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Gibiers et prédateurs

Publié le par Bernard Oheix

Je vous rappelle que vous pouvez profiter de ma si longue absence pour vous replonger dans quelques nouvelles précédentes. Il suffit de cliquer sur la rubrique 'nouvelles' à gauche de l'écran et elles s'offriront à vous. Je vous conseille "les amants du froid", "La malle en cuir", "Un après-midi d'automne" et "Le collier de phalanges"... mais il y en a d'autres ! Immergez-vous dans les entrailles de mon blog et faites votre self-service !
Bon, avant de partir en vacances pour quelques jours, je vais vous laisser avec un de mes textes qui reste une énigme... même pour moi !
Pourquoi cette rencontre entre une guerrière du futur et un chef de bande d'une favela si contemporaine ? Bon si vous trouvez la solution, faites-moi signe, cela peut m'aider !
 
 
 
Lhermane allongeait le pas, son instinct attiré par l’odeur alléchante, simple silhouette se fondant parmi les ombres de cette ruelle perdue dans ce port de l’espace des confins galactiques. Fière et altière, ses lèvres ourlées, avides, de carnassière, ses cheveux de jais, encadrant deux yeux de feu jetant des éclairs, un menton carré dans lequel une bouche laissait voir des dents pointues prêtes à déchirer, un corps nerveux forgé dans l’acier, une aisance animale dans sa démarche, tout respirait la chasse chez Lhermane, un prédateur venu pour achever sa traque dans ce lieu perdu de la galaxie, à des années lumière de sa horde.
Elle n’avait pas hésité à franchir l’espace, quittant son peuple agonisant sur une planète de boue, un bagne terrible dans lequel la justice des hommes les avait confinés, une planète où ses frères et sœurs devaient expier pour les fautes commises par leurs aïeux. La sentence du conglomérat qui régissait cette portion de l’univers ne laissait aucun doute quant à leur volonté de les anéantir, de briser cette force qui leur faisait peur et dérangeait l’harmonie du cartel des mines et du flux commercial qui tissait une toile d’araignée entre les planètes de la confédération.
Elle avait le sang rouge des guerriers qui pulsait dans ses veines, elle s’enorgueillissait de cette énergie des grands seigneurs qui charriait en elle la fureur et le combat. Elle n’avait jamais pu accepter de mourir à petits feux et portait le flambeau de la révolte, symbole de toutes leurs désillusions, de leur amertume, des rêves passés de gloire et du fracas des combats d’antan.
Elle connaissait le prix de sa révolte. Elle ne se faisait pas d’illusions sur la sentence implacable qui découlerait de sa fuite et de la traque qu’elle avait entamée. Elle l’acceptait parce qu’elle avait choisi, que le retour en arrière n’était plus possible et que pardessus tout, elle aimait cette chevauchée sur les ailes d’une passion démesurée. Elle vengerait les siens, elle accomplirait le rite de la chasse, elle deviendrait une déesse vivante, celle qui avait redonné le courage de combattre à ses pairs. Elle était un chasseur, elle restait un formidable combattant des marges et le prouverait pour la grandeur de son peuple.
 
 
 Il sautait et bondissait dans la ruelle sombre, glissant sur les immondices que les habitants de cette favela déversaient par leurs fenêtres. Sa course durait depuis tant de temps qu’il en perdait le sens de l’orientation et enfilait les passages étroits sentant la meute accrochée à suivre sa trace. Il ricocha sur une boîte de conserve et faillit perdre l’équilibre. Ses bras battirent l’air et il se rattrapa de justesse, esquissant un coup d’œil en arrière pour repartir de plus belle, le pas cadencé, sans puiser dans ses réserves. Il savait que la traque ne faisait que commencer et qu’il aurait besoin de toutes ses forces pour leur échapper, pour aller jusqu’au bout de la nuit et voir le soleil se lever. Il n’avait pas toujours été le gibier, et même plus souvent qu’à son tour, il avait pourchassé et sentit l’odeur de la mort aux basques de ses proies. Aujourd’hui c’était son tour et le jour se lèverait sur le seul nom du vainqueur dans ce combat à mort qui l’obligeait à fuir.
Le territoire de la chasse s’étirait à l’infini. Partout où ses pieds le porteraient, un ennemi pouvait se dresser et l’achever. Il n’avait pas d’armes, c’était ainsi, et ne comptait que sur sa force et sa résistance pour survivre à cette nuit d’horreur.
Il entendit un aboiement suspect vers la base, des bruits divers minaient la nuit, ricochant sur les persiennes fermées du lacis des favelas qui couvraient la montagne adossée à la ville. La peur régnait et les habitants se calfeutraient dans leurs abris de fortune. Une ombre bougea à la périphérie de sa vision, sur sa gauche. Il n’hésita pas une seconde et s’engouffra dans une venelle qui montait vers les cimes. Il augmenta la cadence de sa foulée et se dirigea vers le col, il n’avait pas de plan précis, il ne savait qu’une chose, héritée de son expérience, il ne pouvait s’arrêter pour chercher un asile, seule sa mobilité lui assurerait la vie sauve.
 
 
Son œil accrochait la rue sombre comme une cicatrice mouillée, elle guettait les recoins déchirés par de pâles lumières, attentive à tout mouvement, scrutant l’éternelle aube diaphane. Elle sentait la misère de ces colons chassés de leur terre qui avaient échoué dans ce misérable port de l’espace, les mains vides, le cœur rempli de haine. Quelques rares ombres croisaient son chemin, silhouettes furtives enfantées dans une obscurité complice, rabattant leurs serre-têtes, la main collée à la hanche au contact du radiant.
Rien n’était trop beau dans cette ivresse, ces tremblements furtifs, ce rappel des heures de traque d’un passé si éloigné mais que sa décision et le mouvement faisaient ressurgir avec délectation. C’était il y a si longtemps que sa servitude lui semblait irréelle, conditionnement libéré par cette odeur particulière de la chasse.
Elle avait enfilé la tenue traditionnelle, une combinaison qui la moulait, imperfectible bouclier, les bras gainés de cuir, les fuseaux rentrant dans ses bottines souples à la pointe empoisonnée. Une grande cape la dissimulait, l’enveloppant d’un suaire qui dérobait la vivacité et la grâce de son corps. Seule son odeur la précédait et les passants qui croisaient son chemin se signaient, la mort n’avait pas de frontières. Elle était redevenue la plus formidable machine à tuer que la civilisation ait pu concevoir, Lhermane la chasseresse.
Déjà, au bout de cette ruelle, un fanal rouge, un phare dans la nuit qu’une faible brise agitait et qui grinçait dans le silence, trois marches de pierres sous l’enseigne racornie que l’humidité avait rongée, ses pas qui la menaient sous les voûtes du dédale qui menait vers l’entrée de la gargote sordide où les sons d’un vieux piano martelaient un silence lourd et feutré.
Elle jeta un dernier regard aux lunes qui dérapaient vers l’horizon, son esprit communia une dernière fois avec son peuple prisonnier. Elle s’engagea derechef en écartant les tentures élimées pour pénétrer dans la salle enfumée. Son informateur ne l’avait pas trompée.
 
