty Heart. (USA) Michael Wintterbottom.
L’histoire de Danny Pearl ne peut que nous toucher. C’est la vision extérieure de son enlèvement, celle que sa femme interprétée par Angelina Jolie a vécue, qui est scénarisée. Elle n’est pas forcément très convaincante dans son rôle de bouddhiste mais bon, on s’en fout ! On suit l’enquête entre les services secrets pakistanais, américains, les terroristes, les journalistes, etc. La plongée dans la vie grouillante d’une multitude d’individus anonymes d’un Karachi au bord de l’implosion est une épreuve à donner envie de fuir et de se retrouver dans un havre de paix, au sommet d’une colline verdoyante de notre Savoie si sereine ! Bof ! Bof ! C’est vraiment triste pour Danny Pearl, il avait l’air d’être quelqu’un de bien !
 
Jeudi 24 mai.
11h30. Océan’s 13. (USA). Steven Soderberg
Où comment réunir des vedettes à faire hurler les midinettes du monde entier, des moyens colossaux pour tourner dans un Las Vegas d’opérette, structurer une industrie totalement au service de ce film, prendre un réalisateur au-dessus de tous soupçons… et se vautrer lamentablement, faire une grosse daube, une merde innommable, pire que le pire de ce que vous pouvez imaginer ! Le scénario est débile et invraisemblable, un tissu de trucs à deux sous pour cacher le vide sidérant du projet… Pire, sa seule justification, faire du pognon et de l’image en réunissant des stars pour ne rien dire. J’arrête d’en parler, je commence à avoir les boules et je vais dire des bêtises sur l’industrie du cinéma d’Hollywood !
 
Petit commentaire sur les à-côtés du Festival. Si le film est nul, imaginez mon beau bureau, surplombant la mer et les escaliers qui descendent du photo-call. Des centaines de photographes et de festivaliers nous assiègent. Le bruit monte. Soudain, une poignée d’acteurs descendent sous notre nez, à les toucher ! Nous sommes les premiers témoins, les privilégiés qui campent sur le chemin de Brad P… Georges C… Matt D… et tous les autres. Nous prenons des photos à un mètre sous l’œil jaloux des hordes de fans. Nous tendrions le bras que nous les toucherions… mais les gardes du corps sont là et c’est sans doute la seule chose à ne pas faire ! Nous assistons stoïques à leur passage Enfin, nous avons côtoyé les dieux vivants du 7ème Art ! C’est nous, c’est moi, c’est cela notre festival ! Les filles de mon équipe ne s’en sont pas encore remises et j’ai une stagiaire Cynthia qui a eu une syncope devant Clooney pendant que Sophie se pâmait devant le beau Brad ! Elle me regarde différemment depuis, j’ai dû perdre une partie de mon charme dans cette confrontation sauvage avec les monstres sacrés d’Hollywood ! Tant pis pour elles, c’est moi qui reste !
 
19h Persépolis (France) Majane Satrapi, et Vincent Paronnaud.
La vie de Marjane de la fin du Shah à la guerre contre l’Irak, de ses études à son exil. Je ne suis pas un fan des films d’animation, mais là ! Une belle histoire émouvante qui nous touche, un vrai destin hors du commun magnifiquement filmé avec des effets de pur cinéma, des fondus au noir, des images qui marquent, un ton sépia et des touches de couleurs qui illuminent des voix (Catherine Deneuve, Danièle Darrieux…) envoûtantes. Un vrai plaisir qui ennoblit le charme de la BD et lui offre une dynamique et une mise en mouvement jubilatoire. Peut-être grâce à ce mouvement, mais encore plus que dans la BD, l’intensité de cette vie, de ce destin hors du commun, fait ressortir un parler savoureux, des notes justes, des personnages attachants. On aime la grand-mère de Marjane, on adore ses parents, comme si sous la botte des dictateurs, l’herbe de la contestation ne pouvait s’empêcher de croître ! Une autre image de l’Iran, celle d’un vrai peuple qui tente de survivre !
21h.De l’autre côté. (Turquie/Allemagne) Fatih Akin.
Deux corps dans des cercueils effectuent un voyage inversé. Une prostituée de Hambourg pour être enterrée en Turquie, une jeune Allemande assassinée à Istanbul pour un dernier voyage chez les siens. Entre temps, une histoire très sophistiquée mêlant des Allemands et des Turcs dans un chassé-croisé permanent va évoluer sur le fil du rasoir, mixant les destinées et les impasses tissant des liens dont certains resteront cachés, d’autres se dévoilant par la force d’un destin ironique. Le meilleur (les relations de famille entre père/fils et mère/fille) le moins convaincant (l’histoire d’amour entre les deux filles et la mission confiée par la terroriste) mais toujours une caméra qui maîtrise l’espace, qui met en valeur les lieux (beauté d’Istanbul !!), qui nous entraîne dans un mouvement fluide à travers les méandres d’une histoire aux ramifications incessantes.
Il y a dans ce film, cette technique moderne illustrée par Gus Van Sant, Alessandro-Gonzales Inarritu et tant d’autres, cette tentative de déconstruire le scénario et d’en offrir des facettes filmées par bouts et sous des angles différents. De ce point de vue c’est une belle réussite formelle !

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le Festival Du Film de Cannes (3)

Publié le par Bernard Oheix

Petit coup de calcaire en ce mercredi 23 mai. Déjà 20 films au compteur, des milliers d’images, des discussions infinies et une certaine lassitude physique malgré une passion intacte ! On attaque désormais le dernier sprint, une ligne droite qui nous mène vers la fin du Festival et son palmarès tant attendu. On jouera au petit jeu de la Palme d’Or… mais rassurez-vous, comme tous les autres et comme chaque année, moi aussi, je perdrai au jeu de « qui a gagné quoi ! La maison se « reremplit » d’une 2ème vague de cinéphiles composée d’enfants parisiens, de compagne germaine et de quelques Corses de complément. Le canapé du salon va encore chauffer ! Sans transition, votre livraison de critiques.
 
