Se rendre à Paris afin de visionner des pièces de théâtre pendant la semaine des grandes grèves était une proposition stupide… j’en conviens ! On ne se refait pas, attiré par l’odeur de
soufre, les foules en colère, une France en décomposition, les patrons à l’agonie, un pouvoir d’achat qui ne baisse que pour les pauvres. Mon Dieu, mais (re)deviendrais-je un révolutionnaire
luttant contre l’ordre juste, (excusez-moi, je mélange tout !), un anarchiste foulant au nom de ses idéaux utopiques la bonne marche d’une société dans laquelle chacun et chacune doivent
savoir tenir sa place et rien que sa place !
Bof ! Ce que je sais, c’est que Paris en grève est une ville étrange, climat délétère, gens tendus mais résignés, froid perçant qui se glisse dans chaque encoignure, « vélibs »
pris d’assaut (j’ai fait mon baptême et je vous assure que je préfère les Alpes entre Venise et Gdansk aux pavés luisants des rues parisiennes !), taxis introuvables, métros condamnés, bus
aléatoires… et des kilomètres à pied à n’en plus finir, dans le bruit et la fureur d’une circulation multipliée, à regarder les numéros et les noms des rues comme si le salut éternel de mon âme
en dépendait, à scruter une carte illisible afin de se retrouver dans le dédale d’une toile d’araignée qui nous étouffe. Vive Paris, vive le spectacle !
Tout cela pour une semaine très mitigée disons-le. Une vraie crise du spectacle avec des salles à moitié vides (en plus avec les grèves !) mais aussi une crise de la création et des
propositions pas toujours intéressantes. Le monde du spectacle vit un séisme, un dérèglement réel qui va ensanglanter certaines planches de nombreuses scènes dans les années à venir. Quant
au public, il faudra bien que je vous livre un jour ce que j’en pense !
Victor et les enfants au pouvoir avec Lorant Deutsch pourrait faire illusion mais sonne presque « désuètement », comme si ce langage et ces situations venaient en écho
d’un monde rêvé, il y a bien longtemps, par les surréalistes. Biographie sans Antoinette avec Lhermitte et Testud sur un texte de Max Frisch et une mise en scène de Hans Petter
Cloos est un admirable exercice de style très convaincant, tant sur la forme que sur le fond. Un homme se voit proposé par un metteur en scène (Dieu !) de refaire sa biographie. Il va
vouloir chasser une femme de sa vie mais elle reviendra, encore et toujours, parce que l’on ne peut gommer la vérité de son existence. C’est brillant, intelligent… mais cette pièce sera à Nice,
au théâtre l’an prochain, donc pas à Cannes.
Et puis cela se gâte. Happy Hanouka, était présenté comme la comédie à la mode, son humour juif écrit par un dialoguiste avec les pieds en grève de talent, elle s’échoue sur les
rives d’une vulgarité sans rémission. La vie devant soi, avec Myriam Boyer, tirée du roman d’Emile Ajar, nous donne l’envie irrépressible d’achever l’actrice afin de lui épargner
le long calvaire d’une existence pour rien… et certainement pas pour l’attrait du spectateur. Les Chaussettes avec Desarthe et Galabru s’étirent en longueur et offrent quelques
trous. La problématique est alléchante (théâtre de création et théâtre de comédie, public et privé, réunis en une création ultime par deux vieilles gloires dans leur genre respectif, à la
recherche de leur prestige éteint), mais la pièce manque de finesse, les articulations sont trop évidentes et le jeu de Galabru (même en sourdine !) tonitrue à nos oreilles à la limite du
supportable. Une occasion ratée malgré des efforts évidents pour parler à la tête !
Quelques lueurs d’espoir avec les monologues du vagin. Pièce devenue culte, à juste titre, les trois femmes (dont Nicole Croisille), nous entraînent dans un tourbillon de rires
et d’émotions. L’homme rit aussi devant ces vagins abandonnés, trop sollicités, fiers, couards et c’est une admirable leçon d’histoire naturelle qui nous est dispensée avec « doigté »
mais sans rien cacher. Vive les vagins monologuant !
Enfin pour la fine bouche, Bruno Solo dans un formidable Système Ribadier. Une histoire débile d’homme qui endort son épouse pour aller la tromper, d’ami amoureux transi de la
femme qui la réveille volontairement, des quiproquos, chassés-croisés et autres variations, emmenés avec rythme, joués à la perfection, un vrai bol d’air d’un Feydeau monté sans temps morts, avec
efficacité.