 
Il ne savait plus qui avait élaboré ce code, cela remontait à si longtemps. Pour faire partie du gang, il n’y avait que deux règles, la soumission au chef et le mode de désignation de ce chef. C’est lui qui imposait l’épreuve du test en choisissant l’acte qui scellait le statut de membre du gang, la mort d’un ennemi, le vol d’une banque afin d’enrichir la cagnotte de la bande, un acte glorieux qui montrerait leur capacité à devenir les rois de la ville. Le chef avait tous les droits, même celui de vie et de mort sur ses compagnons, il présidait et l’on se devait d’exécuter, la faiblesse n’avait pas sa place dans leur vie, ils étaient les guerriers du futur, l’armée des bas fonds et craints comme la peste par le reste de la population. Il y avait bien longtemps que les forces de l’ordre avaient déserté leur territoire, ne s’aventurant plus dans ces taudis qui s’accrochaient à la ville comme une tumeur qui proliférait. Les habitants de cette zone de non-droit représentaient leur terreau, un formidable champ d’expérimentation, et c’est dans cette ville-champignon qu’ils accomplissaient leurs premiers faits d’armes avant de descendre dans les quartiers plus huppés, vers les trois rivières, afin de prouver leur courage.
Le gang se compose de 60 membres. Pour y entrer, il faut avoir démontré sa valeur, être proposé par un des fidèles et surtout qu’une place se libère par la mort de l’un d’entre eux. On ne quitte pas le gang, on meurt à son service en offrant la possibilité à un des nombreux aspirants qui gravitent autour de pouvoir l’intégrer. Une dure école de la vie qui est le rêve des enfants des favelas, devenir un élément de la famille, rejoindre le clan.
Chaque année, à une date fixe, les soixante membres se réunissent et le chef se démet de son pouvoir en annonçant la fête de la nomination, une cérémonie capitale à laquelle nul ne peut déroger. Dans un immense réceptacle, 59 boules blanches et une noire sont disposées et par un système complexe, attribuées à chaque membre du clan. Celui qui tire la boule noire devra alors passer l’épreuve de la grande traque. Il lui faudra survivre sans armes à une nuit de chasse et dans le cas contraire, c’est celui qui l’aura abattu qui deviendra le nouveau chef pour une année.
J’avais tiré la boule noire et j’hériterais de cet honneur si je survivais à cette nuit et à la troupe assoiffée de sang qui me pourchassait. Mon destin était entre mes mains et surtout dans mon aptitude à courir et à maintenir une distance entre eux et moi, entre mes frères et mes bourreaux. J’escomptais bien leur survivre et assumer mes responsabilités, j’avais tout fait pour, c’était l’heure de vérité.   
 
 
Lhermane se posta au fond, près de l’entrée. Elle observait l’intérieur de la salle. Des piliers soutenaient une voûte gothique éclairée par de rares lumières vacillantes. Des armes, des habits, des cruches vides gisaient dans des niches creusées à même les murs. Des ombres noires se dressaient sur son chemin, l’empêchant de voir la scène et le piano. C’était des Lyriens qu’elle reconnaissait à leurs chapeaux coniques et aux franges tombant sur leurs épaules. A peine conscients, envoûtés par les notes de musique et par le kifz qu’ils aspiraient en volutes, ils tanguaient sur place, vacillant en suivant le rythme de la mélodie grinçante du terrien. Quelques verres encore et ils rouleraient pêle-mêle sur le sol graisseux, communiant dans le néant.
Elle s’avança, écartant du bras des ombres absentes, simples figurants dans le jeu qu’elle avait entamé en débutant cette traque. Des habitants de toutes les planètes s’étaient réunis, rebuts des ports de l’espace, faisant obstacle à la cible qu’elle s’était choisie, un terrien, un vrai terrien des origines, une denrée rare aux marges dans lesquelles elle vivait. Elle réussit à apercevoir dans l’échancrure d’un mouvement de foule ses mains fines qui tapaient furieusement sur les touches nacrées du piano, tirant des sons aigres, captivants, ces bouffées suicidaires dont les Lyriens avaient besoin pour retrouver le chant de leur lointaine galaxie.
Elle suivit la courbe de ses épaules maigres, la nervure de ses bras qui balançaient en s’écrasant sur le clavier, la chemise élimée qui tirebouchonnait, repliée au-dessus des coudes, les touffes clairsemées des mèches grises qui couvraient le sommet de son crâne. Elle était de trois quarts et ne pouvait entrevoir son visage. C’était mieux ainsi, la surprise n’en serait que plus grande pour lui.
Elle décrivit un arc de cercle, écartant du pied des corps flasques gisant à même le sol, bousculant des fantômes immobiles plongés en catatonie, écrasant des bestioles qui couraient entre les consommateurs, traçant son chemin pour venir se positionner dans son dos. Elle pouvait maintenant l’observer à loisir, vieux pianiste fatigué et inconscient, il avait pensé pouvoir tenter la chance en échouant dans ce rade du désespoir. Assis sur un tabouret, il accomplissait pour un salaire de misère des journées jamais terminées, rebut de l’humanité perdu aux portes de l’espace, terrien sans âme d’un empire sans formes. Sa proie était là, elle pouvait presque la toucher.
 
 
Il s’agissait de tenir la distance, de garder son esprit clair malgré le souffle qui brûlait les entrailles, le cœur emballé, la douleur tétanisant les muscles. Une enfilade de portes donnant sur des courettes lui barrait le chemin. Il défonça d’un coup de pied l’un des obstacles et escalada le grillage qui l’empêchait de rejoindre le quartier des pendus. Il savait que des rues sombres interminables lui permettrait de souffler. Il lui fallait faire une pause, récupérer un peu, la nuit n’était pas terminée et avant que le soleil n’apparaisse à l’horizon tant d’événements pouvaient encore se produire. Il examina attentivement l’espace derrière lui et se décida pour la venelle qui redescendait vers le fleuve. Avec un peu de chance, il pourrait gagner quelques minutes et se fondre vers les quais dans la nuit obscure, dans l’agitation de ces lieux mal-famés où la prostitution et le jeu fleurissaient. Quelle heure pouvait-il être ? Deux heures, peut-être trois, l’aube se traînerait encore pendant quelques tours de cadran, largement le temps de mourir.
Un rat détala sous ses pieds en couinant, énorme, ventru. La lune éclairait la portion sud, il se glissa à l’opposé et escalada un tas de gravas, les pierres glissant sous ses appuis en faisant trop de bruit. Il se jeta de l’autre côté et roula sur plusieurs mètres, se faufilant sous un buisson d’épineux qui lui lacéra la peau. Il décida de s’arrêter et de compter jusqu’à 100 en domptant son souffle, en calmant les tiraillements qui convulsaient ses muscles raides. Il attendit patiemment en ouvrant les yeux, attentif au moindre mouvement. Une ombre furtive apparut au coin de la rue. Un membre du gang, un de ceux qui n’avait pas sa force physique et se traînait derrière les meilleurs, tentait sa chance en redescendant vers le fleuve. Il le dépassa sans se douter de sa présence et s’évanouit vers le fleuve, lui barrant la route de son salut.
Il avait suffisamment pratiqué la traque pour savoir qu’il n’avait aucune chance s’il s’immobilisait. Fatalement les autres se déploieraient et ratisseraient la zone. Un dernier effort devait pouvoir les maintenir à distance. Il n’avait pas le droit de se confronter à eux, de les tuer pour survivre, c’était la règle. Le meilleur devait devenir le chef mais pas au prix d’une décimation du gang, une seule mort serait le prix d’un échec, sa vie ne tenait plus qu’à un fil.
Il se remit debout et ne pouvant plus redescendre vers le fleuve, grimpa sur un arbre adossé à une maison de tôles pour franchir l’allée par les airs et se retrouver dans la ruelle parallèle. Il reprit une foulée plus déliée, la pause lui avait fait du bien, et remonta vers le calvaire qui signalait la faille produite par l’érosion des eaux lors des dernières trombes de l’automne. Il suivit le sentier au bord du précipice, les chiens jappaient en cherchant leur pitance dans les immondices et quand il vit une ombre se dessiner à quelques dizaines de mètres, il n’hésita pas et plongea dans le vide en écartant les bras. La chute fut interminable.
 
