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Mon destin

Publié le par Bernard Oheix

Cela faisait un petit moment que je ne vous avais point offert une de ces nouvelles que j'aime, de celles qui puisent leur inspiration dans ces failles qui m'inspirent, dans le décalage entre la réalité et sa perception... Vous verrez, on est au coeur du sujet !

 
A Erwan Bonthonneau, mon complice en écriture.
 
 
 Entre les certitudes et les croyances, il y a un chemin de traverse, une passerelle si ténue que nombre d’entre vous ne la percevront jamais, qui peut vous mener de la nuit à la clarté, un guide vous autorisant à plonger du rationnel vers le monde fantastique. Cette faille, si vous n’êtes pas prêts à l’intégrer dans votre vie, alors fermez ce livre, arrêtez de lire, vaquez à vos occupations et cessez de vous interroger pour vous contenter de regarder le temps s’écouler et vous rapprocher toujours plus de votre destin : une mort au travail, inéluctable et si précoce. Mais si vous êtes prêts à l’emprunter, s’il y a suffisamment de folie dans vos gènes, alors continuons ensemble, je sais que vous comprendrez mon histoire, qu’elle vous touchera dans votre conscience, qu’elle réveillera des souvenirs si anciens cachés dans votre propre vécu.
Moi, j’ai su deviner l’avenir, ma mémoire au passé portait mon devenir et je sais d’ores et déjà dompter les vagues montantes qui inscrivent en lettres de feu ce qui doit advenir, ce qui va m’arriver…et ce que j’entrevois ne me plait pas, me fait peur, me donne la nausée, mais c’est ainsi, je dois l’accepter. Je me plie à cette logique même si mon corps la refuse, même si ma tête résonne des hurlements engendrés par la terreur née de cette vision si claire, si évidente, qu’il n’y pas d’alternative et que je ne peux qu’être passif. Je n’ai pas envie de clore ce chapitre, je veux encore en écrire quelques pages.
 
Comment vous expliquer ? On peut imaginer plonger dans les racines d’un irrationnel de pacotilles, divinations nées d’un don que la nature offre à certains pour en priver la grande majorité, issue de la nuit des temps, vestige de la perte par l’homme de sa part divine, comme une malédiction des dieux envers cet être si imparfait qu’il a créé à son image. Marabout, vaudou, incantations dans les effluves d’essences d’herbes inconnues, absorption de produits divers portant le cerveau vers les rives de la divination, séances soufiques que le rythme obsédant transcende, cœur de poulet et marc de café, rêves aux clefs multiples que l’on décrypte en tentant de percer les mystères de la nuit…
L’homme s’est affranchi de ses liens et a voulu grandir sans regarder autour de lui, comme si, à l’évidence, le temps de la maturité était celui de cette libération de ses peurs les plus secrètes. Il n’a eu de cesse de s’émanciper de la tutelle des dieux pour se confondre avec l’être suprême qui l’entravait et lui ôtait ce libre arbitre auquel il aspirait. C’était ainsi et je ne me posais pas de questions, je vivais au jour le jour quand bien même ma part d’ombre envahissait de leurs ténèbres ce fil qui me reliait à ma réalité.
 