Lundi 21 mai
17h. la visite de la fanfare. (France) Eran Kolirin
Au départ, une fanfare égyptienne s’étant trompée d’itinéraire, est bloquée dans un village israélien …la confrontation est tendue entre ces deux communautés que séparent depuis des années une guerre larvée. La responsable d’un restaurant dans lequel ils viennent chercher de l’aide va débloquer la situation… Mais moi, je bloque la mienne. Mon portable vibre après 30mn de film, je dois partir, devant me rendre au Palais afin de récupérer des invitations pour des amis qui me les ont demandées. Je chevauche mon 650 bandit, je file tel un funambule dans un Cannes bruissant, récupère les deux cartons bleus pour la sélection officielle et m’en retourne en ouvrant les gaz dans l’intention de visionner les dernières 30mn. Les choses se sont arrangées. La belle tenancière va connaître une brève et belle histoire d’amour avec l’Egyptien qui a fait des études aux Etats-Unis et joue du Chet Baker à la trompette. Au matin, la fanfare interprétera un air arabe devant un public qui a été bercé de cette musique dans son enfance ! Entre-temps, 30mn hilarantes que j’ai ratées et que mes amis me content avec perversité. L’humour n’est pas la monnaie la plus répandue du Festival et je viens de manquer un authentique bijou de non-sens et de décalage. Je n’ai finalement eu que les tensions du début et l’émotion de la fin. Un beau film sur le rapprochement des peuples, cela fait nul doute !
19h.Tehilim (psaumes) Raphael Nadjeri. Coproduction Israel/Angleterre..
Une famille à Jérusalem. Le père, l’épouse, l’adolescent et le petit dernier. Une famille religieuse qui étudie les psaumes et envisage d’inviter l’oncle Aaron au prochain shabbat. Le père accompagne les enfants à l’école et par un curieux concours de circonstances, dans une scène étrange, a un accident. Pendant que le fils va chercher des secours, il disparaît. La police échafaude toutes les hypothèses… terrorisme, fuite, blessure, mort, changement d’identité. Pendant ce temps, la famille tente de survivre, noyée dans les problèmes administratifs, les comptes bloqués, la belle-famille (ultrareligieuse) qui veut transformer sa maison en lieu de prières pour le faire revenir, la mère de Tel-Aviv qui la pousse à affronter l’avenir. Les enfants vont alors imaginer un stratagème afin de le faire revenir par la prière collective… Rarement un film nous aura permis de comprendre combien la notion de vide peut se remplir d’une présence en creux. Des mots que l’on comprend intellectuellement mais qui, d’un seul coup, par la force de cette absence angoissante deviennent tangibles. L’intelligence du film est de maintenir ce mystère, comme si certains actes ne pouvaient trouver de sens, comme si le symbole du manque de cette figure qui s’évanouit sans explication dans la nuit éclairait d’un fil lumineux le scénario. Le réalisme du film se nourrit alors de cette irrationalité ! Un beau film attachant.
21h Centochiodi. Ermano Olmi (Italie).
Un brillant professeur de philosophie accomplit un acte sacrilège. Il cloue au pilori cent livres rares et précieux de la bibliothèque de l’université catholique et s’enfuit, errant au hasard, débouchant sur les rives du Pô. Il quitte ses habits d’intellectuel, brûle sa thèse tant attendue et se consacre à la réfection d’une vieille maison sur les berges luxuriantes d’un fleuve majestueux, nouant des relations avec les habitants de ce village reculé. Le monde semble s’être arrêté aux portes de ce coin perdu au milieu d’une nature sauvage. Dans son apprentissage d’êtres réels, d’amour et d’amitié, le présent le rattrape. Des bulldozers vont raser les cabanes des pêcheurs, des « trials » envahissent les plages de sable, les gendarmes retrouvent sa trace et le confrontent aux conséquences de ses actes.
Apôtre, Christ moderne, « vert ou révolutionnaire ? », la problématique du savoir livresque en regard de la réalité du monde, l’existence même d’un Dieu de bonté, la vanité de l’intellectuel et son refus d’assumer les conséquences de ses choix sont les grandes questions qui traversent le film. C’est un film bien italien, entre la leçon de vie et la leçon de choses, une réflexion pleine de tendresse sur la fin programmée d’un homme vivant en phase avec l’eau, en osmose avec la nature.
 
Mardi 22 mai.
11h30. Death Proof (Les boulevards de la mort) USA. Quentin Tarantino.
L’histoire est inracontable, ce serait un crime d’en dévoiler la nature… mais sachez qu’elle vaut son pesant d’émotions, de surprises, de maestria. Les actrices sont sublimissimes, Kurt Russel génial, le scénario agencé comme de l’horlogerie suisse. Formellement, Tarantino s’autorise tout et franchit tous les obstacles. Il transforme sa copie neuve en vieille bobine d’un cinéma Z du passé, il passe sans raison du noir et blanc à la couleur, il se permet des plans impossibles, il transforme l’horreur en Grand-Guignol, l’angoisse en terreur, la fureur en rire… et cela passe toujours ! Chef-d’œuvre de sa filmographie, dans cet opus, il est au sommet de son art, conjugue le fond et la forme en tendant une passerelle entre le cinéma d’hier et celui d’aujourd’hui. Je n’en dirai pas plus et ce n’est point quelques dialogues diserts par des filles entres-elles sur l’état de leur sexualité qui me feront changer d’avis. C’est ma Palme d’Or assurée, ce serait un crime contre le 7ème Art de ne pas lui offrir de doubler la mise et de rejoindre ainsi, au panthéon des très grands, ceux qui ont marqué l’histoire de Cannes. A voté ! Et puis n’en déplaise aux vieux qui pincent le nez, aux critiques qui vont disserter, à tous les bien-pensants qui vont pratiquer l’onanisme intellectuel, le cinéma jubilatoire de Tarantino est un pied de nez à la morosité, une façon de claquer la porte sur le conformisme et le politiquement correct avec sa belle morale où le méchant en prend plein la gueule pour pas un rond ! Moi, j’aime !
 
Mains de star, et quelle star ! Dans le bureau du jury, dans une ambiance calme bien loin de l’agitation de la Croisette, Michel Piccoli, lui-même, adorable, gentil, serviable. Je lui raconte l’anecdote de Kim Basinger en lui écrasant chaque phalange. Il sourit. Il trace son nom avec application. Puis l’année en chiffres ronds. C’est Monsieur Piccoli en face de moi en train de s’appliquer à inscrire des lettres dans la terre glaise. Je suis tout ému, comme un grand gamin. Il me serre la main et va discuter avec ses compatriotes du jury… une porte s’est entrouverte sur l’ineffable ! Sarah Polley qui lui succède entre mes mains et nettement plus jeune et jolie… mais Monsieur Piccoli, Monsieur Piccoli…
 
17h. Paranoid Park (USA) Gus Van Sant.
Evénement s’il en est ! Le palme d’Elephant est de retour. La mort d’un gardien dans une gare de triage jouxtant une piste de skat fréquentée par tous les jeunes marginaux de Portland, déclenche une enquête qui mène la police vers le coupable, Alex, un adolescent de 16 ans. Il décide de se taire. C’est la technique brillante de sa Palme d’Or… des lambeaux de scénario qui semblent amorcer une histoire plus globale, repris par la suite sous un autre angle, dans une vision plus large. Le réalisateur tresse ainsi un tableau éclaté, comme si chaque fil dévidait un pan d’une vérité à plusieurs facettes, comme si les protagonistes étaient englués dans une toile d’araignée qui les dépasse et se dévoile au fil d’un temps sans repère. Il y a du jeu, un artifice majestueux qui échappe à la logique mais reste ancré dans une histoire rigoureusement menée jusqu’à son terme. Il n’y a peut-être plus l’aspect « choc » du premier opus (soutenu par l’atrocité du drame de Columbine présent dans toutes les mémoires), mais ce deuxième volet, toujours situé dans l’univers de l’adolescence et du lycée démontre à l’évidence cette maîtrise d’une technique qui transforme le passé en un puzzle à reconstituer, une polyphonie de sens à organiser, un chaos sémantique qui se structure par la magie d’un chef d’orchestre dissimulé derrière l’objectif.
19h Déficit (Mexique) Gael Garcia Bernal
Premier film du beau, du latin lover dont sont amoureuses toutes les filles (y compris la mienne qui a exigé que je lui ramène un autographe de Gael, ce que j’ai fait dans la douleur en me battant avec un bataillon de midinettes prêtes à m’arracher les yeux pour approcher leur idole !) Le héros de Amours chiennes, de Carnets de voyages, de la Mauvaise éducation réalise son premier film. Bon qu’en dire sinon qu’il s’est bien amusé avec ses copains et ses copines dans cette histoire d’une fête de la jeunesse dorée mexicaine où coule à flot alcool, drogue à fumer, cachets à avaler et où le sexe tient lieu de fil conducteur à tous les dérèglements. Bon, c’est déjà vu, un peu usé et pas très novateur… mais c’est un premier film et il lui sera beaucoup pardonné, à l’image de ce débat où une salle entièrement conquise était prête à se jeter dans ses bras !
 
On continue la série. On est mercredi. Plus que (ou encore !) 4 jours, une quinzaine de films à visionner, les yeux se tirent et la colonne vertébrale souffre de se plier à nos exigences et aux contingences des sièges toujours trop étroits. Mais le noir complice et cette lucarne qui s’illumine sur l’écran de nos désirs méritent bien quelques inconvénients ! Hardi les cœurs, à l’ouvrage les forçats de la pellicule, il y a des étendards à brandir pour ceux qui ont encore l’énergie de penser que  « le cinéma est un art révolutionnaire » (Lénine) !