 
Elle respira à fond. Ecartant les dernières silhouettes qui s’interposaient, se positionnant dans son dos, presque à le toucher. Elle aurait pu tendre la main et la poser sur son épaule, elle se délectait d’avance de sa surprise et de l’horreur qui se peindrait sur son visage, de ses yeux surtout qui la contempleraient pour une ultime vision. Elle n’avait pas voyagé à travers le vide sidéral pour rien, elle n’avait pas bondi par-dessus les planètes et mis sa vie en péril pour ne point toucher au but et ramener son trophée à ses frères et sœurs, brandir l’étendard de la révolte.
Elle aperçut les cheveux du terrien se hérisser, au bas du cou, une frange sale qui se dressait comme le poil d’un félin dans la colère et la peur. Un sourire ourla ses lèvres carmin découvrant des canines effilées, habituées à mordre et déchirer. Le moment de vérité approchait, il avait senti son odeur et ses mains se figèrent sur les touches fatiguées. Le silence s’empara de la salle immense et le temps se suspendit aux deux protagonistes immobiles, étrange partition dont le final implacable était imminent. Il fit grincer son vieux tabouret en se tournant pour lui faire face, doucement, sans se presser, il releva la tête pour la dévisager et plongea ses yeux dans son regard. Lhermane sentit un vent glacé lui mordre les entrailles, la panique s’emparer de son esprit, un cri rauque naquit dans sa gorge voilée de désespoir.
Sa peau parcheminée par les brûlures des soleils de l’espace collait à ses os saillant, épousant les angles d’un visage émacié parcouru de rides fines. Son nez cassé, déformé se dressait sous un front large barré d’une cicatrice qui allait d’une oreille à l’autre. Son menton pointu dégouttait d’un filet de bave coulant de sa bouche ouverte qui riait en dévoilant des dents jaunes rongées par l’acide et le tabac. Au milieu de son visage, deux orbites sombres s’ouvraient sur le vide de trous noirs sans fond.
Lhermane pleura, on lui avait volé son trophée. Elle ne ramènerait pas les yeux d’un terrien comme emblème à sa tribu. Ils ne danseraient pas la saga de la reconquête, le nez plongé dans la galaxie, ivre de fureur.
 
 
 
Il se réceptionna sans dommage grâce aux larges feuilles de bananiers qui amortirent sa chute. Il roula sur un tapis de feuilles mortes et se redressa pour entamer sa dernière course avec le lever du soleil. Il les sentait si proches, resserrant leur étreinte, convergeant vers ce point de fuite qu’il représentait. Il puisa dans ses dernières ressources pour repartir et mettre le plus de distance possible entre lui et son gang. L’heure de vérité approchait, déjà le chant des oiseaux perçait la nuit, un mince filet brillant sertissait les contours des collines avoisinantes, il se mit à espérer, un ultime défi pour triompher.
Le sentier remontait vers une ravine qui bordait les cases de tôles et de bois de cette portion la plus pauvre de la ville sans nom. Il était persuadé que les autres s’étaient positionnés pour le coincer dans ce cul de sac, converger vers leur cible et accomplir leur mission. Il n’y aurait qu’un chef à l’issue de cette nuit de traque.
Il estima ses chances et décida de grimper à flanc de colline, s’aidant des lianes et des ronces pour progresser vers le sommet, ne faisant plus cas du bruit qu’il déclenchait, uniquement occupé à gagner du temps et à lutter jusqu’à la dernière parcelle de son souffle. Il bascula en roulant sur le contrefort et aperçut deux ombres qui se déplaçaient vers lui et puisant dans son désespoir, se redressa pour enfiler la ruelle qui lui faisait face. C’était le moment de vérité, plus moyen de se dissimuler, seule sa capacité de les tenir en vue lui permettrait de leur échapper dans cet ultime round.
L’effort lui cisaillait les côtes, les jambes si lourdes trouvaient encore la force mécanique de l’entraîner sur la pente, il titubait, manquant de tomber à chaque instant, aspiré par le vide qu’il creusait à chaque foulée. Tournant la tête, il reconnut Gomez qui se détachait du groupe des poursuivants, un éclair d’argent à la main. Il repartit de plus belle, dérapant sur le sol humide de rosée, les poumons broyés par la douleur. L’éternité semblait se fondre dans son corps torturé.
L’aube était si proche. Quand son pied dérapa sur une bouteille vide, il s’écroula de tout son long et se mit à ramper, s’aidant des bras pour gagner quelques mètres, incapable de se relever. Il avait atteint le point de non-retour et s’adossa à un mur de pierres en regardant Gomez s’approcher en titubant. Il avait son grand couteau à la main, c’était la fin du parcours.
Gomez leva le bras, ange de la mort qui le couvrait de son ombre quand un rayon de soleil perça les brumes du matin et vint se poser sur son visage exsangue, lui dessinant une couronne de feu.
Gomez le regarda et posa son couteau par terre.
-Tu es notre chef, je serai ton fidèle lieutenant, tu as triomphé de la nuit de la traque, ton courage sera notre force.
Le gang avait retrouvé un leader, une année faste s’ouvrait pour lui.       
 

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Musiques et spectacles en stock (2)

Publié le par Bernard Oheix

L’été c’est aussi le festival international de l’art pyrotechnique. Art parce que,quand la pyrotechnie est à ce niveau, on peut parler d’ œuvre ! Qui n’a jamais vu un feu à Cannes ne peut savoir ce que veut dire un vrai, un grand feu d’artifice : 25mn, une baie ouverte avec les îles en fond de scène, une muraille de bateaux ancrés ceint l’horizon, la musique est déversée à flots de la mer vers le public qui se masse sur la Croisette. Les compétiteurs viennent à Cannes pour gagner cette Vestale d’Argent synonyme de prestige et de développement. Le Québec a entamé le festival avec la firme Ampleman, le 14 juillet, par un feu médiocre. Nonobstant la qualité moyenne des bombes convenues, une bande-son stupide, collage d’airs sans saveurs (Alerte ! Céline Dion !), les pauvres Canadiens, en plus, ont vécu un enfer technologique ! 20% des bombes sont restées sur les barges et attendent toujours un signal pour s’embraser. Quand la technique trahit l’homme… la faute à un système de mise à feu défaillant !
L’Argentin « Jupiter » (feu composé par Gaston Gallo) du 21 juillet avait la rude tâche de faire oublier la médiocrité du premier feu. Et il tint toutes ses promesses. Univers du tango décliné sous toutes ses formes, du classique au moderne, synchronisation parfaite, inventivité des figures et composition d’ambiance, tout fut si proche de la perfection que le public subjugué lui réserva une ovation.
Les Français de Fêtes et Feux osèrent, pour le 29 juillet, l’impossible. Une bande-son consacrée à la musique sacrée, une chorégraphie de lenteur et de silence, contre-pied parfait à la démesure de l’Argentin et à l’image traditionnelle d’un feu. Mais un manque de matériel évident pour sublimer le propos et un tunnel un peu trop lancinant (il aurait fallu aller chercher un peu de musique sacrée dans l’exotisme et finir sur un morceau plus enlevé), les ont empêché de pouvoir se mesurer aux meilleurs. Dommage, le concepteur, mon ami Jean-Eric Ougier, était très près de pouvoir créer la sensation… il ne lui a manqué finalement qu’un peu d’ambition !
Place à Vicente Caballer, un Espagnol dont on sait qu’ils sont parmi les maîtres. Il a déjà tiré à Cannes, a gagné une Vestale d’Argent mais a échoué dans la conquête de l’or en 2001. Il débarque avec de grosses ambitions au vu du matériel qu’il amène. Et lui aussi va frapper très fort. Du rock, du pur rock pour un feu déjanté et sublime. Les Smashing Pumpkins, Metallica, Nine Inch Nails, The Who envahissent la Baie de Cannes Les hurlements des guitares se conjuguent au ciel qui se déchire, la synchronisation est parfaite, les tableaux inventifs jusqu’à un final qui frôle la perfection tant par l’énergie musicale que par une composition d’une hardiesse inouïe. (Un cœur qui bat et se déchire sur Baba O’Reilly des Who). Voilà nos amis Espagnols dans ce qu’ils ont de plus créatif, l’ancien et le moderne, le producteur de bombes et le compositeur de feu ! Eviva l’Espagna (air connu !)!
Les Allemands Weco étaient annoncés comme des clients sérieux avec une conception de Georg Alef. Ils nous l’ont prouvé en réalisant un feu de toute beauté, bluffant le jury par l’intelligence du propos. Sur une musique originale composée pour l’occasion, à partir de l’histoire de la ville de Cologne, précédée par un texte explicatif intelligent, ils ont déployé une gamme particulièrement riche d’effets spéciaux. Nautiques somptueuses, petits artifices au ras de l’eau, structuration de l’espace en alternance de niveaux. Ils ont dépassé le cadre en deux dimensions d’un écran de 400m sur 300 de hauteur. Ils ont introduit de la profondeur et des asymétries surprenantes. Une partition achevée pour séduire le jury… et dieu sait s’ils ont réussi dans leur entreprise. Sans avoir le meilleur, ni le plus conséquent matériel, avec une synchronisation qui était loin d’être la plus fine, ils ont su embarquer le public dans un contre-pied que n’avait pas réussi Fêtes et Feux.
 
