Une histoire à naître, entre la vérité et la fiction, avec si peu d'imagination à avoir... Ecouter ces cassettes endormies qui gisent dans
une boîte de chaussures et partir sur les pas de cette petite vieille qui avait toujours été si vieille mais dont l'existence se confondait avec ma propre enfance, l'âge de tous les possibles, de
l'innocence et de la cruauté. Rendre la vie à la mémoire afin de dévoiler les secrets d'un monde qui s'évanouit. Alors, ces quelques lignes pour ma fille, qui l'aura si peu connue, et pour
l'humilité de ces femmes qui ont forgé la modernité de leurs larmes !
Chapitre I
J’étais très jeune, très belle et très naïve. Mais la jeunesse s’est envolée si rapidement. A dix ans, je travaillais 14 heures par jour dans une
blanchisserie dans la promiscuité des adultes, cela n’autorise pas les rêves. Un homme a croisé ma route, le premier, et dans ma chair, la conséquence d'un plaisir qui s’était refusé grandissait
en chassant mes dernières illusions d’une enfance volée. La beauté, je la possédais dans ce corps que le miroir me renvoyait, dans le regard des hommes qui s’accrochait à ma silhouette. Je ne
l’ai jamais vraiment comprise. Mon reflet me dévoilait une image qui me semblait étrangère. J’ai cherché à la déchiffrer, j’observais chaque grain de ma peau, chaque contour de mon visage mais je
m’y suis perdue. Je n’ai pas su lire mon destin dans les courbes de mon corps. Et puis, je n’en voyais que les défauts, on m’a si peu appris à m’aimer. Il me restait la naïveté. Celle-là, elle
m’a accompagnée tout au long de ce siècle, elle m’a permis de survivre, elle m’a protégée de moi-même, même si le prix à payer a été celui de ma vie avortée. Une vie pour rien, une vie au rabais,
une vie comme tant d’autres plongés dans le siècle des horreurs et qui survécurent pour être la mémoire de la folie des hommes. C’est cela mon histoire, un rien entre tant d’événements qui ont
permis à l’homme de s’émanciper de sa terre, d’aller dans l’espace, de conquérir la planète et d’oublier sa part d’humanité en forgeant son malheur. Je suis si vieille mon chéri, si usée, que la
délivrance ne saurait tarder, désormais. Je n’ai pas peur de la mort, je l’attends sans impatience, j’ai tant soldé de vies que la mienne n’a plus d’importance. Mon parcours s’achève et je n’ai
toujours pas compris pourquoi j’ai vécu si longtemps. Il y a tant de morts qui m’entourent que je ne suis plus vraiment vivante. Je leur appartiens déjà.
J’ai coupé le magnétophone, retiré l’oreillette. Cette voix me poursuivait depuis des années, depuis la vision de ce visage figé par la mort dans un lit
d’abandon, depuis que j’avais décidé d’enregistrer cette vieille dame qui avait été ma grand-mère pendant les 40 ans de ma vie où je l’avais côtoyée. L’avais-je vraiment connue, l’avais-je
suffisamment aimée pour lui offrir de survivre par-delà les nuages ? Qui était-elle, comment avait-elle survécu à deux guerres, à la maladie, à la misère, à l’amour durant près d’un
siècle ? J’étais la trace vivante de son acharnement à exister, le produit d’une chaîne qui la précédait depuis la nuit des temps, quand l’homme se redressait pour devenir le maître du monde,
forgeait son langage, bâtissait des maisons et cultivait la terre afin d’assurer sa survie et celle de sa progéniture. Une somme gigantesque de pleurs et de rires, de drames et de quotidien, une
parcelle vivante de cette humanité en marche forcée vers son destin. Elle en était l’apogée, née dans la boue de ce XXème siècle pour finir à l’aube du troisième millénaire.
