La Théorie des Prodiges/Système Castafiore
Découvrir une nouvelle pièce du Système Castafiore est toujours un moment d'une intense incertitude, l'attente désordonnée d'une émotion à venir. La présentation de La Théorie des Prodiges n'échappe pas à cette règle, dans le bruissement d'une salle pleine, la tension perceptible d'un nouveau pari, les espoirs se focalisent sur la lumière qui s'éteint pour un premier tableau d'une femme suspendue par des harnais invisibles qui sculpte l'espace avec une grâce aérienne. C'est donc parti, pour une nouvelle plongée en "terra incognita"...
Ré-enchanter le monde....Vaste projet dans la continuité des créations dont cette Compagnie Castafiore, basée à Grasse, dirigée par Karl Biscuit et Marcia Barcellos, s’est faite une spécialité. On se souvient de Stand Alone Zone (2009) comme d’un space-opéra, Des chants de l’Umaï (2011) comme d’un hommage bouleversant à Marcia, de toutes ces pièces qui brisent tous les repères (Récits des tribus omégas (2000), Encyclopédie des tendances souterraines (2006) Oratorio Mongol (2014)), entre la danse, le théâtre du merveilleux, le mime et des textes hachés et triturés pour n’en laisser émerger que l’essentiel. Les costumes et les accessoires nous emportent dans l’ailleurs, la danse brise tous les codes en vigueur, et la technique (subtil mélange entre l’innovation et le bricolage) nous permet d’échapper à la pesanteur en donnant une dimension universelle qui dépasse l’entendement pour toucher au ressenti.
C’est la conjugaison foisonnante de tous les arts de la scène fusionnant avec les techniques de projection en 3D qui sème ce trouble indicible que le spectateur ressent au plus profond de lui.
Au passage, quel universitaire se penchera un jour sur la magie des titres de cette compagnie atypique. Florilège onirique qui nous emporte dans un ailleurs fantastique…
La semaine des 4 jeudis (2003), Lucioles et autres stratagèmes (1999) Manuel du merveilleux : W-A° (2008), Renée en botaniste dans les plans hyperboles (2012)
Nous attendions avec impatience leur nouvelle création, La Théorie des Prodiges, comme pour nous convaincre que nous ne rêvons pas et que leur créativité reste encore et toujours intacte.
Pari réussi de nouveau. En 13 tableaux, les créateurs nous emportent dans un monde où le virtuel et l’onirique se conjuguent, déclinant les thèmes fantastiques chers à leurs obsessions. Naissance du langage, hommes animaux, féerie des utopies, cyclope, défilent sous nos yeux, portés en direct par la voix bouleversante de la jeune Camille Joutard jonglant avec les trilles, glissant sa voix mélodieuse dans l’univers BD de la mise en scène, dans des costumes et des accessoires issus de l’imaginaire torturé de Christian Burle, dans les mouvements saccadés et syncopés débouchant sur une fluidité du geste imaginés par la chorégraphe Marcia Barcellos.
C’est un aboutissement (mais nous disons cela à chacune de leur création !), une certitude de plus confirmant cette démarche atypique qu’ils réussissent contre vents et marées à maintenir, contre des budgets de plus en plus exsangues, contre les démissions d’une société de plus en plus triviale où la culture devient un accessoire au profit du showbiz, contre la main mise du bien-pensant sur les zones furieusement incontrôlées de nos songes.
L’histoire des arts du spectacle reconnaîtra l’apport essentiel de Karl Biscuit et de Marcia Barcellos dans cette époque charnière entre ce XXème siècle des utopies agonisantes accouchant d’un XXIème matérialiste sans frontières où les ferveurs religieuses se sont libérées de toutes morales. Ils rêvent comme des enfants éveillés avec le sens naturel d’un sacré sans codex, ils osent l’impossible et nous offrent l’impensable.
C’est une plongée hallucinatoire dans ce lieu particulier où fusionnent le corps et la pensée, le concret et la métaphysique, sans traces d’une quelconque leçon à tirer ni de volonté à donner des clefs… juste saisir l’instant magique où nos rêves nous parlent, où nos peurs se fondent dans l’espoir magique d’une renaissance !
C’est sans doute le premier de leur prodige, et celui-là, vaut tout les messages lénifiants des conformistes bien-pensants qui polluent notre présent….