Tout avait commencé le plus banalement du monde. Je faisais mes études, normalement, loin de cette brillance qui caractérisait nombre de mes collègues, attentif à réussir et me placer dans ce grand peloton humain qui, de ma famille vers mes amis, me menait vers une classe d’âge qui nous réunissait pour apprendre, nous gorger de savoir et trouver notre place dans ce troupeau composite d’une humanité en marche vers le troisième millénaire. Tout au plus louait-on ma perspicacité, une capacité innée à m’échapper des sentiers battus pour trouver des solutions originales et arriver au même but que mes congénères sans passer par les passages obligés de cet apprentissage. J’étais au fond, terriblement banal et totalement atypique, définition qui pouvait correspondre à tant d’individus que je réussissais à me fondre dans la masse sans détonner le moins du monde.
C’était sans compter mon horloge biologique, un faisceau convergent de gènes qui s’étaient éveillés à la vie et qui envahissaient mon cerveau, juste quelques ricochets sur l’onde étale de mes sentiments. Rappelez-vous cette expérience que nous avons tous partagée d’un subtil décalage introduisant la sensation de percevoir concrètement ce qui est en train de se dérouler. Cela s’apparente au cinéma, quand l’image se trouble, quand la pellicule saute et qu’elle se dédouble : vous êtes dans l’instant unique du vécu et vous le percevez en surimpression comme si c’était déjà arrivé, comme si vous pouviez relire le monde…et tout recommencer. Chacun à un moment de son existence a pu partager cette sensation et émerger, sonné de cette vague abstraite qui vient percuter vos certitudes en dévoilant un monde souterrain où rien n’est impossible. Ce qui est un accident chez vous, ce qui intervient comme une césure paradoxale de votre rapport au monde était mon quotidien, un état permanent, une façon de vivre, un continuum qui intercalait le passé et le futur en un affrontement permanent que j’ai dû apprendre à dominer pour survivre.
Ma raison vacillait entre les deux pôles de cette tension et j’oscillais sans cesse entre un moi passé et un moi futur, entre celui qui sait ce qui va advenir et celui qui vit l’histoire, entre la divination instinctive et la mémoire écorchée du futur. Le monde n’est pas toujours beau à revivre à l’infini quand vous ne pouvez le transformer et que vous êtes condamné à le subir sans pouvoir le changer. Il est bien là le problème, ne pouvoir influer sur votre destin puisque vous ne relisez qu’à l’infini votre propre histoire, l’impression étrange de comprendre ce qui survient tout en ne pouvant intervenir. J’ai grandi avec cette épine dans l’âme, une écharde qui s’enfonçait toujours plus dans les chairs à vif de mes sens exacerbés. C’était ainsi.
Au fil du temps, cette perception s’est affinée, mes deux personnages, celui qui vivait et celui qui avait déjà vécu les évènements, campaient face à face avec toujours plus de netteté, un intervalle se créant entre ces deux pôles de mon appréhension de la vie. De la vision trouble initiale, je suis passé insensiblement par un jeu de focale inconscient, à la maîtrise absolue de ce processus qui libérait un intervalle et me permettait progressivement d’intervenir sur le déroulement de l’histoire. C’est ainsi que j’ai commencé à transformer la réalité et à apporter des réponses qui modifiaient mon présent.
A l’époque, adolescent, nous jouions avec mes frères et sœurs à un jeu qui faisait fureur dans notre famille. Passionnés de cinéma, nous nous gorgions de films programmés en continu sur les chaînes de télévision et installés sur le canapé, mon frère aîné lançait le chronomètre au clap de départ. Après 20 minutes, je devais donner les clefs du film, les ressorts du scénario, les noms des tueurs et les ingrédients de l’action. Je n’échouais jamais, aucun scénariste, aucun comédien, quelle que soit la qualité du réalisateur ne pouvait me tromper. Leur talent et leur inventivité se brisaient sur ma sagacité, cet instinct qui m’autorisait une lecture à partir des quelques éléments des scènes d’introduction. Au fond, est-ce si différent de l’aptitude d’un autiste à mémoriser les centaines de pages d’un bottin téléphonique, où d’un jongleur mental qui sent les divisions et les multiplications les plus sophistiquées et donne ses réponses plus vite que la machine sensée aider l’homme à se dépasser. J’étais fier au début de ce jeu qui m’auréolait d’une gloire qui sentait le souffre. Il m’était si facile de lire dans le jeu du comédien, dans les hésitations de son regard, dans l’agencement des séquences initiales, dans l’ossature de l’histoire que rien ne pouvait entraver cette lecture instinctive, cet art d’une « devinance » immédiate échappant apparemment à la logique la plus élémentaire.
En grandissant, avec cette culture que j’ingérais par tous les pores d’un cerveau éponge qui s’imprégnait de son environnement et se musclait de tout ce qui se déroulait autour de lui, le jeu a perdu de sa saveur et j’ai mis un frein à cette démonstration vaine de mes ressources cachées. Je commençais à comprendre ce qui se tramait dans les replis de mon subconscient et tentais de le dissimuler, tant cette force qui me portait m’apparaissait comme une source inquiétante d’ennuis qu’il me fallait désormais celer aux yeux des autres.
C’est qu’entre-temps, ces deux êtres qui m’habitaient avaient crû, déployant leurs ailes et prenant chacun une autonomie qui libérait des espaces d’intervention entre eux. Un signe prémonitoire intervint par une après-midi festive, sur le passage piéton qui menait à l’entrée de l’école, effervescence d’un dernier jour consacré à la fête. Un enfant se tenait à mes côtés quand je l’ai vu prendre son élan, j’ai perçu son crâne exploser sur la calandre de cette voiture qui fonçait sur cette avenue urbaine, deux jeunes en fuite après un vol de véhicule que les policiers pourchassaient. J’ai su exactement ce qu’il fallait que je fasse, tendre la main, l’empêcher de bondir, le retenir par le col pendant que le véhicule vrombissait et nous passait devant sans puiser sa cargaison de malheur, de drame et de sang. Une main réflexe, sans doute un geste impulsif qui ne m’a pas totalement éclairé sur ce potentiel qui gisait au fond de moi et ne demandait qu’à s‘épanouir.
 C’est un peu plus tard, dans l’été qui suivit cet incident que je compris toute la force et l’énergie qui couvaient dans mon étrange aptitude à anticiper les événements. J’avais 16 ans et ma nièce se servit un bol de chocolat au lait brûlant. Du haut de ses 8 ans, elle babillait, les vacances s’annonçaient si belles, le cabanon sur la plage de Gruissan résonnait du bonheur des retrouvailles de notre famille et le soleil luisait déjà à l’horizon promettant une de ces journées de vacances idylliques, un vrai bonheur que rien ne devait troubler.
J’ai vu exactement ce qui allait se passer. Mon moi du futur m’a interpellé, il m’a lancé un signal que je ne pouvais ignorer. J’ai perçu son mouvement pour se saisir d’une tartine de pain entraînant le basculement du bol sur sa poitrine, j’ai entendu son cri de terreur et senti l’odeur de sa chair caramélisée. Mon moi du présent n’a eu que deux secondes pour réagir. Ma main s’est glissée à la vitesse de l’éclair et j’ai projeté le bol vers le sol me brûlant au passage, à la stupéfaction de tous les présents. Deux thèses s’affrontèrent, il y avait ceux peu nombreux, qui étaient persuadés que j’avais protégé ma nièce, il y avait aussi ceux qui pensaient que mon geste était gratuit et qui, n’ayant rien appréhendé du drame en train de se tramer, se persuadaient que j’étais bien un danger pour mon environnement. Etrange concours de circonstances, ce don que je possédais bien malgré moi, devenait la source de mes ennuis et le fait de sauver ma nièce entraînait l’opprobre sur ma personne, démontrant à l’évidence ma dangerosité, une faille dans ma personnalité controversée, reflet subtil d’une peur de l’inconnu.
J’ai tenté d’expliquer la situation en pure perte dans le brouhaha et l’agitation qui régnaient. Je suis alors parti me baigner, me faisant rouler par les vagues, transi et tremblant du contrecoup de cette violence qui m’embrasait, incapable de contrôler les pulsions amères qui bouillonnaient dans mon sang. Je savais exactement ce que j’avais vu et je comprenais le prix à payer pour pouvoir intervenir sur les évènements afin de les contrecarrer : je serais toujours si seul devant mon avenir !
 