Un iguane s’est rapproché en se dandinant. C’est un reptile saurien que l’on trouve en Amérique et à Madagascar. Sa queue traçait un sillon dans le sable
blanc réfléchissant le soleil de la mer des caraïbes qui venait s’échouer sur la grève. Sa tête dodelinait, ses deux yeux observaient cet étrange animal que j’étais, allongé sur la plage
naturelle d’un lagon à l’eau azur translucide. Il s’est arrêté à un mètre de moi. J’avais encore les inflexions de la voix de Marcelle Duval dans la tête, ces phrases qu’elle prononçait en
chantant, la lucidité aiguë d’une vieille dame en équilibre sur le fil de la vie, contant à son petit-fils la grande histoire de la petite, la réalité que les livres d’histoire ne peuvent cerner,
la vie quotidienne dans le ventre mou de ce siècle. Je venais de terminer les huit cassettes de deux heures et l’iguane émergeait de son taillis, enchevêtrement de cocotiers, de palmiers et de
buissons épineux, sa crête dorsale érigée d’épines, des fanons en bourrelés autour de sa gorge. Il était le modèle réduit de nos cauchemars d’enfance, ces montres préhistoriques qui venaient
perturber nos nuits en dérangeant nos certitudes. Il s’interrogeait sur ce monstre apparu dans son univers et derrière ses dards dressés sur son dos en une corolle menaçante, ses pattes
recourbées, les mouvements lents de son torse, je me sentais le prédateur humain de cette nature que nous avions à jamais déflorée, je me percevais comme l’étranger en train de salir les derniers
lambeaux d’une planète à l’abandon. Nous avions échoué à construire un monde harmonieux, nous allions réussir à condamner les derniers vestiges de cette planète, à en faire ce tas d’immondices
définitives que nous lèguerions à nos enfants. Tout s’était déroulé en si peu de temps, un claquement de doigts, une fraction infinitésimale à l’échelle du monde et plus rien ne pouvait être
réparé, plus rien. Le temps des illusions était bien terminé pour Marcelle Duval comme pour sa fille, pour ses petits enfants comme pour les enfants de ses petits enfants, pour tous ceux qui
avaient espéré que le progrès offrirait un avenir radieux au monde des êtres humains.
L’iguane s’est encore approché, j’ai ressenti son souffle inquiet, ses yeux fureteurs, il m’a touché la cuisse de sa queue battante et je n’ai pas eu peur,
j’ai juste perçu le souffle de la vie monter de cette nuit soufrée dont il émergeait. J’ai communié avec le passé infini pour conjurer l’avenir trop précis. L’espoir refusait de mourir et j’ai
décidé d’écrire cette vie de rien d’une femme commune. Loin des décorations, des ors et lumières, loin des mausolées, je me suis promis de hisser son oriflamme afin que sa mémoire trouve sa place
dans les sillons de l’humanité. Elle existait bien malgré tout, malgré nous, tout autant que les puissants et les menteurs, ceux qui écrivent les pages dorées de l’histoire et ceux qui les
réécrivent. Elle s’appelait Marcelle Duval, était née le 3 juillet 1905 par une nuit d’orage étouffant, dans les éclairs d’un ciel voilé, et avait décidé de vivre 100 ans de malheur et de
solitude pour expier les fautes des autres. Ma grand-mère Marcelle Duval, aux yeux bleus délavés par toutes les larmes qu’elle avait versées qui auraient rempli un océan de son sel. L’iguane a
geint comme un animal blessé. Il a ouvert sa gueule et ses dents insérées sur les bords internes des mâchoires ressemblaient à des crénelures menaçantes. Les pupilles de ses yeux roulaient dans
leurs orbites. Sa langue est sortie de sa bouche et a léché ma hanche. J’étais immobile, pétrifié tel un roc. Nous avons communié, ensemble. Il a rompu le contact et s’est fondu dans la
végétation, laissant un sillon derrière sa queue battante, m’invitant à suivre sa trace. Je me suis relevé, j’ai ressenti la brûlure sur ma peau des rayons du soleil, je me suis jeté à l’eau, une
mer si chaude aux effluves salée, et j’ai nagé vers le catamaran qui m’attendait ancré paresseusement, dans l’anse de l’île de la …… Cuba flottait à l’horizon, des hommes buvaient du rhum, des
femmes dansaient une salsa endiablée en remuant les fesses, le Che paradait sur tous les murs des bâtisses de l’île et je percevais maintenant le message qu’elle m’avait lancé dans ces nuits
froides d’hiver, quand son crépuscule devenait tellement évident qu’elle se préparait à la mort comme elle avait toujours vécu : avec discrétion et sans haine, juste cette distance qu’elle
avait toujours entretenue entre la clarté du jour et les ombres de la nuit.
