Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le palmarès et les Vacances

Publié le par Bernard Oheix

 

Petite fierté. Avoir donné la Palme d’Or, le prix spécial du jury et le prix d’interprétation féminine…pas mal non pour un cinéphile ? Comme quoi, si les bruits qui courent à Cannes concernant les tensions entre la Présidente et certains membres de son jury s’avèrent juste, le résultat n’en est pas moins probant : c’est un palmarès assez équilibré et représentatif de la richesse de cette édition du Festival du Film ! De plus, je peux comprendre le prix au film Chinois (pour des raisons politiques dues aux menaces qui pèsent sur le réalisateur à son retour en Chine), beaucoup moins celui du Coréen (dont le film est franchement grotesque) !

J’ai donc bien mérité de partir me reposer. Oui, c’est l’heure de mon départ et de vous laisser en compagnie de mon blog. 3 semaines à la Martinique, cela mérite bien quelques abandons, des accrocs avec le rituel de la mise en écrit hebdomadaire et la désespérante impression de solitude que vous allez ressentir. Le vide s’ouvre sous vos yeux…mais vous survivrez !

N’hésitez pas, profitez de cette pause pour plonger dans les entrailles du blog. Avec l’onglet à la droite en haut  de l’écran, sélectionnez quelques nouvelles (Les amants du froid, Le collier de phalanges, La femme qui se venge…), quelques histoires vraies (Tapie, La reconstitution de la bataille de Nasville…) ou révisez mes notes sur les spectacles et les films…il en restera toujours quelque chose et vous partagerez ainsi, un peu de mon univers en comblant mon absence insupportable.

Ciao, et à dans 3 semaines ! Je serai bronzé à souhait, reposé, heureux et j’aurai arrêté de fumer, non mais !

Voir les commentaires

A l'heure du palmarès...

Publié le par Bernard Oheix

Festival du Film (3)

 

32 films visionnés. 15 de la compétition officielle,  6 d’Un Certain Regard, 4 de la Quinzaine des Réalisateurs et les autres répartis entre la Semaine de la Critique, le Cinéma des Antipodes et des séances spéciales.

Globalement cela représente environ plus de 55 heures de films auxquelles il faut rajouter mon travail de directeur de l’évènementiel (en version light !), des rencontres et réunions à entretenir avec des relations du cinéma ou du spectacle… et 16 personnes à la maison en train de dormir, de ripailler et d’ingérer des films à haute dose en se croisant dans une joyeuse panique pour des commentaires enflammés dans le jardin, sous les bananiers, à l’heure où blanchit la campagne !

En contrepoint, on peut, pour l’anecdote, dénombrer 18 parties de rami corse et 12 de dominos entre les séances, qui m’ont rapporté la modique somme de 32,75 € et l’ingestion d’un nombre incalculable de mes bonnes bouteilles (ils avaient trouvé la cachette !).

Et le cinéma dans tout cela ?

 

Disons-le un fois pour toute : c’était un grand crû, une année d’exception, peu de nectar bouchonné, je ne suis sorti qu’une fois de la salle. En corollaire, cela veut dire, énormément de bonnes surprises, des films intelligents qui font honneur au 7ème Art, des problématiques fortes avec des réflexions pertinentes, des mises en scène fortes, un jeu d’acteurs brillant et surtout des scénarii très riches. Vive le cinéma donc et en avant pour une petite revue de circonstance !

 

Dans la compétition.

Les déceptions proviennent essentiellement de l’Asie (Johnnie To avec Johnny premier), Lou Ye (Nuit d’Ivresse Printanière) et Park Chan-Wook (Thirst, ceci est mon sang…). Pour le reste, même s’il fallait parfois s’accrocher, la compétition offrait de belles opportunités pour un cinéphile prêt à franchir la ligne d’horizon des deux heures de projection.

Les « panzers divisions » annoncés ont été quelque peu en retraits ( Almodovar et  Tarentino) dont leurs ultimes opus, tout en restant fort intéressants, ne sont pas au top de leur filmographie. Trop Almodovarien (l’intégralité de son alphabet y passe !) pour Les Etreintes Brisées qui semble un collage de tout ce qui a constitué son fond de commerce et porte l’handicap de s’exposer comme sa propre marque, où trop Tarentinesque pour Inglorious Bastards avec un Brad P qui en fait à la pelle et le sentiment d’un moteur patinant dans la  choucroute allemande pour cette sombre variation d’une guerre à  la guerre qui assume son ignominie en perdant un peu de son énergie débridée…

Une des grandes satisfactions de ce festival provient du contingent français (cocorico !). A l’Origine de Xavier Giannoli est un excellent film social bourré de bons sentiments. Cluzet y est remarquable dans le rôle de ce petit arnaqueur piégé à son propre jeu et qui devient le sauveur d’une région contre le système économique des groupes financiers et industriels qui dépossèdent les habitants de leur travail et de leur fierté. C’est Zorro contre les grands décideurs d’une économie qui oublie la réalité de la vie des individus. Applaudissements nourris dans la salle en résonance à cette période troublée.

Dans un tout autre registre, Gaspar Noé avec sa caméra épileptique de Soudain le Vide nous entraîne dans les abysses d’une ténébreuse histoire où la mort n’est qu’une étape vers la réincarnation. Un petit dealer amoureux de sa sœur meurt d’une balle et, prenant de la hauteur, va tenter de revenir se nicher auprès d’elle (en elle plus exactement !). C’est frénétique, parfois redondant, trop sophistiqué comme si le réalisateur ne pouvait se cadrer et dompter toute sa puissance créatrice… mais c’est aussi une véritable performance, avec des images qui alternent le réalisme et le travail graphique, des effets surprenants sur la lumière et les mouvement de caméras. On peut garantir les discussions indispensables au final pour tenter de le décrypter ! Un prix spécial du jury serait une récompense logique pour ce travail d’extraterrestre !

Reste le bijou d’Un Prophète de Jacques Audiard. Un prix assurément, l’interprétation par exemple pour Tahar Rahim ou pour la mise en scène qui fait reculer les limites de ces murs dans lequel notre petit malfrat va survivre avant de pouvoir s’épanouir en devenant un caïd formé à l’école des meilleurs truands.