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Le festival du film de Cannes (2)

Publié le par Bernard Oheix

Je vous avais laissés un vendredi après-midi après une purge russe. Dans la foulée, une volée de cinéphiles a débarqué chez moi.  De l'Allemagne, de Corse, de Marseille, d'Avignon. Ils ont rempli la maison, dévoré les cartes d'invitation et dormi comme ils pouvaient dans le moindre recoin de la baraque ! Vive le Cinéma ! Petit détour par le stade pour voir Cannes-Clermont qui est entraîné par le beauf de Sophie et je termine la soirée à la Licorne, pour un dernier film. On est toujours vendredi 18 mai et les affres de la descente en CFA dévorent le « koop » cannois apathiques qui viennent de se faire passer 4 buts ! Tout le monde se fout du foot mais le club de Zizou peut-il plonger dans les abysses du ballon rond, réponse au prochain et dernier match de la saison !
 
22h. Héros. Réalisateur : Bruno Merle.
Patrick Chesnais a beau tout tenter (mais il passe presque la totalité du film attaché sur une siège et bâillonné !), Michael Youn en faire des tonnes, suscitant même parfois une émotion étrange dans ce rôle totalement décalé avec l'image qui est la sienne, mais que faire contre un scénario, un réalisateur et les dieux du Cinéma qui n'ont pas été convoqués au chevet de cette histoire absurde. Le thème aurait pu prêter à développement (le kidnapping d'un sosie d'une star de la chanson par un chauffeur de salle) mais quand tant d'à-peu-près règne, l'on ne peut que s'incliner devant le naufrage d'un bateau ivre dans un océan de prétention !
 
Samedi 19 mai
9h. Naissance des pieuvres. Réalisatrice : Céline Sciamma
1er film de la réalisatrice. Dans une piscine, un show de natation synchronisée réunit des jeunes filles. Il y a la belle qui se donne des airs délurés, la grosse qui est méprisée et la petite (son amie d'enfance) qui tombe en amour de la belle (l'ennemie) ! Eternel triangle où chacune chasse l'autre, où chacune cherche sa voie en blessant fatalement celle qui se trouve sur son chemin ! La recherche de cette première fois, de cet acte à accomplir pour libérer son corps de ses terreurs sera bien différente de l'une à l'autre. Un beau film sur les émois d'adolescentes, sujet éternel toujours magnifié quand l'art du cinéma permet d'infinies variations et que la sensibilité du réalisateur joue sur des actrices étonnantes de fraîcheur et de naturel.
 
11h No contry for old men (USA) Joël et Ethan Cohen
Depuis Fargo et The big Lebowski (c'est-à-dire au siècle dernier !), ils étaient éternellement attendus et n'avaient commis que des bluettes sans saveur (Ladykillers, Ô brothers...). Un roman de Cormac MacCarthy, une distribution de rêve et après avoir juste eu le temps de s'installer confortablement dans les superbes fauteuils rouges du palais, nous voilà immédiatement plongés dans un chef-d'oeuvre. L'Ouest Américain moderne, Tommy Lee Jones en vieux shérif blasé, un ancien du Vietnam qui tombe sur une valise de billets qu'il n'aurait pas du emprunter, un tueur sanguinaire (Javier Bardem, hallucinant) à la poursuite de tous ceux qui vont s'interposer, une bande de Mexicains basanés qui veulent récupérer l'argent... Le film se déroule tel un opéra western, une balade sanglante où la vie se joue littéralement sur un coup de dès, où la pitié n'a pas sa place. Les images sont somptueuses, le final étonnant, comme si l'histoire ne pouvait que bégayer éternellement ! Merci les frères Cohen, il était temps !
 
14h : Nos retrouvailles. David Oelhoffen.
C'est un 1er film de la Semaine de la Critique. Jacques Gamblin, un homme de la nuit raté, petit truand sans envergure, au crépuscule de ses espoirs, va renouer avec son fils qui fait la plonge dans un restaurant et vit sa solitude comme une transition obligée vers un avenir incertain. Il va peser de ces retrouvailles pour l'utiliser dans un coup forcément foireux. Le fils ira jusqu'au bout du possible, sauvant au passage la vie du veilleur de nuit avec lequel il avait dû sympathiser pour récupérer des informations sur les systèmes de gardiennage. Dans l'échec minable de ce casse sans envergure où rien n'a fonctionné, il va se libérer de cet amour paternel et la dernière image inverse le champ des rapports père/fils. C'est le père qui s'accroche une ultime fois à son fils pour se donner du courage. Il n'y a plus alors de mystère, juste deux individus qui devront continuer leur route séparément, le père vers la fin programmée d'un ratage, le fils vers un monde où il lui faudra trouver sa place, libéré de toute attache ! Pour un premier film, c'est une belle réussite, avec quelques longueurs malgré tout qui appesantissent la dynamique d'une belle histoire d'hommes !
 
19h30. Savage Grace. (USA). Tom Kalin.
Barbara Baekeland, actrice fantasque, a épousé le non moins original Léo, petit-fils de l'inventeur de la bakélite (le plastique !). L'histoire de leur couple orageux se déroule des années 50 aux années 80. Le couple vit en Europe, essaime les stations balnéaires et entraîne leur fils dans une vie dissolue où la drogue et l'homosexualité sont des expériences de vie qu'aucune limite ne restreint. La mère abandonnée par le père qui part avec la fiancée du fils, va se réfugier dans les bras de celui-ci, entretenant une liaison incestueuse qui mènera au meurtre et au suicide. C'est un sujet particulièrement scabreux abordé avec beaucoup de doigté par le réalisateur qui évite les scènes de voyeurisme. Julianne Moore est très convaincante, la distribution impeccable. Un film plutôt réussi dans une reconstitution d'un esprit « libertaire » des années 60 (vous savez, cette période qu'il faut gommer de notre histoire !!!) où tout semblait autorisé !
 
Dimanche 20 mai.
9h. Magnus (Estonie/Grande-Bretagne). Réalisation : Kadri Koussar
La fée nicotine s'est penchée sur les fonts baptismaux de cette histoire sombre à souhait. Anticomité de tourisme, le réalisateur s'efforce de filmer tout ce qui est glauque en Estonie. Les mères sont des maquerelles, les femmes des prostituées qui postulent à travailler en Allemagne à la demande de leur mari, la soeur est lesbienne, le père trafiquant de drogues est un self-service de produits illicites pour son fils et pour couronner le tout, celui-ci avait une maladie des poumons qui le condamnait mais a été sauvé par un nouveau médicament... pour pas longtemps puisqu'il va enfin se suicider pour terminer le film ! Bon, vous avez compris, on ne rigole pas tous les jours chez nos amis Baltes !
 
Parenthèse dans le festival. De temps en temps, je travaille aussi, même un dimanche ! Ma mission, et je l'ai acceptée, faire les empreintes des stars (vous savez, l'anecdote de Kim Basinger dans les histoires vécues du blog !). Me voilà donc avec Nadine et Cynthia pendant les répétitions de la fête du soixantième anniversaire qui a lieu ce soir. Une vingtaine de cinéastes sont réunis. J'ai les yeux qui me sortent de la tête. Wim Wenders, Cimino, Loach, De Oliveira, Wong Kar Waï, Kitano... ils sont tous là. J'accroche mon « Dieu » vivant, Roman Polanski est obtient un autographe, je coince Jane Campion dans l'ascenseur pour la même punition. Finalement, la moisson de mains sera petite mais rien que pour Gus Van Sant, le voyage valait le coup. Au dernier moment, ils sortent par le hall alors que nous étions backstage, je rattrape in extremis Tsaï Ming Liang  et je rentre avec plein de soleil dans les yeux. On ne se refait pas !
 
17h Boarding Gate. France. Réalisation : Olivier Assayas.
Bon, ça parle français, anglais et cantonais. On va voyager. Asia Argento est sublime, elle a des seins merveilleux. Pour le reste, une longue exposition de rapports sado-maso entre l'héroïne et son ancien amant qu'elle recontacte, débouchant sur un meurtre, contrat d'un commanditaire inconnu, des trahisons à la pelle, de l'exotisme, Hong Kong plus vrai que nature, des poursuite, du sang... mais l'histoire dans tout cela. Ha ! oui ! Le truc qui s'appelle scénario et qui s'écrit avant. Bof, filmons, il en restera toujours quelque chose !
 