Ouf ! Il était temps de tenter de rentrer, à pied, à cheval, en TGV… mais dans la douleur toujours retrouver sa Côte d’Azur… sous les flots !
Et pendant ce temps, Stephan Eicher enchantait des hordes de femmes échevelées dans le Grand Auditorium du Palais des Festivals. Et son show était sublime d’après les quelques oreilles
ennemies qui traînaient dans la salle. Et je n’étais même pas là ! Un conseil, achetez son dernier CD, il est génial !
La galère de Lutèce.
Ah ! Rachid
Avant de partir à Paris, je tenais à vous mettre en ligne mes impressions sur un concert hors norme, un de ceux qui vous laisse pantois, désarçonné, plein de passion, écorché de
musique. Rachid Taha, un maître, un grand, quelqu'un qui sait parler aux notes et les rendre vivantes !
Voilà, le mardi 13, je vais tenter de rallier Paris envers et malgré les grèves, histoire d'aller faire mon marché théâtral. Rendez-vous dans quelques jours pour un compte-rendu sur l'actualité théâtrale.
Voilà, le mardi 13, je vais tenter de rallier Paris envers et malgré les grèves, histoire d'aller faire mon marché théâtral. Rendez-vous dans quelques jours pour un compte-rendu sur l'actualité théâtrale.
Oui, mon cher, tu ne ressembles pas à grand-chose quand la lumière vient t’enfermer dans sa cage dorée. Une grande pelisse dont les rabats trainent sur la scène, une « chapka » à étoile
rouge sur la tête (qu’il ressortira sur « camarade », fièrement) laissant échapper une touffe de cheveux noir ébouriffés, petit et pas rasé, un informe sarouel rouge à carreaux et cette
allure inimitable, entre l’aisance et l’abandon, la nonchalance et le je-m’en-foutisme, un côté décalé soigneusement entretenu qui va exploser dès que le groupe se mettra en branle.
J’avais eu le plaisir de le programmer en 2001 dans la première édition d’une Pantiero qui voyait Mathmata, Sinsémilia et d’autres, apporter un souffle d’air nouveau dans les programmations trop
conformistes qui étaient mon lot quotidien de programmateur cannois. J’avais modestement ouvert un créneau sur les musiques du monde mais toujours reculé devant la jeune scène iconoclaste
française. Il était temps de me lâcher et les élections m’avaient ouvert cette lucarne tant attendue. Début d’une aventure qui nous verra prendre des risques et ouvrir grand les portes de la
nouveauté. Je me souviens d’un des plus beaux concerts qu’il m’ait été donné de voir. C’était dans la tournée d’un Made in Médina décapant. Je vous conseille ce disque, il doit nécessairement
faire partie de toute discothèque intelligente !
Depuis, je savais que nos chemins se recroiseraient. Il avait été ébahi de jouer dans ce cadre magique, dans cette ville si décalée par rapport à son univers habituel. Il me l’avait dit dans un
sourire en coin, entre deux verres en penchant sa tête sur le côté. Cannes, sa Croisette, ses petits vieux et leurs chiens en laisse… mais aussi Rachid Taha, l’enfant d’une douce France qui
retrouvait ses racines pour inventer un rock nerveux, tribal, électro-ethnique, parfait exemple d’une mixité où le meilleur des deux cultures entrait en fusion.
Pour la petite histoire, c’est à ce concert du 14 août 2001 que j’ai vécu mon unique « baston » de toutes les soirées que j’ai pu organiser. Un public particulièrement chaud, une
sécurité à fleur de peau et l’inévitable scène d’affrontement de coqs en colère, tee-shirts déchirés, hurlements et vagues du public partagé entre la violence des sons qui grimpaient au zénith et
la bousculade et les coups qui pleuvaient.
Samedi 10 novembre. Il fait un temps superbe, l’équipe de Taha débarque de Strasbourg en bus. Ils sont sympas et décontractés, prennent possession de la salle et installent la technique. Rachid
est à l’hôtel, dérangement gastrique à la clef.
Les réservations ne sont pas bonnes (150 ventes !) mais j’espère en la dernière vague, ceux qui ne réservent pas, vont au concert sans prendre leur billet ! Disons-le tout de suite, cela
fera chou blanc, l’assistance remplira la salle de la Licorne pour un 320 qui permettra au concert de se dérouler dans de bonnes conditions (la capacité est de 450) mais qui m’empêchera de rêver
à une recette miracle ! Encore un concert largement déficitaire, tout comme celui d’Arno. Il va falloir tenter de remédier à ce problème endémique d’objectifs non atteints sur la musique
afin de conserver cette liberté de choix dont je dispose actuellement ! On sait bien que seule la réussite et le remplissage des salles empêchent l’effraction de pressions extérieures !