Le jury a donc tranché. Vestale d’Argent pour l’Allemand,  Prix Spécial du Jury pour l’Argentin. Le Prix du Public revenant à l’Espagne. Personnellement, je trouve qu'ils méritaient mieux et j’aurais inversé… mais bon, that’s life !
 
N’oublions pas les concerts gratuits d’après feux d’artifice. Cette année que du bon. Mes Aïeux, des Québécois au nom insortable, stars chez eux, (500 000 albums vendus dans un pays de 7 000 000 d’habitants !), anonymes ici, mais ils ne le resteront pas longtemps ! Un vrai groupe de scène avec d’excellents musiciens et une énergie à démonter les foules. Ils ont mis le feu après le feu, s’ils passent près de chez vous, courez prendre une place, vous ne le regretterez pas. Simon Nwambeben est un Camerounais découvert par le Royal de Luxe, cornaqué par Ray Lema. Son premier album est en Play-liste de France-Inter, il assure dans des compositions originales, deux choristes, un bassiste et un percussionniste. C’est une musique belle comme un jour qui se lève dans la savane. Mystic Man, groupe de Strasbourg, met le reggae à l’honneur. Cela chaloupe sur le parvis, se déhanche et les Jah fusent ! Avec ses racines africaines, le groupe tient la scène et le public en haleine. Deux rappels avant de les laisser se fondre dans la nuit d’un joint bien mérité !
Vincent Absil et Contry Journal, on les connaît, ce sont des amis, le petit chauve à la voix rocailleuse, c’est lui. Absil, c’est une page d’histoire de la chanson française (le trio Imago) et c’est un amour immodéré pour la contry, les cadillac, Bob Dylan. Il ne s’est pas démonté. Le public a « cajuné », puis « bluesé » et « folké » et il a fait son triomphe au vieux routard à qui on ne la conte pas ! Il faut dire qu’il sait choisir ses musiciens (Lancry, and Co) et qu’après tant de scènes, Cannes ou La Motte-Beuveron, c’est quand même un public à séduire et aimer ! Merci Vincent et à la prochaine !
 
Jazz à Domergue  (du 8 au 11 août) cherchait sa voie, elle est trouvée ! Cette manifestation intimiste dans les jardins somptueux de la villa du peintre Cannois, léguée à la ville, permet depuis quelques années de convier à des agapes musicales 300 personnes. Le jazz s’y est invité en permanence et s’y trouve particulièrement bien. Tout concourt à ce que la soirée soit belle et la programmation d’un Christophe Wallemme Quintet y est pour quelque chose. Son jazz à la rencontre du percussionniste  indien Prabhu Edouard, tout comme le François Jeanneau Quintet qui invite la kora du Sénégalais Ablaye Cissoko sont de purs bijoux d’un jazz énergique, intelligent, à la rencontre d’une musique populaire. Cela donne des plages de musiques éblouissantes, la maestria des interprètes se fond dans des rencontres inédites. Du coup le free-jazz devient accessible, les instruments traditionnels sont modernisés en écho et la musique parle autant à la tête qu’au cœur. Du grand jazz !
Bariohay complète avec sa guitare virevoltante en accompagnement d’une Behia qui chante les standards du swing.
 
Et l’heure de la Pantiero résonna, avec sampler et scratch annoncés.
Du 16 au 19 août, déferlement d’électro annoncé sur le toit du Palais. Un lieu idyllique, dominant le vieux port et la colline du Suquet, au cœur de Cannes, une scène qui semble accrochée dans le ciel. C’est beau et le succès est au rendez-vous. Plus de 2000 personnes par soir avec une pointe pour les deux derniers jours, complets, plus de 3000 personnes. Beaucoup de jeunes, branchés, des dégaines pas possibles en jeans slims et mèches sophistiquées… on rêve à Cannes.
Le 16 : The Teenagers, éphémère groupe de trois gamins mal dégrossis, ils doivent doit impérativement retourner à leurs chères études. Deux guitares et un IPod ne suffisent pas à faire un groupe, ils nous l’ont prouvé ! Herman Düne enchaîne. Décevant. Parfois juste et développant une mélodie entêtante, souvent faux et irritant. C’est dommage, on sentait bien que ce concert aurait pu déboucher sur un beau set de qualité. Il ne restait que The Rakes pour aller au ciel… et on s’y est rendu direct grâce à ce groupe à l’énergie diabolique. Dans la lignée pure et dure d’un pop-rock déjanté, ils ont imposé à coups de rifs surpuissants, leur concert devant un public enfin conquis. La voix et le jeu outrancier du chanteur, la batterie qui dévaste tout sur son passage, la basse entêtante… Bon, OK, pour ce genre de musique, autant être Anglais, cela doit être dans les gênes, ce n’est pas possible sinon !
Le 17 : On commence par le petit Français de Wax Tailor. Et d’entrée le coup de foudre. Un DJ,S à ses côtés une violoncelliste et une flûtiste. Le choc. L’énergie de la machine confrontée à la mélodie des instruments. C’est beau, c’est génial, un pur moment de plaisir. Ils sont sympas, communiquent avec le public et ouvrent magnifiquement la soirée. On enchaîne avec Cut Chemist avec une intro à démonter le Palais. Sa puissance prend d’entrée puis s’émousse jusqu’à retrouver le fluide vital dans un dernier spasme orgiaque. Dilated People Machines plus rap. Sans convaincre, ils achèvent ce premier tour d’horizon de DJ’S flamboyants.
Le 18 : Plus de 3000 personnes sur le site. Teenage Bad Girl. Deux Parisiens ont la redoutable tâche d’ouvrir la soirée exclusivement réservée aux DJ’S. D’après ma fille, ils ne s’en tirent pas trop mal…Moi je trouve cela un peu convenu ! Princess Superstar décide de faire comme si elle était vraiment une princesse. Elle s’agite, se trémousse et envoie du lourd… Bon d’accord, on ne comprend pas vraiment pourquoi elle est une idole mais cela marche et elle emporte le morceau. Plus intéressant le duo Digitalism. S’appuyant sur un sampler et une batterie, avec une voix qui vient doper le son, ils sont plutôt sympas et efficaces. Les décibels envahissent le ciel de Cannes, cela bouge sérieusement sur la dalle de béton recouverte de pelouse verte. J’apprends que les chiottes sont bouchées, le bar sature, Florian et Hélène ouvrent de grands yeux devant la foule hystérique. Tout normal donc ! On peut alors se laisser envahir par la puissance et la finesse de Vitalic. Un maître en la matière, cela se sent ! Il sait composer avec des rythmes primaires et fondre les mélodies dans l’énergie la plus démentielle. On est au bord de la transe… pardon, on est ailleurs, juste là où personne ne peut nous atteindre. C’est Vitalic la super star de la soirée et manifestement, il mérite son triomphe !
Le 19 : la soirée où tout peut arriver. Billetterie fermée. Longue colonne de clients en attente de pouvoir pénétrer dans le sacro saint Graal. L’ambiance est bonne enfant, les chiottes sont réparées, le bar a fourbi son système d’alimentation de pompes à bière, les garçons sur leur 31…Buraka Som Sistema attaque. Bof ! C’est bruyant et brouillon. Toujours ces DJ’S qui époumonent leur machine. MSTRKRFT (prononcer Masterkraft… pourquoi faire simple quand on peut compliquer !). Un autre duo de DJ’S. Gros son, remix et airs connus. La foule se met à vibrer doucement. Mais bon ! CSS (Cansei de Ser Sexy) enchaîne. 5 filles, un garçon, une chanteuse en lamé or brillant, des ballons qui volent sur la scène, des jets de serpentins et surtout un groupe survolté passant de l’électro au rock, franchissant allègrement les frontières, uniquement préoccupé de faire un show ébouriffant, plein d’énergie et de puissance. Enfin un vrai groupe, avec de la musique, un jeu de scène ! Ce n’est pas le chien de la sécurité de The Palais, la boîte hype in the wind qui mordra le technicien du groupe qui pourra entacher notre plaisir. Vive les Brésiliennes !
Reste le clou du Festival, l’événement que tous attendaient : Justice pour la Pantiero, Justice pour un duo phare de l’électro française. En deux années, ils ont explosé et envahi les scènes du monde entier. Une croix lumineuse sur le plateau, une haie d’amplis et entre deux silhouettes sombres qui vont nous transporter dans un monde gothique de rupture. Les plages violentes succèdent à des moments de transes, des cassures font rebondir la tension. Ils jouent sur un rythme non linéaire et enferment le spectateur dans des boucles qui se referment sur l’absence. C’est particulièrement intéressant. Une vision noire sublimée par la musique. Deux DJ’S de plus dans notre escarcelle, mais ceux-ci, on s’en souviendra, il faut leur rendre Justice, ils savent y faire et représentent un vrai courant novateur de l’électro.