22h Breath (le souffle) de Kim Ki Duk. Corée du Sud.
Invitez Bataille, Sade, Genet et Georges Orwell dans une prison de Séoul. Donnez-leur un réalisateur qui sait ce que filmer veut dire, rajoutez-y des acteurs troublants et beaux, mettez-le produit fini en compétition... Cela donnera un film trop intelligent, trop beau pour être palmé ! Une véritable oeuvre dérangeante et engageante. Une femme trompée va sublimer sa détresse en devenant la maitresse d'un condamné à mort qui tente de se suicider. Elle lui fait vivre à chaque visite une saison différente sous l'oeil d'un directeur de la prison dont on ne voit que le vague reflet sur les écrans et qui peut interrompre le jeu à tout instant. L'histoire riche, sophistiquée mais étonnamment limpide s'avance sans à coup, dans une fluidité qui est l'exact contraire des sentiments survoltés des protagonistes. Tout est symbole, tout est lecture intérieure d'une réalité à décrypter... mais comme pour les grandes oeuvres qui marquent l'histoire du cinéma, tout est si naturel dans cette réorganisation du chaos que l'on a l'impression de comprendre de l'intérieur chaque élément d'un puzzle qui nous dépasse !
Voilà, l'authentique souffle universel du cinéma n'est pas prêt de s'éteindre avec des réalisateurs comme Kim Ki Duk !
 
 13 films depuis le début du Festival...Je continue mon marathon de celluloïd, on parle avec les amis des films visionnés, on échange dans ces attentes des impressions sur les opus proposés et des souvenirs de vieux combattant. On retrouve des cinéphiles et amis que l'on ne voit que pendant le mois de mai, pendant le festival. C'est une vraie fête païenne dédiée à un dieu qui se tapi au fond des salles obscures, celles que la clarté d'un film illumine du sceau du génie, du talent d'un message universel que rien ne peut entraver ! Vive le 7ème art !
 
 
 
 

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Le festival du film de Cannes (1)

Publié le par Bernard Oheix

Mon festival… (1ère étape)
 
Le soir de la grande première arrive. Le palais est une ruche bourdonnante, les derniers préparatifs mobilisent les employés, chacun court dans la tentative désespérée de rattraper le temps perdu et de finir sa tâche afin que le rouge du tapis resplendisse sous les lumières des caméras du monde entier.  Moi, je suis dans la salle Debussy, il est 10h du matin en ce mercredi 16 mai et le premier générique à l’escalier rouge émergeant de la mer retentit pendant que la lumière s’éteint. C’est parti pour la première séance.
 
My Blueberry nights par Wong Kar Waï
Une ballade douce amère. Bande son géniale (Rhythm’and blues, Ry Cooder) Le visage sublime d’une Norah Jones qui cumule tous les talents, Jude Law à faire devenir homo n’importe quel être normalement constitué. Une belle histoire. Femme larguée dans un New-York intemporel. Avant de cicatriser et de retrouver l’amour, Elisabeth décide de partir pour un voyage avec retour, une échappée dans une Amérique de gens ordinaires aux destins extraordinaires. Une étape cruelle à Menphis avec un flic amoureux à la mort, une rencontre à Végas avec une joueuse de poker…Et il est temps de revenir pour terminer ce 1er baiser évoqué, un moment inoubliable de cinéma et de sensualité. Entre temps, des cadrages de l’autre monde vont illuminer les paysages intérieurs et extérieurs des protagonistes, une façon de filmer que l’on connaît bien à travers l’œuvre de Wong Kar Waï mais qui se greffe parfaitement sur cette histoire simple. Je suis amoureux de Norah Jones, cela vous étonne ? Alors allez-voir The Blueberry Nights (les nuits myrtilles) et vous comprendrez !
 
Jeudi 17 mais
4 mois, 3 semaines et 2 jours par Cristian Mungiu. (Roumanie)
Le réalisme post socialiste vit encore ! Une étudiante doit avorter et son amie l’aide dans une Roumanie de 1987, juste avant la chute du dictateur, quand des peines de prison de 10 ans peuvent s’abattre sur ceux qui avortent ! Vie de combines, drame humain de l’avortement, utilisation du pouvoir (l’avorteur exigera de coucher avec les deux femmes avant d’opérer) solitude morale et un final effrayant pour l’amie qui prend en charge le poids (le fœtus) de la faute et cherche dans une nuit de terreur insidieuse à s’en débarrasser dans un Bucarest fantomatique. Un film fort et émouvant, une descente dans les abysses de l’absurde et de l’horreur faites aux femmes ! Un film à voir, sauf si vous voulez faire la gaudriole et emmenez une potentielle conquête au cinéma en prévision du grand soir !
Zodiac par David Fincher (Etats-Unis)
Pourquoi 2h36… parce que le meurtrier n’a jamais vraiment été retrouvé et qu’il a fallu des années pour bâtir une hypothèse crédible sur la véritable personnalité d’un des sérials killer les plus emblématiques de la société américaine ? Scorpio s’était déjà lui ! Parce ce que le réalisateur a décidé de faire plus sobre que dans ses précédents opus et d’introduire une distance entre la violence des faits et la réalité sordides des crimes ? Film intéressant malgré tout, admirablement interprété, bien filmé, on l’on passe un bon (trop long) moment !
Les enfants invisibles film de courts métrages réalisé par :… une pléiade de réalisateurs tous plus brillants les une que les autres.
Medhi Charef ouvre avec une histoire d’enfants soldats qui parcourent les terres d’un pays d’Afrique. Les règles se sont dissoutes dans le chaos de leur vie brisée. Pourtant il suffit d’une salle de classe pour que le jeune héros sanguinaire retrouve son âme d’enfant. Kusturica montre le cheminement d’un petit gitan qui réintègre volontairement son centre de rééducation pour ne pas replonger dans le vol, Long, une Brésilienne film l’errance de deux jeunes qui ramassent les déchets et survivent d’expédients. John Who suit les pas d’un enfant trouvé par un laissé pour compte qui va l’élever dans l’espoir d’intégrer l’école. Un Italien suit les traces d’un petit Napolitain qui vit de vols à la portière et va se figer devant un manège enfantin. Spike Lee nous montre le destin brisé d’une petite fille de junkies qui découvre son Sida… Ces films de commande du Fond Mondial pour l’Enfance rattaché à l’Unesco permettent à des réalisateurs de décliner des gammes autour d’un thème fort. Dans les situations extrêmes, c’est toujours les enfants qui subissent. John Wood éclairait après le visionnement du film qu’ « il ne pourrait plus jamais filmer comme avant après cette expérience ». Une belle leçon de morale du cinéma en action mais avant tout un film de cinéma, pour le cinéma, sur l’enfance.
 
Vendredi 18 mai 2007
Izgnanie (le bannissement) de Andreï Zviaguintsev (Russie)
Après le post réalisme socialiste de la Roumanie, nous voilà plongé dans le néo-classicisme Russe. 2h30 d’images super léchées qui ne laissent rien au hasard. Il y a une pluie, forcément orageuse, quand les protagonistes sont angoissés, les traits du visage n’expriment rien mais les couchers de soleil en disent tant… les cadrages débordent de tous les côtés, les sentiments révélés pèsent leur tonne de non-dit, la musique est au synthé quand la tension est à son comble et tout cela manque terriblement d’humanité. Un film fait par un esthète qui maîtrise ses classiques tellement qu’il en oublie d’exprimer l’essentiel : la vie ! Et cela dure 2h30 d’un pensum academico-elliptique terminant sur une récolte de foin par des paysannes que ne renierait point Dovjenko…au siècle dernier !  Au secours Eisenstein, qu’ont-ils fait de ton héritage !
 
Bon voilà la première livraison de mes impressions en terre de cinéma Elles sont totalement subjectives et n’aspirent qu’à figer mon ressenti, à chaud, ce qui n’est jamais facile quand vous voyez un film à 8h30 du matin ou que c’est le troisième que vous enchaînez à plus de deux heures l’un ! Il faut que j’y retourne, le devoir m’appelle. A bientôt les amis pour de nouvelles aventures !
 