Mais bon, pour le moment, j’ai encore un répit grâce à quelques superbes réussites comme Brégovic, Archive et autres Migenes…
Sur le concert que dire ? Génial, superbe, fantastique et autres qualificatifs…Quelques morceaux de légende de ses précédents disques parsèment son show. Barra barra, Garab, Ala Jalkoum, Hey
Anta et le sublime Médina. Tous des morceaux qui obéissent à une logique de monté vers la transe rock en une série de paliers qui font grimper l’intensité. Batterie, basse et clavier installent
une rythmique, la guitare brode et cisèle les interstices, les articulations permettent un basculement et déclenchent la fusion. Rock in the Casba et de nouveaux morceaux tirés de Diwan 2
complètent le set, soutenu par une derbouka et une mandoline qui apportent des sonorités orientalisantes à ce rock progressif. Tous les musiciens qui l’accompagnent (à parité entre européens et
arabes) sont en phase totale avec leur leader qui tient la scène et tangue. Sa voix éraillée de basse, rauque, déchire les pans de musique et vient se heurter aux instruments en soli. C’est un
grand Rachid Taha qui opère en ce soir du 10 novembre 2007 pour un public définitivement acquis. Merci Rachid. En loge, goguenard, la bouche en coin, tu sais que tu a réussi ton coup, que tu as
mis les spectateurs dans ta poche et que le métier a encore parlé. Tu reviendras, mon Ami, la scène cannoise ne peut tolérer trop longtemps une aussi longue absence.
Bon, le bilan, même s’il est mitigé question nombre de billets vendus, reste exceptionnel quand à la qualité de ces concerts de la rentrée 2007/2008. Avoir accueilli Grand Corps Malade, Mano
Solo, Archive, Arno et Taha…et en attendant Eicher, tout cela en un mois, nous donne la certitude d’avoir œuvré pour ceux qui cherchent à atteindre un pan de paradis et à fuir la morosité
ambiante, nous rend heureux et persuadés d’avoir autorisé quelques moments de rêves pour ceux qui aiment la musique, la vraie, celle de toutes les passions, celle qui n’a pas de frontières et
transgresse les normes.
Vive la musique des cœurs vaillants !
Dansons la Sévillane
Enchaîner Montréal et Séville, c'était travailler dans le contraste ! Voilà donc le compte-rendu de cette manifestation. Il ne sert à rien de se voiler la face, la lumière est trop
belle dans cette ville pour être filtrée. Alors, rendez-vous à l'année prochaîne pour de nouvelles aventures...
C’est la 2ème édition du Womex, le marché des musiques du monde, qui se déroule dans la belle ville de Séville. Je loge dans un appartement au rez-de-chaussée d’une ruelle pavée dans le quartier historique de Santa-Cruz, la vieille ville adossée à la cathédrale. L’an dernier je n’avais presque rien vu d’une Séville éventrée par les travaux du tram, étant excentré dans la zone des expositions et n’investissant les murs que pour des restaurants de nuit. Dès la descente de l’avion, les effluves d’un air chargé de senteurs vous emplissent d’un bonheur trouble, suavité d’un ciel azur, le temps est magnifique, équivalent à un mois de juin de chez nous, petit tee-shirt, soleil dans les yeux. Les Sévillanes sont belles à croquer, elles parlent comme des moulins à paroles, à toute vitesse, arpentant en groupe les trottoirs pavés des rues piétonnières, les vêtements estivaux laissent entrapercevoir une peau dorée par un soleil qui règne en maître sur la ville et impose ses contrastes de lumière. Elles sont désirables et le savent, vêtues de chemisiers de couleur vive, si brunes, les traits fins, cheveux de jais, le regard en panache. Je n’avais décidément rien perçu de la beauté de cette ville en 2006. Je la découvre dans les yeux noirs de ces jeunes Ibères qui chantent leur bonheur sur les pierres ocre patinées par des siècles d’histoire.
