Les Nuits Musicales du Suquet 2013
Les Nuits Musicales du Suquet ont offert des soirées bien atypiques en cette édition 2013, et si certains mélomanes ne se reconnaissent pas toujours dans les programmes proposés, d’autres s’y retrouvent malgré tout et une partie du public vient pour la rareté et l’émotion d’un Festival qui se démarque des manifestations du même format. Tous les Festivals classiques tentent de se régénérer, mais ce n’est jamais facile... Cette année, une partie du public purement classique a snobé les propositions pourtant bien alléchantes. A cela, ajoutons le cataclysme d’un mois de juillet sur la côte boudé par les touristes avec des taux de fréquentations des hôtels en chute libre (autour de 40 à 50% en moins que l’année dernière. Résultat, une fréquentation moins bonne et des rentrées financières écornées !
Mais bon, c’est la crise, et il n’y a pas de raison qu’elle ne touche que les pauvres !
Au programme de cette année :
Cyprien Katsaris en ouverture, c’est un symbole de ce que je tente de faire dans ce Festival classique : régénérer les codes, ouvrir des portes entre les genres et rendre la musique classique plus humaine, plus proche de notre environnement et de nos préoccupations. Voilà bien un grand pianiste qui ose transgresser les rituels du récital. Dans un savant dosage entre improvisations, découvertes de morceaux rarissimes et d’oeuvres plus larges, il excelle dans la pédagogie, l’éclairage didactique des oeuvres en les re-situant dans leur contexte. Il fait aimer la musique classique en la rendant vivante ! C’est en plus un homme adorable, plein de prévenance et d’attention.
Cette année, opération ambitieuse autour de Albert Camus. Un hommage rendu en musiques et en textes avec L’Orchestre de Cannes dirigé par Philippe Bender en support et Marthe Villallonga lisant des extraits du Premier Homme, ce roman au destin funeste, retrouvé inachevé après la mort de son auteur. Un roman ou tout son génie s’exprime avec les failles d’une construction inachevée pour nous faire comprendre la genèse d’un chef d’oeuvre.. En 2ème partie, la voix envoutante de Daniel Mesguich nous emportera sur les traces d’un «instit» du bled, une nouvelle déchirante, L’Hôte tirée de L’exil et le Royaume avec en prime, les images de la BD que Jacques Ferrandez a tirée de cette nouvelle, projetées sur les pierres du fronton de l’église dnas la nuit étoilée. C’est tout le drame de la Guerre d’Algérie qui se trouve en filigrane de cette histoire qui finit comme une tragédie antique. Une soirée fascinante.
La Carte Blanche à mon ami, Michael Guttman, Directeur du Festival de Pietrasanta, nous aura permis d’assister au concert d’un maître du Clavier, Boris Berezovsky, dans un programme russe ou il excelle.
J’attendais beaucoup de Mozart versus Salieri. Cette confrontation en musique tentant de mettre en regard leurs oeuvres manquait cruellement de pédagogie et d’explications pour que cette musique baroque de cour puisse s’épanouir. Dommage, car il fait nul doute que si l’histoire a quelque peu maltraité Salieri, il n’en reste pas moins que le génie d’un Mozart ne pouvait tolérer la moindre ombre ! Au passage, cassons le mythe d’un vieux Salieri accroché au pouvoir contre le jeune prodige. Seules six petites années les séparaient, tout comme en terme de précocité, Salieri n’avait rien à envier au jeune Mozart lui qui, dès l’âge de 13 ans, composa ses premières oeuvres... Mais voilà, l’histoire choisit toujours ses vainqueurs !
L’Hommage à Mikis Théodorakis fut émouvant. Un homme plusieurs fois revenu de l’enfer, donné pour mort plusieurs fois, enterré vivant deux fois, engagé de tous les combats pour la démocratie et qui eut le temps d’accumuler une oeuvre gigantesque dans tous les registres de la musique, du classique au sacré, du populaire à la musique folklorique. Et tout cela en en plus de ses activités sociales et politiques. Théodorakis un mythe en Grèce, qui en a bien besoin, même s’il est désormais un vieil homme !
C’est dans les chansons, (il en a écrit plus d’un millier), que son génie s’est imposé, partant sur des mélodies sophistiquées mais accessibles à tous, avec des textes d’une grande profondeur. Toutefois, cette création pour le Festival aurait gagné encore à la mise en valeur de quelques instrumentaux, et à une construction plus harmonieuse. Il n’empêche, que malgré ces petites réserves, le public ovationna le groupe et qu’un «sirtaki» endiablé vint secouer les gradins dans un rappel de folie.
Tout comme pour La Sinfonia Flamenca, de mon ami Juan Carmona, dont j’avais eu l’honneur de créer le premier mouvement, (il a 10 ans, déjà !) et qui fut présentée enfin, après avoir été jouée dans le monde entier, dans son intégralité à Cannes, son berceau. Accompagnée par l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, cette symphonie mêle les codes de la musique savante avec ceux de la musique d’instinct du Flamenco. Juan Carmona est un grand monsieur, un artiste de la guitare, un visionnaire qui a su canaliser toute l’énergie de sa performance d'interprète pour donner une oeuvre composée sensuelle, à mi chemin entre une cérémonie profane et un récital sacré. Pour achever cette soirée de clôture, son groupe de Flamenco où rayonnait Jésus Carmona (un homonyme du compositeur, danseur de formation classique, adonis de la «talonnade» et roi du jeter de jambe) vint enthousiasmer le public, et achever en apothéose cette série de concerts.
A noter dans les concerts découvertes de 19h la performance de David Levy, un talentueux pianiste cannois, dans un programme de musique espagnole, qui a gagné à cette occasion, le droit de revenir en deuxième édition, sur la grande scène ! Et n’oublions pas Forabandit, l’incroyable trio composé d’un occitan, Sam Karpiena, voix et mandolocelle, Ulas Ozdemir, un turque au Baglama et au chant, et Bijan Chemirami, un iranien au zarb et percussions. Ce groupe envoutant venu des horizons de la Méditerranée, nous emporte dans des ballades dont on garde l’empreinte au fond de nous, comme un rappel entêtant d’une musique qui plonge ses racines dans notre inconscient d’homme libre !
Et pour finir, chapeau aux jeunes solistes de la région, John Gade (piano) et Dorian Rambaud (violon) et à Riccardo Caramella qui nous a proposé une soirée pour enfants avec les ineffables Babar et Pierre et le Loup servis par la belle récitante Maria Alberta Navello devant, pour la première fois, aux Nuits Musicales du Suquet, un parterre d’enfants éblouis !
Voilà une édition de plus ! Les résultats moyens en terme de fréquentation, compensés par une grande adhésion du public et un renouvellement partiel des spectateurs, nous projettent vers l’avenir, la saison 2014 où je vous retrouverai au paradis, tout là haut près des étoiles, entre les cris des sternes et les cornes des bateaux, sur la colline du Suquet... à Cannes, pour toujours !