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Bastia for ever

Publié le par Bernard Oheix

J'ai décidé de faire une retraite à Bastia. L'ambiance monacale de cette ville, le recueillement qui sied à une fonction de président, la recherche du temps retrouvé, enfin, vous me connaissez...

Etre appelé au téléphone par François Berlinghi est toujours un plaisir. Outre que c’est mon ami depuis les années fac…( vous savez, cette période qu’il faut effacer de nos mémoires de vieux soixante-huitard et dont il faut gommer toutes traces !), Il me propose le bougre, de m’inviter à un festival de théâtre afin d’effectuer une « expertise » et de voir si les potions miracles existent pour transfuser la culture îlienne sur le continent. Du moins c’est la version officielle car j’imagine plutôt qu’il avait envie de boire des canons et de trinquer au bon vieux temps avec l’ami Cimino, un autre Corse séditieux qui œuvre dans l’art vivant,  tout cela au frais de la princesse et des collectivités locales ! De plus, me prendre comme expert, lui qui a connu la première manifestation que j’ai tenté d’organiser, (il faudra que je vous la raconte un jour, mais c’est encore trop frais et cuisant pour mon ego…1978, vous pensez !), c’est vraiment me faire beaucoup d’honneur et avoir l’inconscience chevillée à l’estomac. Mais bon, il paraît que quand on aime !!!

Quand on agite un chiffon rouge à tête de Maure devant mes yeux, je fonce et j’ai inpetto fait mes valises et débarqué sur l’aéroport de Bastia-Poretta le mercredi 9 mai à 21h20 pour un spectacle qui commençait à 21h15.

Ah ! Alfred De Musset, si tu savais quelles tortures on fait subir à ton texte, en ton nom dans l’Île de Beauté ? Francis Marcantei (leader du Tavagna club, un autre ami de ces années de soufre) a effectué une traduction intégrale avec un dispositif de surtitrage (en français) visible sur des écrans plats sur les côtés, dispositif de salle en bifrontal. Nous voilà plongés dans un texte savoureux à la lecture qui chante aux oreilles de sonorités latines. L’effet est bizarre, un rien schizophrénique, comme si la musique des vers de Musset se trouvait surchargée de connotations exotiques, entre un italien légèrement guttural et quelques expressions françaises.

Le dispositif scénique et remarquable, les décors et lumières soignés, et ô surprise !, les acteurs excellents qui tendent une passerelle entre ses deux langues dont une a disparu dans les surplis de la traduction et l’autre renvoie à un territoire impossible. Le héros (un peu trop carré de visage à mon goût !) est superbe, joue juste et campe un Lurenzacciu torturé et bourré d’énergie devant un Duc de Médicis à la beauté du diable !

Jean-Pierre Lanfranchi, le metteur en scène, réussit la performance de conserver toute la magie et l’ambiguïté d’un texte, mieux, revitalise un théâtre patrimoine en lui donnant une résonnance contemporaine. En effet, la perte de son innocence et le meurtre sacrificiel sonnent en écho de cette société corse qui vacille aux portes du terrorisme. Réflexion profonde sur sa culture, appropriation de sa langue, qualité réelle de la mise en œuvre… tout cela pour jouer devant une poignée de spectateurs un nombre réduit de représentations… parfois le théâtre est cruel pour ceux qui s’y consacrent jusqu’à la déraison.

 

Jeudi  10 mai 19h I Zinzi (les oursins)

Rien à dire sur ces amateurs. Ils sont jeunes et sympathiques, le talent viendra peut-être ! Il faut dire que le style (l’improvisation !) est cruel et ambitieux et que ne se frotte pas qui veut à la magie d’un verbe libéré de toute attache.

                      21h Compagnie Hélios Perdita. Désir

Provoquer autour du thème du désir dans une forme agressive n’était pas le moindre des challenges d’une compagnie précédée d’une flatteuse réputation… en Corse. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils se sont donnés avec générosité. Pourtant, Désir fait partie de ces pièces que l’on a envie d’aimer et que l’on est triste de critiquer. Un début raté dans l’hyper-tension, des moments forts pas assez poussés, un bricolage évident sur des détails, un manque de rigueur général mais en même temps une vraie démarche, une qualité évidente du couple d’acteurs, un thème fort illustré par des textes et des saynètes au signifiant chargés de symboles. Une troupe à faire parler, à donner le désir d’intervenir et de remettre de l’ordre dans le chaos. A revoir et peuvent mieux faire !

 

Vendredi 11 mai 19 h. Théâtre Neneka. Contes fantastiques. De Guy de Maupassant.

Commande du Festival, sous forme de lecture, une mise en bouche autour d’un auteur à la mode. Attention danger de somnolence. Et pourtant. Le choc. Deux acteurs extraordinaires. Le narrateur et « l’acteur » vont faire vivre des textes captivants d’une richesse et d’une langue savoureuse, de véritables morceaux d’anthologie autour de l’étrangement humain. Plusieurs thèmes vont émerger, La folle, l’exhumation du cadavre, le suicidé, pour finir sur le tueur d’enfants et une charge d’une violence exceptionnelle contre un Dieu de vengeance qui laisse la mort s’égarer dans le cœur des hommes. Iconoclaste, brisant tous les tabous, l’auteur est servi par deux acteurs d’exception et une mise en espace intelligente. Le professeur, strict et pondéré, le porteur du verbe libéré, éructant et transcendé, un couple enchaîné par la plus mortifère des logiques.

Attention chefd’œuvre. (Bien que je ne sois pas venu pour cela, je décide tout de suite de les programmer à l’automne 2008. Il vous faudra attendre chers amis lecteurs. Ils auront ainsi le temps de revoir certains détails, d’y rajouter au moins deux textes pour arriver à 1h15 et de décoller des écrits afin de se libérer des feuilles éparses occultant très partiellement leur talent !)

                         21h Compagnie I Chjachjaroni. Le roi se meurt. Ionesco

Attention danger. Ionesco, une troupe de Porto-Vecchio, I chjacharoni… Après cet authentique moment de grâce avec Maupassant, le choc semblait rude, d’autant plus que j’avais en tête encore Michel Bouquet accueilli à Cannes dans cette même pièce, quelques mois seulement auparavant. Le décor se décline en noir et blanc, un peu bricolé mais avec gout, les costumes sont particulièrement soignés toujours sur le thème du noir et blanc, seul le roi agonisant est en rouge vif. Des maquillages surchargent les traits et les corps des cinq personnages qui entourent le roi dont le visage va se craqueler sous une couche de fard grisâtre.  Les mots coulent avec élégance, les situations sont claires, l’absurde règne en maître dans un délire totalement contrôlé, les acteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes à l’exemple de cette servante sans âge ou de la reine mère cinglante. Tout est parfait avec une réserve sur un des interprètes (le docteur). On suit avec passion ce monde inventé si vrai, en écho de nos propres peurs et des soubresauts d’une planète qui étouffe. On compatit, on sourit, on a de la peine et du rire, c’est du vrai théâtre pour aimer la vie et quand le roi se meurt et que sa couronne par le plus beau et simple des effets se retrouve à terre, on est triste car les lumières se rallument, nous ôtant le plaisir de l’intemporalité que procure cet art de la scène quand il se conjugue avec la perfection ! C’est Jean-François Perrone qui dirige la troupe, retenez ce nom, même si vous n’en entendrez peut-être jamais parler, il mérite l’estime de tous ceux qui sont capables de penser que les mots et le jeu d’acteur valent bien une parcelle d’éternité !

 

Samedi 12 mai 16h. Compagnie Thé à trois.

Que dire ? Pas grand-chose ! Alors nonobstant une actrice de tempérament, la démarche « nouveau théâtre » d’une création encore fragile, nous attendrons de les revoir dans de meilleures dispositions.

                         19h. U Teatrinu. A scusa di Pasquale Paoli.

