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1969 : 1re Quinzaine des Réalisateurs. Révolution Permanente !

Publié le par Bernard Oheix

C’est à quelques semaines d’un Baccalauréat qui aurait nécessité un peu plus d’attention et de concentration de ma part, que j’ai eu le privilège de vivre une expérience cinématographique fondamentale qui allait bouleverser mes choix et donner un sens à ma vie. Derrière les ors de la compétition officielle au Palais des Festivals, dans une petite salle de la rue d’Antibes, le Rex, une fête du cinéma s’ouvrait aux portes grandes ouvertes. La Quinzaine des Réalisateurs sous le slogan « Cinéma en liberté » démarrait dans l’effervescence d’un groupe de réalisateurs (Doniol Valcroze, Costa Gavras, Louis Malle, Jacques Deray, Albicocco…) décidés à casser le moule de la sélection officielle et à imposer des oeuvres qui ne se retrouvaient pas sur les écrans du Palais des Festivals. 

« Les films naissent libres et égaux » ! Un foutoir gigantesque, accumulation de 62 long-métrages sans critères de sélection, vont se succéder devant un public qui s’entassait dans les travées, en présence des réalisateurs et des équipes des films. Une orgie à l’accès libre, sans protocole, où l’on pouvait dévorer des films représentants cette génération qui aspirait prendre le pouvoir dans le cinéma en imposant un style de rupture.

Barraventode Glauber Roccha, Le Lit de la vierge de Philippe Garrel, Notre Dame des Turcsde Carmelo Bene, le cinéma Québecois, La pendaisonde d'Oshima, Le nouveau cinéma Français (Luc Moullet, Michel Baulez, Jean Daniel Pollet) des films de cinématographies inconnues du public (Hongrie avec Jancso et Mészaros, Cuba avec Gomez (La première charge à la machette) et Humberto Solas (Lucia). Et tant d’autres bijoux, important l’air du grand large et des cultures nouvelles dans la Ville des paillettes et des stars.

Il y avait aussi des films de la compétition officielle qui venaient à la rencontre de ce nouveau public jeune et passionné. If… la future Palme d’Or de Lindsay Anderson avec le tout jeune Malcolm McDowell qui portait sur ses épaules notre désir de révolte et croisé dans la salle bondée…  Easy Readerde Dennis Hopper, en présence de Peter fonda et de Jack Nicholson que j’aurais pu toucher en tendant le bras…

Des heures scotchées devant l’écran, un monde qui s’ouvrait en direct et des réalisateurs qui s’invitaient pour partager nos rêves d’un avenir meilleur, d’une lecture de notre univers.

Je n’ai pas beaucoup suivi de cours entre les 8 et 23 mai 1969, j’ai beaucoup menti à mes parents sur mes journées et mes soirées, mais j’ai su, après ces 11 jours, que ma vie avait basculé. Désormais, le cinéma y occuperait une place centrale. Je ne pouvais que l’accepter parce que c’était ainsi !

J’ai eu mon Bac malgré tout… et avec mention, s’il vous plait ! En octobre 1969, j’ai intégré l’Université de Nice, section histoire, seule filière qui débouchait sur une Maitrise de Cinéma, mon objectif !

J’étais devenu un cinéphile et je savais ce que je voulais !

Une anecdote : Marat-Sade 

En 1970, une fusion des divers ciné-clubs déboucha sur la création du Ciné-Club de Nice dont Jean A Gili s’occupait. Dans la programmation un film de Peter Brook était prévu, Marat-Sade, tiré de la pièce de Peter Weiss :  La persécution et l’assassinat de Jean-Paul Marat représentés par le groupe théâtral de l’hospice de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade. Un film coup de poing avec une Glenda Jackson sublime en Charlotte Corday, Patrick Magee en Marquis de Sade et Ian Richardson en Jean-Paul Marat.

Il se trouve que j’avais visionné ce film à Paris quelques semaines auparavant et que j’avais été enthousiasmé. Jean Gili me demanda alors de présenter le film et je dois dire que j’ai accepté avec bonheur et terreur ! Au vieux théâtre de Nice, devant 500 cinéphiles, sur la scène et au micro… je n’en ai pas dormi pendant quelques nuits, répétant inlassablement dans ma tête une présentation qui devait se faire sans notes, bien évidemment ! Et je dois avouer que si je ne suis pas persuadé d’avoir été génial ce soir-là, l’impression grisante d’être au centre de mon univers cinéma m’a donné un plaisir sans égal. J’ai appris par la suite à maîtriser la scène dans les présentations diverses de ma fonction de Directeur de l’Évènementiel, mais il faut toujours une première fois, et celle-ci, je la dois à mon maître Jean Gili et à son art de former et de transmettre le savoir !

Bien des années après, en 1989, j’aurai l’occasion de croiser la route de Peter Brook et de déjeuner avec lui dans un restaurant de Cannes. Je lui ai raconté cette histoire. Cela l’a amusé et il en a fait un petit dessin qu’il m’a offert en souvenir d’un Marat-Sade à jamais inscrit dans ma mémoire. L’homme était bien à la hauteur du réalisateur !

1969 : 1re Quinzaine des Réalisateurs. Révolution Permanente !

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