Bon, la conclusion c'est que l'électro version DJ'S c'est un peu gonflant parfois. Un groupe avec des musiciens, des instruments, c'est bon pour le moral. Pour le reste les Russes se chargerons de nous faire oublier la folie de ce public adorable. Des jeunes sympas, uniquement préoccupés de faire la fête en dansant sous les étoiles. Vive les "djeun's". Vive les Vacances !
 
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Musiques et spectacles en stock (1)

Publié le par Bernard Oheix

 
 
Un été de chaleur dans une France transie, des festivals fleurissant comme des champs de coquelicots où se croisent, dans les quelques kms d’un ruban de béton s’étalant de Cannes à Monaco, tous les genres musicaux, toutes les familles d’artistes, des stars aux révélations, et des dizaines de milliers de spectateurs… c’est le lot d’une Côte d’Azur baignant les pieds dans l’eau, la tête dans les nuages et dont le cœur palpite aux rythmes des nuits fiévreuses.
Voici donc un petit parcours, sélection entre les passages obligés, les manifestions organisées par notre direction, et les plongées dans les festivals de la région les soirs de disponibilités.
 
Les Nuits Musicales du Suquet. Du 18 juillet au 30 juillet.
 
Avouons-le, les Nuits Musicales du Suquet, c’est beau, le cadre est magique, la musique belle…il y a les mouettes au début, les étoiles à la fin, mais bon, parfois cela dégage une légère odeur de naphtaline, un parfum désuet d’une musique bien classique, vraiment très très classique ! Enfin, c’était vrai pour une grande partie des 19 éditions que j’ai eu le privilège de diriger avec Gabriel Tacchino en directeur artistique.
Cette année, surprise, c’est à des agapes résolument branchées que nous sommes conviés. Un Suquet ébouriffant, plein d’énergie et de passion, avec des interprètes hors normes. Jugez-en par vous-même.
Nemanja Radulovic ouvre le bal le 18 juillet. Nemanja on l’a découvert au Midem classique en 2005, l’an dernier dans les concerts révélations du Suquet. Cette année, il se présente comme soliste de l’orchestre régional de Cannes PACA dirigé par Philippe Bender. Progression fulgurante s’il en est ! Radulovic est un seigneur du violon. Il est jeune, beau, il joue comme un envoyé céleste. Il n’y a pas de limite à l’expressivité de son interprétation, à son « appropriation » de la partition pour en faire surgir des émotions inconnues. Même si l’œuvre choisie (Mendelssohn- concerto pour violon et orchestre) n’est pas celle qui lui permet le plus de mettre en valeur son génie, il rapproche la musique classique du spectateur, lui restitue une dimension plus charnelle, moderne. Son corps se plie et concentre toute la tension musicale pour la rendre expressive. C’est un spectacle. Sa finesse d’exécution explose en des plages où se déchaînent les tensions qui s’accumulent tant sous ses doigts que dans son corps filiforme.
Un seul regret, il n’aura interprété qu’une œuvre et nous ne l’aurons pas entendu dans son jardin secret, des compositions plus « balkaniques », plus populaires, celles où son talent peut donner libre cours à une liberté de ton sans concessions !
Laurent Korcia, (20 juillet), on en rêvait… et pas seulement à cause de Julie Depardieu ! Un autre archet de génie, une opposition de style absolue. Korcia sur scène est concentration, froideur, immobilité, silence. Son répertoire est savant (Dvorak, Brahms et surtout Bartok) mais la concentration qu’il dégage impose une attention maximum. Il rend explosive la partition sophistiquée, il donne à sentir les nœuds qui structurent la colonne musicale. Une ovation salue sa prestation. Avec lui, la musique savante se découvre et se laisse aborder pour le plaisir primitif des sens.
Fazil Say. (24 juillet). Si le génie était évident chez Radulovic et Korcia, chez Fazil Say, on ne parle plus de maestria, de talent, de puissance… on constate l’extraordinaire dimension d’un extraterrestre, un être venu d’une planète musique que rien ne peut entraver dans sa marche forcée vers les sommets de la déraison. Dans la tourmente venteuse, là où tant de pianistes auraient renoncé, il s’attelle au clavier et sous ses doigts, naissent les orages, la foudre et l’éclair. Il ne respecte rien car il n’y a pas de frontières pour cet esprit iconoclaste, il va où l’inspire son voyage intérieur, là où personne ne peut l’accompagner. Il est seul. Il est sans attache. Il est libre Fazil ! Quelle que soit l’œuvre, c’est du Fazil Say qui jaillit comme une tornade qu’il dompte, qu’il accompagne d’une sensibilité si personnelle qu’il s’approprie chaque note pour la restituer à une assistance médusée. L’homme est curieux, un brin autiste, laid, mais sa réserve est humaine, comme si, de côtoyer les Dieux en permanence l’autorisait à s’émanciper de toute contingence. Nous sommes tolérés dans cet univers si personnel parce que rien ne peut gêner ce géant hors normes.
Ce concert est sans doute un des événements majeurs de ma vie de programmateur. Je suis persuadé d’avoir rencontré, en ce 24 juillet, l’un des monstres sacrés qui font que mon métier reste une énigme pour moi. Si je ne suis toujours pas blasé après tant de soirées spectacles, c’est parce que, au fond de moi, je continue d’espérer croiser encore des esprits si brillants, si étincelants, si beaux que la vie nous semble encore meilleure et mérite d’être vécue. Merci Fazil Say, merci de nous montrer que l’art est toujours un domaine réservé à des dieux vivants, cela nous rend plus humain !
Camille (30 juillet). Une reine de la variété dans le domaine du classique. Exercice de haute voltige non sans risques. Certains attendaient goguenards son intrusion des feux d’une rampe bardée de sunlights au climat intimiste du Suquet et d’un public averti, d’autres, (son public) l’accueillant avec dévotion. Pari réussi. Plus que réussi. Une OVNI a débarqué. Entourée de la belle Julia Sarr, de Indi Kaur, de Seb Martel et avec Majiker à la direction musicale, ils interprètent une œuvre étrange de Benjamin Britten, écrite pendant la guerre sur un bateau cerné par des sous-marins allemands, « A Ceremony of Carols ». Une composition pour chœurs adaptée par Camille où chaque soliste va remplacer un canon. Lancinantes, entrecoupées de silences, les trois voix s’appuient sur une guitare discrète, étirant des voix d’ange en une véritable cérémonie secrète. Après une pause, Camille revient, seule. Avec sa voix et des percussions sur son corps (Ah, son corps !), couchée sur la scène, debout dos tourné vers le mur de pierres en fond de scène, se déhanchant elle se balade de pays en pays en restituant des prières gutturales. C’est étrange et iconoclaste. Elle est si fragile, elle se dévoile, déchire les convenances et se retrouve sur le fil d’un rasoir en train de jongler avec la raison. Une ovation salue sa prestation, des acclamations sincères d’un public qui pour être surpris, n’en a pas moins suivi Camille dans sa célébrations d’un dieu du son, d’un divin que les voix accompagnent au cœur des hommes.
Si on rajoute à ces concerts, un pianiste Chinois (Xu Zhong) avec plein de notes brillantes sous ses doigts, l’orchestre de chambre du Kremlin-Moscou avec un autre soliste d’exception, (Mikhail Ovrutsky), des concerts révélations avec une sublime soprano, (Yu Ree Jang), et un pianiste génial, (Kotaro Fukuma) on a donc assité à une 32ème édition des Nuits Musicales du Suquet complètement « Rock », ou « Bas Rock » si vous préférez. Des artistes géniaux, des œuvres incroyables, un public sérieusement rajeuni…c’était à nous donner l’envie de reprendre gout à ce festival. Quand la musique classique est si parfaitement expressive, on se souvient qu’avant d’être classique, cette musique fut moderne, que ses auteurs furent à leur époque, des créateurs contemporains engagés dans le monde réel. Par la grâce de quelques solistes, on s’en est souvenu, sur cette colline du Suquet où tout fut possible en l’été 2007, même d’aimer la musique classique !
 