Je suis entré à l’université, licence de psychologie, maîtrise d’ethnologie sur les rites sacrés dans les civilisations primitives de l’Océanie, thèse sur les alchimistes du Moyen-Age débouchant sur une titularisation à la Sorbonne dans le département de l’histoire des civilisations et de leur rapport au sacré, accumulant un savoir que j’espérais susceptible de pouvoir m’éclairer sur les composantes de ma personnalité secrète. Car depuis longtemps, depuis ce petit déjeuner sur la plage de Gruissan d’un matin ensoleillé d’été, je dissimulais à mon entourage les ressorts profonds qui m’animaient, ces gestes d’outre monde qui surgissaient à l’improviste quand la situation impliquait que je réagisse afin de me préserver ou d’influer directement sur mon entourage.
Il faut dire que la faille s’élargissait entre ma perception du présent et son annonce prémonitoire. J’en arrivais à posséder un capital temps de près de 15 secondes, une éternité dans le cours de la vie, pour transformer la réalité, intervenir sur le déroulement des actes, un laps de temps qui créait un gouffre dans mon rapport à l’autre. Je percevais le plaisir de la femme avant que l’orgasme s’en saisisse, je connaissais les réponses usuelles des commerçants à mes questions, les interrogations de mes étudiants et les tentatives de séduction de mes étudiantes, je naviguais dans mon univers en étant toujours ailleurs, devant, quelque part dans un territoire inconnu où rien ne me raccrochait à mes frères humains. Je taisais tout cela, mais j’inquiétais bien malgré moi et ma solitude était un prix si lourd à payer pour des élans intérieurs cachés.
J’ai aussi profité de la situation. Avant qu’ils m’en interdisent l’entrée, les casinos étaient devenus un terrain d’expérimentation pour cet apprenti sorcier possédant la vision du futur. Sur la plupart des jeux de hasard, le délai dont je disposais n’était pas suffisant pour anticiper les résultats, un mur sombre s’intercalait entre mes mises et le lancement de la boule à la roulette par exemple. Il en était tout autrement à la passe anglaise ou au black-jack, quand la certitude des réponses me permettait toutes les fantaisies et les gains les plus improbables. La police des jeux m’épiait et je les narguais, les provoquant ostensiblement, c’était ma période de révolte contre cette hantise de voir ma grenade interne se dégoupiller pour me sauter à la face. Ils m’ont suivi, filmé, déshabillé, passé au scanner jusqu’à conclure un accord dans lequel les sociétés fermières des casinos entérinaient leurs pertes contre une renonciation définitive à jouer dans leurs établissements. Cet amusement avait trop duré de toute façon et je m’étais lassé de ces suites prévisibles et de ces parties interminables débouchant sur le vide des certitudes.
Dans le monde réel, les opportunités d’utiliser pour le bienfait de l’humanité, un intervalle de temps si long et bref à la fois entre les questions et les réponses ne sont pas légions. Quelques drames domestiques évités, deux ou trois situations où cet avantage concret autorisait des fantaisies d’autant plus ignorées qu’il me fallait taire et dissimuler cette faculté que la nature m’avait léguée et qui semblait se stabiliser autour d’une minute de décalage et ma vie si plate, si conforme au destin des autres se télescopait avec la fracture temporelle qui me rendait unique et si vain.
Deux êtres en un pour un vide sidéral et un don qui semblait si incongru qu’il en devenait fardeau, m’ôtant la capacité de vivre comme le commun des mortels sans offrir de contrepartie conséquente à une faille dans laquelle je m’engloutissais. J’errais dans mes profondeurs inutiles, je sombrais dans les questions existentielles, c’était trop peu et si démesurément inhumain que les réponses au pourquoi de cette faculté m’enfermaient dans un monde feutré de silence, dans l’isolement de mes pensées suicidaires. J’ai survécu pourtant à toutes mes tourmentes et je suis encore là, mais pour combien de temps ?
 
Je me sentais fatigué, sans doute d’avoir vécu deux vies en une, si épuisé que j’avais l’impression fugace de perdre du temps sur mon temps, que ma marge se décalait subtilement en se réduisant insensiblement. Je me suis chronométré et si au début de ces mesures, la fraction de l’anticipation me semblait stable, quelques signes m’alertèrent qui me permettaient de penser que la situation évoluait, que la vague redescendait sur les rives fracturées de mon sablier interne.
 
J’avais quitté l’enseignement par lassitude pour devenir un cadre dynamique jonglant avec les comptes des clients fortunés qui confiaient leur argent à ma banque afin de les faire fructifier en surfant sur les cours des actions fluctuantes. Mon talent caché ne me servait pas à grand chose en l’occurrence, trop de paramètres interférant pour qu’il puisse s’épanouir et être déterminant dans mes choix, si ce n’est qu’il m’avait appris à saisir l’instant en me liant à cet instinct hors norme que j’avais développé pour survivre dans ma jungle. Star du nouveau marché, je gagnais beaucoup d’argent, une monnaie fictive se concrétisant par des revenus tangibles, aberration d’un monde dans lequel les bénéfices de la spéculation généraient une spoliation toujours plus grande de ceux qui travaillaient à l’enrichissement des possédants. Ma villa avec piscine, les voitures de marque, les femmes d’un soir d’une jet-set frelatée étaient le quotidien d’une vie que je sentais s’effilocher. Qu’avais-je fait de mon talent, à quoi bon la possession de ce don ?
Je me souvenais de mes premières terreurs à la découverte de cette différence, de ce sentiment de panique quand il m’était apparu que je pouvais transcrire l’avenir en acte et influer sur le présent. Je me rappelais aussi de mes rêves quand la maîtrise du processus me permettait de me vivre comme un personnage hors du commun, moitié ange, moitié démon, dépositaire d’un savoir oublié que les dieux nous avaient repris en nous affranchissant de leurs liens. Pour en arriver à cette vie si vide de sens, il m’avait fallu tant de reniements, tant de lâcheté que le compte ouvert de mes faillites me rendait totalement débiteur devant ceux qui devraient juger de mes actes, dans ce futur qui m’obsédait.  
 
 C’est sans doute dans le champagne qui coulait à flot, dans l’argent si facilement gagné et si inutilement dépensé, dans cette existence si piètre, que ma foi s’est éteinte et que mon capital temps s’est épuisé. Dans les derniers mois qui se sont écoulés, au fur et à mesure que le sens de ma vie m’échappait, je percevais la vague refluant qui emportait mon talent dans ses rouleaux, disparition progressive de ce qui m’avait si longtemps fait peur mais qui vivait en moi depuis la nuit des temps. Je pense que je n’ai pas assez aimé la vie, que je n’ai pas compris le sens du message qui m’était adressé.
 
Je sors de chez le médecin. Après les examens nombreux, scanner, prise de sang, test d’effort, échographie, je lui ai posé la question fatale de mon mal. J’ai retrouvé mon don, juste une fraction lucide de tout ce que j’avais gaspillé, juste le temps d’anticiper sa réponse que j’ai reçue comme un coup violent. Il n’a pas eu besoin de parler, il m’a regardé et j’ai compris. Cette masse de chair spongieuse qui avait élu domicile si près de la zone de mes exploits, ce furoncle glissé entre mes désirs et mes peines aurait raison de moi, l’évidence s’imposait d’une vie définitive, d’un point d’exclamation qui me conduirait vers le dernier laps de temps en ma possession…et celui-là, impossible de le maîtriser, le contrôler, l’entraver, seulement le subir à un rythme que je ne pouvais estimer.
 
Qu’ai-je fait de ma vie ? Il n’y a sans doute que moi pour savoir combien j’ai perdu au jeu que l’on m’a distribué. Toutes ces cartes étalées qui auraient dû me permettre de vivre entre le présent et le futur s’évanouissent dans ce moment présent dont le germe d’une tumeur au cerveau annonce ma disparition prochaine. Je ne laisse rien, pas d’enfants pour me perpétuer, pas de femmes pour me pleurer, pas d’amis pour chanter ma mémoire, rien que le futur retiendra.
J’étais pourtant celui qui pouvait le dominer, qui aurait dû jongler avec la mémoire du temps.
 