Cette vieille dame m’évoque irrésistiblement un ragoût de mouton mijotant dans un grand faitout de fonte, la buée qui perle, l’odeur qui monte dans cette
vaste cuisine d’une maison accrochée aux pentes de Levens, un petit village de l’arrière pays niçois où elle avait élu domicile à la perte de son entreprise de broderie. En 1958, pour cause d’une
cuti mal virée, elle m’avait accueilli pour 6 mois d’école au grand air de la montagne, cure indispensable pour m’armer contre la tuberculose et toutes les maladies qui guettent les enfants, une
poignée d’années seulement après la fin de cette guerre dont les traces étaient encore visibles dans les yeux des adultes. Aller à Levens à cette époque était une vraie expédition aux yeux d’un
gamin de sept ans. Le train à la vapeur noire en panaches de Cannes à Nice, le tram avec les éclairs du caténaire pour la gare routière et le bus grinçant et brinquebalant qui fonçait dans un
nuage de poussière vers les gorges de Tourettes, accédait aux plateaux et venait finir au pied du village perché sur un piton rocheux avant de plonger vers la Vésubie en emportant sa cargaison de
voyageurs et de colis.
Avec le recul, je m’aperçois qu’elle était jeune, à peine plus âgée que moi aujourd’hui, pourquoi donc en ai-je le souvenir d’une vieille dame, les cheveux
blancs maintenus par un foulard noir, la peau ridée, les lunettes perchées sur le bout du nez ? La mémoire est traîtresse pour celui qui n’a pas d’âge et qui assiste à l’usure du temps
sans repères. C’est ainsi, une petite vieille s’acoquinant avec un petit-fils inconnu, qui partage les longues nuits sans télévision, l’après-midi des jeudis sans école, le dimanche de la
toilette et des beaux habits pour une glace sur la place du village. Elle émergeait d’une opération du sein, un cancer traître qui la laissait mutilée, conséquence, il fait nul doute, d’une somme
de malheurs et de drames qu’elle devait solder avec sa chair.
Je me perchais sur une grande chaise et je la regardais penchée sur sa machine, concentrée, ses pieds lançant le balancier pour entraîner le moteur, ornant
des tissus blancs de macarons de couleurs, dessinant des symboles abstraits, mélangeant les fils chatoyants pour peindre des rosaces, des inscriptions ésotériques, des motifs qu’elle reproduisait
à la chaîne pour l’entreprise Lauvergeon dont elle était une petite main exilée dans la montagne. Tâcheron attaché à sa machine à coudre, elle remplissait les heures du bruit chuintant de son
aiguille perçant les étoffes. Parfois la nuit, je m’éveillais d’un cauchemar violent au balancer cadencé de ses jambes, au sifflement de l’aiguille argentée mordant le tissu qu’elle tournait avec
ses doigts pour effectuer ses desseins abscons. C’était rassurant, la veilleuse du couloir, le bruit familier, je pouvais me rendormir alors et elle continuait des heures durant pour quelques
sous le motif, afin de vivre, sans se poser de questions, comme si les choses les plus naturelles sont celles qui n’ont aucunes réponses. Je ne me rendais pas compte de cette solitude, je ne
savais pas le prix de la vie, j’étais si jeune, ce n’est que bien plus tard que les évidences sont nées, trop tard.
C’est en 1995 que j’ai décidé de la faire parler de sa vie dans le but avoué d’écrire son histoire pour mes enfants, ses arrières-petits-enfants. Mon fils
avait 17 ans et la connaissait suffisamment pour en conserver un souvenir précis. Par contre, ma fille, du haut de ses 11 ans, me laissait craindre que sa fin prochaine gommerait l’image de cette
petite vieille enfermée dans son deux pièces du "Ranchito" à Ranguin, la banlieue de Cannes, qu’elle couperait ce lien ténu qui court de génération en génération et tisse des souvenirs que les
adultes entassent dans les cases de leur mémoire, apparemment inutiles, mais si présents quand le besoin s’en fait sentir et qu’il s’agit de se raccrocher à une réalité qui nous dépasse. Etre au
cœur pour ne pas avoir peur des marges, s’agripper aux racines pour ne pas se laisser emporter par la tourmente de la vie. Je sentais l’usure irrémédiable de cette femme qui avait borné mon
horizon du plus loin que je me souvinsse. Je ne pouvais imaginer qu’elle se fonde dans le néant et qu’aucune trace ne nous resterait, que son propre passé s’évanouirait, que la fin d’une vie
impliquait la fin d’une histoire. Je voulais qu’un jour, par la magie de ses mots volés, elle renaisse, même fugitivement, même artificiellement. Il me fallait ses mots pour le dire, sa musique
comme partition.
