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Les barbares de la Méditerranée

Publié le par Bernard Oheix

Vous ne pouviez couper à un compte-rendu sur la Transmed. Le voici donc, agrémenté de quelques photos. J'espère que cela vous fera saliver. Je suis presque devenu un marin au long cours...
 
Au départ, Dieu créa la terre... et puis la mer en pensant en nous !
Un équipage de choc se constitue quand Philippe C, mon ami de 35 ans me propose de partir à l'horizon afin de vérifier si la terre est ronde ! Nous recrutons Hervé C et le dimanche 3 juin, sous les regards de nos épouses éplorées, nous larguons les amarres, hissons la grand voile et cinglons vers la ligne d'azur qui plonge vers l'inconnu ! Car des inconnues, il y en a dans cette Transmed des Passionnés qui nous mènera de Saint-Raphaël à Hammamet en passant par la Corse et la Sardaigne.
 
Que je vous présente l'équipage.
Il y a, Philippe C... alias Captain Fifi, seul maître à bord, fin connaisseur de la mer dont un des défauts, il faut l'avouer, est de refuser de se plier aux diktats des éléments, de considérer que la technique est au service de l'homme (et non l'inverse !) et que de toutes les façons, le voilier est une affaire de courage et qu'on est là pour s'éclater, non mais ! Au demeurant, un homme, secret et mystérieux, attachant même s'il ne dévoile rien de sa nature profonde. Promoteur immobilier atypique, actif et passionné survivor de la crise de la fin des années 90, honnête parmi les requins, petit parmi les grands, grand dans ce monde de nains... c'est mon pote quoi ! On ne se connaît que depuis l'université, notre première rencontre datant de 1970. C'est un des êtres les plus brillants et des plus cultivés que le sort m'ait permis de croiser et notre amitié a perduré à toutes les vicissitudes d'une vie de labeur et d'éloignement. Pour l'anecdote, on joue une grille de loto (la même !) depuis 1980 et nous serons millionnaires ensemble ! En attendant, il a décidé de s'acheter son bateau et merde à Vauban !
Il y a Hervé C...alias Maître Queue Hervé. Lui je ne le connais que depuis 1971. Hervé est un cas. Vous avez toujours l'impression qu'il se moque de vous, qu'il comprend qu'à moitié et que de toute façon, il se fout de tout ! Bon, si on creuse un peu (pas beaucoup), on s'aperçoit qu'il est sensible, une vraie fleur bleue, qu'il a un coeur comme les autres et un cerveau plus développé que la moyenne des gens. Lecteur émérite, sensible, cultivé, passionnant... il n'a qu'un défaut, il ne connaît rien à la voile, ce qui est parfois gênant sur un bateau. Son recrutement est intervenu car c'est un cordon bleu hors pairs, un pêcheur talentueux et que nous avions le secret espoir qu'il devienne notre esclave sexuel pour les longues nuits de veille d'un bateau ivre ! Bon, cela a échoué pour le dernier point mais pour le reste, il a été à la hauteur de sa réputation !
Et puis, votre serviteur?Bernard O...dit Force Brutale, celui qui est chargé des basses besognes et dont on apprécie le cocktail subtil de robustesse physique conjuguée à une finesse intellectuelle particulièrement vive ! Au début, Captain Fifi a bien tenté de lui inculquer les rudiments de la voile mais, il faut l'avouer, assez rapidement, « étarque la drisse de bôme » s'est transformé en « tire sur la ficelle rouge avec les points noirs » seul langage à sa portée et espérance qu'il puisse accomplir sa mission sans trop de casse. J'avais aussi la redoutable responsabilité de lever l'ancre, de nettoyer le bateau et de faire la vaisselle, c'est dire l'importance des tâches qui étaient confiées à Force Brutale !
 
Qui dit équipage seyant, dit navire pimpant. 38,5 pieds (environ 12 mètres), un mat (très haut), une coque (longue et effilée), deux voiles (qui ont tendances à faseyer), 3 cabines(petites), un carré(avec un coin cuisine, une douche et des toilettes, teinte couleur bois, panneaux en arrondis, poignées rutilantes... redessinés par Stark, banquettes bleues azur). En outre, de partout, on trouve pleins de cordes qui trainent, des protubérances brillantes, des bitoniaux infâmes pour les doigts de pieds, des objets bizarres uniquement présents pour vous torturer. D'après les on-dit, il (notre voilier) serait taillé pour les régates et la course au loin, aurait traversé plusieurs fois l'Atlantique, se caractériserait par un caractère fougueux, une capacité à remonter au vent ! Vous avez compris qu'une Formule Un de la mer nécessite une attention toute particulière et que l'objectif affiché de Captain Fifi était de foncer sur la mer avec notre nef au nez et à la barbe de tous les régatiers prêts à en découdre aves le Romulus et ses pirates de la Méditerranée.
 
Le voyage. Un aller simple vers le Paradis.
 