 
 

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Des corses (encore) et des blacks (toujours) !

Publié le par Bernard Oheix

Quelques pérégrinations dans les manifestations alentour et déjà le souffle d'un été brûlant (désolé pour le reste de la France !). C'est la montée en puissance d'une période où les programmes naissent comme des petits pains, où la culture s'enfourne en grandes brassées, où l'on ne sait plus comment gérer un agenda pléthorique ! C'est la dure loi d'un programmateur de choc, avis aux âmes sensibles ! 
 
 
21 juin, Fête de la Musique. Parvis du Palais des festivals.
Joséphine. C’est la voix féminine des Muvrini, une hispanisante installée à la croisée des cultures, entre la polyphonie, la chanson et le Flamenco. Elle a le redoutable privilège d’ouvrir les festivités d’un été qui s’annonce chaud… devant un public fuyant, immaîtrisable, 50 personnes qui se battent en duel, un alcoolique accroché à sa bouteille et la nuit qui tarde à tomber. Bon, elle se lance avec courage, son bassiste insulaire débonnaire la regarde tenter de rameuter le public avec son « caron ». Et puis, sa voix monte, la musique s’impose, les chansons s’enchaînent, elle rayonne de plaisir. Elle a une belle personnalité, une vraie voix et rallie les indécis qui commencent à se regrouper autour de la scène. Elle obtient enfin son succès avec la nuit qui tombe, au moment de sortir du cône de lumière pour laisser la place au groupe vedette ! On la reverra sur Cannes, dans de meilleures conditions, elle le mérite !
Enzo Avitabile e i Bottari.
Napolitain, s’appuyant sur la tradition des « bottari », ces percussionnistes qui tapent sur des futs de bois ((tonneaux de vins) à coups redoublés. Je les avais découverts il y a quelques années, aux Docks du Sud, à Marseille. Un choc, depuis je rêvais de les programmer mais les aléas des calendriers… C’est donc chose faite, et bien faite ! Ceux qui ont assisté à ce concert ne sont pas prêts de l’oublier. Sur une base rythmique impulsée par les « bottari », Enzo développe une musique toute en énergie, ébouriffe les « tarentelles », décape les chants napolitains et assure un show de toute beauté. La foule est conquise depuis longtemps, elle oscille, tangue et suit les musiciens, une section cuivres et cordes qui brode des mélodies énergiques. La voix de Enzo Avitabile est particulière, une voix de basse qui sonne en écho des « bottari » et le spectacle est aussi visuel, dans les costumes, dans les attitudes d’un groupe soudé qui communie avec l’assistance. Un grand concert pour cette fête de la musique dont on se souviendra longtemps !
 
Robin Renucci affiche sa «corsitude» avec constance et humilité. Il œuvre dans son village d’Olmi-Cappella au développement d’une pratique du théâtre qui se situe hors des sentiers rebattus des stages agréés par Jeunesse et Sports. Sur les places des villages, dans des sites aux décors naturels confondants, des textes classiques résonnent et éperonnent le bon sens, portés par des stagiaires qui viennent de la France entière afin de parfaire leur métier et les conditions de la transmission d’un savoir !
Il est le premier ambassadeur de son film « sempre vivu » et anime le débat dans cet esprit des lumières d’un après 68 où la parole était reine. Il joue juste de sa participation, dénonce les tares d’un système aveugle, renvoie à une pratique libérée du corset des conventions, parle d’éducation populaire sans que cela fasse vieux, bien au contraire !
Un vrai bain de jouvence, merci monsieur Renucci ! Reste le film. Autoproduit, réalisé par une équipe corse sous la direction de Robin Renucci, s’inspirant d’un stage d’écriture pour le scénario, puisant dans le vivier de comédiens locaux pour cette farce douce-amère, (on reconnaît mes potes Cimino et Berlinghi), la signature des montagnes sauvages comme cadre de cet attachement à une terre aimée. Le maire d’un village improbable attend de pied ferme le ministre de la culture afin de signer la charte de création d’un théâtre perdu dans les montagnes Corse et meurt d’une crise cardiaque juste avant que l'hélicoptère ne se pose ! C’est la réalité (la première pierre devait être posée le lendemain du débat !), c’est une fiction, une farce qui décrypte la société Corse avec de gros sabots et une tendresse évidente. Le meilleur côtoie l’a peu près, mais la caméra est toujours si proche de l’émotion que l’on a le désir d’adhérer simplement, sans se poser de problèmes. Le fait que le Maire ressuscite, que le chœur des villageoises comparent les mérites d’Antigone ou d’un auteur contemporain, que les deux fils (le nationaliste et le flic) se déchirent pour se retrouver… tout cela n’est que comédie, art de dire son amour pour les gens et sa terre. Merci monsieur Renucci et bientôt à Cannes pour une pièce de théâtre de Florian Zeller (Si tu mourais, le dimanche 17 février 2008. Salle Debussy, dans le cadre de "sortir à Cannes")
 
Roman de gare.
Oui, j’avoue ! Moi qui déteste Lelouch, qui ne supporte plus son cinéma depuis des lustres, j’ai aimé sincèrement son dernier film. Une variation plutôt dépouillée sur le thème du véritable auteur d’une œuvre (les fameux nègres), un Pinon génial, une façon de filmer chaude, une belle histoire où s’imbriquent les thèmes de la création et de la reconnaissance, de l’amour et du désir, du suspense et de l’incertitude. Même si parfois il continue d’en faire un peu trop (les conditions de vie dans la montagne de la famille d’Elle, le dénouement policier !), on passe un vrai bon moment de cinéma. Finalement, Claude Lelouch n’est pas mort…tant mieux !
 