C’était l’heure tant attendue de ceux qui pensent que Guy Cimino a du talent… et nous sommes nombreux à le penser ! Homme à tout faire du renouveau de la culture corse, il a été de toutes les campagnes, a fait irruption dans le monde de la télé avec des émissions parodiques ( la famille Pastacciu , c’est lui !), créé une compagnie de théâtre en traduisant Brecht en corse, essaimé dans tous les films et téléfilms sur la Corse, mené un inlassable combat contre l’obscurantisme, participé à tous les stages de Robin Renucci à Olmi-Cappella… un globe-trotter sédentaire enraciné à sa terre, un touche à tout obsessionnel et un ami de l’université qui plus est  avec qui j’ai partagé nombre nuits et voyages… un olibrius qui ne peut me mentir !

Le décor, un asile d’aliénés version 19ème siècle, une baignoire trône au sommet d’un édifice de bois, des fous entrent et occupent l’espace. Le directeur explique alors qu’il fait jouer une pièce qu’il a écrite sur Pascal Paoli, le héros des indépendantistes pour calmer les fous ! Cela ne vous rappelle rien ? Peter Brook, L’assassinat de Jean-Paul Marat joué par les aliénés de Charenton sous la direction du marquis de Sade, un film culte, une pièce trop rare des années soixante-dix !

La filiation est assumée, le phrasé est en corse, le texte en français projeté sur un écran en arrière-plan, en même temps qu’une iconographie très riche et une reprise de scènes qui se déroulent simultanément sur le plateau. La pièce dans la pièce avance alors dans les aléas des interventions des fous vers son dénouement. Au-delà de la performance réelle des acteurs, c’est l’intelligence du propos qui séduit. Voilà donc un Pascal Paoli bien loin du bandit sarde, slalomant dans les salons londoniens pour les beaux yeux d’une damoiselle, combattant de la liberté reçu en triomphe à l’Assemblée Nationale révolutionnaire par Robespierre, inspirateur d’une constitution démocratique dont les Etats-Unis s’inspireront… Un Paoli ambigu, loin de la caricature, renvoyant à l’absurdité du jusqu’auboutisme, la pièce se terminant sur la reconstitution du carnage de la bataille de Ponte Novu où les Français écrasèrent les révoltés Corse dans un bain de sang absurde où les patriotes eurent leur part de sang inutile !

Un opéra moderne, (un quatuor intervient en contrepoint) une preuve de plus de la vitalité de ce théâtre mais aussi de son inventivité et de sa volonté de chercher un sens en creusant sous les poncifs d’une pensée unique.

Merci Guy Cimino pour ce travail rigoureux et intense !

 

Voilà donc un séjour éclair qui s’achève. Arrivé sur la pointe des pieds, par plaisir et volonté de faire plaisir, j’ai pris dans la gueule, quatre pièces de toute beauté (dont deux qui viendront sur Cannes !), j’ai parlé de culture et de théâtre comme je ne l’avais plus fait en collectif depuis des années, j’ai senti l’air vivifiant d’une Corse qui bouge sans se trémousser, un air de fête pour des jours de campagne !

Choc frontal démontrant à l’évidence la richesse et la vitalité d’un théâtre coincé dans une île grande comme un mouchoir de poche. Je connaissais la densité des propositions musicales et sa diversité. Des I Muvrini à A Filetta, de Petru Guelfucci à Poletti et le chœur de Sartène, etc. Je n’osais penser que dans le théâtre, la même richesse, la même force de propositions soient présentes. Comment imaginer une telle qualité dans l’exigence, un tel souci du détail et surtout un tel niveau dans l’interprétation. Des acteurs qui jouent juste, avec des gueules, des voix, des attitudes qui montrent à l’évidence leur professionnalisme, pouvant passer comme Julien Petri de Lorenzaccio au roi de Ionesco en réinventant son personnage et en donnant à voir au public les multiples facettes d’un authentique talent. La servante de Ionesco tenant toute la pièce un personnage de petite vieille exsangue, torturée, qui s’avère être une jeune et jolie Corse de 20 ans !

Corse troublante et magique, terre de contraste, où les passions s’exacerbent de murir au soleil, peuplée de gens intelligents et cultivés côtoyant le vide et les tensions, partagée entre le beau et le sordide, le cruel et l’absence. Une poignée de spectateurs (mais qui oserait jeter la pierre àcelui qui connaît les difficultés d’attirer le public ?), un certain amateurisme dans l’organisation (mais est-ce le plus important ?). Et puis, l’expérience s’acquiert sans problème, il suffit de faire, de tracer son chemin, au service d’une noble cause, sans trop se prendre la tête… à l’image de Jean-Pierre Lanfranchi, le directeur du festival, metteur en scène et acteur, homme de consensus qui fédère autour de lui « ceux qui marchent debout », dans la bonne humeur et l'humilité de ceux qui sont de vrais grands.

Alors longue vie au théâtre corse, santé pour Lanfranchi, Berlinghi, Marcanteï, Cimino, Alix, Peronne et tous les autres, ceux qui nous ont offert un peu de leur talent pour rêver d’un monde meilleur, plus ouvert, plus tolérant !

 

PS : vous aurez noté la remarquable sobriété de mes comptes-rendus concernant les nuits insulaires. C'est vrai qu'il y a une vie avant les spectacles (les parties de rami avec Christian et Malou), et après les spectacles (les repas-débats arrosés avec la bande d'organisateurs et de sémillantes bénévoles du festival !)... mais bon, je sais que tout cela ne vous intéresse que fort modérément, alors j'ai zappé, vous laissant sur votre faim et moi en train de cuver ! !

 

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L'entêtement

Publié le par Bernard Oheix

 Ecrire n'est pas une sinécure. Ceux qui s'y frottent s'y piquent souvent. Après tout, parler aux dieux est risqué et chacun doit payer un prix en larmes et en sang pour oser s'affranchir des règles des mortels !
 