Le festival de Jazz de Nice.
Peut-être est-ce la dernière édition dirigée par Viviane Sicnasi, l’étrange et lunaire programmatrice du festival. Grâce à elle, on a pu découvrir depuis des années, énormément d’artistes émergeants, de pépites attirées par les conditions surréalistes de ce festival. Coincé entre deux oliviers et deux stands, on ne peut ni voir ni écouter, cela sent la socca et la frite, on passe plus de temps à boire et à parler… mais qu’on est bien dans ce festival, lieu de rencontres et de découvertes, moment de l’année où l’on vient se détendre et sentir l’air du temps... par bribes !
Le 19 juillet.
No Jazz, que j’aurai l’honneur d’accueillir avec Abd Al Malik en mars 2008 « fait » la scène Matisse. Ils mettent le feu et déchaîne la foule qui grossit au fur et à mesure que leur set se déroule. C’est hybride, entre le jazz, le rock, le latino. Cela fait bouger et danser… Marcus Miller égal à lui-même et à son feutre noir fait tonner la basse et ses musiciens se lâchent autour de lui, improvisant un cordon sanitaire autour de cet instrument sorti de l’ombre pour reluire sous les projos. Les morceaux font vibrer en harmonie la basse et le cœur des braves. L’air semble s’emplir de vagues qui se mêlent en un étrange tempo sourd. Il déchaîne les passions en électrisant cette rythmique tribale.
Sly and the family stone : une légende exhumée du passé. Le groupe nerveux s’emballe et de temps en temps, (très rarement), Sly surgit derrière sa casquette à large visière. Il pianote trois notes et pousse deux tons de sa voix inexistante, définitivement envolée. Puis il disparaît en coulisses et l’orchestre peut enfin se lâcher et emballer quelques bons vieux refrains de la « famille pierre ». Cela sent l’arnaque mais la magie opère malgré tout, comme si le temps ne pouvait effacer cette mémoire du son à fleur de peau qui a bercé notre jeunesse !
23 juillet.
Raul Paz s’épuise en plein jour, sur une scène disproportionnée et rate son concert. Ce n’est pas le cas de Dee Dee Bridgewater et de son projet africain. Retour aux sources pour la diva du jazz. De longs mois à le recherche de son passé, des musiciens black généreux (Kabiné Kouyaté, Fatou Diawara), et la fusion afro-jazz peut alors s’imposer comme un langage naturel, comme si tous les chemins parcourus, des racines noires au jazz blanc, étaient condamnés à déboucher à Nice, un soir d’été 2007, sur ce concert d’anthologie. D’improvisions de la voix à la rythmique africaine, des percussions au balafon, des danseuses au soliste black, Dee Dee réussit l’incroyable gageure de fusionner les deux parties de son être, son Afrique et son Amérique avec la grâce et le naturel qui autorisent toutes les audaces. Elle a des mots justes pour dénoncer les maux d’un mal de vivre et parle avec simplicité de son unité retrouvée ! C’est cela une vraie diva !
The Roots enchaînent avec leur rap nerveux, leur tuba géant, la guitare saturée pendant que la voix déroule sa mécanique de perforation, imposant un débit sans faille ni trou d’air. C’est du grand Roots, sans fioritures, de l’énergie pure et dure. Et comme si cela ne suffisait pas pour une soirée d’anthologie, Toumani Diabatté et son système concluent aux arênes. La Kora trône impériale au milieu de la scène. Une dizaine de musiciens, représentant tous les pays de l’Afrique Noire, l’entourent et vont chacun à tour de rôle rivaliser avec le Maître… note à note, phrase à phrase, chacun avec son instrument (percussions, guitare, balafon…). C’est géant, cela parle du royaume Mandingue et d’une histoire chargée de grandeur, cela sent la fraternité et débouche sur un « band » de folie où le son règne en maître. Et comme si cela ne suffisait pas, la Diva débarque avec ses musiciens et la nuit va s’étirer à l’infini. Pour finir, Dee Dee et Toumani vont, voix et Kora en osmose, lancer des ponts vers une harmonie universelle. Grandeur. Sublime beauté. Les racines de la musique s’ancrent dans la générosité et le talent de ses interprètes.
25 juillet.
Manu Dibango dans son jazz pur et dur, (il a dû trop lire l’intitulé du festival) déroule un ruban de notes aseptisées et ennuyeuses à mourir. Exit Manu, fais-nous du Yéké Yéké ! Oxmo Puccino et the Jazz Bastards. Il paraît que c’est excellent ! Bof ! Je veux bien mais cela ne me convainc que modérément. Reste la sulfureuse Lauryn Hill. Plus d’une heure de retard, apparemment bien partie dans un monde intérieur, elle entre enfin devant une foule irritée qui mugit et se lance derechef dans un show au fil du rasoir. Forcément sublime quand elle accroche le « truc », à la limite du sordide quand elle désarçonne son orchestre en improvisant des variations pas toujours heureuses. La musique peut, par moment, devenir tsunami, emporter tout sur son passage et imposer un black-out au grondement du public médusé, à d’autres, sa voix maigrelette et ses approximations donnent le vertige, introduisent un sentiment d’irréalité, de fragilité. Lauryn Hill est une bombe pas toujours amorcée, on ne sait jamais si elle va exploser ou imploser. Tragiquement sublimissime, un de ces concerts dont on se souvient parce qu’il évolue en déséquilibre constant, dans un flou permanent, entre le diable et le bon dieu. C’est sur cette note, après plusieurs tentatives pour la faire sortir de scène que le festival s’achève, (vers 2 h du matin, alors que l’autorisation n’est que jusqu’à 0h30), bien à l’image d’une fête de la musique qui a pu réunir le meilleur et le pire, le grand et le petit, le sublime et le contesté.
L’an prochain est une autre vie dans un autre monde. On parle d’un gros requin parisien pour remplacer Viviane Sicnasi, un de plus, comme si les villes de province désiraient se coucher dans le lit des putains de Paris, là où cela sent si fort la magouille et le pognon. On verra bien qui tirera le gros lot !
Un festival qui assure dans la continuité, avec des petits prix, un cadre original, des artistes du monde, c’est bien Les Nuits du Sud, à Vence. Chaque édition est composée et présentée par Teo Saavedra, un Chilien aux chemises écarlates qui aime les musiques du monde. Chaque artiste qu’il présente est chez lui dans ce jardin d’Eden. 5000 personnes s’étaient donné rendez-vous pour le concert de Touré Kounda et de Rokia Traore. Touré Kounda fait hélas partie du passé. Voix approximatives, univers musical dépassé et brouillon, les légendes n’ont pas toujours l’éternité devant elle. Surtout quand le groupe est précédé par une liane d’une beauté à couper le souffle, d’une chanteuse au timbre velouté, avec des musiciens qui imposent une musique tribale sur un discours humaniste et moderne. Rokia est un spectacle à elle toute seule. Elle chaloupe sur scène, se fait intimiste pour dénoncer la corruption, volontaire pour chanter l’espoir, entraîne le public dans une savane qui chante l’origine du monde. Elle est musique et la foule sous le charme lui réserve une ovation formidable. L’Afrique, c’est aussi les femmes qui chantent pour des lendemains enchanteurs. Rokia, je t’aime !

