Là ! c'est (vraiment) de la musique.
Elles sont deux à porter à bout de bras un Festival de musique au sein du temple du théâtre estival. Annie Rosenblatt et Sabine Chatel, depuis 3 ans, s’offrent un détour par les chemins si particuliers de la musique du monde et de l’expérimentation musicale en Avignon, dans la cour du collège Verlet. Avec très peu de moyens, elles se débrouillent pour utiliser leur carnet d’adresses, monter des « coups » artistiques, embaucher des bénévoles, convaincre et séduire des partenaires et faire venir un public qui délaisse pour quelques heures l’Art de Molière pour celui des notes enchantées. Et le résultat est pour le moins étonnant.
Dans les aléas d’une 3ème édition rendue plus complexe encore par une 2ème étoile brillant à l’horizon pour notre équipe nationale de football, (le festival se déroulait du 13 au 17 juillet avec une finale à Moscou le 15 !), elles s’acharnent à créer de la convivialité et à donner un supplément d’âme à cette musique qui nait dans les reflets de l’espoir, dans l’expression des femmes et des hommes qui tentent de libérer leur société de ces chaînes qui les oppriment, dans tous ces élans d’une main tendue vers l’autre par notes interposées.
On est bien loin des sentiers rebattus, du formatage des artistes éprouvettes, d’un showbiz surfant sur les désirs les plus attendus. Non, on est dans l’appropriation collective, dans le partage non seulement d’une mélodie, mais d’une culture qui en est la matrice et ne demande qu’à toucher l’autre.
Et nous sommes tous ces autres devant l’extraordinaire volonté des femmes algériennes de Lemma qu’une Souad Asla à la beauté d’une princesse du désert entraine vers l’affirmation et la conquête d’une liberté. Occupant un espace dévolu exclusivement aux hommes, jouant des instruments que seuls leurs maris ou fils peuvent faire sonner, elles vont sur 3 générations, de la grand-mère à sa petite fille, jouer, danser et offrir leur joie à un public transporté. Des chants soufis aux danses festives des mariages, elles campent à l’orée du désert et se révèlent comme d’extraordinaires ambassadrices d’une musique de fête et d’allégresse où les frontières n’ont plus lieu d’être !
Cet évènement, en co-accueil avec le Festival d’Avignon, montre bien les limites floues d’un art total. Du théâtre, il y en avait dans leurs costumes traditionnels chamarrés, dans leurs attitudes, dans leur façon de donner du bonheur en se mettant en scène.
De la même façon, et toujours en participation avec le Festival officiel, le Cri du Caire permet à Abdullah Miniawy accompagné de musiciens d’excellences et d’un Yom charismatique, d’exprimer par sa voix magnétique, toutes les gammes du possible, de l’incantation au slam, du poème soufi aux rock, du mysticisme au jazz en un melting pot rafraîchissant et novateur. Voix d’un pays déchiré où la musique pourrait donner le tempo d’un temps nouveau !
Mais tout au long de la journée, dans cette cour ombragée, on croise des siestes acoustiques avec un Bastien Lallemant solaire, des conférences d’un maître en la matière, Gérard Kurdjian, un espace restauration bio et des plages dj's « vinyls only » de Jean de Lardenelle.
Et sur la scène, un jeune représentant du chant diphonique Mongol dans un voyage à travers les steppes, un couple iranien (Shadi Fathi et Bijan Chemirami) dans un dialogue percussion/chant réinventant une culture persane si riche et audacieuse… et tant d’autres !
Et comment ne pas dire notre admiration pour l’improbable création du plus grand des clarinettistes, Yom, accompagnant la voix si pure d’Elise Dabrowski, (Mezzo Soprano) dans un hommage Lingua Ignota à Hildegarde Von Bingen, cette religieuse du 11ème siècle dont la vie et l’oeuvre sont une saga qui échappe à toute logique.
Dans cette langue inventée par elle, ils vont transposer des cantiques et des recettes de vie en quelques notes greffées sur la voix chaude de la chanteuse transportée.
Là! c’est de la musique pourrait se décliner en Là ! il y a de la vie, de la passion et du bonheur à glaner pour affronter les secousses d’un monde si mal agencé où les fausses notes sont légions.
Dans les chaleurs moites d’Avignon, la musique du monde à toute sa place. Elle offre une oasis à ceux que les mots emportent et leur donne quelques notes pour tenter de décrypter une histoire balbutiante.