 
Il avait toujours écrit. Il ne se rappelait pas un seul jour de son existence sans qu’il soit associé au geste de saisir un stylo, un crayon, et qu’il ne jette sur une feuille blanche des mots qui s’envolaient, se télescopaient et tentaient d’ordonner le désordre de sa pensée. Il était écrivain, mais personne ne le savait.
Tout petit à l’école, il se souvenait de ses efforts pour tracer des lettres et acquérir la possibilité d’inscrire des histoires sur du papier, avec des pleins et des déliés, de l’encre qui gouttait hors de l’encrier et bavait sur les marges de son cahier. Il avait eu la chance de trouver des maîtres à l’ancienne, avec leur blouse grise et l’amour de leur travail, les doigts de craies et l’odeur caractéristique d’une classe qui fleure le papier neuf, les livres empoussiérés, la culture d’enfants sauvages aux yeux béants devant l’ailleurs que l’instituteur dévoilait avec de grands effets de manchette et une voix grave chargée d’accent.
 Ce sont les livres qui lui avaient inoculé ce poison qui allait le ronger toute sa vie. Il pouvait lire pendant des heures, s’isolant des enfants de son âge, se renfermant dans un monde de fiction, partageant des émotions d’autant plus vraies et poignantes qu’elles naissaient dans son cerveau d’enfant rêveur et étaient le produit d’une imagination enfiévrée par la volupté de la lecture envoûtante d’un texte. Il ne supportait pas de ne pas connaître la fin d’une histoire et ne pouvait décemment envisager de sauter des passages pour aller au plus vite à la conclusion. Cela aurait constitué un crime de lèse-majesté, un défi à sa propre logique, aussi lisait-il sans cesse, la nuit à la lueur d’une lampe torche, au cabinet, dans la cour de récréation, pendant les repas, récupérant tous les moments disponibles afin d’assouvir sa soif inextinguible de lecture.
Son premier vrai récit amorça une œuvre autobiographique classique. Ce qui était un journal à qui l’on confiait ses secrets d’enfant chez la plupart de ses congénères, devint chez lui, œuvre d’art, monument consacré à son génie méconnu, trace indélébile d’une plume hors du commun. Il y notait des pensées précises, fuyant la description du quotidien, se penchant avec soin sur les mystères de l’homme et sur la pensée extrême que sa reconnaissance passait par cette somme en devenir d’un esprit bouillant d’impatience.
En fin du primaire, il avait ingéré tous les livres destinés à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture de sa catégorie d’âge tout en pouvant s’enorgueillir d’avoir dévoré des sommes aussi imposantes que l’intégrale d’Alexandre Dumas, la majeure partie de Victor Hugo et les séries de Jules Verne et de Rouletabille. Il était fin prêt pour affronter des auteurs plus complexes, faisant appel à des ressorts sophistiqués et à une expérience de la vie qu’il était loin de maîtriser. 
Il passa à Balzac, Zola et dès le début de la 3ème , s’empara des livres de Sartre et de Camus, se plongeant avec délectation dans un existentialisme qui venait résonner en écho de ses propres interrogations. Sa vie s’écoulait entre des séances de lecture interminables, même si elles ne l’étaient jamais assez pour sa boulimie de connaissances et l’effort de coucher ses écrits intimes avec la certitude de créer les conditions de son destin d’écrivain. Il était persuadé que l’histoire lui donnerait raison, ses œuvres traverseraient les âges et l’immortaliseraient.
Sa première création porta sur le destin de l’empoisonneuse, Madame de Montespan, et il offrit à sa classe un superbe document particulièrement riche en détails, graphiques, reproductions d’images de l’époque, retraçant les étapes de la vie de cette maîtresse de Louis XIV aux talents sulfureux. Le professeur d’histoire, tout en déplorant un style ampoulé et des approximations avec la réalité historique, lui accorda un 17 sur 20, excellente note s’il en est, mais loin encore de cette perfection à laquelle il aspirait. Il en fut profondément blessé et se décida à dissimuler ses écrits en attendant de produire un chef-d’œuvre au-dessus de toutes critiques, un texte absolu.
Il se lança alors dans des projets plus ambitieux et scella cette démarche en se faisant offrir un stylo à encre Waterman et une boîte de cartouches noires. Il pensait que cette couleur collait à l’originalité de ses textes, elle leur donnait une pesanteur certaine, une gravité qu’il lui semblait indispensable d’acquérir. Terminés les balbutiements au crayon, au Bic, désormais une vraie encre coulait pour se mélanger au sang de son esprit conquérant. Par la suite, après avoir visionné des films américains, il s’acheta une petite Olivetti et apprit tout seul à taper, d’abord à deux doigts, puis avec le temps, ses mains volèrent sur le clavier et domptèrent le blanc de l’angoisse que lui procuraient les espaces vierges des débuts de page. Il se mit à fumer la pipe comme Simenon dont il admirait la propension à écrire à toute vitesse des romans ancrés dans la vie sociale. Il préférait l’auteur du Coup de Lune et des ouvrages qui décrivaient des humbles gens en train de vivre la réalité dans le port d’Amsterdam et dans les provinces de la France du terroir au culte que l’on vouait à Maigret.
Il entra dans sa période néo-réaliste, tout lui était prétexte à décrire ses contemporains, du pêcheur qui halait son filet avec une cordelette et faisait la chaîne pour hisser les poissons sur le sable blanc de la Méditerranée, scène à laquelle il avait réellement assistée par un matin d’automne sur les plages de Juan les Pins, au professeur pervers qui talochait l’élève en catimini pour lui inculquer les règles de base de la physique, du boulanger dans l’aurore et de l’odeur sucrée de la farine en train de cuire aux pompiers voltigeant sur leur camion rouge pour filer au secours de la veuve et de l’orphelin prisonniers d’un feu qui les dévorait.
Il tenta par la suite de s’initier aux arcanes d’un polar. Il avait découvert le gisement extraordinaire des bouquins de Dashiel Hammet et de James Hadley Chase. Cette révélation lui occasionna d’entamer à moultes reprises un vrai polar à la française destiné à régénérer ce genre trop méconnu parce que populaire, quand le détective privé, accoudé au comptoir d’un bar de nuit, se voit alpaguer par une sémillante entraîneuse qui l’aguiche pour le faire tomber dans un piège en lui offrant son corps. Il se précipitait avec rage sur son Olivetti et immanquablement, s’apercevait que d’autres faisaient si bien ce qu’il bégayait misérablement, qu’au bout du deuxième chapitre et de trois morts, il renonçait temporairement à son entreprise et remisait cet énième projet dans des chemises en carton qui lui serviraient dans le futur de sa vie d’écrivain. Il entra dans sa période de doute, tant son talent lui apparaissait fade et dénué de fondements.
Il avait l’impression que chaque fois qu’une phrase sortait de son esprit et se concrétisait sur la page, elle n’était qu’une vague et médiocre copie d’un auteur déjà mort. Tous ces mots avec lesquels il avait appris à jongler se traînaient au long des lignes vides, ces expressions pleines de fatuité, ces situations artificielles ou déjà vues. Tout son univers s’écroulait parce qu’il était persuadé que tout avait été composé, décrit, analysé, et qu’il arrivait trop tard pour posséder un espace de création.
Il s’acharna en composant des petits poèmes à la japonaise. Il était sûr que son sens de la formule n’avait pas été souillé par ses tentatives médiocres de prose et c’est phrase à phrase qu’il se convainquit que son talent gisait comme un trésor englouti et qu’il ne demandait qu’à s’épanouir comme des fleurs au soleil. La reconstruction prit du temps et il fait nul doute qu’il le paya dans sa chair. Il n’avait pas eu d’adolescence, pas de petites copines pour épancher sa soif de fièvre, elles lui faisaient peur de toute façon et il préférait de loin l’univers abstrait des mots à la réalité d’une chair dont l’obsession le rongeait sournoisement. Les sorties au bar, les après-midi sur les terrains de jeux, les amitiés viriles n’étaient pas pour lui, la page noire d’écriture était le moteur de sa vie même si ce moteur manquait cruellement de combustible.
L’enseignement qu’il avait reçu depuis son enfance déboucha naturellement sur un métier d’enseignant, voie classique de ceux qui n’ont jamais ouvert les yeux sur le monde extérieur et restent entre les murs de ces établissements scolaires qui les ont vus grandir. Dans la foulée il épousa sans passion une prof d’anglais pour vivre l’amour traditionnel de deux personnels de l’Education Nationale, composant avec les vacances et des semaines allégées pour continuer son entreprise et accoucher de ce chef-d’œuvre tant espéré. Dire qu’ils s’aimaient était ambitieux, ils se toléraient et partageaient la vie quotidienne à défaut de communier dans les rêves. Ils se construisirent un petit monde aseptisé que seule sa folie de l’écriture pouvait transgresser.
Après une longue période où le « je » était le moteur de ses personnages, il s’attaqua au « il » afin d’élargir la gamme de ses possibilités de narration. Il lui tenait à cœur de dépasser l’aspect « égotiste » d’une fiction à la première personne du singulier. Il l’avait pourtant beaucoup pratiqué, trouvant les moyens de cacher sa personnalité profonde dans les dérapages lexicaux d’une syntaxe qui renvoyait à sa propre personne. Il lui paraissait que le je introduisait un doute chez le lecteur, une faille dans laquelle il aimait s’engouffrer. Il ne savait plus vraiment d’ailleurs si c’est son personnage de fiction où l’auteur en chair et en os qui se dissimulait derrière qui en profitait largement. De plus en plus en souvent, il se déconnectait de la réalité et la frontière entre son univers et celui de ses écrits se réduisait à un fil ténu, un mince cordon entre le phantasme et les aspérités du concret.
Le « il » lui permit de se reprendre et de décrire froidement des situations impossibles, des dialogues enfin détachés de son auteur. Il fit un effort pour s’astreindre à oublier le protagoniste qui composait et entra derechef dans une vraie tentative de fiction. Il avait lu une série de bouquins d’Azimov, de Arthur C Clarck et la saga de Dune. Il en fut émerveillé et se persuada que seule la science-fiction lui offrirait un champ d’action à la mesure de son talent. Il se lança dans une somme, Le peuple des frontières dont les trente chapitres répartis en trois livres devaient enfin assurer son triomphe. Il y passa toute son immense énergie, décrivant avec soin cette population inventée, mi-homme, mi-animal qui devait envahir la Terre et sonner le glas de l’humanité.
Il abandonna au 23ème chapitre du troisième livre, la lecture malheureuse de sa prose qu’il avait entamée un soir de novembre des vacances de la Toussaint lui démontrant à l’évidence qu’il n’était pas taillé pour la science-fiction. Les 325 pages dactylographiées avec soin rejoignirent les cartons dans lesquels s’entassaient ces milliers de pages qu’il avait composées, sur des étagères de son antre qu’il avait aménagé dans l’appartement de fonction qui dominait la cour du collège dans lequel il officiait sans passion.
Il ne se découragea pas, il y avait encore tant de possibilités, de chemins à explorer, de voies à suivre qu’il n’hésita pas une seconde. Pour se refaire une santé, il décida de provoquer le lecteur potentiel en composant un érotique gothique qui l’interpellerait. Le « tu » s’imposait, un pronom qui renvoyait la problématique sur celui qui lisait et dont le contenu particulièrement salace devait lui permettre d’être enfin publié. Rien ne fut trop horrible et pervers pour une imagination qu’il laissait se débrider et laissait remonter à la surface une vie de frustrations, de petits riens qui faisaient son tout, sa propre existence morne confinée devant un clavier qui le retenait prisonnier.
Scatologie, zoophilie, émasculation, inceste, pédophilie, tout y passa, rien ne devait épargner le lecteur directement interpellé par ce « tu » obsédant. Le résultat l’atterra, et l’œuvre interdite rejoignit sur les étagères les innombrables compositions plus ou moins achevées qui élevaient un monument de papiers à son acharnement plus qu’à son talent.
 
