La Transmed (4)
Bon, encore un effort pour avoir l'étoffe d'un héros. Les aventuriers du voilier perdu sont en route pour leur grande traversée, celle de tous les dangers, de la Sardaigne à la Tunisie. Il va s'en passer des évènements pendant ces deux journées et ces deux nuits de "marinade".
8ème jour.
La grande traversée.
De Carloforte à Hammamet.
Philippe a préparé le plan des veilles des deux nuits qui nous attendent. Bernard est puni, les dieux ne sont pas toujours adorés. Je vais me coltiner les quarts de 20h à 22h et de 2h à 4h la première nuit et de minuit à 2h et 6h à 8h la deuxième nuit. Préparation du voilier et réunion briefing avec les équipages et l’organisation. Les évènements deviennent sérieux, il n’est plus temps de batifoler, l’aventure se présente au seuil de notre cabine !
Repas frugal, sucre lent pour emmagasiner des forces et à 13h, pression à son comble, nous appareillons. Bernard hisse les voiles, Bernard est fort, son corps s’est affermi, sa silhouette affinée, heureux tribut à ces heures passées sous les tropiques à user ses forces contre les éléments déchaînés.
Au sortir de la passe, Captain Fifi se sent prêt à fondre sur l’îlot du Toro qui ferme la baie. Captain Fifi est sévère mais juste. Il voit le vent mollir et la barre incapable de répondre aux sollicitations de sa main sûre. Calme plat, rien pour nous faire rugir et mordre les embruns. Qu’à cela ne tienne, nous avons du temps devant nous, il y en aura bien une, de ces tempêtes coutumières à faire hurler les drisses d’un Hollandais fantôme. En attendant, on met le moteur qui toussote et nous traîne vers cet objectif insaisissable.
Hervé maître-queue est content et heureux. Il arbore en permanence un beau sourire simple, de ceux que les naturels affichent sans
affectation quand la quiétude règne dans leur cœur. Il est insouciant et glisse d’un bord à l’autre en produisant des petits rires qui égayent l’ambiance lourde de ce départ angoissant. Heureux
les simples esprits, leur aptitude à saisir l’instant présent est la marque d’une grande adaptation et leur nonchalance, une force dans la traversée qui nous attend.
Bernard O et Hervé C guettant une pêche miraculeuse. Admirons leur peau boucanée
Nous cinglons lentement mais sûrement vers le large. La terre rapetisse derrière nous, le mystère écharpe l’horizon…mer, vagues, vent, écueils, filets dérivants, monstres… n’est-ce point trop
pour nous ? N’est-ce point une mission impossible que nous nous infligeons ?
Heureusement, nous avons une confiance aveugle en notre capitaine. Droit à sa barre, le regard pointant l’horizon, il nous offre une vision d’un monde sans frontières où tout devient possible, même l’impossible voyage vers les abîmes de la civilisation.
La nuit tombe. La mer étale déroule son tapis bleu sombre. Le vent faible susurre à nos oreilles des complaintes morbides, nous avons tout à craindre de ce grand désert tout bleu où luit la liberté ravie (sic !).
C’est l’heure des solitudes, ces veilles où nos cerveaux enfiévrés scrutent le vide en attendant le pire. Chacun opère son quart. De 2h à 4h je vais fouiller l’obscurité à la recherche de mes peurs. Heureusement, mon baladeur aux oreilles m’instille les Pink Floyd, Placebo, Archive, Massive Attack afin de me donner du courage. J’ai l’impression d’avoir fumé un peu de cette herbe des indiens qui autorise le grand voyage, expérience inédite dans cet espace sans illusion d’un vide peuplé de nos peurs.
Dieu est grand dans la solitude des veilleurs de nuit, il invoque les esprits de la mer et donne du courage à ceux qui doutent dans l’ombre de son ombre.
9ème jour.
La grande traversée (suite)
Le soleil se lève et avec ses rayons, nos peurs s’évanouissent. Captain Fifi assure la barre d’une main ferme pendant que le moteur ronronne avec allégresse. Un voilier qui se traîne à la force des chevaux-vapeur dans l’immensité marine, c’est stupide, je sais, mais que faire contre la nature ?
Hervé décide d’abandonner sa défroque de cuistot et refuse d’assurer la pitance de l’équipage sous le prétexte fallacieux d’une grève sauvage. La révolte gronde à bord.
Captain Fifi, astucieusement, décide de calmer les hommes en leur imposant « l’épreuve de Poséidon ». Nu, chaque marin, attaché par une corde, est plongé à tour de rôle dans l’onde turquoise peuplée de requins mangeurs d’hommes. Il se fait traîner pendant que les squales rôdent autour de lui. Nous avons peur mais oublions nos terreurs dans ce dépassement physique inconscient qui expulse les miasmes des rancœurs d’un l’habitacle surpeuplé.
C’est moi, Force Brûtale qui battra le record de vitesse et de durée der ce défi à la raison. A plus de 7 nœuds, mon corps est violet quand on me hisse épuisé hors de la gangue salée.
Cette fuite salutaire aux frontières de notre vaillance a remis les têtes en place. Le maître des fourneaux, enfin rétabli de ses velléités de mutinerie, jongle avec les matières premières et une odeur délicieuse monte de ses marmites, envahit le carré, se répand comme un nuage odoriférant.
Par la senteur alléchée, un monstre marin s’accroche à la ligne de notre pêcheur afin de participer à nos agapes. Comprenant le
traquenard dans lequel il s’échoue (n’exagérons pas sur la qualité de la nourriture terrestre de notre maître-queue !), dans une ruade dantesque, il se décroche de notre ligne appâtée et
fonce vers la ligne d’horizon. Dépités, nous regardons notre garde-manger s’évanouir dans les vagues de la nostalgie.
Je suis parfois aussi inutile que je l'espère, juste une présence sur fond d'azur avec le marin Hervé en train de faire semblant de s'activer !
C’est alors qu’une nouvelle alerte vient commotionner l’ensemble des présents. La jauge du carburant baisse dramatiquement, nous risquons de nous retrouver en rade perdus au milieu de nulle part.
Cela n’en finira-t-il jamais ? Pourquoi donc le sort s’acharne-t-il sur ce voilier ? Quel péché devons-nous expier qui concentre les feux de l’enfer sur notre frêle esquif ? Nous
tentons la voile, maigre consolation d’une brise légère qui nous fait serpenter à la limite du surplace. Nous sommes désormais seuls, tous les autres concurrents ont disparu dans l’azur.
Le vent de l’échec nous mord la nuque, étreint nos entrailles. Avons-nous fait nos testaments ? Quand donc retrouveront-ils nos corps asséchés, momies de l’éternité marine, sans rêve ni espoir ?
Nous nous consolons avec les sempiternelles pâtes à la sauce bolognaise Carrefour mijotées par notre pousse plats. La nuit tombe. Les quarts vont reprendre avec leur cortège de solitude et d’angoisses. La journée est passée si vite !
L’abstinence commence à produire des effets mortifères. Nous entrevoyons des femmes nues, lascives, en train de suivre le sillage de
notre voilier en nous invitant de leurs seins de feu. Mythe où réalité ? L’avenir nous le dira !
Allez, encore un texte et on vous libérera de cette mer obsédante et de ces 3 olibrius à la dérive des sentiments ! Vivement la ligne d'arrivée, surtout que....