Hommage à Richard Stephant
Le 25 octobre à 19h30 au Bar des Théâtres, dans le 8ème arrondissement, une bande d’amis vont se retrouver pour boire un coup à la santé d’un disparu de plus. Il y aura de la tristesse, de l’émotion mais aussi des sourires pour l’accompagner vers son paradis de musique !
Je ne pourrai pas être présent, car j’ai un empêchement, devant me rendre à Turin ce jour-là. Je n’évoquerai pas avec ses potes et sa soeur Anne, le solaire Richard Stephant, mon ami de toujours.
Et pourtant j’en aurai eu à dire sur certaines de nos aventures professionnelles où personnelles.
Richard était un producteur de spectacles indépendant dans une période où l’indépendance avait un prix de plus en plus élevé à payer. Je l’ai connu il y a si longtemps que j’ai toujours eu l’impression de travailler avec lui à mes côtés. Grands Galas de Danse avec son complice Alfio Agostini de Ballet 2000….où des étoiles russes qu’ils savaient dénicher comme nuls autres, éblouissaient de leur talent la scène du Palais des Festivals, hommage à Maïa Plissestskaïa, et quelques autres pépites que nous avons concoctées ensemble. Le Canto General de Pablo Neruda avec Angelique Ionatos, un Mozart avec projection d’images sur le fronton de l’église au Festival des Nuits musicales du Suquet signé par son complice Paolo Micciche, un hommage à Mikis Theodorakis… des créations originales, sans beaucoup de moyens, mais avec toujours de l’intelligence, de la finesse et l’ambition permanente d’offrir une culture qui ne soit pas formatée mais ouvre les portes de la perception à des émotions cachées en nous.
Je me revois marchant à ses côtés dans les rues de Rome pour la première d’une oeuvre co-produite par le Vatican sur Dante avec Paolo, à Montréal pour une tournée du « Jugement universel » que j’avais aidé à vendre, à New-York à un Gala de Danse de son partenaire Solomon Tancer…
Plus étrange encore quand il m’a suivit dans les 2 éditions de BoccaSamba comme producteur où nous avons fait résonner les nuits Boccassiennes d’une joie de vivre et d’une fièvre consommée sans modération. Défilés le long des plages de batucada avec ces belles filles court vêtues dansant pour le plaisir des baigneurs nocturnes en extase, investissement des quartiers populaires, concerts hallucinants de Zezinho (le roi du tic et tic et tac) sur la place de La Bocca, de Anna Torres, Roda de Cavaco ou des filles percussionnistes de Zalindé, une des plus belles soirée de ma carrière de programmateur, mon dernier acte de programmation officiel ! C’était avec lui. Il dormait à la maison et était devenu un résident permanent de la saison estivale même si nous foncions sans le savoir vers la fin programmée de nos animations !
Pendant ces plus de 20 ans de connivence, chaque spectacle que nous avons produit s’inscrivait dans une logique de fête, d’animation et de passion. Du plus loin que je me souvienne, nous en sortions avec cette étrange impression d’un attelage gémellaire, formé au même moule d’une culture noble sachant tendre la main au public, à son coeur comme à son intelligence.
Et ce n’est pas un hasard, si l’année de mon départ à la retraite en 2012 (désirée et voulue !) du poste de Directeur de l’Evénementiel du Palais des Festivals de Cannes après 22 ans de service, c’est chez lui, en Crête, auprès de sa femme Evdokia et des ses deux filles, que je me suis réfugié avec toute ma famille pendant un mois. Bonheur acidulé d’une fin « officielle » même si nous avons entamé une dernière période sous l’égide de la boîte que j’avais créee, BO Conseil en Culture et Animation (BOCCA !), dont il était partenaire. Une façon de tirer un trait sur mon rôle de direction au Palais et de jouer les prolongations pendant 4 années d’un bonheur libéré des contraintes institutionnelles.
Mais au delà de cet aspect professionnel, il y a aussi les moments d’intimité partagée. Des repas en tête à tête à tenter de comprendre où nous allions, à disserter sur des futilités ou à évoquer les problèmes d’un monde dans lequel nous ne nous retrouvions pas toujours, pas souvent.
Et puis le dérisoire. Ce poker en Russie où nous avions été invités par un oligarque qui désirait lancer un jeune chanteur en France et qui nous avait réglé en espèces le voyage, nous hébergeant au coeur de Moscou dans un hôtel de luxe. La séance de travail avec son autre complice Philippe Albaret dans un Karaoké privatisé pour l’occasion fut un des moments les plus surréalistes de ma vie d’organisateur de spectacle… (n’est-ce pas Philippe ! Tu as le droit désormais de raconter cette histoire à ses amis !). Il y a eut aussi quelques pokers sur Paris avec Karim Kacel, François Chesnais et d’autres pour des nuits d’adrénaline sans risque, entre amis, même si un full gagne toujours contre une couleur. Il y a les fous rires et les bières partagées, les délires de début ou de fin de repas, son rire communicatif, sa carcasse imposante au regard perçant.
Richard on l’aimait pour ce qu’il était, pour son approche de la vie, pour sa façon si naturelle de s’offrir à l’amitié. D’une extrême pudeur sous ses dehors fantasques, il n’ouvrait la porte de son paradis secret qu’avec parcimonie, à ceux qui avaient passé l’épreuve du temps.
Je pense à la douce Evdokia qu’il a aimé sans réserve et avec qui il avait un vrai projet de vie dans son havre de paix Crétois, à ses filles Elli et Lida qui l’adoraient et dont il était très fier, à sa soeur Anne avec qui la notion de frère/soeur était un ciment sur lequel ils ont cheminé tout au long de leur vie… et à tout ce vide que son absence génère.
Mais je me dis aussi, que même si son cours s’est interrompu trop tôt, cette vie n’a pas été pour rien, qu’il a vécu ce que tant d’autres rêvent souvent vainement d’accrocher à leur destin : le bonheur et la certitude d’être au bon endroit, au bon moment et avec ceux qu’il avait choisis…même si le prix à payer de ce bonheur doit se solder toujours trop vite !
Ciao, mon frère d’armes. On t’aime pour l’éternité !
PS : Richard aimait lire et depuis de longues années, il suivait mon travail d’écriture en me conseillant. En avril 2019, Café Croisette paraissait. Dans les remerciements, à la page 223, son nom est présent dans un comité de lecture qui nous avait aidé à améliorer une première version. Cruel paradoxe pour lui qui avait adoré ce travail de Julien (mon fils) et de moi que de n’avoir pu découvrir à quelques jours près, la version finale d’une ébauche qu’il avait aidé à améliorer !