C’est la 2ème édition du Womex, le marché des musiques du monde, qui se déroule dans la belle ville de Séville. Je loge dans un appartement au rez-de-chaussée d’une ruelle pavée dans le quartier historique de Santa-Cruz, la vieille ville adossée à la cathédrale. L’an dernier je n’avais presque rien vu d’une Séville éventrée par les travaux du tram, étant excentré dans la zone des expositions et n’investissant les murs que pour des restaurants de nuit. Dès la descente de l’avion, les effluves d’un air chargé de senteurs vous emplissent d’un bonheur trouble, suavité d’un ciel azur, le temps est magnifique, équivalent à un mois de juin de chez nous, petit tee-shirt, soleil dans les yeux. Les Sévillanes sont belles à croquer, elles parlent comme des moulins à paroles, à toute vitesse, arpentant en groupe les trottoirs pavés des rues piétonnières, les vêtements estivaux laissent entrapercevoir une peau dorée par un soleil qui règne en maître sur la ville et impose ses contrastes de lumière. Elles sont désirables et le savent, vêtues de chemisiers de couleur vive, si brunes, les traits fins, cheveux de jais, le regard en panache. Je n’avais décidément rien perçu de la beauté de cette ville en 2006. Je la découvre dans les yeux noirs de ces jeunes Ibères qui chantent leur bonheur sur les pierres ocre patinées par des siècles d’histoire.
Je n’avais surtout pas remarqué les jardins innombrables, l’ombre immense des ficus, les encorbellements des fenêtres dégorgeant de fleurs et de verdure, les entrées ouvertes sur des patios
brillants, la propreté luisante de la ville au clair de lune. Dédale enfanté par un architecte tortueux résonnant des sons des guitares et des chants d’un flamenco dégorgeant des bars à tapas.
Séville est si belle, si touchante dans ses vestiges d’un passé flamboyant, les marques d’un temps préservé, cette place d’Espagne où trône un château gigantesque enserrant entre ses deux ailes
recroquevillées, les tentes où se déroulent les show cases, passages obligés de 45 minutes en live pour tout groupe désirant atteindre à la notoriété du monde des musiques du monde, confronté au
2800 congressistes cherchant cette pépite que tout organisateur rêve de déterrer pour assurer sa clairvoyance. Etre le premier, sentir le succès du lendemain, offrir la certitude d’un événement…
c’est d’autant plus grisant qu’à Séville, au Womex, nous sommes le public, le juge suprême, déconnecté de toutes les contingences.
Juan Carmona et Trilok Gurtu, les plus beaux sourires du Womex
Juan Carmona et Trilok Gurtu, les plus beaux sourires du Womex
La World-Music n’est plus seulement le reflet d’une tradition figée. Elle est aussi ancrée dans la modernité, dans le choc des cultures induit par une mondialisation de l’art et de la
communication, par l’irruption des sons électroniques sur des instruments ancestraux. C’est sans doute une des principales constatations qu’il faut tirer des dernières éditions de ce marché, un
mouvement d’accélération évident s’emparant des créateurs et leur autorisant de mixer leurs sons aux sons venus d’ailleurs, d’inventer un langage universel qui parlerait à tous, qui, d’une région
reculée de notre planète, réussirait ce « cross over » pour séduire les spectateurs de tous les pays, de toutes les races, de toutes les cultures.
Au-delà de ces restaurants où l’on se réunit la nuit venue, de ces tapas, passage obligé d’une gastronomie effrénée, de ces bières à 2€ que l’on boit accoudé au bar du festival, de cette boîte à
ciel ouvert où l’on se retrouve jusqu’à l’aube pour parler d’une internationale de la musique et du spectacle, il y a la magie des concerts, la puissance phénoménale d’un groupe se livrant pour
45 minutes d’un combat sans merci aux désirs d’un public de professionnels.
Auparavant, dans des séances de déambulations permanentes, les rencontres avec les acteurs de la vie des groupes, producteurs, managers, tourneurs, acheteurs de spectacles, organisateurs de
festivals, rythment la journée dans les halls du Palais des Congrès de Séville. Ils sont tous là ceux qui sont des voix de téléphone tout au long de l’année, qui m’informent et me conseillent, me
guident et ouvrent mon horizon. Grande famille informelle, ils composent une fratrie bizarre que le lien de la musique cimente, que les espoirs de découvertes enrichissent, longs palabres où la
réalité du terrain refait irruption. Ce n’est pas tant la qualité des groupes qui est en jeu mais bien la capacité à trouver un public trop souvent formaté par une télé décérébrante. Mais de
cela, il sera toujours temps d’en parler de retour dans nos lieux respectifs. Pour l’heure, vive la folie de l’abstraction et le refus des contraintes.