Quand au Resnais, je ne l’ai malheureusement pas vu.

Formidable coup de cœur pour Ken Loach (Looking for Eric) qui non seulement assume son statut mais nous délivre un de ses plus beaux films. Entre la comédie sociale et la comédie tout court, dans une histoire découpée au cordeau où rien n’est en trop, des acteurs remarquables renvoient de la réalité vers le rêve et nous permettent de mieux lire le monde des petits, ces supporters de Manchester qui n’ont même plus l’argent pour aller au stade malgré leurs salaires de postier et se contentent de regarder le match à la télévision, au bar, tous ensemble. C’est bourré d’humanité, de fraternité…de bons et généreux sentiments, de tranches de vie agrémentées d’un inénarrable Eric Cantona qui se révèle grand acteur. Et comme le film se termine bien, en plus, et qu’il reconquiert le cœur de sa belle… Il sera au palmarès, c’est sûr !

Il faut citer Jane Campion égale à elle-même dans un film à costumes et à beaux sentiments, Andrea Arnold (Fish Tank), nerveux et poignant sur une adolescente en rupture, Elia Suleiman (The Time that remains), israélo-palestinien qui oscille entre Buster Keaton et Tati et délivre sa vision de l’histoire de son peuple à travers les vies de son père et de sa mère et un Bellocchio (Vincere) sur la maîtresse et le fils de Benito Mussolini. L’histoire officielle devra gommer leur existence afin de préserver l’homme d’état. La passion d’Ida ne pourra résister au pouvoir de son amant qui n’aura de cesse d’empêcher le scandale de surgir quitte à nier ces deux vies.

Reste les deux bijoux d’une sélection très riche. Sur ce que je pense d’Antichrist de Lars Von Trier vous pouvez vous reporter aux articles précédents. Michael Haneke compose Le Ruban Blanc comme une œuvre naturaliste toute en douceur, sans donner les clefs d’une histoire complexe qui doit trouver son sens chez le spectateur. Divers incidents surviennent dans un village rural type du début du XXème siècle et le film se termine en 1914, au début de la grande guerre. Ces dérèglements de la vie affectent tous les piliers de l’ordre social (un médecin, le baron propriétaire des terres et le pasteur de la communauté). Ils sont contés par le survivant, un instituteur, en voix off. Chacun de ces tenants de l’ordre social est gangrené de l’intérieur (le médecin est incestueux, la Baron un pantin cocu, le pasteur un tyran possédé par la hantise du mal). Même si cela n’est pas affirmé, les enfants du village sont les « damnés » responsables de ces incidents. Porteurs des vices des parents, ils préfigurent l’effondrement de toutes les valeurs et l’entrée dans la première guerre qui débouchera sur le nazisme. C’est magistral, jamais didactique, un film intelligent qui pose les problèmes sans répondre aux questions, qui ouvre les perspectives d’une lecture de la société allemande en train d’exploser. De l’infiniment petit à l’holocauste, il n’y avait qu’une lente érosion d’un monde en train de muter sans se prémunir contre ses propres démons. Malgré une certaine lenteur inutile, c’est du grand Haneke, et pour moi, la Palme d’Or naturelle d’une sélection extrêmement riche.

 

Les autres sélections.

 

En plus des films cités dans l’article précédent, deux bijoux terrifiant de violence intérieure. Daniel y Anna du Mexicain Michel Franco, s’appuie sur un fait réel. Le développement de la pornographie sur Internet pousse des gangsters à organiser des enlèvements de couples issues d’une même famille et à filmer leurs ébats sous la menace. Au Mexique, un frère et une sœur d’une famille aisée sont contraints à l’inceste. Libérés, ils vont tenter de survivre à ce cauchemar en taisant ce qui leur est arrivé. La sœur aînée, mieux armée, grâce à une psychologue, pourra dépasser ce drame. Le frère  adolescent, qui n’avait jamais fait l’amour et ne possède pas encore les clefs de la parole, plongera dans une dépression, dans un cycle pervers où tout devient absurde. Sans aucun voyeurisme, sans jamais s’exposer à utiliser le matériau brut de scènes atroces, le réalisateur fait ressentir l’horreur absolue de cette transgression ultime. C’est un film sur la violence qui ne montre pas la violence, il la fait exister à l’intérieur de chaque spectateur transformé en victime !

Une vie toute neuve de Lee Chang Dong sur un scénario de Oumie Lecomte (une Franco-Coréenne) montre la vie d’une petite fille brutalement abandonnée par son père dans un orphelinat catholique en Corée. Elle va l’attendre, persuadée de son retour…C’est poignant, déchirant, un conte sur l’abandon, autobiographique (on voit l’arrivée à Paris de la petite qui a été adoptée par des français !) mais sans pathos. Plusieurs histoires se croisent qui tissent entre ces enfants du désespoir, l’écheveau d’une humanité blessée. Un concurrent sérieux pour la caméra d’or !

Beaucoup d’émotions avec The Silent Army, du Néerlandais Jean Van de Velde, sur les enfants embrigadés dans l’armée et qui apprennent à devenir des bourreaux au prix de leur vie, jouets d’adultes à la conquête du pouvoir dans une géopolitique où les occidentaux sont à l’origine des maux et avivent les tensions en leur vendant des armes.

Reste une bonne comédie, Les Beaux Gosses, où l’art de se masturber sans que cela soit dramatique, (bien au contraire !), et qui campe une joyeuse bande d’adolescents perturbés par la « chose » dans un collège bien de chez nous et un magnifique film de  Denis Dercourt avec Vincent Pérez et Jérémie Renier, Demain dès l’Aube, confirmant la bonne qualité des films Français. Un pianiste célèbre, mal dans son couple, réintègre la maison de sa mère en phase terminale du cancer. Son frère passionné de jeux de rôle l’entraîne dans son univers des armées napoléoniennes. Bientôt, les frontières entre le présent et le passé vont s’effacer...Un drame magnifiquement filmé qui tient en haleine le public jusqu’à un dénouement particulièrement surprenant !