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Ali Papa et les 40 voleurs de la Banque Nationale de Lutèce

Publié le par Bernard Oheix

Ali Papa et les 40 voleurs de la Banque Nationale de Lutèce
 
Imaginez ! Un couple âgé, qui a travaillé toute sa vie dans cette période où l’on savait qu’une vie de labeur déboucherait sur une retraite dorée. Un peu d’argent, un appartement, des enfants et petits-enfants et les années qui s’accumulent, avec cette mémoire qui fout le camp, ces noms que l’on cherche, cette désagréable impression de perdre pied et de ne plus retrouver ses repères. Le moindre des gestes nécessite un effort titanesque, le moindre des souvenirs représente une victoire amère sur ce temps qui ronge un passé en lambeaux !
La peur grandissante… de tout, de rien. On voit ses forces décliner et l’on a encore assez de lucidité pour comprendre que l’on est de plus en plus diminué. On sent l’usure faire craquer les articulations, raidir les muscles, voûter les échines. C’est cela la vieillesse, état inéluctable devant lequel tous les hommes sont égaux, ce qui donne du prix à la vie, ce qui nous guette mais que l’on vit d’abord par procuration avec ses proches !
Imaginez un fils devant la panique de celui qui a représenté l’ordre, la loi, la force et la sécurité : le père tutélaire comme un phare, indiquant les directions d’une vie et qui se retrouve soudain à la remorque de son enfant ! Imaginez son regard apeuré devant le moindre de ces papiers abscons qui nous dévorent, de ces lois et de ces virements qui semblent animés d’une vie propre. Prélèvements, cartes bleues, contrats d’assurance, crédits, remboursements… Tout un quotidien qui se pare, d’un seul coup, d’une aura maléfique, incompréhension doublée d’une technologie qui sous couvert de rapprocher les individus, les isole dans des tours d’ivoire inexpugnables !
 
Imaginez le coup de fil affolé d’une maman inquiète, elle qui s’est toujours appuyée sur les épaules de son mari, le chef de famille incontesté, et qui doit appeler à la rescousse le fils présent.
-Tu sais, papa est affolé, il a reçu un dossier de la banque, il ne comprend rien, c’est un document pour une carte, ça a l’air très important…Est-ce que tu peux passer nous voir ?
Rendez-vous pris, déjeuner. A la fin du repas, dans une colère presque enfantine, le père sort un dossier bien numéroté, avec ses onglets, avec ces traits rouges et bleus qui caractérisent son souci de tout classifier, de mettre de l’ordre dans le désordre. Justement, tout est en ordre, extérieurement… C’est sa capacité d’en saisir le contenu qui est émoussée, qui dérègle cette mécanique si bien ordonnée que des années de classification et de rangement semblaient à jamais préserver. Peut-on l’en blâmer, nous qui archivons nos dossiers sans les lire, qui signons des contrats sans vouloir prendre le temps d’en étudier les codicilles, nous qui nous faisons berner sans arrêt par des requins qui ne pensent qu’à s’engraisser sur notre dos ! Combien avez-vous de cartes de crédit dans votre portefeuille, combien d’agios scandaleux que vous laissez passer par faiblesse ! Combien de réclamations qui finissent à la poubelle ? Combien de bénéfices pour les banques sur le dos d’un client lambda, celui qui refuse de passer sa vie en procédures parce que le soleil brille derrière la porte austère de la banque !
 
J’ouvre le dossier. Un contrat en bonne et due forme, déjà paraphé par la banque avec un mot agrafé : « à signer et à renvoyer-Urgent ».
Le contrat portait sur l’acquisition d’une carte « premier », gold et compagnie, toute belle pour la modique somme de près de 20€ de gestion…mensuelle ! Une carte « premier » pour un couple de retraités dont le dernier voyage remonte à 10 ans…en Vendée dans la famille, qui effectue ses retraits à la banque une fois tous les 15 jours et qui utilise sa carte bleue environ 3 fois par mois !
 
Je file à la banque. Les deux personnes mentionnées sur le contrat opportunément en congés, je demande à voir un des responsables. Après les salutations d’usage, je sort le dossier et l’étale sur le bureau.
-Que pensez-vous d’une carte « premier » pour des vieux qui ne voyagent plus depuis longtemps et n’utilisent jamais leur carte bleue ?
-Heu !
-Est-ce que cela ne s’apparente point à de l’abus, un racket organisé sur des personnes âgées, par exemple ?
-Attendez, montrez-moi… (Sourire crispé et gêné dudit responsable)
-Comment se fait-il qu’on leur facture 18€ de frais de gestion par mois depuis des années ?
-Ha ! Oui, je comprends. Leur carte précédente ne se fait plus, il fallait changer…
-…en leur refilant une Rolls Royce alors qu’ils ne savent pas conduire !
-Oui, c’est sûr… Attendez, on va réparer cela. Je vous assure, ce n’est pas de la malhonnêteté, ils n’ont pas dû se rendre compte !!!!
 
L’air soudain affairé, il plonge dans son ordinateur et me propose une carte simple, un relevé mensuel, l’accès à Internet pour 40€ annuels. Dans un accès de pure générosité (la peur d’une éventuelle action contre leurs méthodes scandaleuses ?), il octroie à mes parents une gratuité pour un an.
Soit, si je calcule bien, depuis plus de 10 ans, mes parents par ignorance, règlent 18€ par mois de frais de gestion soit la modique somme de 18*12 mois*10ans=2160€ (1 million 420 000 francs… pour parler comme eux en ancien franc !), dérobés en toute légalité par une banque qui spolie ses clients âgés sans vergogne en leur proposant des services totalement inadaptés, pire, en leur mentant et en ayant des pratiques à la limite de l’abus de confiance !  Le système allait s’emballer, pourquoi s’en priver, quand soudain, l’accès de panique d’un vieux monsieur désarmé a enrayé la machine et le bon ordonnancement de ce racket organisé. La banque, seigneuriale, se dédouane en faisant l’aumône de 40€ représentant les frais de gestion d’une carte simple amplement suffisante !
 
Voilà donc le produit de cet ultralibéralisme qui a envahi notre société. Avant dans nos campagnes, il y avait le curé, le docteur, l’instit et le banquier pour représenter le succès et l’ordre, attirer l’estime des petites gens. Désormais, le docteur ne veut faire que 35 heures… mais désire rester dans l’aristocratie de la bourgeoisie et des notables en se faisant plein de pognon sur le dos de la sécurité sociale (donc de nos impôts !), le curé ne pense qu’à toucher les petits enfants et refuse le préservatif pour les jeunes, devenant un allié objectif de la diffusion du Sida, l’instit est en grève et n’aime plus les enfants, (il fait ce métier parce qu’il n’a rien trouvé d’autre)… et voilà que même le banquier détrousse les petites vieilles et se fait prendre la main dans le sac !
 
Décidément, tout part en live, en vrac, en sucette ! Reste le sourire de soulagement d’un petit vieux perdu dans la jungle moderne d’un système de plus en plus imperméable à toute humanité. Reste la satisfaction d’une maman devant « l’exploit » de son fils. Reste surtout l’écœurement du fils à la pensée du sommeil heureux de ces employés de banque qui, sans vergogne, manipulent les clients pour atteindre leur « chiffre », avoir la reconnaissance d’un sous-chef et devenir une ligne en bleu dans un listing central où d’autres sous-chefs font des tableaux que plus personne ne comprend ! Ils dorment du sommeil du juste en rêvant de primes conséquentes et prennent des vacances dans des paradis exotiques pendant que leurs victimes âgées s’acharnent à survivre dans un monde dont on a dérobé l’horizon !
 
On comprend mieux les profits colossaux et indécents des banques en France… mais à quoi servent-ils ? Des dividendes versés aux actionnaires (en majorité des fonds de pensions américains… qui gèrent les retraites des vieux aux Etats-Unis !). On comprend enfin les raisons des salaires mirifiques et des parachutes dorés des patrons de la banque ! N’ayez jamais besoin d’un prêt, ils vous appliqueront des taux proches de l’usure, n’ayez jamais besoin de liquidités si vous êtes artisan ou commerçant ! La banque est devenue un frein au développement de l’économie, elle est à l’image d’une société sclérosée, d’un patronat frileux et incapable d’assumer ses missions, parlant de libéralisme mais se réfugiant en permanence sous l’aile de l’Etat, se cooptant pour verrouiller le système, s’achetant mutuellement le droit de ne pas ouvrir les yeux sur la réalité !
Mais bien sûr, personne n’y est pour rien, c’est le système, n’est-ce-pas ! C’est la fatalité ! C’est la faute aux ouvriers qui se mettent en grève ! Ce sont les fonctionnaires ! Les Chinois Les Américains, l’Europe, l’OMC…
 
Alors, vive la Banque Nationale de Lutèce et ses 40 voleurs !
 

