Le Festival du Film de Cannes (5)
Dernier sprint ! Ouf ! Le ras le bol s’installe, un peu plus tôt que d’habitude, peut-être à cause de la qualité moyenne générale, du manque d’audace et de surprises. Je me suis promis de me rattraper sur le week-end… mais je n’en suis même pas sûr ! Alors, on courbe les épaules, entre deux rendez-vous au bureau, une visite chez lez dentiste et ma recherche de tickets ( un grand merci à Ginou, ma pourvoyeuse officielle !), le temps s’écoule trop vite.
Vendredi 25 mai
17h. Tout est pardonné. (France). Mia Hansen-Love.
Un film à la Française. Ce qui aurait pu être une belle histoire, un père drogué largué par sa femme qui emmène sa fille en Amérique du Sud et qui la retrouve 11 ans après, s’échoue largement sur les écueils de la direction d’acteurs. Le jeu stéréotypé de l’acteur principal empêche toute adhésion. Un film bancal et fagoté. Tant pis !
22h30. Smiley Face (USA) Gregg Araki.
Tous les films américains ne sont pas forcément bons. C’est à se demander comment il a pu être sélectionné ! Une grosse daube, mal tournée, mal interprétée, insipide et sans saveur ! Les émois d’une blondasse à gifler, « stone » en permanence et qui se fait chier en nous emmerdant !
Pour être honnête, je n’ai tenu que 40 minutes !
Samedi 26 mai.
9 h. Cartouches Gauloises. (France) Medhi Charef.
Enfin un coup de cœur ! Les dernières heures d’une Algérie Française vu au prisme de l’amitié d’enfants blancs et arabes. Tout les sépare, sauf justement cette capacité de gommer les frontières et d’oublier les différences et tout en s’interpellant avec les mots durs des parents, de vivre la réalité des sentiments, la construction d’une cabane, les parties de foot où plus rien ne compte. La grande histoire est en train de se dérouler avec ses drames de chaque côté, ses incompréhensions et l’horreur qui guette. Superbement filmé et interprété, avec un réalisme étonnant et une justesse de ton évitant tout manichéisme, ce film devrait être projeté dans toutes les écoles comme un témoignage définitif d’une guerre sans nom et des drames de l’incompréhension mutuelle ! Une bien belle leçon sur un pan de notre histoire trop longtemps remisé dans les non-dits de notre mémoire collective ! Mais avant tout un magnifique film !
17h. La nuit nous appartient. (USA). James Gray.
Robert Duval, Marc Wahlberg, Joaquim Phoenix… Distribution de choc pour un polar efficace. Un excellent scénario basé sur une famille de flics dont un des fils trahit les idéaux et tient une boîte de nuit pour des Russes. Confronté à un trafic de drogue, il va se retrouver au beau milieu d’une guerre de gang et devra choisir son camp entre les policiers et les truands. C’est un film de facture classique, un vrai film de cinéma qui se laisse regarder avec beaucoup de plaisir, où l’action est continue, le suspense à son comble. Ne vous inquiétez pas, vous le verrez prochainement un dimanche soir sur TF1 !
Petite histoire de Festival. Hartmut R, mon pote de l’université, cinéphile germain acharné campe depuis des années chez nous pour la durée du Festival en un rituel d’amitié. Pour ses 60 ans, (le 25 mai) correspondant aux 60 ans du FIF, et pour fêter un évènement littéraire dont je vous parlerai prochainement, j’opte pour allier aux grandes causes les grands effets ! Un château Margaux 1981 pieusement conservé depuis que Christian F. me l’avait offert afin de fêter l’élection de Mitterrand. Imaginez ! Un pinard à près de 1000€ la bouteille, dégusté dans mon jardin par 12 soiffards qui s’écroulent devant la sensualité d’un vin de légende, sa robe son panache… car il s’agit bien de cela, sans snobisme ; un très grand vin nous a permis ce soir-là de communier avec les Dieux, nous sommes devenus des géants par la grâce de quelques gouttes d’un nectar issu de la nuit des temps. La tête de Hartmut ! Le cinéma s’est effacé ce soir là devant le rite d’un partage pendant lequel les bacchanales s’étaient invitées au banquet de l’amitié. Vive le vin ! Et dans la foulée, une dernière séance de projection annoncée « très spéciale » au théâtre de la Licorne.
23h30. A l’intérieur. (France). Julien Maury et Alexandre Bustillo.