 

Voilà, beaucoup de films cités, mais aussi beaucoup de passion pour cette décade de tous les films, lucarne ouverte vers le monde extérieur. Des thèmes surnages (l’inceste cette année tenait la corde !), des techniques se ressemblent provenant de tous les continents (utilisation du bruitage en fond sonore), des scénarii, des cadrages, des couleurs…et toujours cette passion intacte des cinéphiles sans âge, ceux qui vont de salle en salle, de film en film, afin d’épuiser leur soif de découvertes et qui  pensent que le temps peut s’arrêter de défiler à 24 images seconde.

Je vous ai donné mes impressions, quelques minutes seulement avant le Palmarès. C’était un pari sur leur intelligence. Rendez-vous devant l’écran de télévision pour voir la remise de la Palme d’Or à Haneke et le prix spécial du Jury à Lars Von Trier avec un Ken Loach heureux de son prix du jury ! Non, mais !

Voir les commentaires

Une journée (bien) ordinaire

Publié le par Bernard Oheix

Festival du Film (2)

 

Réveil à 7 heures.  La tête dans le sac. La conjugaison du film coréen, Thirst, ceci est mon sang, une histoire de curé qui devient vampire et bondit comme un cabri en patinant dans la semoule imbibée du sang de ses victimes et du film chinois, Nuit d’ivresses printanière, où les acteurs passent leur temps à se sodomiser dans les couleurs crues de néons chargés de rappeler que la Chine est aussi un pays moderne, m’avaient quelque peu assommé pour ce lancement du Festival 2009 !

Une douche, la moto (650 bandit Suzuki), badge en oriflamme et par l’entrée des artistes, petit privilège d’un directeur, je pénètre dans la salle obscure en attendant que l’écran s’illumine pour mon premier film de la journée.

8h30  Vengeance. Johnnie To. Chine. (Compétition) Palais des Festivals.

Je m’installe dans un des fauteuils rouge de la grande salle pour les presque 2 heures d’un show réunissant les 2 Johnny (le To et le Halliday). Dur, dur…  lunettes noires optic 2000 comme les flingues dégainés dans la nuit sombre, histoire ridicule sombrant dans le n’importe quoi, violence et vengeance, (mémorable réplique de Johnny devenu amnésique à cause d’une balle qui se promène dans son cerveau « -C’est quoi la vengeance !»). Notre héros national joue vraiment comme une chaussette et le réalisateur ne l’aide pas beaucoup…pourquoi n’est-ce pas Delon qui a eu le rôle ? Bof !

11h. Polotist, Adjectiv. Corneliu Porumboiu. Roumanie. (Un certain Regard) Salle de la Licorne.

Une enquête sur un jeune qui se défonce au H dénoncé par son ami. Le policier doute car il subodore que le corbeau veut en fait sortir avec la petite amie de l’autre. Un chef obtus va lancer la machine policière et briser la vie du jeune. Film intéressant, un peu lent dans sa première partie qui pose le problème de la frontière des délits et de la culture de la dénonciation et des « balances ».

Petit détour par mon jardin, sous le soleil, juste en face de la salle de projection. Une bande l’occupe. Je dénombre, un Allemand (Hartmut, fidèle complice qui fait son festival depuis une dizaine d’années chez nous), 3 Corses, mes 2 enfants, 2 de leurs amis de Paris, deux Avignonnais plus leur progéniture et son copain… soit 14 personnes attablées en train de manger et de boire quelques unes de mes excellentes bouteilles  sous la tonnelle.

Après  une dinette rapidement ingérée, les trois quarts des présents se lèvent pour filer au cinéma.

14H. Lost persons area. Caroline Strubbe. Belgique. (Semaine de la critique) Salle de la Licorne.

Dans un chantier improbable avec des ouvriers hongrois, un couple et leur petite fille solitaire et solaire. Un accident et la vie d’une communauté d’hommes durs au labeur, l’amitié et l’amour. C’est lent et long (2h), ample, une première moitié qui chemine sinueusement pour terminer plus violemment. Un film étrange quelque peu envoûtant mais qui laisse sur sa fin (faim) !

Petite pause d’une heure. Détente avec une partie de cartes (le rami corse) en compagnie de mon fils, Julien (redoutable aux cartes, même contre son père !) et de Christian, le beau-frère corse. Je perds mes 2€ de mise.

17h. Neuilly…sa mère ! Gabriel Laferrière. France. Ecran Junior. Salle de la Licorne.

Un petit bijou. Enfin du rire, de la rapidité, des répliques qui fusent ! Comédie sur un petit beur d’une cité de Chalon transplanté chez sa tante (sublimissime Rachida Brakni !) à Neuilly, coincé dans une famille de « bourges » où le fils rêve d’un destin présidentiel, la fille épouse toutes les révoltes, et lui obligé de terminer la saison scolaire dans un collège privé ! Une bouffée d’air frais. Le cinéma sert aussi  à se détendre intelligemment, il n'y a pas de honte à prendre son plaisir !

19h. Samson et Delilah. Australie. Warwick Thornton. (Un certain Regard) Salle de la Licorne.

Dans le bush Australien, deux adolescents aborigènes vont tisser leur destin, affronter l’exil à la ville, se retrouver brutalement plongés dans l’horreur (viol, drogue) et partiront se reconstruire sur leur terre natale en apaisant leur colère. Une belle histoire d’amour sans amour, une errance terrible. C’est d’une lenteur inutile dans la première partie mais tout le final accroche. Derrière les images du miracle de la modernité australienne, il y a l’expropriation et le vide de l’espoir des jeunes natifs. Le dénuement est absolu tant dans la réalité que dans l’imaginaire. Un beau film dérangeant parfois un peu pesant !