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Antonioni : la main passe

Publié le par Bernard Oheix

Je ne pouvais rester insensible à la disparition de quelques gloires du 7ème Art. Serrault, Bergman, et enfin Michelangelo Antonioni. Cela m'a remis en mémoire ma rencontre avec le maître italien, une des dernières pages de légende de l'histoire du cinéma. Je vous l'offre, c'est un cadeau que je me fais aussi, autant qu'à vous !
 
Mai 1997. Soirée du 50ème anniversaire du Festival du Film. Scène du grand auditorium Louis Lumière, pour une répétition de la cérémonie officielle. Toutes les palmes d’or vivantes sont réunies et s’agitent, s’interpellent, s’embrassent. J’hallucine éveillé.
Avec Nadine S…nous nous sommes imposés à la hussarde, avec nos plaques de terre afin de compléter notre collection de tous ceux qui ont échappé, depuis les années 80, à la cérémonie d’une prise d’empreintes. C’est une occasion unique, c’est aussi pour un cinéphile comme moi, un moment de bonheur intense, un privilège, la possibilité d’accumuler des heures de bonheur pour les années futures.
Lindsay Anderson et Robert Altman discutent de If et de Mash, Lelouch entretient Costa-Gavras d’un énième projet, Scorcèse et Coppola se souviennent de l’époque où ils étaient les jeunes loups du cinéma américain devant les frères Cohen et David Lynch goguenards, Wim Wenders pose son regard halluciné sur les fourmis humaines, Olmi et Kusturica se tombent dans les bras en parlant javanais, Pialat refuse de baisser son poing devant Imamura qui plisse les yeux…
Ils sont tous là, heureux le temps d’un soupir, 24 images à la seconde qui s’impriment sur ma rétine en un souvenir éternel. Les agapes divines sont des moments de grâce !
La mémoire au présent, dans un esprit bon enfant, le joyeux « bordel » d’une colonie improbable constituée de toutes les gloires vivantes qui ont illuminé la cérémonie de clôture de chaque édition de ce Festival.
J’avais étudié la liste des présents et m’étais réservé trois noms dont celui d’Antonioni, un mythe vivant, l’homme qui m’avait offert des moments de grâce pure. Imaginez, le créateur de Profession : reporter avec un Jack Nicholson au sommet de son art dans les décors troubles de l’architecture de Gaudi dans un Barcelone d’avant les Jeux Olympiques, quand La Sagrada Familia n’offrait encore qu’un pan de rêve comme repère à la folie de l’homme. Blow-up, sa palme révolutionnaire de 1967 et cette partie de tennis sans balle que seul le son mat des contacts fait résonner dans le vide des certitudes, Zabriskie Point et le désert de la mort (que je visiterai bien plus tard en pèlerinage), en hommage à toutes les révoltes adolescentes et à un cinéaste crépusculaire qui sut les capter dans l’œil de son objectif.
Mais il y avait aussi l’homme de l’Avventura qui désarçonna la linéarité du récit, La notte, Il grido, des acteurs de folie (Alain Delon, Jeanne Moreau), Le désert rouge avec Monica Vitti…
Voilà donc Bernard O… s’avançant, sa plaque de terre entre les mains vers son Dieu vivant ! Vivant quoique !
J’avais « éclipsé » (du titre d’un de ses films !), un petit détail : Michelangelo Antonioni avait eu une attaque cérébrale quelques années auparavant et, hémiplégique, se tenait prostré dans un fauteuil roulant, visage incliné vers le sol, les mains tremblantes posées sur les genoux D’un seul coup, je prends conscience de l’absurde de la situation. « Faire les mains » d’un paralysé, fut-il un génie, la mince affaire… Ô temps suspend ton viol !
J’improvise, attire une petite table auprès de lui, dépose la plaque en lui expliquant en italien l’opération que je vais effectuer. Ses yeux me fixent, perçants, insistants. Il ne répond rien et se laisse guider. J’imprime chaque doigt dans la glaise et arrive le moment fatidique de signer et de dater la plaque de terre argileuse. Je regarde interrogatif sa femme qui se tient derrière le fauteuil, elle opine de la tête en un « laissez faire » peu convaincant.
Monsieur Antonioni s’agrippe au stylo en tremblant. Il pose la pointe sur la terre et en bâtonnet, hésitant, tirant la langue, commence à tracer les premières lettres d’un Michelangelo interminable. Chaque trait est un effort, chaque tiret, une insupportable douleur. Je guette ce temps étiré, cette progression d’un mal qui ronge le cerveau, je transpire avec lui et quand, après avoir terminé les chiffres de l’année, il relève la tête, je vois, je sens une immense fierté dans ses yeux.
Cet homme qui avait signé quelques-uns des chefs-d’œuvre du cinéma, cet homme qui avait influé sur les destinées d’un Art majeur, cet homme, soudain, comme un enfant, était fier d’avoir imprimé sa marque dans la terre, pour l’éternité ! Dans son regard, je jure que j’ai vu le bonheur dans un visage décharné, le rire dans le rictus de la maladie. Il n’y avait rien de misérable dans son contentement extrême, c’était bien le grand Antonioni qui se trouvait devant moi, c’était vraiment lui qui avait signé d’une main tremblante… mais les éclairs de ses yeux me rappelaient combien le bonheur est fugace, combien le temps seul est juge de nos espoirs, combien le combat entre l’esprit et le corps peut s’avérer une lutte entre le bien et le mal !
J’ai perçu ce « bien » dans ses yeux, comme un gamin effronté, mais c’était Antonioni qui rêvait au crépuscule de sa vie, d’un monde dans lequel sa signature figerait à jamais la place prépondérante qui lui revenait au Panthéon des gloires du 7ème Art.
J’ai alors osé. Je me suis penché vers lui, je lui ai confié qu’il était un Dieu vivant et j’ai glissé un papier afin qu’il me dédicace un carton, pour moi, rien que pour moi, plaisir égoïste destiné à satisfaire mon égo, volonté de conserver la trace de ce moment unique et privilégié.
Il a souri goguenard et s’est penché vers la feuille blanche pour une nouvelle composition dont j’étais le bourreau définitif. Je vous l’offre en gage d’amitié, parce que cette signature n’est pas seulement celle d’un homme hors du commun, elle est aussi la preuve que je n’ai pas rêvé ce jour-là !
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Nous faillîmes ne jamais avoir sa plaque sur l’allée des Etoiles. En effet, par la faute d’un concessionnaire malhonnête, dans l’impéritie de cet artisan choisi pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec celles de l’art, cette plaque sans moule explosa à la cuisson et fut irrémédiablement perdue. Heureusement, Nadine S…, il y a trois ans, réussit à récupérer une nouvelle empreinte. Elle sera exposée, un jour, sur le parvis du Palais des Festivals, elle ira rejoindre ses congénères dans un univers de talents, de d’éclairs blancs et noirs offerts aux mains avides des touristes penchés vers ces traces augustes des légendes qui ont illuminé les écrans de nos phantasmes.
Antonioni s’en contrefiche désormais. Il compose avec ses copains Fellini, Visconti et tant d’autres Eisenstein, Griffith et Bergman, des œuvres que les humains ne pourront jamais comprendre ! Il a l’éternité pour cadrer l’immensité du désir, les sons de l’univers pour structurer le vide, les clefs du royaume pour comprendre enfin ces femmes qu’il adora avec constance, l’avenir pour imaginer des signes que les hommes saisiront peut-être et comprendrons enfin, un jour !
Merci monsieur Antonioni pour ce sourire de satisfaction qui erre sur nos lèvres quand je repense à notre rencontre et à cette « cérémonie » d’empreintes du mois de mai 1997 !
 

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