Il douta. Pendant quelques mois, l’idée même de taper à la machine l’insupporta. Il fuyait son bureau mausolée, se réfugiant de nouveau dans la lecture pour échapper au présent et à la médiocrité de son génie. Il dévora un livre par jour pendant quelques mois mais le démon n’était qu’assoupi, ses tentacules l’enserraient toujours et un jour, passant devant un magasin d’informatique, il vit, exposé au regard des passants, un magnifique PC, les touches rutilantes, l’écran galbé comme le corps d’une femme, la colonne droite et fière érigée telle une stèle qui l’interpellait. Son cœur s’emballa en imaginant ses doigts courir sur le clavier et les gammes infinies qu’il entrevoyait grâce à l’informatique. Une ère nouvelle s’ouvrait à son talent. La vendeuse fort seyante n’eut aucune difficulté à lui fourguer un kit complet et tous les périphériques en stock, rien n’était trop beau pour cet élan qui l’autorisait à reprendre le cours de son œuvre créatrice. Dans son enthousiasme communicatif, il osa l’impensable, inviter sa charmante interlocutrice à boire une Suze à la terrasse d’un café, ce qu’elle accepta avec empressement pour oublier une rupture douloureuse. De fil en aiguille, ils se retrouvèrent dans une chambre d’hôtel mièvre, en train d’interpréter la chevauchée fantastique et de jouer la passion physique en technicolor. C’était la journée des révélations. Il quitta sa femme et se retrouva enfin seul et libre d’inventer sa vie et de la raconter par les mots.
 
Le lendemain de cette séparation, euphorique, après son cours de grammaire, il attaqua plein d’allant, persuadé d’avoir trouvé la bonne formule, un nouveau roman sur les affres de l’écriture et les délires des sens d’une génération perdue d’artistes. Au fond de lui, il était intimement convaincu qu’un créateur ne pouvait vivre qu’en marge de la société, voire banni par elle, que c’est dans ses dérèglements qu’il puisait l’essentiel de son inspiration. Lord Byron, Baudelaire, Socrate, Malraux, Henry Miller étaient tous cocaïnomanes, homosexuels, pornographes et alcooliques, il allait donc se donner à sa liaison avec concupiscence et trouver ainsi cette inspiration qui le mènerait au génie. Tous les mercredis après-midi, il retrouva sa partenaire dans ce même hôtel et accomplit le parcours d’une initiation sexuelle qu’il avait ratée à son adolescence, y trouvant un réel plaisir, inventant les formes modernes de sa plongée dans le monde du vice et du stupre. Il la fouetta avec un martinet, la sodomisa avec divers légumes, lui éjacula sur le visage, lui fit subir toutes les avanies que son cerveau enfiévré imaginait, ce qu’elle sembla apprécier jusqu’à sa rencontre avec un bellâtre qui avait l’avantage bien concret d’une Maserati rouge vif sur le talent potentiel de son écrivain maudit. Elle le quitta sans états d’âme au moment où plus que jamais il avait besoin de sa source d’inspiration. Son livre vacilla sur son socle, tempête dans son cerveau, et ce ne sont pas les images pornos glanées sur Internet qui pouvaient étancher sa soif d’émotions indispensable à la bonne marche de son roman.
 
Il s’acharna pourtant, tapant comme un forcené sur ce clavier obsédant, les touches massacrées sous ses doigts gourds exsudaient des signes qui se combinaient pour former des mots. Les mots s’enchâssaient et composaient des phrases pour déboucher sur des paragraphes en une progression toujours trop lente, laborieuse. Chaque séance de travail le martyrisait, lui infligeait mille tortures, fer rouge dans son esprit, chaîne qui l’entravait et l’empêchait de prendre son essor. Il souffrait dans sa chair et son immense douleur se transmuta en une tendinite féroce qui lui rongeait l’épaule et paralysait le bras droit.
Il ne s’en aperçut point au début. La position de frappe sur un clavier d’ordinateur implique de reposer ses avant-bras sur le rebord de la table de travail. Dans la tension extrême qui l’emportait, quand il se retrouvait à vouloir précéder sa pensée, ses bras se dressaient, dansant furieusement une gigue, inventant des signaux de sémaphore, commentant l’action décrite en arabesques qui au fil du temps lui provoquèrent cette irritation des tissus de l’épaule interne et une bursite aiguë dont il ne voulut pas s’occuper, la souffrance venant à point nommé remplacer la frustration sexuelle due à la défection de sa partenaire de jeux érotiques. Il s’acharna donc, de plus en plus atteint d’une paralysie du bras qui l’obligeait à travailler en suant sang et eau pour accoucher de quelques phrases dont il lui apparaissait bien que leur sens profond s’évanouissait dans le brouillard qui envahissait son cerveau.
 
Sa douleur désormais permanente l’empêchait de dormir, il ne mangeait plus, délaissait ses cours, s’habillant à la hâte, racontant des sornettes et maudissant son entourage, la Terre et tous ceux qui entravaient le bon aboutissement d’une œuvre qu’il se savait être apte à accoucher. Même Dieu ne trouvait plus grâce à ses yeux, il le vouait aux gémonies, buvant plus que de raison et atteignant enfin cet état de délabrement qu’il avait si longtemps espéré pour écrire l’hymne qui le consacrerait. Il entama une dernière nouvelle.
Un lundi de Pâques, on le retrouva dans la cour du collège en train de brûler l’ensemble de son œuvre. Quarante années d’écriture qui s’envolaient en fines pellicules noirâtres, dansant dans le soleil couchant comme des papillons blessés, dégageant une odeur âcre d’encre carbonisée, et lui, noir de suie, dansait en tournant autour du foyer, hurlant des borborygmes, agitant ses grands bras d’épouvantail.
Plus de cinquante cartons d’archives recensés par année et par thème gisaient comme des cadavres, le ventre ouvert, les dossiers et les sous-chemises soigneusement annotés dégorgeant sur le macadam. Par poignées, il se saisissait des feuilles écrites à la main, dactylographiées, photocopiées pour les projeter dans le brasier qui étincelait, faisant jaillir des poussières d’or sinuant vers le ciel.
C’est alors qu’on le fit placer en centre psychiatrique pour une cure de sommeil. Il y est encore et dessine de beaux dessins avec des feutres de couleurs. Il est gentil avec le personnel, mais quand il voit un livre, il tombe en catatonie, se met à baver et des larmes ruissellent sur son visage.
 

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