21h Un prophète. Jacques Audiard France. (Compétition). Salle de la Licorne

Plongée dans l’univers carcéral des « grands », un jeune sauvageon va faire l’apprentissage de la survie à l’école des truands pour devenir un loup. La mafia des Corses qui tiennent le pouvoir, les « barbus » qui se structurent, chacun cherche sa place entre ses murs trop hauts et tente de survivre. La frontière entre le maton et le prisonnier est ténue, comme le fil qui retient à la réalité. Malik va trouver sa place, devenir un prophète, aidé par les apparitions du premier meurtre sur commande des corses venant le hanter avec récurrence. Son habileté et sa rage de survivre vont lui permettre de s’affranchir de toutes les règles et quand il sortira enfin, il sera prêt à devenir le caïd redouté, celui que plus rien n’arrêtera ! 2h30 terrible, haletante, dénonciation froide et sans concession d’une machine carcérale faite pour forger l’horreur. La cruauté affleure sans arrêt, révélatrice de la capacité d’adaptation de l’individu. Grandir ou mourir, Malik a choisi ! Superbes compositions d’acteurs, filmage au plus proche, coulé dans le moule sans espace de murs froids, une belle façon de terminer cette journée cinéma avec un film qui devrait se retrouver au Palmarès. Tentons le pari : Prix Spécial du Jury !

Voilà donc l’heure d’aller se coucher. Demain matin, 8h30, j’ai rendez-vous avec Ken Loach et Eric Cantona (« -I am not a man, i am Eric Cantona !) …En attendant, cette journée de cinéma m’aura permis de visionner 6 films pour 11h30 de pellicule, 2 en compétition, et 4 de sections différentes, de ne pas m’assoupir une minute malgré la lenteur évidente de 3 œuvres, de découvrir des horizons perdus, quelques jets de sang ne dissimuleront pas la beauté de sentiments et la grandeur de la peine d’hommes de bonnes volontés…C’est le 7ème Art, celui que j’aime !

Voir les commentaires

L'extrême solitude du bonheur

Publié le par Bernard Oheix

Festival du Film. (1)

 

Enfin une journée où il se passe quelque chose de violent, qui fait partie de ses pages d’histoire comme le Festival en a écrit tant, comme il en écrira encore de multiple…Au cœur du cinéma et d’un monde qui reçoit de plein fouet les élans de créateurs de génie, de la dynamique des idées, du mouvement des images, de sons issus de l’inconscient... et qui n’ont comme vocation que de faire progresser l’humanité, un pas de géant dans la culture des hommes, sur le fil d’un rasoir, juste une œuvre magistrale d’offrande à sa perversité !

 

Ce serait faire injure à Lars Von Trier que de parler de film à propos de son oeuvre, d’analyser avec les codes classiques de la critique ces 104 minutes d’une plongée insoutenable dans le maelstrom de cette part d’ombre qui peuple le cerveau, entre le désir et la peur, la fascination du pire et la recherche d’un absolu.

Une femme (sublimissime et fragile Charlotte Gainsbourg) et un homme (dérangeant et massif Willem Dafoe) sont en train de faire l’amour quand leur enfant bascule par la fenêtre et s’écrase quelques étages plus bas. Après le deuil, il faudra en passer par le chaos et la mort pour assumer le drame insoutenable de cette perte. C’est Antichrist, conçu sous la forme d’un prologue et d’un épilogue encadrant les 3 volets de ce parcours initiatique vers une rédemption impossible.

Entre hyperréalisme et onirisme, entre une image qui peut passer du détail le plus infime au plan impossible d’un ciel dans lequel la constellation des Mendiants est un leurre pour égarer les âmes blessées, entre les mots les plus simples d’un thérapeute tentant de guérir sa femme et l’abomination des gestes les plus sordides par l’irruption d’un imaginaire torturé, (jouissance du sang, ablation du clitoris)…on oscille en permanence au bord d’un gouffre noir, celui de nos propres peurs !

L’auteur convoque à son banquet l’âme de Bosch dans ces corps jonchant la nature luxuriante, du Bataille et un Dieu tout puissant, d’autres multiples références pour créer son chaos universel, des images surréalistes, du psychanalytique, des pans entiers de notre culture pour aboutir à la sauvagerie d’êtres livrés à l’éternelle lutte du bien et du mal qui deviennent complice de la mort de chacun d’entre nous. Chaque fois qu’une larme coule, qu’une blessure s’ouvre, qu’une vie s’interrompt, c’est l’humanité toute entière qui est punie. Désespoir de voir le Malin se nicher dans ses propres désirs d’un Eden sans peur, comme si l’Homme, pour atteindre à l’éternité, devait combattre sa part d’humanité et redevenir cet animal primitif qui créa le monde en ignorant ses peurs !

 

Je ne sais pas si le palmarès retiendra ce film dans ses primés (est-ce le plus important en regard de son propos ?) mais l’histoire indubitablement se souviendra de ce film comme d’un moment charnière du cinéma, de son apogée, juste avant que l’on cesse de raconter des scénarii et de mettre en image la mort du cinéma et son corollaire, la fin de l’humanité !

Quand à l’interprétation profonde que chacun se fera du contenu de ce film, elle conservera son mystère et la magie d’une lecture indéfinie !

Voir les commentaires

Notes et divers...

Publié le par Bernard Oheix

 

 

Plonger dans Alexandre Dumas.

Depuis des années, je rêvais de retrouver la saga de mes Trois mousquetaires et surtout la suite que je n’avais jamais lu à l’époque où j’aurais dû…C’est chose faite, et au passage, j’ai découvert d’ailleurs qu’il y avait une suite à la suite et qu’après les deux volumes initiaux, aux 3 de Vingt ans après, s’ajoutent les 6 du Vicomte de Bragelonne

Si le plaisir du premier opus reste totalement inchangé, si D’Artagnan avec ses potes en super héros continuent de nous faire rêver comme à l’âge de notre adolescence. Vingt ans après reprend avec un certain bonheur, les recettes de la jeunesse de nos 4 héros. Rapidement avalés, les 3 volumes consacrent une aventure anglaise complexe où nos baroudeurs modernes tentent de sauver le roi, D’Artagnan et Portos se retrouvant en opposition avec Aramis et Athos pour finalement, amitié intacte, s’échouer dans un complot orchestré par le nouveau cardinal Mazarin qui a chassé Richelieu en endossant ses pantoufles…

Bon, cela fonctionne encore, même si on est à la limite du décrochage parfois…Plongeon donc chez le Vicomte, fils adoptif d’Athos. Les mousquetaires vieillissent avec bonheur, ce sont surtout les valets (Planchet…) qui subissent les affres du temps qui passe. Aramis se met au service du surintendant avant de devenir un ponte mystique, D’Artagnan l’homme-lige du jeune Louis XIV, et au fil des pages, on s’ennuie de ses histoires d’amour avec La Vallière et de ses mines effarouchées, des rituels de cour et de ses bons sentiments fonctionnant à vide. Magie envolée, on suit péniblement l’ascension de nos mousquetaires vers le panthéon de l’inutile. Quand ils se battent, trop rarement, avec leurs rapières toujours nerveuses, passe encore, mais quand le jeune Louis XIV passe son temps à charmer les demoiselles et à ouvrir la boîte de Pandore du cœur des demoiselles de cour, alors, on s’ennuie derechef, un incommensurable ennui qui culmine jusqu’à l’indifférence !