Béatrice Dalle en femme démon acharnée à kidnapper l’enfant d’une femme enceinte…en l’extirpant avec des ciseaux du corps de sa mère ! Cela, c’est le peach ! Bon, c’est que le début parce que si la future mère désirait le calme et la solitude en ce jour de réveillon… cela n’a pas été vraiment concluant ! 3 flics, un délinquant, un rédacteur en chef, la mère de la future mère… ils vont tous y passer à coup de ciseaux, de bombes à gaz enflammées, d’aiguilles à tricoter, de revolvers, de tout ce qui est possible d’enfoncer dans un corps humains dans des effets d’un réalisme effrayants, à donner des cauchemars pour toute la nuit (c’est ce qui m’est arrivé !). La maison finit rouge sang. Les réalisateurs s’en donnent à cœur joie en en rajoutant sans arrêt dans un gore de plus en plus hallucinant. La nuit des morts vivants est un enfantillage à côté, Massacre à la tronçonneuse, une aimable plaisanterie ! Des cris fusent dans la salle, des rires nerveux, des gens sortent en hurlant… Grand Guignol, nous voilà ! La gerbe au bord des lèvres, il faut reconnaître le talent des réalisateurs qui ne se sont pas dissimulés derrière le genre mais ont réalisé un vrai film de cinéma, magnifiquement dirigé et sans temps morts… quoique les morts, il n’en manquait pas ce soir-là sur l’écran de nos terreurs.
Dimanche 27 mai. 21h.
Voilà. Clap de fin. C’est l’heure du palmarès. On échafaude toutes les combinaisons possibles mais on sait que toute façon on sera pris à contre-pied. Surprise ! Exit les Cohen et leur tueur sanguinaire, le Wong Kar Waï et son baiser de feu, Tarantino et sa jubilation. La palme d’or va au Roumain dont j’ai dit le plus grand bien… même si cela me semble un peu forcée. Encore une fois, le prix ne va pas réconcilier le grand public avec le cinéma. Sinon mention bien pour le Turco Allemand, pour Persépolis, pour Gus Van Sant… Je n’ai pas vu l’interprétation féminine, mais comment rater Norah Jones ? Pour L’interprétation masculine, je pouffe de rire devant l’acteur du Bannissement. Il me manque aussi un petit prix pour Le souffle de Kim Ki Duk. Allez, c’est comme d’habitude, dans un peu plus d’une semaine, tout cela aura disparu et il ne restera que les traces de quelques mains sur le parvis du Palais pour nous rappeler que le cinéma règne en maître pendant l’espace de quelques jours du moi de Mai. Rendez-vous donc l’an prochain et en attendant sur mon blog pour de nouvelles aventures !
le Festival Du Film de Cannes (4)
le Festival Du Film de Cannes (3)
Le festival du film de Cannes (2)
Le festival du film de Cannes (1)
Bastia for ever
J'ai décidé de faire une retraite à Bastia. L'ambiance monacale de cette ville, le recueillement qui sied à une fonction de président, la recherche du temps retrouvé, enfin, vous me connaissez...
Etre appelé au téléphone par François Berlinghi est toujours un plaisir. Outre que c’est mon ami depuis les années fac…( vous savez, cette période qu’il faut effacer de nos mémoires de vieux soixante-huitard et dont il faut gommer toutes traces !), Il me propose le bougre, de m’inviter à un festival de théâtre afin d’effectuer une « expertise » et de voir si les potions miracles existent pour transfuser
Quand on agite un chiffon rouge à tête de Maure devant mes yeux, je fonce et j’ai inpetto fait mes valises et débarqué sur l’aéroport de Bastia-Poretta le mercredi 9 mai à 21h20 pour un spectacle qui commençait à 21h15.
Ah ! Alfred De Musset, si tu savais quelles tortures on fait subir à ton texte, en ton nom dans l’Île de Beauté ? Francis Marcantei (leader du Tavagna club, un autre ami de ces années de soufre) a effectué une traduction intégrale avec un dispositif de surtitrage (en français) visible sur des écrans plats sur les côtés, dispositif de salle en bifrontal. Nous voilà plongés dans un texte savoureux à la lecture qui chante aux oreilles de sonorités latines. L’effet est bizarre, un rien schizophrénique, comme si la musique des vers de Musset se trouvait surchargée de connotations exotiques, entre un italien légèrement guttural et quelques expressions françaises.
Le dispositif scénique et remarquable, les décors et lumières soignés, et ô surprise !, les acteurs excellents qui tendent une passerelle entre ses deux langues dont une a disparu dans les surplis de la traduction et l’autre renvoie à un territoire impossible. Le héros (un peu trop carré de visage à mon goût !) est superbe, joue juste et campe un Lurenzacciu torturé et bourré d’énergie devant un Duc de Médicis à la beauté du diable !