Bertrand D, Annie R après boissons !
Bertrand D, Annie R après boissons !
Et que vivent les concerts !
Jeudi 25 octobre :
Toumast L(Niger/France). Aminatou a des yeux de velours, la guitare en bandoulière, elle lance des « youyous » stridents qui couvrent les riffs
sanglants de berbères aux tenues chamarées. Entremêlant les sons plaintifs d’une Afrique saharienne qui se révolte aux sons basiques d’un rock sanglant, la musique oscille avec énergie entre deux
cultures, deux mondes ouverts. C’est beau et pur, une vraie fusion. Ils seront cet été sur le parvis du Palais pour étrenner un cycle « découvertes du Womex » et apporteront un peu de
ce vent chaud qui fait miroiter le sable du désert.
Les Albanais de la Fanfare de Tirana et les Russes de l’ensemble Altaikai déroulent leur set propre avant une des révélations absolues de ce festival.
Les Balkan Beat Box, (Israël/USA) prennent alors le public à bras le corps. Ils rentrent sur scène comme des fauves, balancent leur musique des Balkans à la gueule du public, y
greffent des ordinateurs qui « scratchent » et arrosent largement d’une sauce aux cuivres en survoltant la scène. Leur jeu outrancier fait mouche, les sons montent vers un diapason
ultime et ce set ébouriffant décoiffe les présents ébahis d’une telle décharge de violence. Ce sont les BBB, retenez ce nom, ils vont recroiser ma route et finiront leurs hurlements dans la fosse
d’un concert cannois, c’est sûr !
Et pour finir, une extraterrestre, Tanya Tagaq (Canada), une Inuite déjantée encensée par Bjork. Robe échancrée sur des cuisses d’haltérophile et des épaules de déménageurs,
Tatouages apparents, col de fourrure dans la moiteur de la salle, elle est accompagnée d’un ordinateur lancinant et d’un violoncelle pleureur. Elle éructe, gémit, sanglote, rit et plus si
affinité pendant deux morceaux interminables de 20 minutes devant un public abasourdi. Parfois l’émotion est perceptible, souvent elle s’agite comme un animal ferré dans un piège létal et se
débat dans un vide austère, souvenir des grandes plaines verglacées de son pays, il fait nul doute ! Elle donne le vertige, une impression de décalage intolérable entre son projet inabouti
et notre capacité d’acceptation pourtant plutôt large. Il nous faudra bien quelques verres pour se remettre en état de fonctionnement !
Vendredi 26 octobre.
Mamani Keïta et Nicolas Repac (Mali/France) La fusion est douce entre les harmonies Africaines et les apports du guitariste et du batteur Français. Une belle musique au cœur d’un
projet de rencontre. La voix de Mamani Keïta est chaude, elle est belle comme une reine d’Afrique et convainc aisément le public sous le charme.
Je passerai sur la Shica (une Espagnole exhibitionniste qui épuise son public) et sur les Mono Blanco (un énième orchestre de Mexicains basanés avec des
sombreros qui hurlent comme si leurs doigts s’étaient coincés dans les cordes des mandolines !). Plus étonnant le Melingo d’Argentine, où un clone de Pierre Arditi va
interpréter des tangos en y apportant une touche d’un humour décalé. Il jette ses chaussures en l’air, improvise des contorsions, crache sur scène, (on ne comprend pas toujours pourquoi !)
afin d’endosser un habit de clown blanc que sa crinière argentée souligne d’un trait de désespoir. Enfin, l’orchestre était vraiment bon, à part cela !
Et avant de plonger vers le comptoir pour l’anniversaire de ma copine Cendryne R, Un Kuti de derrière les fagots, dans la famille Anikulapo, je voudrais le fils
Seun avec ses guerriers aux maquillages tribaux, les peaux de lions et les regards noirs, les choristes callipyges bien en chair qui ondulent et les innombrables cuivres qui
tanguent sur scène. C’est la 3ème fois que je les vois, c’est toujours aussi efficace, un afro-rock bourré de vitamines, destiné à faire danser le bassin et à oublier les fatigues de
la journée.
Samedi 27 octobre.
3canal (Trinidad et Tobago) Inaudible pour cause de sono récalcitrante et mal réglée. Leur salsa avec 3 voix et un jeu de scène dynamique s’épuise sur la bouillie sonore qui se
dégage. Cherchez l’erreur !