Manifestement, notre Alexandre Dumas et ses supplétifs négriers avaient beaucoup de dettes et quelques pannes d’inspiration pour délayer sans cesse une sauce éventée en étirant les pages à l’infini… Tant pis, je vais attaquer les 6 volumes du Comte de Monte-Cristo en espérant un meilleur sort pour un autre des héros de ma jeunesse !

 

Préouverture du Festival du Film.

C’est la grande agitation à 2 jours de la cérémonie fatidique. Cannes Cinéphiles réunit ses aficionados pour présenter le programme des réjouissances. Des séances à gogo, des films du monde entier, un équipement numérique pour la salle de la Licorne, la fête de l’image et du son s’annonce orgiaque loin du tapis rouge et des ors de la Croisette.

En primeur, A another Man de Eyre est projeté, avec Liam Neeson et Antonio Banderas dans les rôles principaux. Bon, espérons que les films à venir seront de meilleures factures. Cette histoire avec fausse piste éventée d’une femme qui disparaît en laissant les traces de son amour adultère en héritage à son mari fidèle est à la limite du supportable. Ennuyeux, convenu, lent, vulgaire, tous les clichés défilent pour le plus grand bonheur d’acteurs en train de cabotiner comme des prime donne. Bon, il n’aura pas la Palme d’Or vu qu’il n’est pas sélectionné et sincèrement, on comprend pourquoi et on s’en contrefiche !

 

La playmate du mois de mai.

Pour le plaisir des yeux, cette photo prise pendant le Festival de l’Art Russe de 2008 par mon ami Alain Hanel. Je l’avais gardée précieusement, pour la contempler un jour de blues…Je me sens très bien, mais j’ai décidé de partager avec vous ce moment d’émotion. Il s’agissait d’une élève du Cirque de Moscou dans un numéro particulièrement esthétique à la corde !


 

 

Fête de l’abolition de l’esclavage. 10 mai 2009. Nice.

Des stands et des couleurs, pas seulement dans le ciel mais aussi sur les visages, dans les regards, dans la fierté d’une communauté composée de toutes les facettes d’un monde d’humanité. Le Maire de la Ville de Nice avait vu juste, avec son adjointe Mathy …, une superbe Guinéenne au dynamisme communicatif. C’est notre Rama Yade à nous, les azuréens, et il faut bien l’avouer, c’est une excellente idée. Bruno John à la baguette, sans moyens mais avec un cœur gros comme l’espoir d’un peuple qui se libère et assume sa différence, ils ont réussi à fédérer autour d’eux, une cinquantaine d’associations qui chacune vient offrir un peu de sa réalité à la foule importante qui slalome entre les stands.

Le spectacle est permanent. Belles Brésiliennes dénudées en train de danser la samba, Camerounaises fines et élancées sanglées dans des boubous colorés, Djembés et balafons se répondant en cadence, tenues immaculées de blacks en parade, lunettes noires sur le haut du front, enfants à la bouille éclairée de sourires charmeurs en train de courir entre les groupes, huttes en bois reconstituées, stands d’associations définissant une Afrique et un monde ouverts…C’était beau et chatoyant, animé de vie et de rires, à l’image d’un Mobido B Sangare, jeune conteur burkinabé, se lançant dans une improvisation sur l’histoire de l’esclavage et qui termine en accordant le pardon aux anciens bourreaux tout en réclamant la dignité en héritage de leurs souffrances.

Sur la grande scène du Théâtre de Verdure, le général Dady Mimbo, brillant percussionniste entre en fusion avec un rappeur niçois (Louis Pastorelli), les Sonesros de Fe chaloupent avec leur salsa cubaine, un jeune slameur (Sofiane) écrit des pages de poésie et pour finir, le groupe phare de la scène niçoise en musiques du monde, Xalima embarque le public pour une destination sénégalaise gorgée de soleil. La voix du leader Badou est chaude, elle renvoie en écho à celle d’Ismaël Lô ou Youssou N’Dour, ample et grave mais pouvant grimper dans les aigus, s’étirant dans des complaintes que la musique transcende. Batterie/percussions africaines, basse, clavier, guitare et sémillante choriste, la belle Héloïse, composent une ode à la liberté et à la joie de vivre sur laquelle le public tangue. C’est Xalima, un groupe à suivre et que nous aurons le plaisir d’accueillir à Cannes en ouverture de la saison d’été, le 21 juin, avec les bardes celtiques de Manau…une date festive à ne pas manquer !

 

Voilà, le Festival du Film est à nos portes et déroule son tapis rouge sur les écrans de nos consciences…mais ceci est une autre histoire !

Voir les commentaires

Les révoltés de Bastia (An III)

Publié le par Bernard Oheix

 

Exotisme de la destination. Se rendre aux « Teatrale de Bastia » comme en pèlerinage sur une terre peuplée de bons sauvages. Se rendre, venir avec ses certitudes et en repartir avec ses doutes. « Rendre » prend tant de significations, aller à Canossa, se déplacer d’un point à l’autre, arriver, vomir son trop plein d’orgueil, errer à l’abandon, donner et se soumettre, céder sous… et dans toutes ces hypothèses, la plus logique, celle qui convient le mieux à ma présence sur la Place Saint-Nicolas : retrouver les Corses dans leur générosité, leur ambivalente fierté pétrie d’inquiétudes et d’interrogations, leur humour et leur certitude de devoir s’inscrire dans une fuite du temps, rappel d’un passé de fureur, complexité d’un rapport à l’autre façonné par une culture latine insulaire, quand celui qui débarquait pouvait tout aussi bien envahir qu’enrichir. C’est peut-être dans cette double crainte, celle d’être dominé comme celle de perdre son identité, que les Corses ont puisé l’énergie d’une lutte contre les apparences du pouvoir, l’état centralisateur, l’ennemi si proche d’une culture authentiquement insulaire.