Jean-Pierre Lanfranchi, le metteur en scène, réussit la performance de conserver toute la magie et l’ambiguïté d’un texte, mieux, revitalise un théâtre patrimoine en lui donnant une résonnance contemporaine. En effet, la perte de son innocence et le meurtre sacrificiel sonnent en écho de cette société corse qui vacille aux portes du terrorisme. Réflexion profonde sur sa culture, appropriation de sa langue, qualité réelle de la mise en œuvre… tout cela pour jouer devant une poignée de spectateurs un nombre réduit de représentations… parfois le théâtre est cruel pour ceux qui s’y consacrent jusqu’à la déraison.
Jeudi 10 mai 19h I Zinzi (les oursins)
Rien à dire sur ces amateurs. Ils sont jeunes et sympathiques, le talent viendra peut-être ! Il faut dire que le style (l’improvisation !) est cruel et ambitieux et que ne se frotte pas qui veut à la magie d’un verbe libéré de toute attache.
21h Compagnie Hélios Perdita. Désir
Provoquer autour du thème du désir dans une forme agressive n’était pas le moindre des challenges d’une compagnie précédée d’une flatteuse réputation… en Corse. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils se sont donnés avec générosité. Pourtant, Désir fait partie de ces pièces que l’on a envie d’aimer et que l’on est triste de critiquer. Un début raté dans l’hyper-tension, des moments forts pas assez poussés, un bricolage évident sur des détails, un manque de rigueur général mais en même temps une vraie démarche, une qualité évidente du couple d’acteurs, un thème fort illustré par des textes et des saynètes au signifiant chargés de symboles. Une troupe à faire parler, à donner le désir d’intervenir et de remettre de l’ordre dans le chaos. A revoir et peuvent mieux faire !
Vendredi 11 mai 19 h. Théâtre Neneka. Contes fantastiques. De Guy de Maupassant.
Commande du Festival, sous forme de lecture, une mise en bouche autour d’un auteur à
Attention chefd’œuvre. (Bien que je ne sois pas venu pour cela, je décide tout de suite de les programmer à l’automne 2008. Il vous faudra attendre chers amis lecteurs. Ils auront ainsi le temps de revoir certains détails, d’y rajouter au moins deux textes pour arriver à 1h15 et de décoller des écrits afin de se libérer des feuilles éparses occultant très partiellement leur talent !)
21h Compagnie I Chjachjaroni. Le roi se meurt. Ionesco
Attention danger. Ionesco, une troupe de Porto-Vecchio, I chjacharoni… Après cet authentique moment de grâce avec Maupassant, le choc semblait rude, d’autant plus que j’avais en tête encore Michel Bouquet accueilli à Cannes dans cette même pièce, quelques mois seulement auparavant. Le décor se décline en noir et blanc, un peu bricolé mais avec gout, les costumes sont particulièrement soignés toujours sur le thème du noir et blanc, seul le roi agonisant est en rouge vif. Des maquillages surchargent les traits et les corps des cinq personnages qui entourent le roi dont le visage va se craqueler sous une couche de fard grisâtre. Les mots coulent avec élégance, les situations sont claires, l’absurde règne en maître dans un délire totalement contrôlé, les acteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes à l’exemple de cette servante sans âge ou de la reine mère cinglante. Tout est parfait avec une réserve sur un des interprètes (le docteur). On suit avec passion ce monde inventé si vrai, en écho de nos propres peurs et des soubresauts d’une planète qui étouffe. On compatit, on sourit, on a de la peine et du rire, c’est du vrai théâtre pour aimer la vie et quand le roi se meurt et que sa couronne par le plus beau et simple des effets se retrouve à terre, on est triste car les lumières se rallument, nous ôtant le plaisir de l’intemporalité que procure cet art de la scène quand il se conjugue avec la perfection ! C’est Jean-François Perrone qui dirige la troupe, retenez ce nom, même si vous n’en entendrez peut-être jamais parler, il mérite l’estime de tous ceux qui sont capables de penser que les mots et le jeu d’acteur valent bien une parcelle d’éternité !
Samedi 12 mai 16h. Compagnie Thé à trois.
Que dire ? Pas grand-chose ! Alors nonobstant une actrice de tempérament, la démarche « nouveau théâtre » d’une création encore fragile, nous attendrons de les revoir dans de meilleures dispositions.
19h. U Teatrinu. A scusa di Pasquale Paoli.
C’était l’heure tant attendue de ceux qui pensent que Guy Cimino a du talent… et nous sommes nombreux à le penser ! Homme à tout faire du renouveau de la culture corse, il a été de toutes les campagnes, a fait irruption dans le monde de la télé avec des émissions parodiques (
Le décor, un asile d’aliénés version 19ème siècle, une baignoire trône au sommet d’un édifice de bois, des fous entrent et occupent l’espace. Le directeur explique alors qu’il fait jouer une pièce qu’il a écrite sur Pascal Paoli, le héros des indépendantistes pour calmer les fous ! Cela ne vous rappelle rien ? Peter Brook, L’assassinat de Jean-Paul Marat joué par les aliénés de Charenton sous la direction du marquis de Sade, un film culte, une pièce trop rare des années soixante-dix !
