Le corona quelque chose qui nous confine à la maison a des vertus ! Depuis une semaine, devant la fuite des heures sans poker, sans belote et sans films dans les bonnes salles de la Ville de Cannes, ma vie de retraité a basculé dans une faille temporelle ! Il me reste bien un bon livre, un film merdique sur Netflix, mais il y a tant d’heures dans une journée ! Et si l’on nous enlève même les sorties au bord de mer, que nous restera-t-il de nos 20 ans !
Une étrange et saugrenue pensée est venue à mon secours pour tenter de trouver un sens à mes journées. Tous ces cartons dans lesquels j’ai entassé rituellement tous les écrits, lettres, et autres rapports émis ou reçus, il était temps de les affronter et de les purger ! Je me demande d’ailleurs, si le Covid19 n’a pas été créé dans ce but, me permettre de me libérer, de me détacher, de jeter en tri sélectif des montagnes de papiers, programmes et autres souvenirs qui non seulement phagocytent mon espace de vie mais de plus encombrent ma mémoire !
Alors j’ai plongé avec délectation souvent, étonnement parfois et hurlements de rire (rarement !) dans 50 ans d’agendas d’une vie bien remplie !
Et quelques perles, je les ai trouvées ! J’ai donc décidé d’en faire partager quelques unes à mes amis en espérant quelles les divertissent en cette période bien morose !
Commençons donc par ce commentaire impérissable sur un film qui fit scandale à sa projection au Palais des Festivals en 1973. Marco Ferreri venait jeter un pavé à la face des festivaliers dont j’étais un privilégié avec ma fausse carte de presse imprimée en Corse par le groupe d’étudiants de Cinéma de l’Université de Nice sous l’oeil goguenard de Jean A Gili, notre maître !
En sortant de la projection du vieux Palais, après la bordée de lazzis et les cris d’injures, je me suis précipité sur ma vieille Olivetti pour pondre cet article.
A La recherche des flatulences perdues !
En guise d’avertissement, mon grand père me déclarait qu’il vaut mieux péter en société que crever tout seul !
Cela donnait : je péte, tu pétes, il péte, nous pétons…
Ah non messieurs et mesdames, je vous arrête tout de suite !
Nous pétons certes, mais de la même manière. Vous pétez vulgairement et bêtement, disons-le prolétairement alors que nous, nous vrillons des vents désodorisés à « l’encor net » sur les coins satinés de nos fauteuils Louis XVI.
Ces vents perlés dans des culottes de satin rose, en aucune manière ne dérangent notre discussion sur l’agnosticisme de Kant ou ne couvrent la sonate en Si quelque chose de Mozart dont les notes retentissent sur le piano à queue du salon où nous dinons entre amis de bonne compagnie !
Mais voilà, triste destinée humaine ! Les amateurs de scandales, les pornographes de l’écran, les voyous de la caméra envahissent l’univers du 7ème Art !
Et les honnêtes gens de rugir, et les biens pensants de ruer : A bas la pornographie, hou, hou, et les lazzis de fuser ricochant sur le velours rouge des sièges du Palais !
Alors, moi, je pose une petite question : si un pet sur l’écran est capable de déclencher une telle émeute, quid des spectateurs qui assistent aux viols, aux meurtres de populations dans une dictature, aux actes ignobles de l’armée, au poids de l’obscurantisme moyenâgeux imposé par l’église, le code moral, les us et non coutumes d’une société où la loi du plus fort tient lieu de baromètre au comportement général !
Comment peut-on accepter qu’il existe des gens qui n’ont rien à offrir à manger à leurs enfants ? La télévision nous montre tous les jours des scènes saisies au vol au Biaffra, au Bangladesh, au Viet-Nam que l’on regarde distraitement entre une salade niçoise et un steak tartare !
Est-ce à dire qu’il existe une paille et une poutre… et que l’on ne voit que la paille ?
La paille c’est le sacrilège de l’atteinte aux bonnes moeurs. Attaquer le devoir de chier discrètement, c’est remuer la merde du tiers monde qui fait vivre l’Occident ! Que Nixon envoie ses chapelets de bombes au phosphore d’accord ! Mais de grâce messieurs, quand vous rotez cachez-vous derrière votre mouchoir !
Il ne fait pas bon remuer le caca, surtout quand celui-ci provient du cul cousu d’or de notre classe dirigeante !
Marco Ferreri déclarait à J. A. Gili qui l’interviewait : « Je n’ai pas fait un film politique ». Suprême truculence !
Ferreri, un personnage enfermé dans un réseau de contradictions, 120kg de chair projetés en camouflet à la gueule du monde entier. Un cinéaste qui rue, bave, éructe et égraine dans ses films ses obsessions, ses névroses.
Le monde va périr…pire, il veut périr de et dans sa merde !
Significative est la mort d’Ugo Tognazzi gavé par Philippe Noiret, branlé par Anne Ferreol et mourant d’en redemander !
Quelle belle mort c’est vrai; mais quelle MORT quand même !
Nous refusons d’aborder de front les problèmes qui se posent.
Nous fermons les yeux sur des lendemains ténébreux en dégustant des poulets aux hormones, en imbibant de pétrole nos océans, en jouant avec l’atome…
Marco Ferreri n’a pas fait un film politique, un film à thèse, un film révolutionnaire… Non, il a jeté un cri, il n’est capable que de cela !
Et ce cri a été amplifié par les « queues de pie » du Festival qui lui ont donné un écho extraordinaire. Ce sont eux les vrais coupables, ceux qui ont permis à La grande Bouffe d’être un grand film !
La fameuse indignation de la salle en colère est-elle le signe annonciateur d’une débâcle prochaine ? S’il suffit que Piccoli péte pour que les bourgeois s’écroulent, alors messieurs, pétons tout notre saoul, tous en choeur !
Piccoli aurait fini sa carrière avec ce film… Mais le beau Michel qui rugit à la gueule des flics dans Themroc péte superbement et majestueusement à la face du spectateur !
Moi cela ne me gêne pas du moment que je ne sent pas l’odeur !
Et les autres ! Philippe Noiret merveilleux vieux garçon poussé dans les jupes d’une maman possessive qui découvre la femme au moment de mourir. Une femme mère d’ailleurs, aux seins accueillants, carrefour des adultes perdus. Ugo Tognazzi éblouissant chef, roi de la Pizza, qui meurt divinement. Et enfin, Marcello Mastroïanni le beau gosse du groupe qui prolétarise le godemichet en détournant un piston !
Un prix d’interprétation à 4 branches !
La grande Bouffe, un film hurlé ! Un film qui n’existe que si vous réagissez !
Alors, Vive La Grande Bouffe !
FIN ?
Quand j’écris cet article, on est bien en 1973, la gauche au pouvoir n’est qu’une utopie, le monde est sclérosé, partagé par un grand mur qui empêche de voir les réalités des deux côtés !
Rétroactivement, je comprends pourquoi aucune des revues de cinéma pour lesquelles je collaborais à l’époque n’ a voulu de cet article.
Bizarre, vous avez dit bizarre !