Mayra Andrade (Cap Vert) est belle comme une déesse, sensuelle, elle se démarque d’une Cesaria Evora, icone de cette île perdue dans les vents de l’Atlantique, et trouve un
compromis entre les sons de son univers et des complaintes plus personnelles attachantes. Elle a du rythme et sait jouer de toutes les fibres de sa séduction pour nous chanter au cœur l’espoir et
la joie de vivre. Une belle rencontre d’une future très grande dame de la chanson sans frontières.
Arrive le Caravan Palace. Deuxième choc de ce Womex. A l’image des BBB, ils déboulent sur scène avec la faim au ventre. Sur des musiques tsiganes, la chanteuse décoiffe ses
partenaires et les entraîne dans un show tout aussi ébouriffant que leurs collègues des Balkans. Les ordinateurs rugissent, les chanteurs se donnent, le violon grince et l’ensemble assure une
somptueuse frénésie bourrée de surprises et d’enthousiasme. Dans ma tête se dessine une soirée avec les Balkan Beat Box et le Caravan Palace et je vois le public sortir les cheveux dressés, la
mine réjouie et les oreilles bourdonnantes. Le « Caravan » passe, le public aboie, rendez-vous à Cannes à l’automne 2008 !
Et nous terminerons sur notre Cor de la Plana d’un Marseille émouvant. A la polyphonie originelle, les percussions des talons et des mains, des tambourins et des cymbales,
syncopent les airs lancinants de voix qui s’enchâssent. Belle mise en espace du chœur aligné en demi-cercle, un final en apothéose qui cingle le vent du large et résonne dans la plus primitive
des musiques, celles des voix sans artifices d’une ville de Marseille, port de toutes les angoisses et de la mixité où s’échouent les rêves d’un monde meilleur.
Batzen et Oheix en discussions animées...
Batzen et Oheix en discussions animées...
Il est temps de conclure sur ces soirées chaudes et de rentrer à l’aube, faire les valises sur un dernier soupir, d’engranger quelques espoirs dans des yeux de compassion, de rêver d’un monde
d’étrangeté où le public se ruerait sur ces programmations d’un lendemain d’utopie, d’accorder un dernier crédit à l’humanité qui se cherche et ne se trouve que si rarement. Et si demain les
pavés de la scène dévoilaient un sable de douceur et d’amour. Hardi, camarades !, encore un effort pour être révolutionnaire !
Magali L et son équipe à l'aéroport de Séville. Notre avion est annulé pour cause de grève !
Magali L et son équipe à l'aéroport de Séville. Notre avion est annulé pour cause de grève !
Du déplacement outre-Atlantique.
Il fallait bien que je vous narre mes aventures en pays de caribous, la gentillesse des Québécois, le monde étrange des artificiers et les longues soirées arrosées de bières. Il n'est pas
toujours facile de représenter la France ! Alors bonne lecture.
Québec my love : du 15 au 21 octobre 2007
Comment ne pas détester ce système à l’américaine qui fait que le prix affiché n’est jamais celui que vous payez ! Dans un restaurant, sur un plat annoncé à 20$, on applique une
1ère taxe nationale, puis une 2ème régionale et pour finir, il faut rajouter l’équivalent en pourboire « obligatoire »…soit en gros 27$. Que les patrons
s’exonèrent du salaire de leurs serveurs en escomptant leurs clients obligés de régler « volontairement » ces 10%, le rapport insupportable que cela induit entre l’acheteur et le
serveur, cette forme d’esclavage capitaliste moderne, tout cela m’insupporte…mais bon, je ne vais pas faire la fine bouche, je suis ici pour un congrès de la pyrotechnie, je viens retrouver des
amis et accessoirement jouer à la baby-sitter au pays des caribous et de la poutine !
En effet, ce voyage s’est déclenché à l’impromptu, le chargé des feux d’artifice de l’évènementiel affichant une forme peu reluisante, j’ai du me décider à l’accompagner afin de veiller au
grain... et bien m’en a pris !