6 et 7 juillet
Les Jardins du Paradis. MJC Picaud.
Traditionnelle clôture de la saison pour la MJC Picaud qui ose cette année une programmation ambitieuse de qualité. Sur le thème des 1001 Afrique, Anne-Marie Bourrouil et son animatrice ont composé deux soirées magnifiques. Le cadre est enchanteur, des jardins ombragés, des stands d’associations engagées dans la lutte contre l’exclusion. Cela fleure la France ouverte, tolérante et généreuse. On peut manger un Yassa ou un Tadjin, boire du punch au gingembre et boire le thé sous la tente accueillante de l’inénarrable et passionnée Laïla. Notre ami Basile anime les intermèdes et avec son talent naturel, dit un mot pour chacun, présente les associations et introduit les groupes qui vont se succéder.
6 juillet.
Tarik. Un personnage attachant que j’ai déjà programmé deux fois. Il revient avec un groupe nouveau, une inspiration renouvelée et quelques surprises (une reprise ébouriffante d’Edith piaf !). Belle mise en bouche d’un raï décomplexé, se confrontant aux rythmes d’une musique plus ouverte et nourrie d’influences occidentales. Son groupe déroule un set propre... même si l’ambiance à quelques difficultés à monter, le public tardant à arriver et se montrant plutôt timoré.
Desert rebelle. Des touaregs à la guitare mordante entouré de Guizmo de Tryo, du bassiste de Manu Chao. Cela donne un concert hybride, un blues parfois lyrique, parfois brouillon, entre une authenticité et une modernité pas toujours maîtrisée !  Le passage de la kalachnikov aux riffs endiablés ne s’effectue pas toujours dans l’harmonie mais il y a quelque chose d’émouvant et d’authentique à voir ces musiciens exilés vendre une cause ignorée, une véritable guerre contre les touaregs et leur mode de vie ancestral dans l’indifférence du monde. Il nous rappelle que la musique est aussi un combat pour exister, et ne serait-ce que pour cela, il nous donne des sons venus d’ailleurs ouvrant sur l’inconnu.
Gnawa Diffusion. Collectif de fusion, entre plusieurs influences musicales, dernière tournée du groupe avant dissolution, les Gnawa Diffusion ont une énergie absolue, une capacité de tirer le spectateur vers la vibration, un reste de ces gnawas qui offre la transe en offrande. Le leader à une voix magnifique et orchestre autour de lui un groupe soudé qui fait reculer les limites de la musique. Cérémonie secrète, ode à une pulsation, les musiciens se laissent aller au fil du concert jusqu’à un final de tempête, une vraie orgie de sons. La cause est entendue. Les Gnawa Diffusion sont vraiment un grand groupe de fusion qui a marqué les musiques de métissage. Une place est à prendre apparemment !
7 juillet
Fanga. Afro-beat nerveux, un tantinet usant, même si les musicos se donnent avec chaleur. Au bout d’une demi-heure, les sons semblent s’accumuler et donnent le tournis. Bon, on aime ou pas… moi, vous avez compris !
Ismaël Lo. Le seigneur est de retour. Pas de distance pour moi, je plonge et j’en redemande même si la sono mais longtemps à accepter sa voix. Les réglages effectués, on le retrouve comme on l’avait laissé, génial, humaniste, doux et musicalement au top. Son dernier disque, « Sénégal » est un bijou, il le prouve même si Le Jammu Africa fait chavirer la foule enfin au rendez-vous. On ne l’appelle pas le Dylan Africain pour rien. Il nous balade dans ces rythmes africains doux amers, dans le Mbanga lascif, joue de son charme et de cette fascination qu’il génère parce qu’il est généreux ! Voilà, la messe est dite une nouvelle fois, elle sent le parfum d’une Afrique si belle et sereine, si forte dans sa beauté…
Xalima. Badou avait une tâche qui semblait impossible. Clôturer après Ismaël, un challenge et pas des moindres pour lui qui avait ouvert l’an dernier avant Omar Pene. De concert en concert, le groupe et son leader prennent une aisance et une assurance qui leur permet de se laisser aller, de fusionner avec le public. C’est le cas encore, dans ce set tout en brio. Badou dompte la scène, impose une voix chaude et des rythmes nerveux bien utiles pour éviter toute comparaison avec son prédécesseur. Il a reçu l’appui de certains musiciens qui se fondent dans le collectif. Ses compositions font mouches, le public le suit dans son univers et danse enfin sans retenue. Magnifique Xalima, un groupe qui fait mouche et devrait voir s’ouvrir grandes les portes du succès.
 
Il est temps de partir. Les organisateurs sont quelques peu dépités. Entre la réussite réelle de leur projet artistique et les comptes à venir, il y a un maigre filet sans protection. Pour quelques 300 personnes absentes, ils vont devoir assumer un déficit douloureux pour eux qui ont si peu de moyens ! Ils vont aussi se trouver confrontés à cette question que tout organisateur se pose immanquablement : pourquoi est-ce si difficile de faire bouger le public, l’attirer devant un tel plateau artistique, dans un cadre magique pour un prix modique d’entrée de 18€  ? Il y a quelque chose d’injuste, d’immoral de penser que tant d’efforts butent sur les mêmes écueils de l’indifférence et du renoncement. Tant pis, on se consolera en disant que les absents avaient vraiment torts…
 
10 juillet.
Youssou N’Dour. Une petite Palestre, (il est dur de programmer actuellement !), mais un public de blackettes superbes, toutes avec leurs habits de fête et des sourires pleins les yeux, les corps qui chaloupent, les visages enjoués, un vrai public de fans, où 50% de blancs se sentent heureux et acceptés, comme si la musique pouvait gommer les différences, donner de l’amour à ceux qui en sont trop souvent privés. Fierté de nos frères blacks, beauté et générosité d’un show énergique, avec des musiciens géniaux (3 percussions, 3 claviers, un danseur une choriste, basse, deux guitare et une voix…et quelle voix, inimitable, chargée de soleil, puissante, envoûtante. C’est cela un concert de Youssou N’Dour, une messe païenne pour faire parler les tripes, un tumulte intérieur qui trouve sa grâce dans les sons d’une Afrique fière d’elle-même. Comme le déclare Youssou dans une intervention, « -quand on parle de l’Afrique, on parle du Sida, de la guerre et de la pauvreté… Je veux chanter une autre Afrique, la new-Africa ». S’ensuit un duo voix/clavier où la voix lutte contre les nappes sonores qui envahissent la salle, passe par dessus l’instrument et s’impose dans une complainte déchirante. Vous avez saisi, j’aime l’Afrique et l’Afrique me le rend bien !
 
