La roche Tarpéienne n’est jamais loin du Capitole…J’en ai fait la cruelle expérience, une fois de plus, et des ors de Montréal, où la gloire m’effleura, aux pavés glissants
des Nuits Musicales du Suquet, il n’y eut qu’un pas que je franchis allégrement pour me vautrer dans la fange de l’ignominie !!! Jugez-en par vous-même !
« -Mesdames, messieurs, aujourd’hui, je viens de prendre la décision la plus stupide de ma carrière d’organisateur… ».
Ainsi ai-je entamé mon discours sur le plateau du Grand Auditorium du Palais des Festivals, déclenchant les rires des 700 personnes installées sur les fauteuils de velours rouge, dans la quiétude
de la salle, en lieu et place d’affronter des bourrasques sur les gradins du Suquet, sous les étoiles, plus près de toi, Mon Dieu !
Le repli éventuel au Palais des Festivals devant être impérativement décidé au plus tard à 16h15, sans possibilité de retour en arrière, en ce 22 juillet 2009, la lecture à 14h30 du bulletin
météo me refroidit quelque peu. Des vents en moyenne à 40km/h étant annoncés, je passe 30 mn au téléphone avec le responsable de la station où nous sommes abonnés afin de tenter de voir clair
dans l’imbroglio d’une soirée qui s’annonce complexe. 700 personnes ont pris leurs billets pour les sœurs Labèque. La salle est archicomble. Ce n’est pas la première fois que je les programme et
chacune de leur venue est propice à une bonne décharge d’adrénaline. Disons-le clairement, elles n’aiment pas jouer en extérieur, détestent le vent et les cris des cormorans, le moindre klaxon
déclenche leur irritation et quand un spectateur tousse, elles se sentent personnellement agressées. Cela n’enlève rien à leur talent et à leur gentillesse, elles sont comme cela les sœurs
Labèque, méticuleuses et particulièrement scrupuleuses quant à l’exercice de leur art.
Je reprends rendez-vous téléphoniquement avec le gardien des cieux pour 16h afin de faire un ultime point qui ne changera rien. Il me certifie que le Suquet subira de travers des rafales de vent
marin entre 20h et 23h et les artistes consultées par précaution me poussent au repli immédiat…
J’imagine la tête de mes supérieurs à l’annonce qu’il faut rembourser tout le monde parce que j’aurais fait le mauvais choix et déclenche in petto un repli stratégique au risque
zéro malgré la maigreur du souffle d’Eole qui tente une percée vers 16h30, sans conviction… avouons-le !
Sophie D, mon adjointe débarque en rigolant… « -repli, vous avez dit repli, mais il n’y a pas de vent …pourquoi ? Encore une de tes lubies, Bernard !». Admirez au
passage la solidarité de ma plus proche collaboratrice, celle qui partage ma vie (professionnelle) depuis 20 ans désormais !
Je résiste et tente de me convaincre de la justesse de ma décision, me mets à guetter, le nez en l’air, chaque branche d’arbres qui se courbe timidement… Et plus le temps passe, plus le vent
décroît jusqu’à ce qu’il s’éteigne définitivement à 19h30, laissant les drapeaux en berne, mon cœur en jachère et le public particulièrement furieux de ce repli intempestif, incompréhensible.
Je vais donc passer les heures qui suivent à exhiber mon bulletin devant les faces de hordes excitées zébrées de rictus méchants afin de prouver que le vent devrait être là, jusqu’à ma montée sur
scène pour une expiation publique.
Inutile de vous dire que je n’en menais pas large au moment de pénétrer sur l’immense plateau, m’accrochant au micro comme à une bouée de sauvetage…jusqu’à cette introduction qui dérida la salle
et me mit les rieurs dans la poche…
Sophie, goguenarde, avait annoncé à la cantonade, que cette fois-ci, si j’arrivais à les faire sourire et à les retourner en ma faveur, j’aurais vraiment droit à une médaille ! Je la porte
au revers de tous mes espoirs, comme un tribut payé au vent capricieux colportant les ondes mauvaises d’un dieu Suquétan pervers !