Que l’histoire ait balbutié en Corse n’est somme toute, qu’un accident de parcours. Rêve de nation souveraine, parcellisation extrême des micro-pouvoirs, c’est la Corse dans toute son ambiguïté, celle des clans installés depuis tant de temps aux cimes des villages perchés au dessus du vide, celle des potentats locaux qu’une génération a tenté de balayer pour installer son propre pouvoir et qui se confronte, amère, aux ruines fumantes de leurs espoirs, lambeaux d’un combat se brisant sur les traditions d’un peuple cultivant le secret, le flamboiement de l’affrontement, la rixe comme arène de tous les désirs. C’est aussi la tentation du réflexe des Robins des Bois, bandits d’honneur, vendettas, omerta, la force comme une réponse au mal-être, pour chasser les doutes et se donner des héros de chair à la langue flamboyante.

Et pourtant, la Corse lettrée, celle de toutes les audaces, existe bel et bien. Elle est généreuse dans ses doutes, forte de ses hésitations, parlant de l’invisible pour cerner la réalité. Des générations brûlées au feu de l’action qui modèlent leur comportement sur la critique de la raison pratique mais n’en conserve pas moins l’idéal chevillé aux rêves de lendemains d’harmonie. C’est cette génération qui parcoure les sentes d’Aléria pour se briser sur les hauts-fonds des luttes fratricides et se retrouve avec des interrogations existentielles en héritage. Que créer qui échappe au chaos ? Qui soit à la fois de l’ordre de l’essentiel d’une spiritualité et totalement ancré dans une réalité honnie, qui appartienne au cri et parle au cœur de l’homme…

Et le théâtre dans tout cela me direz-vous ?

Il y a 2 ans, j’avais découvert un vivier inépuisable d’inventivité. L’an dernier des pièces fulgurantes, (cf. mes articles précédents dans le blog), quand devait-il être de l’édition 2009 ?

Comment expliquer le relatif tarissement de cette source créatrice au moment même où les responsables du Festival réussissent à faire venir des programmateurs et des éminences de la critique théâtrale ? Peut-être est-ce dû à une irrigation trop intensive qui a laissé les terres exsangues et nécessite une pause afin que les ferments se reconstituent ! Peut-être aussi cette éternelle tension qui fait que, quand une tête dépasse en Corse, il faut la couper et la coller sur un drapeau blanc ?

Comment expliquer que les Chjachjaroni soient géniaux avec Le Roi se meurt en 2007 et se vautrent lamentablement avec Georges Dandin en 2009 ? Glorieuse incertitude de l’art qui nous rappelle à une grande humilité ! Orlando Forioso, un protagoniste majeur du théâtre de Corse, positionné à Calvi, auteur de coups de génie, qui ici, en l’occurrence, nous assomme avec un placard de Barbe Bleue trop plein de suffisance, des actrices nulles (à l’exception d’une sublime Osella Orchis dans un texte en italien de Annalisa Ferruzzi, l’histoire d’une femme qui va nettoyer l’appartement de son ex-mari où sa seconde femme vient de se suicider et qui se noie dans le sang de l’autre !)…une scénographie pompière en décalage avec un contenu et une mise en scène luxuriante.

Malgré tout, comme des pépites dans le limon de l’indifférence, dans la quinzaine de pièces proposées, des essais intéressants surnageaient, plus ou moins réussis. Itinéraire de femmes est l’exemple type d’une pièce ratée. La générosité de la metteur en scène et les qualités évidentes du jeu d’actrice de Véronique Reviron et de Frédéric Maroselli ne peuvent s’opposer aux vertus d’un collage de textes manquant de cohérence et aux choix discutables d’une mise en scène jouant sur le trop-plein et l’accumulation. De même pour Paoli City de Francis Aïqui et Catherine Sorba, road-movie sur une américaine qui vient retrouver sur l’île, les amis de son amant mort pour disperser ses cendres sur sa terre natale, et tente d’éclairer la part d’ombre d’une « corsitude » qu’elle n’a jamais comprise. Un exercice de style particulièrement riche qui se brise sur les carences de la mise en scène et sur un texte encore trop fragile. Le renoncement à la lutte, l’exil, le reniement des idéaux révolutionnaires auraient autorisé plus de profondeur ! Le message dans la bouteille est trop important pour laisser une emprise à l’à-peu-près !

De la profondeur par contre, on en trouvait à foison dans l’Ultima Visita de Jean-Pierre Lanfranchi. Directeur du Festival, metteur en scène de la pièce, comédien principal, il aime les difficultés, notre ami se lançant à corps perdu dans le montage de la dernière pièce de Copi en la traduisant en corse (avec un surtitrage pour les Français !). Une œuvre écrite sur un lit d’agonie, par un homme rongé par le sida, qui parle de la beauté de l’existence, du théâtre et de la comédie de la vie avec les mots d’une tragédie. La mise en scène est soignée, quelques trouvailles agrémentent le parcours d’un corps qui se délite. Impondérable d’une création, elle souffre parfois d’un jeu qui a besoin de se régler. François Berlinghi, un excellent acteur au demeurant, en fait des tonnes avec son personnage de grande folle et gagnerait à serrer les fesses dans la sobriété, l’infirmière, plus préoccupée par son texte, force le trait et joue à contresens dans une hystérie trop convenue…mais que la démarche de Unita Teatrale est belle, courageuse ! Copi en Corse, appropriation d’une maladie vécue comme une honte et qui se trouve au centre d’un dialogue empli de magie et de joie de vivre. La mort au travail, si une expression pouvait résumer cette œuvre, alors c’est bien celle-là qui dévoile le cheminement vers l’inexorable d’un créateur résolu à faire un ultime pied de nez à cette gangrène qui ronge son corps mais n’atteint point son esprit. Il est libre Copi, y en a même qui l’on entendu se gausser de la grande faucheuse !

Reste le chef-d’œuvre de cette semaine de théâtre !