Fin de soirée agitée. Je vais saluer, avec mon pote Pape S, Youssou qui a des mots gentils pour moi, se souvient avec précision de son concert dans le Palais des Festivals d’il y a deux ans et m’honore d’un vrai sourire d’amitié. Badou traîne dans le coin, Mystic Man, le reggae man que j’accueille le 7 août, se promène dans les couloirs au milieu d’une foule de jeunes filles qui a totalement débordé une sécurité débonnaire. Tout se passe dans la plus extrême des gentillesses et la bonne humeur résonne dans les couloirs et loges de La Palestre. Puis, bien plus tard, dans le bureau d’Andrée P…, la programmatrice de la Palestre, avec Pascale K…, Viviane S…, Evelyne P…et d’autres amies de ce milieu si particulier de la programmation, on boit une coupe, puis deux, on refait le monde, échange de ces souvenirs qui parsèment un parcours de rencontres, de ses ombres de personnages de légende qui nous accompagnent la nuit, quand la rumeur se tait et que nous restons avec nos rêves en bandoulière, redevenus humains parmi les humains. Les lumières de la scène s’éteignent, il est temps de plonger dans la réalité.
 
Voilà, ce soir je vais à Monaco assister au concert de Muse, les jours passent, la magie demeure !

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Les larmes de Marie.

Publié le par Bernard Oheix

Ce sont les 5... ans  de Marie-Antoinette P..., ma collaboratrice la plus proche dans mes fonctions de l'événementiel. Elle gère mon planing, mes rendez-vous, filtre les importuns et ment comme un arracheur de dents en lieu et place de son directeur. C'est Marie, plus de 15 années à se cotoyer, à se vivre au quotidien. C'est un texte que j'ai écrit pour elle, pour ce temps de partage et parce que la fuite du temps nous touche tous et que de la jeunesse à la maturité... avancée, il n'y a qu'une maigre frontière que l'on franchit sans même sans rendre compte. Ô Marie, si tu savais...

Ô Marie-Antoinette,
 
 
Que tu vinsses dans cette Direction de l’Evénementiel fut déjà, en soi, une étrange et incroyable histoire d’un monde facétieux.
Que tu t’y plusses encore plus, un pied de nez à la raison de ceux qui considèrent que l’univers possède un centre et continue de croître.
Y aurait-il le moindre sens à tout cela ? C’eût pu être ?
Mais que nenni -comme tu dirais- Que nenni !
Souvenons-nous ! Coincée à ton petit bureau, dans un secrétariat de la direction où régnait une princesse éphémère, tu me fus imposée, sans ménagement, toi la femme de l’autre, celle qui pactisait avec les puissants, les seigneurs de la guerre. A l’époque, je n’aimais rien tant que mon indépendance, tout sauf la contrainte, et vive l’anarchie !
Il a fallu du temps. Tu venais d’un monde de lois et de componction, nous étions jeunes et les crocs encore bien acérés, nous déchirions la vie à belles dents, acharnés à survivre dans une jungle qui ne nous faisait pas de cadeaux !
Quand donc et à quel moment précis tout cela bascula ? Les crises se sont succédées, toujours moins fortes au fur et à mesure que nous nous apprivoisions mutuellement, que ton silence extérieur résonnait de nos cris intérieurs, que la confiance nous autorisait à nous libérer dans cette bulle devenue tienne et que tu ne trahis jamais. C’est sans doute le maillon fort de cette relation atypique. Dans l’amour, on débute par la passion pour finir dans la haine… Avec toi, ce fut le contraire, non qu’il se trouvât de la haine, plutôt de l’indifférence, débouchant sur une vraie tendresse, celle patinée par 15 ans de collaboration, 15 années qui ne laissent plus beaucoup d’ombres dans les liens qui unissent un collectif composé de bric et de broc.
Si je devais définir cette famille de travail, je dirais que c’est la connaissance de l’autre et le respect de tous qui la caractérisent. Tu en fais partie, avec tes différences, ton parler fleurant les lettres de la belle France, ton caractère d’acier bien trempé… pas toujours facile mais toujours compensé par cette chaleur qui te caractérise, ce souci de bien faire, cet engagement au service de tous. Tu es devenue une militante de l’événementiel. Je ne suis pas totalement certain que ce soit toi qui aies vraiment gagné au change. Je suis par contre intimement persuadé que nous avons déniché en ta personne, une de ses âmes sœurs qui font que le monde peut brinquebaler vaille que vaille en avançant vers la lumière.
55 ans de ta vie se sont écoulés. Je n’ose t’en souhaiter autant ! Mais quel que soit ton avenir, les 15 années, 60 trimestres, la dizaine de saisons d’hiver et les milliers de spectacles organisés par l’évènementiel pèseront largement en ta faveur au moment du jugement final. Avec nous, tu auras d’ores et déjà conquis un pan d’éternité, quelques arpents de paradis !
Voilà Marie, surtout, ne change pas, nous avons mis tant de temps à nous comprendre qu’il nous convient parfaitement que tu restes cette Marie-Antoinette avec qui nous partageons tant d’heures !
 
PS : Continue de traquer nos fautes, c’est une entreprise de salubrité publique à laquelle tu te consacres pour le meilleur de nos écrits et le pire de ta patience… Ah ! les accents de Bernard, les doubles consonnes de Sophie, les tirets et les accords avec le COD… Elles te manqueront toujours assez tôt ces preuves de notre affection qui provoquent l’usure de tes yeux !
                                                         Bernard OHEIX et toute l’équipe de l’Evènementiel
                                                         30 mai 2007. 


Un qui a toujours échappé à ma plume, c'est Jean-Marc S... Il se débrouille pour avoir son anniversaire pendant que tout le monde, moi y compris, est en vacances ! C'est ainsi que l'on a raté son cinquantième anniversaire. Bon, un an après, il fallait solder les comptes et régler l'addition. Ce fut fait aux iles, lors d'une sortie avec toute l'équipe de l'événementiel, les pieds dans l'eau, à moitié à poil : on se sent particulièrement inspiré !
 
Jean-Marc le défi : 50+1.
 