Les soeurs Labèque, après la tourmente...
Mais ce n'en était pas fini avec cette édition du Festival !
Passons sur les rumeurs montantes, celles qui déchirent le silence précieux des pianistes avec des airs de « batucada » peu propices au mixage des genres, à notre toile esthétisante
surplombant les spectateurs sauvagement lacérée dans un pur élan de vandalisme par une nuit sans fond, pour arriver à cette clôture des Nuits Musicales du Suquet avec mon ami Nilda Fernandez.
« -Mesdames et messieurs, un guitariste a besoin de doigts, un chanteur de cordes vocales et une danseuse de jambes…c’est, hélas, ce qui manque à notre Carmen ! En effet, il y a une
semaine, pendant une répétition de ce spectacle que j’ai vu à Paris, à la Casa des Espana, spécialement repris pour Cannes en exclusivité, elle s’est foulée une cheville…exit donc notre Carmen.
Dans l’impossibilité de trouver une danseuse, refusant une annulation pure et simple, j’ai convaincu Nilda d’adapter son spectacle en reprenant un travail sur Garcia Lorca qu’il avait monté
tout en conservant la trame musicale du précédent spectacle… Dommage pour la Carmen Cita et vive donc Fédérico Garcia Lorca… ».
Il est certain que le début du spectacle péchait quelque peu, malgré deux chansons sublimes de Nilda sur des poèmes de Garcia Lorca…le rapport à l’Espagne, une conférence sur la renaissance du
flamenco, une distribution de jambon…chaque élément en soi était plutôt riche mais l’impréparation et l’improvisation de cette première partie de 30 minutes rendaient un flou artistique pas
toujours convaincant…Par la suite, le groupe (deux guitares, deux voix masculine et féminine, un carom et deux danseurs, homme et femme) entra en scène pour une heure et quart d’un flamenco âpre
et rugueux. Les musiciens géniaux, la chanteuse sublime, un danseur atypique portaient l’ensemble et réussissaient à retourner l’ambiance et à faire basculer les spectateurs malgré une poignée
d’entre eux (une vingtaine) qui décidèrent de quitter la salle au bout d’une demi-heure non sans avoir au passage, apostrophé le metteur en scène avec vulgarité.
Un des semeurs de zizanie, 35 ans, pantalon blanc, chemise blanche, (ouverte sur un torse viril avec poils noirs frisés) vint vers moi de sa démarche chaloupée et m’apostropha. « -J’ai un
ami avocat, je suis Corse, et maintenant, si tu ne me rembourses pas immédiatement, on réglera ça en homme » me dit-il, en me saisissant par une épaule ! « D’abord, c’est pas un
spectacle, ils boivent et mangent du jambon sur scène au lieu de jouer et de danser ! »
«-Monsieur, enlevez votre main de mon épaule », répondis-je stoïque, avant que la police n’intervienne avec brio, (on ne s’en prend pas au caissier ! (sic), et que le spectateur
irascible et peu mélomane conclue d’un sonore « -mais enfin, si on se fait enculer, alors on n’est pas un homme ! »
Et moi qui pensais que la musique adoucissait les mœurs et qu’une soirée au Suquet à 30€ sous les étoiles ne pouvait déboucher que sur une note d’harmonie !
Et 650 personnes debout, à la fin du spectacle, firent une ovation aux musiciens et à un Nilda attachant, légèrement désorienté et quelque peu perplexe.
Reste l’attitude inqualifiable d’une poignée d’histrions sans éducation, mais de cela, je vous reparlerai bientôt, dans un billet futur !
Le Suquet est terminé, il fait chaud, très chaud, et les manifestations s’enchaînent, Feux d’artifice, Pantiero, plages électroniques, Jazz à Domergue… avec leur lot de problèmes et leur
somme d’angoisse. C’est la marque d’un été complexe, dédié aux caprices d’une météo fluctuante et d’une société en crise…mais le beau temps reviendra et « l’avis de tempête
culturelle », accroche de notre programme d’été sur Cannes, cessera bien un jour prochain ! Enfin, on l’espère !