Hanokh Levin est un écrivain Israélien dont la plume évolue dans un univers absurde que l’on peut situer entre Ionesco et Beckett. En partant d’un événement totalement banal, (Shvartz décide d’embrasser au petit matin le petit doigt de Shvartziska, sa femme adorée), l’auteur va imbriquer une fuite en avant vers le « non-sens », en une composante savante de sentiments réels et de situations absurdes, dépeignant la force de l’amour et le ridicule des petitesses mesquines d’hommes et de femmes ordinaires. En effet, celle-ci, qui était en train de se curer le nez, refuse car elle a un gros caca au bout de son riquiqui. Son couple au bord du divorce, elle va chercher l’aide de l’ami fidèle, Popper qui se retrouve de force englué dans leurs rapports. D’ami fidèle, il devient témoin gênant. Svhartz souhaite sa mort et vu que le désir est aussi vrai que la réalité, Popper se meurt de ce charme. Shvartz et Shvartziska jouent avec cet encombrant Popper qui permet à leur amour de s’exprimer dans toute sa puissance et son mépris pour les autres, exclusivité du couple refermé sur lui-même. Même son copain, Katz, ne pourra entraver cette marche funèbre orchestrée par la passion et la jalousie. Même Koulpa, la délicieuse prostituée, prête à devenir une femme comme les autres, ne pourra s’opposer au destin. Il mourra donc pour effacer la tache indélébile de cette crotte au bout d’un doigt fureteur.

Marie Murcia est une Shvartizka éblouissante, jouant d’une palette d’émotions contradictoires, tour à tour, victime et bourreau, engluée dans sa passion pour Shvartz et dans son attirance pour Popper. C’est une comédienne accomplie, au zénith de son art. Formée à l’Erac (Ecole Régionale d’Acteur de Cannes, 1ère promotion en 1991), elle vit en Corse et offre son talent à un personnage complexe et ambigu.

Christian Ruspini est l’acteur le plus talentueux que j’aie pu découvrir actuellement en Corse. Eblouissant dans Le Roi se meurt, génial dans Pégase 51 (qui sera programmé le samedi 20 février 2010 dans la saison « Sortir à Cannes »), il n’y a plus de qualificatifs pour définir son interprétation du personnage de Shvartz, engoncé dans des vêtements étroits, la mèche barrant son front, rigide de toutes les petitesses de l’enfermement sur soi et d’un égo disproportionné. Il « hait » le personnage jusqu’au bord du gouffre, un équilibre instable entre la réalité d’une image et l’image d’une réalité, un précipice sous les pieds, celui d’une humanité où chaque geste déclenche un drame et se répercute sur son alter, la victime désignée, comme si son propre bonheur ne pouvait s’ériger que sur les ruines de l’homme en une mécanique de la compensation absurde.

 

Alors, ne serait-ce que pour cette pièce, pour ces deux formidables comédiens, pour l’irruption de l’univers torturé d’un Hanokh Levin dans notre quiétude, alors, même si ce n’était que pour ces raisons, j’aurai été heureux d’être à Bastia en cette fin d’un mois d’avril 2009. Que la pièce patine quelque peu à l’approche du dernier tiers, que certains acteurs manquent de profondeur (la prostituée trop floue, Popper qui pourrait avoir une dimension intérieure plus compacte…), que l’on cherche la perfection ou pas…Il y avait de l’émotion, de l’authentique tranche d’amour dans ce moment de grâce d’un théâtre plus que jamais parlant de la condition humaine.

 

Et si l’on rajoute un débat sur la politique culturelle avec Robin Renucci, fascinant conteur, passionné et passionnant et Valérie de Saint-Do rédactrice de la revue Cassandre, la charcuterie corse au gout de maquis et l’odeur insupportable du « fromage qui pue » se répandant dans un Zanzibar bruyant à souhait, l’île d’Elbe qui déchire l’horizon quand le soleil se couche, une escapade à Porto chez mon ami Guy Lannoy par la Scala Santa Regina, le col de Vergio avec ses rubans de neige toujours accrochés aux pentes abruptes et le village d’Evisa suspendu dans l’éther, (paysages sublimes et routes tortueuses !), si l’on rajoute les bises affectueuses d’Aline, les sourires de Sarah devant les « machos testiculeux », les pastis sur la Place Saint-Nicolas, les attentions d’Alix et de toute l’équipe des « Teatrale »… Si l’on complète ce séjour d'un déjeuner avec Raoul Locatelli, le programmateur des « Musicales », la barbe drue de Guy Cimino en train de monter son prochain opus (comme il a manqué à cette édition !) et le cigare coupé en 4 de François Berlinghi faisant son coming-out artistique sous le regard attentif d’un Jean-Pierre Lanfranchi dubitatif… Alors, on peut dire, merci Bastia, merci les Corses et à bientôt sur votre île de toutes les beautés !

Voir les commentaires

De l'enfer au paradis musical

Publié le par Bernard Oheix

 

Vendredi 17 avril. Dernier week-end de musique, quasiment la fin d’une saison. Salle des Ambassadeurs. 2000 zombis débarquent de la planète « jeans-slim », mèches gominées, femmes enfants à tendance « cagolle », mecs androgynes au verbe trop haut et aux épaules tombantes… Ils sont là, bien présents, nos amateurs d’électro, une nuit si longue qui nous mènera jusqu’à 2h30 en compagnie de DJ’s impériaux derrière leurs machines en train de déclencher des vagues grasses d’un son puissant qui roulent comme des pierres sans mousse !

Objectif bar pour se noircir au plus vite, détour par le balcon pour s’enfumer à « donf », et passage devant la scène pour lever le bras et sauter en rythme, épousailles du vide et du trop plein, degré zéro de l’inutile !

Je l’avais tant espérée cette soirée confiée à David B, un ami programmateur d’une gentillesse extrême, compétence et sérieux, dynamique organisateur de manifestations électro sur la place de Cannes ! Des Pantiero, nous en avons partagées nombre, avec des moments de folie quand basculent les repères, sautent les verrous de la conscience. Cela peut devenir si beau la modernité !