 
 
Tu pensais échapper aux foudres de ma plume acérée, tu espérais que, profitant de cette période qui te vit naître, tu passerais éternellement au travers. Bien sûr, ta mère en accouchant au mois de juin, se doutait bien qu’elle te mettrait à l’abri de ma vindicte. La plupart de tes collègues et amis se reposant d’une saison usante ou emmagasinant un peu d’énergie avant de plonger dans les spectacles de l’été, chaque année quand arrive le 10 juin, les troupes dégarnies oublient ton anniversaire. Elles vaquent à la préparation de leur maillot, à la perte de leur cellulite pour séduire sur les plages, au bronzage de leurs traits si fins et charmants…et tout cela au détriment des anniversaires de Jean-Marc et de ces années qui s’accumulent sur ses épaules d’athlète.
Car disons-le tout net. Même si tu fais le cake, que tu as l’air d’un jeune homme, que pas un poil de graisse n’épaississe ton tour de taille et qu’apparemment les filles continuent à lorgner vers tes biscotos, (il faudra que tu m’en donnes les recettes à défaut des noms et adresses de tes multiples conquêtes !), mon cher Jean-Marc, tu n’es plus de la prime jeunesse. Un demi-siècle à errer dans le noir, à servir dans l’ombre, à être celui qui veille au grain dans les coulisses des artistes, cela devrait user énormément.
Alors donne-nous ta recette, je t’en supplie. Pourquoi pas de cheveux blancs, pourquoi pas de rides aux coins de ta bouche, pourquoi ces yeux bleus rieurs qui restent insondables !  Peut-être dans ton bonheur retrouvé, dans cette compagne qui t’accompagne, dans cette confiance et assurance dégagée dans un métier qui te voit t’épanouir enfin ! Le stress, connais plus ! Les doutes envolés ! Les sautes d’humeur qui t’ont parfois embrasé, terminées ! Il reste des certitudes humbles, des évidences cachées.
Oui Jean-Marc, tu connais ton métier sur le bout des doigts, oui, tu affrontes les problèmes sans te braquer… comme si tu en avais tellement vu de ces cas de figures destinés à briser les harmonies que plus rien ne pouvait désormais te surprendre. Oui, tu es devenu un être normal !
Cela n’a pas toujours été le cas, avouons-le ! On a connu un JM au sortir d’épreuves, pas toujours bien dans ses baskets, pas toujours en phase… mais comme s’il te fallait un coin à toi, un peu de temps, de l’amour et de la confiance pour que le miracle de ta transmutation intervienne, tu es enfin arrivé à dompter ces forces qui t’ont tant bouleversé.
Un visage préservé des atteintes de l’âge, un esprit sain dans un corps sain, une nonchalance jamais dédaigneuse, un calme olympien, une distance qui n’éloigne pas…on finirait presque par penser que tu resteras à jamais dans cette direction. Fais attention, Jean-Marc, il va falloir payer le prix de cette jeunesse éternelle. Dorian Gray avait conclu un pacte avec le diable pour conserver sa jeunesse : avec qui as-tu tracté, donne-moi son téléphone avant que l’irrémédiable ne me fasse succomber !
Y en a marre de te faire des compliments. Pique-nous une de tes colères, noie une stagiaire, dévore tous les pans-bagnats…fais quelque chose qui nous rappelle quel infâme subordonneur tu fus.
Non, décidemment, tu as trop changé, tu es même devenu fréquentable et les jeunes filles qui débarquent en stage à l’Evènementiel, repartent toutes avec ton numéro de téléphone sans même que tu aies tenté de les violenter : c’est pas juste, d’abord !
N’empêche que tu as 51 ans passés, que l’an prochain tu en auras 52 et qu’avec ce que nous prépare Sarko 1er, au train où vont les choses, tu seras obligé de te faire aimer encore au moins 15 ans dans cette direction avant de prendre une retraite bien mérité ! Na !
Et puis, même si tu n’es pas content, je sais que tu vas partir d’un grand éclat de rire et que tout cela finira dans la joie. Les années forgent l’amitié… nous sommes tous de grands forgerons et ce ne sont pas les filles de la direction qui m’ont poussé à écrire cette hommage qui te diront le contraire.
Jean-Marc… 10 juin ou pas 10 juin, 2007 ou 2015, c’est tout le temps ton anniversaire ! Surtout, continue comme cela, les minettes de l’Evénementiel t’aiment trop pour que tu changes.
Bon anniversaire toute l’année !



Et puis il reste mon frère, le petit dernier, 50 ans avec toutes ses dents. Il fallait marquer le coup, ne serait-ce que pour rentabiliser notre voyage au find fond de l'Aveyron. 60 personnes pour une vraie fête pleine d'émotions et de tendresse. Il en restera ce texte, lu devant une foule d'amis qui lisaient bien malgré eux entre les lignes ! A vous de pratiquer cet exercice maintenant !


50 ans et après…
 
 
Si l’on devait définir, ta naissance, loin d’être le produit mythique d’un gros bourdon qui vient titiller un choux-fleur, on parlerait plutôt, d’une erreur de calcul. Ogino Ergo Sum, était la devise de nombre pères de famille nombreuse de ce baby-boom. En effet, en cette époque bénie des natalistes, il n’y avait que deux méthodes pour échapper aux lois procréatrices de Dame Nature :
1)      sauter du train en marche… mais cela, tout être normalement constitué ayant testé cette variante sait que l’opération est complexe, comme c’est difficile et combien la chute peut être plus dure…
2)      rationaliser et à l’aide d’un diagramme savant définir à quel moment le spermatozoïde vibrionnant se trouvait démuni quand la bise est venue, échouant devant les portes closes d’un ovule épuisé… mais là, il faut savoir calculer et nos parents, manifestement, n’avaient que le certificat d’études et se trouvaient loin du compte devant la méthode du docteur Ogino qui sema tant de tempêtes sur son passage.
Première erreur donc, entraînant l’arrivée intempestive d’un têtard de plus dans le marigot d’une tribu oheixienne où régnait déjà l’anarchie.
Les trois mousquetaires ne souhaitaient point, pour être honnête, se retrouver quatre et le chérubin à tête d’angelot qui débarquait en gazouillant des areuh, avait quelque peu tendance à perturber nos jeux virils et la recherche de nos premiers émois et conquêtes de territoires féminins.
 
Nous te le fîmes payer lourdement, t’affublant d’un surnom qui t’allait comme un gant : tu fus irrémédiablement BéBé jusqu’à ce que notre père intervienne pour nous demander de cesser de t’avilir avec ce surnom, Jean-Marc seyant plus (encore que !) à l’affirmation de ta toute nouvelle personnalité.
Nous savons tous que tu fus le préféré, le petit dernier, le chouchouté, le cafteur, celui qui passait derrière les voies tracées à coups de taloches par tes grands frères.
 
Il y a une morale à tout cela : nous partîmes pour des courses lointaines, par des nuits sans fond, dans une mer sans lune et tu ratas manifestement un 68 glorieux qui fut notre bâton de maréchal. Tu restas sagement auprès de tes parents pendant que nous courions la prétentaine en nous dévirginisant… et pas seulement en politique !
 
