Festival du Film 2017 : dernière livraison avant clôture !
Si le Festival a commencé tout doucement et sans passions extrêmes, depuis trois jours, de vrais films sur des histoires de chair et d’êtres humains émaillent toutes les sélections. Petit tour d’horizon de quelques coups de coeur qui donnent de l’espoir à un cinéphile enfin récompensé de ces longues files d’attentes, de ces heures à guetter l’éblouissement devant un écran qui s’éclaire !
Deux magnifiques films italiens pour nous rappeler que ce pays est toujours une terre de cinéma. Après le beau Fortunata, (cf. précédent article), Après la Guerre (Annarita Zambrano) tente de solder les cicatrices des années de plomb. Suite au meurtre absurde et brutal d’un professeur de droit en 2002, le spectre du terrorisme renaissant et l’abandon de la jurisprudence « Mitterrand » en France provoquent la fuite d’un ancien leader terroriste avec sa fille adolescente sur les chemins d’un nouvel exil. C’est aussi toute sa famille en Italie, la mère, la soeur, le beau-frère qui voient leur existence bouleversée par le drame.
Incapable de faire le bilan de ces années terribles, devant le désespoir d’une génération sacrifiée, l’Etat Italien s’arc-boute sur des règles qui empêchent la réconciliation. Un film sur une époque révolue où le terrorisme se voulait la bonne conscience de ceux qui luttent et que le futur rattrapera toujours dans son horreur !
L’intrusa de Leonardo Di Costanzo dévoile le visage d’une mère courage, une femme qui gère un centre de loisirs dans une banlieue Napolitaine rongée par la lèpre de la « camorra ». Dans une contexte fragile de tensions extrêmes, sa décision d’accueillir la femme d’un maffieux va mettre en péril tout le travail d’une équipe passionnée qui lutte au quotidien pour sortir les enfants du ghetto mental dans lequel la corruption et la violence les plongent. Les haines à fleur de peau et la peur qui suinte à chaque pas trouveront un fragile rayon de soleil dans un final d’espoir.
On avait aimé le film Russe Sans Amour pour cette absence cruelle d’un enfant qu’un couple en train d’exploser provoquait. Une Femme Douce de Sergeï Loznitza élargit le propos, c’est la société toute entière qui est en train de s’écrouler. Un film désespéré sur la quête par une femme de son mari emprisonné dans une Russie en décomposition où toutes les valeurs se perdent, où les beuveries et le sexe se mélangent dans le pitoyable d’un échange sans partage. Une étrange fable conclut le film de 2h 22 (toujours un peu trop long !). Que l’on retrouve le film au palmarès, tout comme Sans Amour ne serait pas incongru tant les deux films russe touchent à l’essentiel des rapports humains dans une Russie qui s’enfonce dans le chaos et le désespoir.
Deux films français aussi. Le superbe et fascinant L’Atelier de Laurent Cantet où Marina Fois anime un atelier d’écriture auprès d’adolescents difficiles de La Ciotat. La violence passée, celle de la fermeture des chantiers dans les luttes et la violence d’aujourd’hui qui s’exprime dans les rapports tendus entre les jeunes se canalisent dans l’écriture d’un polar. L’écrivaine qui tente de mettre un peu d’ordre est alors fascinée par la personnalité brute d’un adolescent qui flirte avec l’ultra-violence et l’extrême droite…
Un film magnifique, sur la rédemption et l’interrogation, sur la recherche de l’humanité qu’il y a en chacun de nous !
Jeune femme de Léonor Serraille, campe une jeune femme à la limite de tout, du désespoir et de la violence, de la frustration et de la haine. Pourtant, dans un long cheminement vers elle-même, elle va recoller les morceaux épars de sa vie, faire enfin la paix avec les démons qui la hantent, accepter la fin d’un amour qui la dévore avec un artiste qui a été son Pygmalion avant de l’abandonner. C’est un vrai portrait de femme porté par une interprète fascinante, Laetitia Dosch dont l’énergie, la violence et la fragilité se transcendent dans sa volonté de survivre et de s’accomplir.
Directions du Bulgare Stephan Komandarev est un film choral dont le fil conducteur se situe dans les divers taxis qui vont charger des gens aux destins qui se croisent. C’est sur le fond d’une Bulgarie à bout de souffle, rongée par la corruption et qui fait le grand écart entre un destin européen et son passé de misère que des personnages vont accomplir leur trajet vers la solitude et les drames. Tableau désespéré d’une société en train d’exploser, entre la misère et la corruption, les trafics et les blessures du passé. Un film magnifique qui aurait mérité d’être en sélection pour concourir pour la Palme.
Je ne dirai pas de mal de In the Fade de Fatih Akim. Même si la facture du film est un peu trop classique et les effets parfois appuyés, le thème, un attentat raciste par des fascistes dans l’Allemagne d’aujourd’hui, me semble trop d’actualité pour que l’on dédaigne d’un revers de la main cette oeuvre puissante, forte sur le combat d’une mère qui vengera la perte des siens contre une société incapable de punir les coupables. Diane Kruger est remarquable et ce film, il faut l’espérer, aura une belle carrière en dehors des festivals !
Cette année, il n’y aura pas de pronostic sur le Palmarès. N’ayant vu que 8 films en compétition, je me garderai d’avancer des hypothèses même si j’imagine retrouver les deux Russes dans le tableau final.
Au final, j’aurai visionné 32 films dont 8 en compétition, 10 d’Un Certain Regard, 3 de La Semaine de la Critique, 5 du Cinéma des Antipodes et quelques Quinzaine et autres séances spéciales. J’en garderai la qualité évidente des Italiens, un regard toujours particulier et la richesse des réalisateurs Français, le scanner social des pays de l’est (Russie et Bulgarie) et quelques OFNI (Objets Filmés Non Identifiés). Parmi eux, Le Vénérable W, un documentaire fascinant sur les boudhistes racistes de Birmanie de Barbet-Schroeder qui fait froid dans le dos et un Ak-Nyeo du Coréen Jung Byung-Gil où dans les 3 premières minutes, une jeune fille très en colère tuent au pistolet et au couteau, 82 bandits qu’elle soupçonnait d’avoir tuer son père. C’est un film complètement fou, haletant et surprenant qui même à l’heure tardive de sa projection, ne pouvait que nous scotcher au siège et nous empêcher de dormir. Un Blockbuster à l’américaine sur fond de vengeance mais avec une maitrise incroyable et un supplément d’âme à réjouir tout cinéphile décidé à se lâcher un peu devant l’écran !
Voilà, l’heure de la cérémonie de clôture s’avance. Il faudra attendre un an avant de retrouver cette passion « cinéphilique » qui ouvre tant d’horizon, même dans ce monde qui a rétréci !
Et quand au thème de l’enfance meurtrie que j’avais défini dès le 3ème jour, il nous aura tenu en haleine jusqu’à la fin, jusqu’à l’ultime bobine, tant il ne faisait pas bon être un enfant dans les films présentés en 2017 au Festival de Cannes !