Mais quand la bière est éventée, que le cadre magnifique de cette salle se gonfle d’outrecuidance, que les chiottes débordent d’une pisse nauséeuse, que chaque minute est le reflet déformé de la vanité d’ombres sans horizon, alors, l’électro devient une mauvaise soupe, une potion amère que rien ni personne ne peut sauver du néant !

C’était ainsi en ce 17 avril, une soirée dont la réussite quantitative (2000 personnes) s’est brisée sur l’écueil du vide, où le trouble intérieur d’une jeunesse sans illusion s’exprimait dans l’acidité d’un comportement sans appel. Clops sur la moquette, vomi sur le velours, toilettes dévastées, vendeurs de produits illicites, rien ne nous aura été épargné que l’espoir ne puisse sauver ! Il reste la désillusion et la certitude que nous n’avons pas à œuvrer pour cette fuite sans rêves ! A d’autres l’organisation des nuits Electro, vive la musique live !

Je passe mon tour !

 

Samedi 18 avril. Nous sommes encore plus près de la quille, une odeur suave de libération ! Avant-dernière soirée avant le Festival du Film. Cela sent furieusement le sable chaud, les seins nus des starlettes et la cure de 7ème Art ! Mais en attendant, je vais présenter une de ces petites pépites qui règnent dans mon cœur de programmateur même si elle peine à trouver son public. Voix Malgaches et Fado, mélange des genres cohérent par le biais de voix de femmes, mais aussi d’un lien subtil entre le Fado et le chant universel de l’Afrique, les marins portuguais se nourrissant de ces chants polyphoniques en remontant le long des côtes africaines, comme nous l'expliquait la sublime Mariza. 

Tiharea (La richesse) est un groupe de polyphonies composé de trois princesses. Ando aux formes plantureuses de « mama » africaine, Eliane, petit bout nerveux de chou noir comme du charbon, et rayonnante, Talike Gelle, femme au regard de braise, habitée par la passion de la vie, véritable star au pays des voix de femmes. Leurs tresses traditionnelles, les dokodokos, leur donnent une allure de guerrières sauvages, nous offrent un parfum d’exotisme. Le groupe est issu du pays Androy, une terre sèche et aride couverte d’épineux, où la pluie ne tombe que 10 jours dans l’année, peuplée d’Antandroy durs et volontaires, façonnés par des siècles de survie et de combats contre les diverses vagues d’envahisseurs. Talike est l’authentique petite-fille du dernier roi des Antandroy, Fagnisaha, qui lui contait les mystères de son pays et les légendes d’un peuple. Il l’a chargée à sa mort de devenir son ambassadrice afin que le feu ne puisse s’éteindre et la mémoire s’effacer !

S’aidant de percussions (colliers de clochettes, instruments traditionnels, djembé), en rythme, les trois voix vont sertir le silence religieux de la salle où 300 personnes attendent de s’embraser. Mélodies et « rimotse » (raclements de gorge, halètements, sons gutturaux) composent une colonne sonore envoûtante. Talike peut passer de l’aigu au grave, du rapide au lent, elle est la colonne vertébrale sur laquelle les deux autres voix fusionnent. De l’unisson au décalage, elles nous prennent par la main pour nous faire découvrir les rites séculaires, la douleur des femmes et par-dessus tout, l’espoir et le don de vie de ceux qui sont accrochés par un fil ténu à la réalité du monde. Survivre en chantant et chanter pour faire revivre des siècles d’histoire. Un concert magique qu’une ovation d’intensité saluait en hommage au courage et à la vertu de femmes ordinaires que la grâce des dieux a effleuré de ses ailes !

 

En deuxième partie, le noir se déchire sur une silhouette fantomatique, femme déhanchée, mains derrière le dos, dans un pinceau de lumière rouge, robe ample, cheveux en cascade sur un visage gracile. Katia Guerreiro, émouvante, accrochée à sa voix rauque exprimant la saudade de tout un peuple nous prend par le cœur pour ne plus nous lâcher ! En contrepoint, assis sur des chaises surélevées, trois musiciens (guitares portugaise, sèche et basse acoustique) aux doigts légers, à la stature figée par les siècles d’un pays tourné vers l’univers, marins parcourant les mers, soldats perdus d’un empire défunt, pliant sous le joug d’une histoire trop lourde pour l’individu que la musique rend à l’éternité.

Katia Guerreiro est un médecin des corps, elle pratique toujours son art de panser les imperfections de la nature et pour faire bonne mesure, sillonne les scènes du monde pour dispenser un message de tendresse aux âmes blessées.

La guitare se fait tendresse et sa voix s’accroche aux notes. Dans la grande tradition d’Amalia Rodriguez, elle module chaque phase musicale pour en tirer la quintessence de l’émotion brute. Le public se laisse aller, entre dans sa transe, épouse ses vocalises, du chuchotement à la plainte passionnée. Cérémonie religieuse dans le sens d’une technique sacrée, comme si la musique pouvait devenir un art universel au service de la beauté. C’est Katia Guerreiro, perdue dans un abyme du temps, une boucle infinie qui autorise de communier avec le surnaturel.

Un vieux complice de ma jeunesse cannoise, Portugais de son état, Joao da Fonseca, qui m’a aidé dans la promotion de ce concert, m’avait donné un texte pour sa présentation. Voici ce qu’il écrivait : 

« -Peu de gens ont cette voix, la voix du Fado. Elle vient de loin, des chants anciens, probablement bien avant que le mot fado soit prononcé !

Derrière la guitare portugaise, pleure ses peines d’amour, sa saudade. C’est la fusion limpide des cordes qui se promènent dans les rues de Lisbonne, où se respire la mélancolie aimable d’un peuple.

Tout cela existe, tout cela est triste, tout cela est fado…et tout cela rend heureux ! »

 

Alors nous avons été heureux en cette soirée du 18 avril, du côté du Théâtre de la Licorne, à La Bocca, dans une salle à visage humain, avec un public de gens normaux, d’ouvriers et de blacks, d’hommes et de femmes de tous âges, reflet d’or d’une humanité capable de pleurer pour la grandeur d’un monde sans frontières et de voix venues d’ailleurs pour instiller une parcelle de bonheur dans le quotidien.

C’est si beau le monde quand il chante à l’unisson.

Voir les commentaires