I Muvrini : Portu in Core
Disons le tout de suite. Ce dernier opus des Muvrini est un chef d’oeuvre absolu, le genre de galette à écouter en boucle, à se saouler de notes et de mots, mélangeant le corse et le français pour mieux faire porter son message. J’ai enchaine 20 fois (sic) Inno, 10ème morceau du CD, sans jamais me lasser, toujours plus concentré, tentant de décrypter les finesses d’une orchestration magistrale, les fulgurances des voix, les soli délicats ciselés dans la fusion et l’énergie de ce texte sur la folie des hommes à massacrer leur terre et à ne pas comprendre que l’avenir est en péril.
Le livret qui l’accompagne offre une traduction salutaire pour la compréhension du projet du groupe.
« Qu’est-ce qui te consume et l’âme et le coeur
Qu’est-ce qu’on t’a volé pour que tu célèbres la mort
Qu’est-ce qu’on a tué en toi qui détruis l’avenir
Qui croit que seul l’argent est richesse qui vaille »
Le thème de cet album est l’écologie, le rapport d’humanité, l’échange pour accepter l’autre. C’est un hymne à l’espoir qui se cache dans les drames d’aujourd’hui et les catastrophes à venir, la volonté de dire que tout peut basculer dans l’horreur et qu’il est temps de prendre conscience.
« 2043, qu’est-ce que tu vois ?
Trouve moi un peu d’eau, un avvene chi po
Il n’est pas trop tard, envoie moi de la vie »
L’espoir existe mais il est ténu et il en va de la prise de conscience de tous pour que les hommes se libèrent de leurs chaines. Jean-François Bernardini, leader du groupe, homme d’influence joue son rôle de lanceur d’alerte et il le fait avec les armes qui sont les siennes, celles d’un artiste accompli au sommet de son art, la musique, les mots, un CD, la scène ouverte aux vents de l’histoire.
Alors, si vous n’êtes pas convaincus, filez acheter ce CD et écoutez-le sans parcimonie. Laissez-vous happer par la passion d’une terre à nulle autre pareille. Et si I Muvrini sont programmés sur une scène près de chez vous, prenez un billet et vous ne le regretterez pas…
Et ils ne m’ont même pas payé pour écrire ces éloges !
Un peu d’histoire !
Il faut avouer qu’entre I Muvrini et moi, c’est une vieille histoire et pas seulement à cause de ma femme corse ! Je les ai découverts grâce à un ami bastiais, Guy Cimino, qui me traina, un après midi d’un jour de pâques, au milieu des années 1980, dans un centre de vacances sur la côte où ils testaient leur jeunesse sur la scène étroite d’une salle polyvalente, à l’aube d’une réputation qui n’avait pas encore dépassé les rivages de leur île.
Et la vague World Music qui déferla dans les années 90 leur permis de surfer sur les scènes et de conquérir leur public à travers le monde. Un cocktail de langue corse, de polyphonies, d’instrumentations originales entre le traditionnel et le pop-rock, une scénographie soignée, les personnages des deux frères Bernardini, le leader Jean-François au micro poétique, et Alain, le discret, à la voix si puissante en soutien, conquirent leurs lettres de noblesses ! 8 fois disque d’or et 2 victoires de la musique pour un groupe installé dans la « castaniccia » et qui revendique sa « corsitude » en l’ouvrant au monde extérieur.
C’est en 1993 que je les ai programmés pour la première fois, dans le Festival Guitares Passions avec une conférence de presse et un débat à la Licorne pour présenter leur travail à la critique rock qui participait à la manifestation.
Puis un concert au stade des Hespérides de Cannes (en extérieur) dans un Festival avec Yannick Noah devant plus de 2000 spectateurs et deux programmations au Palais se sont succédées. J’avais créé une Nuit de la Corse et c’est ainsi que j’ai pu passer en revue toute l’extraordinaire richesse musicale de cette île : le vétéran Antoine Ciosi, A Filetta, Chjami Aghjalesi, J-P Poletti et les choeurs de Sartène, le Tavagna Club, Diana di l’Alba ont été accueillis successivement sur Cannes avec un réel succès, la colonie insulaire importante sur la région aidant quelque peu à remplir les salles des mélomanes.
Et si l’on rajoute la dizaine de fois où je les ai vus en concert en tant que spectateur dont 5 fois en Corse, sur leur terre, je crois pouvoir affirmer que globalement, je connais les Muvrini et que j’aime plutôt ce groupe !
Il me restera pourtant un grand regret. En 2016, pour ma dernière édition en tant que Directeur Artistique des Nuits Musicales du Suquet, j’ai recontacté mon copain corse Guy Cimino pour lui demander d’intervenir auprès de Jean-François Bernardini avec le projet de conclure ma carrière de programmateur sur un soirée avec le Tavagna Club de mon ami Francis Marcanteï à 19h et par un ultime opus à 21h avec I Muvrini. Las ! Ce concert n’aura pu se réaliser pour des problèmes de dates ! Les aléas du programmateur frustré !
Mais la vie continue, et même si les musiques du monde ont perdu quelque peu de leur éclat médiatique, I Muvrini continuent à tracer leur sillon avec constance et viennent se rappeler à nous avec un Portu in Core qui à mes yeux et un de leurs chefs d’oeuvre incontestables !
Allez, achetez, you tubez ou piquez le CD… mais de grâce, écoutez les pour mieux comprendre la musique, la Corse et le monde qui l’entoure !