Je lui ai expliqué ce que je voulais faire. Elle a eut l’air gêné, trop d’attentions sans aucun doute pour celle qui se noyait dans le paysage ambiant et
n’apparaissait que fugitivement, le jour des anniversaires et des fêtes réunissant la famille, déjà presque momifiée dans ses souvenirs arrachés comme pour la faire exister malgré elle. Des
moments de plus en plus rares, au fur et à mesure que le temps créait des vides entre les membres de la fratrie. Eloignements, ruptures, décès, compensés par quelques maigres naissances comptées
parcimonieusement. La vie moderne de cette deuxième partie du XXème siècle faisait exploser tous les codes en vigueur, impitoyable logique d’une société aspirée par le mouvement, où tous les
repères se brouillait dans la confusion et l’extrême frénésie d’une consommation à tout crin et d’un univers laborieux aux règles volant en éclats. Nous l’avions enfin dans les mains cet avenir
pour lequel nous nous étions levés en masse, nous étions la génération soixante-huit et l’avenir nous appartenait. Mais à qui donc appartenait le passé, celui-là même devant lequel nous avions
fuit avec tant de rage et de détermination ?
J’ai grimpé les deux étages qui l’empêchaient désormais de sortir. J’ai sonné au carillon et j’ai entendu sa voix qui annonçait son arrivée. Elle s’était
pomponnée, robe gaie à motif de fleurs et collerette en dentelles, cheveux blancs bien tirés, lunettes sur le bout du nez. On percevait derrière les outrages imposés par les années, toute la
noblesse de ce port altier, la vivacité de ses yeux. Elle avait une grâce naturelle, une élégance toujours évidente, la marque de cette distance qu’elle avait maintenue contre vents et marées et
qui lui avait permis de dépasser les rides qui lui dévoraient le visage, un dos légèrement voûté, un ventre ballonnant. Elle avait tout cela aussi, et les yeux rougis, et un duvet sur la lèvre
supérieure, mais elle restait belle même pour un inconnu. Elle pouvait représenter cette grand-mère que chacun gardait dans son cœur, enfermait dans ses souvenirs et refusait de voir disparaître.
C’est ce que je venais accomplir.
J’ai sorti mon cahier à spirale, un 7 conquérant vert acheté pour l’occasion à la papeterie de La Bocca et j’ai posé, soigneusement alignés, un crayon et une
gomme à côté. Puis j’ai branché le petit magnétophone à une prise du salon et installé le micro sur son trépied. Elle restait debout en me regardant. A ma grande surprise, elle était toute
intimidée, se dandinant d’un pied sur l’autre.
-Tu sais, mon grand, j’en ai pas dormi de la nuit. J’ai peur de te décevoir. Tu penses vraiment qu’il faut le faire ?
-Mamy, je t’ai tout expliqué. Il faut juste que tu me racontes du plus loin que tu t’en souviennes, l’histoire de ta vie, les événements marquants, tes amours
et tes peines, le travail, tes amis, les guerres que tu as traversées, des anecdotes aussi. Tu verras, cela va aller, il faut juste que tu te détendes, laisse-toi faire.
-Mais j’ai peur de ne pas me souvenir, de tout mélanger… Et puis cela ne peut intéresser personne, ma vie a eu si peu d’importance !
-Elle en a pour moi, elle en aura pour ta petite fille quand elle lira ta biographie. Tu as traversé tout le siècle. Tu es née en 1905, à l’aube du XXème, on
est à son crépuscule. On va rentrer dans le XXIème avec toi, on le verra ensemble, je te le promets et tu verras ton arrière-petite-fille dévorer l’histoire de Marcelle Duval.
-Tu es gentil de me mentir. Je n’y crois pas, cinq ans, c’est une éternité à mon âge, mais bon, j’ai essayé, tu pourras toujours lui faire écouter les
cassettes !