Dimanche 3 juin/Lundi 4 juin : St-Raphaël-Baie de Sagone : 125 miles. 24 heures.
 Première spéciale de 15 miles au démarrage. Nous finissons 5ème alors que nous avons le plus petit bateau. Tout le monde remarque notre dextérité (!!). Nous nous installons pour la nuit. Mer un peu grosse. Vaseux, l'équipage laisse au capitaine le soin d'assurer. Mon quart de nuit (24h-2h) est très long. Il n'y a plus de vent et je demande au Captain s'il faut mettre le moteur. Il me répond que le vent se lèvera bien assez tôt (sic) et se rendors. La « pétiole » s'installe et je regarde le noir d'une étrave encalminée. Mon quart se transforme en assoupissement. J'ai honte mais je me suis endormi à la barre jusqu'à 3h30. Je suis gelé au réveil. Philippe qui me succède se fait accompagner par un rorqual de 8 mètres qui joue avec le Romulus. Moi, je récupère de mon sommeil pendant ma garde !
Mardi 5 juin/mercredi 6 juin : Baie de Sagone/ Alghero 110 miles
Tout dérape. Une panne de répartiteur (on ne le saura qu'après) met en l'air la batterie, nous fait perdre le GPS, nous empêche de mettre le pilote automatique... mais je dors et ne m'en aperçoit pas. Captain Fifi fait un long quart de minuit à 6 heures et quand je me révaille frais et dispos, il me donne la barre, règle le moteur et va s'écrouler sur sa paillasse !
On arrive à Alghero vers 11 heures, le réparateur nous arrange le « répartiteur » et le soir repas succulent au « Pavone ». La vie est très dure pour les marins perdus !!
Jeudi 7 juin : Alghero/Aristano : 45 miles
Une colonie de dauphins nous adoptent et fait route de concert avec nous. Ils ont de bonnes tête et je reconnais Flipper parmi eux. Ancré en baie. Ruines d?une ville romaine que nous visitons grâce à l'annexe que je guide d'une main experte. Cadre somptueux d'un cap magnifique  Nuit douce, température idéale. Mer chaude... ça y est, on est sous les tropiques !
Vendredi 8 juin. Aristano/Carlo-Forte 50 miles.
Un bon vent nous permet d'avancer à 7-8 noeuds dans une mer tendue. Enfin de la vraie voile pour notre soif d'aventures C'est génial. Un espadon de 1 mètre vient se suicider sur la traîne d'Hervé. Nous sommes en train de créer notre légende et d'écrire quelques pages d'or de la marine nationale.
Samedi 9 juin. Journée à quai. On se réapprovisionne en eau, électricité, carburants, fruits frais pour lutter contre le scorbut (!!). Je brique le Romulus qui resplendit au soleil, nous observons les indigènes et leurs coutumes ancestrales en consommant notre espadon à la tahitienne (filets fins cuits dans le jus de citron avec petits oignons.. miam-miam !) Les femmes sont belles, la petite trattoria, où nous mangeons le soir, fabuleuse.
Dimanche 10 juin/lundi 11 juin/mardi 12 juin. Carlo Forte/Hammamet. 240 miles
47 heures perdues au milieu de nulle part. La mer chaude et le grondement de notre moteur de 30CV. Pas de vent mais du soleil. On paresse, farniente en attendant la nuit. Mon quart du dimanche (2h-4h) avec Les Pink-Floyd, Placébo, Archive et autres Muse dans les oreilles, dans la nuit sereine, les étoiles et la mer noire, est un moment de bonheur absolu, de vertige total : c'est comme si j'avais fumé un joint !! Le lendemain nous nous faisons tirer par le bateau avec une corde à noeuds en pleine mer. La 2ème nuit est cauchemardesque. Nous sommes au près d'un rail où d'immenses paquebots tracent à plus de 20 noeuds un sillage d'enfer. La nuit, vous perdez complètement toutes perspectives, les distances s'abolissent, les directions se confondent. Au large du Cap Bon, je perd pieds et appelle Captain Fifi à la rescousse quand un pêcheur nous fonce dessus. Il se retrouve en slip, en pleine nuit, accroché à la barre en train d'effectuer un 360° salvateur. Je suis peut-être Force Brutale mais il me manque manifestement encore un peu de cette science de la mer qui a forgée les grands héros de notre jeunesse. C'est pas bien grave, j'admets que je ne serai jamais un marin de légende, un équipier attentif peut-être...quoique, même cela !
 
Ainsi donc, après un dernier passage à la voile au large des somptueuses côtes Tunisiennes, nous débarquons à Hammamet le mardi 12 juin à 13h30. Satisfaction du devoir accompli. Un peu de fierté même ! Le voyage fut exaltant, merveilleux sublime et on manque de qualificatifs pour décrire ces dix jours de navigation !
 Deux jours à Hammamet (Ah, les barbiers de Tunisie !) et 2 jours à Tunis avec une gargote à la Goulette où nous ripaillâmes de fruits de mer en buvant du pastis et déjà le retour.
Il restera de tout cela, des monceaux d'images, des tonnes de rires, des moments chargés d'émotions brutes, des heures de rêves, une communion entre cet équipage de pieds cassés et la nature bienveillante, un temps qui échappe à l'usure et à l'ennui... et plein d'autres choses encore !
Pour la petite histoire, l'équipage dont j'étais le plus jeune (et de loin !), était composé de deux cancers et d'une hyper-thyroïdie, de trois potes dans un bateau, d'un siècle d'amitié cumulée et ce n'est pas l'exiguïté du voilier qui pouvait mettre en péril cette amitié. Pas une seconde, pas un instant, une tension quelconque n'a pu se faire sentir... et pour ceux qui connaissent la mer, c'est un vrai signe ! Le bonheur n'était pas dans le pré mais sur la grande bleue.
 
PS : je ne me suis pas trop étendu sur le voyage. Nommé scribe du journal de bord à l'unanimité moins ma voix, je le publierai dans ce blog... mais il est  resté en Tunisie et ne reviendra qu'en aout sur nos rivages. Je le mettrai en ligne à son retour dans sa version originale. Bonne âme s'abstenir !
 

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