Hors Normes et La Belle Epoque : 2 visions du cinéma !
Voici deux films particulièrement intéressants qui posent le problème du vrai et du faux, de la réalité et de la fiction, deux films qui se répondent en écho pour imposer leur vision d’un monde où rien n’est figé comme on l’imagine.
Hors Normes n’est qu’un film ! Mais un excellent film de Olivier Nakache et Eric Toledano avant tout ! Même si le peech est à faire peur, « des autistes en phase d’adaptation dans des structures parallèles...», on a connu mieux pour attirer le spectateur lambda ! Et pourtant, quelle passion tout au long de ces deux heures, scotchés à l’écran, perdus dans les limbes étranges d'un univers parallèle. Ce n’est qu’un film, car à l’évidence Vincent Cassel et Reda Kateb ont des têtes connues et sont de vrais acteurs, pas des soignants. Alors on imagine sans peine les heures de tournage pour aboutir à ce film, les projecteurs qui ronronnent, les «moteurs», «coupez», les éclairagistes et les techniciens qui s’affairent, les travellings et le point photo, les repères entre les réalisateurs et les comédiens, la machine cinéma en pleine action pour créer l’artifice.
Mais alors pourquoi cette impression de réalité extrême, de naturalisme, de vérité pour un film que l’on pourrait classer dans la catégorie «documentaires» mais qui nous tient en haleine comme un polar social.
Dans l’excellence du jeu des deux acteurs principaux, assurément ! Dans l’impressionnante performance des ados «autistes», coupés de notre réalité dont on ne saura jusqu’au bout s’ils sont d’authentiques acteurs où d’admirables malades. Dans les adolescents «binômes/accompagnants», plus vrais que nature, jeunes de banlieue en phase d’insertion professionnelle que l’on imagine aussi bien sorti d’un casting sauvage dans les cités du 9.3 que d’une école de formation au métier d’acteur.
Tous ces ingrédients assument et portent une histoire fascinante, une fuite en avant vers l’amour de la différence, la capacité de recréer des ponts entre deux publics marginalisés (les autistes et les jeunes en insertion) et leur environnement, la force de la tendresse sur les rigueurs de l’administration. La puissance des actes contre les actes de puissance, l’écoute comme vertu, le coeur contre la raison, l'optimisme comme un rempart contre les forces du mal...
Certains devraient méditer sur les leçons de ce film et traverser la rue pour regarder la réalité. Hors Normes est un film hors norme qui nous donne la certitude que le monde est bien réel et qu’un film peut donner à voir ce que notre cécité nous empêche de discerner : la beauté insondable du monde !
C’est bien tout le contraire pour La Belle Epoque de Nicolas Bedos qui se situe à l’opposé exact de la démarche de Hors Normes. Les héros sont des acteurs de la vie réelle et le cinéma dans le cinéma va pouvoir les «téléporter» dans un monde reconstitué, un monde d’artifices où le génie de la reconstruction avérée s’en donne à coeur joie ! Un auteur de BD en panne d’inspiration et coincé dans une relation amoureuse qui s’épuise (Daniel Auteuil) accepte l’offre de plonger dans une expérience de retour en arrière grâce à un metteur en scène qui offre ce service à coups de décors, acteurs et scénarios élaborés en fonction du désir de l’ordonnateur.
C’est en 1974 qu’il décide de se retrouver, dans le bar même où son existence a basculé, le jour précis où il a rencontré l’amour (Fanny Ardant) pour en revivre les premiers instants magiques. Le film va basculer entre un vrai présent et un faux passé (ou l’inverse !), entre la réalité de ce qu’ils sont devenus et le rêve de ce qu’ils étaient, et comme on est assurément au cinéma, le faux (qui est le vrai) et le vrai (joué pour du faux) s’entremêlent dans un joyeux télescopage où tout est légitime, tout est illusoire ! C’est d’un équilibre exquis, tant par le scénario ciselé à l’extrême que dans une réalisation où l’artifice cinéma s’en donne a coeur joie ! Il y a de «La Nuit Américaine» dans cette Belle Epoque ou l'on roule en solex dans des rues de carton pâte, les oeufs durs trônent sur le comptoir, les cigarettes à la bouche, et où les actrices qui campent des personnages censément ayant existé, sont capables de tomber amoureuses du double imaginaire de leur partenaire.
Et dans un ultime pied de nez, Fanny Ardant convoquera Daniel Auteuil dans «sa» reconstitution de ce même moment pour renouer avec les liens qui ont tissé leur vie et faire renaître leur amour au présent.
Un exercice de style époustouflant où Nicolas Bedos donne la pleine mesure de son amour du cinéma et de son talent pour parler de l’éphémère et de l’artifice.
Deux films à voir en urgence, deux facettes de la richesse du cinéma français, deux approches radicalement inversées qui démontrent l’extraordinaire vitalité de notre cinéma !
Allez, filez devant vos écrans pour faire vivre la fiction du réel !