Départ de Nice le lundi 15 octobre à 9h30, transit à Paris pour 7 heures d’avion, un bon film (Dialogues avec mon jardinier), deux autres moyens (Pur week-end et Waitress), un soduku du monde
(expert !), deux mots croisés (Libé et le Monde) et je débarque à Montréal Dorval, début d’après-midi, beau temps, la tête dans le sac. Pour moi, biologiquement, il est déjà l’heure d’aller
se coucher. Je passe au congrès au Queen Elizabeth, rencontre Martine G, mon amie organisatrice du festival de Montréal des feux d’artifice (le plus grand du monde avant Cannes !) et
Maria-Grazia G, mon ange gardien, la responsable de Panzera, une des firmes les plus importantes de la planète artifice, fabricant et concepteur de feux de Turin, père spirituel du festival de
Cannes. On s’embrasse et je demande des nouvelles de Daniel D, mon collaborateur arrivé depuis deux jours. Inquiètes, elles m’annoncent qu’il a disparu depuis la veille et que sa chambre ne
répond pas.
Je constate qu’aucun de mes deux téléphones ne fonctionne, une histoire de bandes (3 au lieu de 2 !) et découvre le cauchemar de se retrouver isolé, sans cet appareil greffé directement à
l’oreille, sans la possibilité de joindre immédiatement quiconque se trouve sur cette planète et à besoin d’entendre ma voix. Et dire qu’il y a seulement une décennie que cet appareil a envahi le
monde ! Je décide d’aller m’installer à mon hôtel et nous nous donnons rendez-vous pour 20 heures au restaurant panoramique du Delta Centre-ville.
Après avoir défait ma valise, pris une douche, je décide de m’allonger quelques minutes afin de récupérer. Par précaution, je règle le réveil sur 19h30 et glisse imperceptiblement vers un sommeil
léger… Sonneries stridentes. Je me précipite sur ce « putain » de radio-réveil et tente de l’arrêter… avant de m’apercevoir qu’il s’agit du téléphone de la chambre. Je cours vers lui
trébuche dans le noir sur un tabouret et décroche pour entendre le silence obsédant qui grésille dans l’écouteur. Trop tard ! Horreur, il est 22 h ! Je bondis vers la sortie, en
m’habillant, attrape un taxi au vol pour le Delta. Il me dépose, je cours vers l’accueil en demandant le restaurant panoramique. Sourire de la sémillante employée. Je me suis trompé de Delta. Je
fonce de nouveau dans la nuit, guette un taxi, et me fait déposer au pied du bon Delta. 24 étages plus haut, aucune tablée franco-italo-québécoise pour me rassurer dans cette salle qui domine le
Saint-Laurent majestueux et nous fait découvrir les lumières de la ville. Désespéré, sans téléphone, incapable de joindre quiconque, perdu et abandonné avec des écharpes de brume dans le cerveau,
je me rends au bar de l’hôtel du rez-de-chaussée afin de me réconforter avec une bière et tombe par hasard sur toute l’équipe…moins Martine G. Elle est à l’hôpital, aux urgences pour accompagner
mon collaborateur trouvé à moitié inconscient dans sa chambre !
Cela plombe quelque peu l’ambiance de nos retrouvailles ! But the show must be gone, comme l’on dit, et je termine le plateau-repas de Martine G en compagnie de Mélanie, la fille du
concepteur de Féérie qui gagna la Vestale d’Or en 2006 à Cannes, de Paul, le régisseur de Montréal et de Maria-Grazia stoïque et mystérieuse comme à l’habitude.
La Slovène et la Québécoise, un duo de charme pour les longues nuits de l'hiver polaire !
La Slovène et la Québécoise, un duo de charme pour les longues nuits de l'hiver polaire !
Après une telle entame, que vous dire du séjour ? Que les artificiers sont des êtres étonnants ! Il y avait réuni la crème des Japonais et des Américains, qu’un repas avec une légende
comme Eric Tucker est une aventure en un pays ésotérique qui s’illumine de traits de feux, que Alberto Navarro qui vit dans les montagnes du côté de Seattle en concevant ses feux en trois
dimensions avec l’ordinateur est un monstre d’intelligence et un personnage de roman, que le représentant de Marutamaya, la légende nippone est un jeune qui semble tout droit sortir d’un film de
Kitano et que son sourire chaleureux ouvre les portes d’une Asie insondable, que Khan le Russe Mongol de Kaléningrad va enfin tirer à Cannes et que j’en tremble déjà même s’il a une fille
adorable aux yeux en amande… Tant d’images, tant de repas et de discussions s’achevant vers 3 heures du matin, dans des bouis-bouis de la rue Sainte-Catherine animés comme les nuits d’un été
indien, buvant (trop) de gin tonic en refaisant le monde d’une internationale de bombes pacifiques.