Elle s’est assise en face du micro et à ma grande surprise, a sorti un petit carnet de sa poche. Elle a vu mon étonnement et j’ai entendu ce trop rare rire
cristallin, le regard en coin, qu’elle dispensait quand elle était particulièrement contente d’elle.
-Et alors, j’ai travaillé moi-aussi. Je note ce que je dois te dire depuis deux jours, au moins je ne tomberai pas en panne de souvenirs ! J’ai encore
toute ma tête !
J’ai enclenché la touche d’enregistrement et c’est ainsi que tout a commencé. Nous avons réalisé 16 entretiens d’une heure à raison de deux par semaine.
C’était largement suffisant pour ses forces déclinantes. Au bout d’une face de la cassette, je sentais sa tension, l’effort que lui imposait cette plongée dans sa mémoire. J’arrêtais
systématiquement à la fin d’une face, quand bien même elle souhaitait continuer. Pendant que je rangeais le matériel, elle me préparait un verre bien frais de citronnade et en aparté, revenait
sur certains des aspects qu’elle avait développés. Dire que ces moments furent magiques est une évidence. Elle se livrait totalement, sans affectation ni complaisance. Elle conservait une mémoire
étonnante concernant les dates. Autant elle était capable de citer des jours précis, autant parfois, l’ordonnancement des événements se brouillait en elle. Nous reconstruisions alors patiemment,
ensemble, grâce à mes notes, et je sentais son soulagement quand nous retombions enfin sur une cohérence qui la ravissait. Elle avait des sourires de petite fille en parlant de sa vie, elle
aimait nos rencontres. Elle m’attendait à 17 heures et les rares fois où un retard quelconque me fit décaler ce rendez-vous rituel, je vis le soulagement se peindre sur son visage à l’ouverture
de la porte.
Pendant deux mois, de mars à avril, nous avons partagé une complicité sans égal. Je n’étais plus si jeune pour m’illusionner, elle ne serait jamais assez
vieille pour renoncer aux rêves. Tous les deux, nous cheminions sur ses traces, suivant sa mémoire fertile, au fil des années qui s’écoulaient en un accéléré avec des fondus au noir, des gros
plans, des panoramiques, des personnages secondaires qui revenaient de séances en séances, des drames qui la plongeaient dans une langueur mélancolique, des fêtes et des bonheurs qui éclairaient
son visage de sourires malicieux. J’aime à penser qu’elle se livra sans retenue, emporté par ce qui, d’un jeu, se transforma en une course effrénée vers sa propre histoire. Je lui ai permis
de renaître, d’aimer pour la première fois de nouveau, d’enfanter et de voir le monde à travers le prisme de sa mémoire. Ce fut mon cadeau d’adieu et je ne peux évoquer ses souvenirs sans
ressentir un pincement au cœur, sans voir apparaître ce bout de femme tenace écartelée entre deux siècles, entre deux vies.
Les beaux jours sont revenus, le travail m’a aspiré, les notes reposaient dans le cahier vert à spirale, les cassettes dormaient en conservant cette voix
chantante dans leur fibre, la vie continuait, éternelle, sans que rien ne semble pouvoir en perturber le déroulement. C’est la mort qui nous rappelle combien est fugitif le temps de l’espoir.
Elle ne s’annonce pas, je le pressentais pourtant en entamant cette démarche, mais on ne vit pas avec elle, elle nous surprendra toujours, au détour d’une après-midi, quand rien ne doit déroger à
l’ordre des choses et que tout paraît figé pour l’éternité. Il m’a fallut du temps pour le comprendre et tirer de ses mots cette histoire si vraie qu’elle en devient un chant, une ode à la
mémoire retrouvée de ceux qui n’ont jamais eu de temps pour écrire leur histoire, de ceux qui ont vécu pour que les autres puissent continuer à espérer.
A suivre (?)
Alors, une histoire à naître ? Un récit à composer ? Pour qui d'abord ?
Les fils d'une histoire d'un siècle, du siècle de tous les paradoxes, de l'explosion de la science et de la technique à l'apogée de l'horreur et des crimes à grande échelle ? Pour quelle
histoire donc, la grande des inconnus célébrés ou la petite d'une vie réelle anonyme ?
A vous de me le dire, à toi, Angela, de m'y inciter !