S’ensuivit une période où tu payas rubis sur l’ongle ce privilège d’être le petit dernier. Les dieux dans leur sagesse t’enlevèrent la protection de tes grands frères et tu dus enfin, affronter les parents. Souvenons-nous, le jour où tu débarquas en solex à Nice, quémandant un asile familial à ton frère (en l’occurrence, Bernard !). La terreur qui s’empara de moi à l’idée de supporter ce mioche mal grandi, au regard torve, le nez encore plein de morve, moi qui jouissait d’une liberté estudiantine chèrement gagnée. In petto, j’ai chargé ton solex dans ma 2CV, j’ai quand même fait l’entremetteur auprès des parents désarmés et t’ai abandonné à ton triste sort… à chacun son poids de douleurs, il faut parfois savoir souffrir plus... pour se guérir mieux !
 
Là tu montras ta petitesse. Tu te dévoilas aux yeux de tous comme un jouet aux mains crochues du destin. Une amourette anglaise dont tu ne cicatrisas pas vraiment, une belle bouchère au nom d’étoile avenante et te voilà marié, petit gratte-papier faisant mine de tenir une comptabilité, toi qui jamais ne compris les chiffres, conduisant une R12 Gordini avec des bandes jaunes latérales et une queue de castor accrochée au rétroviseur… Oui, mesdames et messieurs, ce personnage a roulé dans une Gordini en faisant vrombir son moteur pour attirer les regards. Tu étais perdu avant même de commencer à vivre !
L’étoile de ta vie pâlissait pourtant. Jeune couple déjà vieux, tu frémissais sous les tortures de ces mondes inconnus que tu n’avais fait qu’entrevoir. Le théâtre comme thérapie, le théâtre comme un moyen de toucher les filles (vous faisiez beaucoup d’exercices corporels à cette époque !), la voix se plaçait enfin, juste au mitan de tes désirs. C’est là que la chance de ta vie intervint avec violence. Une femme enfin, une vraie, avec des seins partout et un corps voluptueux, une de celles qui avaient de l’expérience et trouverait les moyens de t’enchaîner en te laissant libre. Entre deux platines volantes, un Corse irascible et quelques femelles pas encore grandies, tu allais trouver UNE place. Chantal, car il s’agit bien d’elle, t’offrit ses bras, un appui et une décisive épaule compatissante, non pas que tu redevins le bébé de notre enfance, cela c’était une histoire terminée, non, tu allais crever les planches de ton talent, éclabousser les peuples assoiffés de culture, vivre l’authentique vie du saltimbanque et nous lâcher la grappe enfin ! C’était ton aventure même si tu égaras rapidement ta gondole, même si un flou dégénérant introduisit un facteur aléatoire dans une carrière brisée dans l’œuf par une gorgone jalouse de ton talent, cette Christine de Toth mystérieuse qui en voulait certainement plus à ton corps d’éphèbe qu’à l’art de ton théâtre.
Il te manquait la rage de vaincre. Pour devenir un acteur, il faut acter, tu te contentas d’être brillant, tu décidas de suivre un penchant naturel pour l’art de vivre et l’art du théâtre perdit une de ses valeurs montantes.
 
Qu’à cela ne tienne, tu avais une formation en comptabilité, un physique de beau gosse et une femme de pouvoir : tu te carras dans son sillage et vint l’époque des jeunes cadres, des voyages à Bali, des Opels métallisées, d’une consommation à tout crin : c’était sans doute le prix à payer pour oublier ta carrière avortée, dont il faut le dire, il te reste encore de quoi animer les fins de soirées arrosées !
 
Mais voilà. Au lieu de résister jusqu’à la retraite qui se profilait (plus que 25 ans à tenir !), les démons du bouddhisme et l’appel du grand air, une vie saine dans un corps sain, vous poussent à émigrer dans un exil intérieur. La découverte d’un paysage bucolique, les indigènes accueillants, la rudesse du climat vous amènent à rompre de nouveau avec le monde civilisé. Fermier, puis bistroquet, on pouvait penser la boucle bouclée et le nirvana atteint dans les délices des petits blancs servis à l’aube à des clients accrochés au comptoir de cette verte région de la Diège… Que nenni !
 
 
 L’air du pays vous manquait sans doute. La mer, les femmes nues, le soleil mais aussi le rapprochement vers les enfants, petits-enfants et parents. Tu vins soulager tout ce monde en démontrant au passage tout l’art de la finance qui caractérise votre couple. Perte des indemnités de Chantal, aventure exotique dans le textile, vente de vos actifs…tout cela pour l’horizon glorieux d’une épicerie où les sandwiches et les bonbons coulaient à flots. Vous survécûtes à raison de semaines chargées, 70 heures en moyenne pour un smic douloureux…station debout, même pas le temps d’exploiter cet authentique talent pour les cartes qui te mena vers les championnats de France de tarots.
 
La mer toujours recommencée, le bruit et la fureur, et tous ces amis abandonnés sur ces plateaux vous rongeaient le cœur. Une nouvelle fois vous décidez de prendre tout le monde à contre-pieds et de remonter dans l’Aveyron pour bâtir enfin les fondations de votre sérénité.
Le dernier achat d’un castel à retaper, un emploi dans une usine d’haltérophilie où tu retrouvas ta ligne en perdant les kilos inutiles, travailler moins et gagner moins, voilà votre horizon, voilà le funeste sort qui t’attend, voilà le piège dans lequel tu t’es enfermé, voilà comment tu devras décompter le temps qui désormais s’inverse pour courir vers une fin annoncée.
 
Même si le soleil n’a pas toujours brillé pour toi, cher frère, tes 50 ans tu les as mérités. Ils t’ont permis de grandir, de t’épanouir, de vivre au grand jour en bâtissant un empire intérieur. Ceux qui te connaissent savent combien tu es courageux, altruiste, combien tu as toujours voté à gauche, secouru les petites vieilles, distribué ton sourire et ta bonne humeur à la volée, permis aux autres de donner le meilleur d’eux-mêmes.... Flambeur, flagorneur, menteur…c’est vrai, tu l’es un peu quand même… mais point trop n’en faut ! Juste une once, une petite dose qui t’autorise à ne point être dans un moule préfabriqué, une perfection utopique, une vue de l’esprit. Non, tu es de chair et de sang, tu es bien le dernier des Oheix de cette génération bénie des Dieux qui enchanta la France de l’après guerre !!!
Unique, merveilleux, bon… etc … mais je vais en rester là, car tu vas te mettre à croire aux sornettes que je raconte et du coup, devenir insupportable pour les 50 années à venir !
 
Bon anniversaire, frangin !

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