Eric Charbonier, le Canada dans toute sa simplicité et sa chaleur
Il y a le sourire désarmant d’Eric Charbonier, un Québécois adorable pétri de sensibilité même s’il s’est « planté » en beauté sur Cannes cet été (feu du 14 juillet), Mélanie Cagnon, une Canadienne au sourire enjôleur, vivant au Portugal et travaillant chez Luso (un des plus beaux spectacles jamais tiré à Cannes !), mélangeant les cultures et brassant les océans, une colonie de belles Slovènes postulant à la reconnaissance de l’Europe des feux, des Anglais, Espagnols, Italiens… tous ont tiré à Cannes ou rêvent de le faire, tous rient de la vie dans ce moment unique où rien ne vient ternir le plaisir de débrider son imagination.
Eric Charbonier, le Canada dans toute sa simplicité et sa chaleur
Il y a le sourire désarmant d’Eric Charbonier, un Québécois adorable pétri de sensibilité même s’il s’est « planté » en beauté sur Cannes cet été (feu du 14 juillet), Mélanie Cagnon, une Canadienne au sourire enjôleur, vivant au Portugal et travaillant chez Luso (un des plus beaux spectacles jamais tiré à Cannes !), mélangeant les cultures et brassant les océans, une colonie de belles Slovènes postulant à la reconnaissance de l’Europe des feux, des Anglais, Espagnols, Italiens… tous ont tiré à Cannes ou rêvent de le faire, tous rient de la vie dans ce moment unique où rien ne vient ternir le plaisir de débrider son imagination.
Je m’attire une certaine réputation au cours d’un repas en demandant à Georges A. quelle firme il représente…Sa réponse est légèrement sarcastique :-celle qui a gagné chez vous, à Cannes,
cet été, Wéco de l’Allemagne ! Ma répartie fuse…-Cela tombe bien, j’ai beaucoup aimé votre spectacle !
Mon copain Allemand Georges A. de Wéco, celui qui a gagné cette année à Cannes ne m'en veut pas, faut dire que j'ai du me faire pardonner avec quelques bières !
Mon copain Allemand Georges A. de Wéco, celui qui a gagné cette année à Cannes ne m'en veut pas, faut dire que j'ai du me faire pardonner avec quelques bières !
Le lendemain, je demande à Footie l’Australien s’il veut venir tirer à Cannes et il me répond qu’il l’a fait il y a deux ans ! Tête de Jean-Eric Ougier, le responsable des Nuits de feux de
Chantilly, un ami persuadé que je suis quelqu’un de bien, il y en a encore ! Cela me coûte une bouteille de vin pour éteindre les rires !
Le vendredi 19 octobre, soirée de gala au homard bouilli et au vin aigrelet dans l’arène majestueuse de la Ronde, dans la tourmente d’une pluie diluvienne, 4 concurrents offrent des feux
gigantesques pour 50 minutes de rêve, démonstration de force, exposition de produits originaux, savoir-faire dans le cadre enchanteur d’une île du Saint-Laurent où se situe le parc d’attraction
de la Ronde. Vers 2 heures du matin, dans une rue adjacente de Sainte-Catherine, nous nous finirons à la bière en parlant projets, symposium des feux à Cannes en 2010, (c’est en bonne
voie !), et dans les rires d’une bande d’artificiers à la bonne humeur contagieuse, nous nous souhaiterons un au revoir et prendrons congé en attendant 2009 et le Mexique où se déroulera la
prochaine édition de ce rassemblement d’extraterrestres.
Tucker l'Américain et Navarro l'apatride...deux pages de l'histoire des feux !
Tucker l'Américain et Navarro l'apatride...deux pages de l'histoire des feux !
Et pendant ce temps, Daniel D gît sur un lit d’hôpital, dans une salle d’urgence tirée directement d’un feuilleton américain, entouré de malades, des tubes souples enfoncés dans le bras,
l’oxygène dans le nez, relié à un lit de douleurs pour la modique somme de 3650$ par jour que les assurances et mutuelles vont régler en se battant à coups de téléphone entre le Palais des
Festivals et l’hôpital Saint-Luc. Le samedi, son avion partira sans lui et je réussirai à le faire sortir le lundi pour embarquer en ma compagnie, assumant mon rôle de baby-sitter jusqu’au
bout !
Pour la petite histoire, une assistance médicale le prendra en charge à Paris pour son transfert dans l’avion de Nice qu’il ratera à cause d’une alerte à la bombe ! Désolé Daniel D, ce
n’était pas ta semaine !