La filiation est assumée, le phrasé est en corse, le texte en français projeté sur un écran en arrière-plan, en même temps qu’une iconographie très riche et une reprise de scènes qui se déroulent simultanément sur le plateau. La pièce dans la pièce avance alors dans les aléas des interventions des fous vers son dénouement. Au-delà de la performance réelle des acteurs, c’est l’intelligence du propos qui séduit. Voilà donc un Pascal Paoli bien loin du bandit sarde, slalomant dans les salons londoniens pour les beaux yeux d’une damoiselle, combattant de la liberté reçu en triomphe à l’Assemblée Nationale révolutionnaire par Robespierre, inspirateur d’une constitution démocratique dont les Etats-Unis s’inspireront… Un Paoli ambigu, loin de la caricature, renvoyant à l’absurdité du jusqu’auboutisme, la pièce se terminant sur la reconstitution du carnage de la bataille de Ponte Novu où les Français écrasèrent les révoltés Corse dans un bain de sang absurde où les patriotes eurent leur part de sang inutile !
Un opéra moderne, (un quatuor intervient en contrepoint) une preuve de plus de la vitalité de ce théâtre mais aussi de son inventivité et de sa volonté de chercher un sens en creusant sous les poncifs d’une pensée unique.
Merci Guy Cimino pour ce travail rigoureux et intense !
Voilà donc un séjour éclair qui s’achève. Arrivé sur la pointe des pieds, par plaisir et volonté de faire plaisir, j’ai pris dans la gueule, quatre pièces de toute beauté (dont deux qui viendront sur Cannes !), j’ai parlé de culture et de théâtre comme je ne l’avais plus fait en collectif depuis des années, j’ai senti l’air vivifiant d’une Corse qui bouge sans se trémousser, un air de fête pour des jours de campagne !
Choc frontal démontrant à l’évidence la richesse et la vitalité d’un théâtre coincé dans une île grande comme un mouchoir de poche. Je connaissais la densité des propositions musicales et sa diversité. Des I Muvrini à A Filetta, de Petru Guelfucci à Poletti et le chœur de Sartène, etc. Je n’osais penser que dans le théâtre, la même richesse, la même force de propositions soient présentes. Comment imaginer une telle qualité dans l’exigence, un tel souci du détail et surtout un tel niveau dans l’interprétation. Des acteurs qui jouent juste, avec des gueules, des voix, des attitudes qui montrent à l’évidence leur professionnalisme, pouvant passer comme Julien Petri de Lorenzaccio au roi de Ionesco en réinventant son personnage et en donnant à voir au public les multiples facettes d’un authentique talent. La servante de Ionesco tenant toute la pièce un personnage de petite vieille exsangue, torturée, qui s’avère être une jeune et jolie Corse de 20 ans !
Corse troublante et magique, terre de contraste, où les passions s’exacerbent de murir au soleil, peuplée de gens intelligents et cultivés côtoyant le vide et les tensions, partagée entre le beau et le sordide, le cruel et l’absence. Une poignée de spectateurs (mais qui oserait jeter la pierre àcelui qui connaît les difficultés d’attirer le public ?), un certain amateurisme dans l’organisation (mais est-ce le plus important ?). Et puis, l’expérience s’acquiert sans problème, il suffit de faire, de tracer son chemin, au service d’une noble cause, sans trop se prendre la tête… à l’image de Jean-Pierre Lanfranchi, le directeur du festival, metteur en scène et acteur, homme de consensus qui fédère autour de lui « ceux qui marchent debout », dans la bonne humeur et l'humilité de ceux qui sont de vrais grands.
Alors longue vie au théâtre corse, santé pour Lanfranchi, Berlinghi, Marcanteï, Cimino, Alix, Peronne et tous les autres, ceux qui nous ont offert un peu de leur talent pour rêver d’un monde meilleur, plus ouvert, plus tolérant !
PS : vous aurez noté la remarquable sobriété de mes comptes-rendus concernant les nuits insulaires. C'est vrai qu'il y a une vie avant les spectacles (les parties de rami avec Christian et Malou), et après les spectacles (les repas-débats arrosés avec la bande d'organisateurs et de sémillantes bénévoles du festival !)... mais bon, je sais que tout cela ne vous intéresse que fort modérément, alors j'ai zappé, vous laissant sur votre faim et moi en train de cuver ! !