Festival de Venise : La Mostra désenchantée !
Il y a Venise, la Sérénissime aux charmes alanguis, il y a la Biennale et il y a la Mostra au lion ailé, le festival rival de Cannes, le concurrent le plus sérieux sur la terre d'Europe au titre envié de coeur en fusion du 7ème Art. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples, et cette année, après les errements d'un Festival de Cannes déplacé au mois de juillet, entre les toussotements d'une pandémie jamais terminée et l'irruption des technologies modernes (billetterie en ligne !), voici donc l'orgueilleuse Mostra en train de donner le tempo à un cinéma exsangue depuis deux longues années de Covid !
Et ce ne fut pas une partie de plaisir !
Tout avait commencé par un coup de fil de Sandro Signetto, mon ami turinois... Un "coup" de Venise, une Mostra pour la route, après les 30 films du Festival de Cannes, une plongée dans la ville mystère et l'écran du Festival ouvert sur le monde cinématographique... double objectif auquel il est difficile de résister quand on aime l'Italie et le Cinéma !
Bon, cela ne semblait pas aussi facile qu'on l'espérait. N'étant plus "un professionnel de la profession", c'est comme cinéphile lambda averti que j'envisageais d'assister à la manifestation et là, il faut l'avouer, cela s'est considérablement corsé et corseté !
La nécessité de prendre un mois avant l'ouverture, un badge d'une valeur de 100€ permettant d'avoir des places, se heurtait aux nuages noirs d'un Covid délétère obérant la certitude de notre présence. Résultat, mon ami italien prit le badge pour lui et Giovanna, sa femme, et Thérèse et moi attendrions le dernier moment pour régler ce dossier. Bien m'en a pris !
Car suivant le tsunami du passage "obligé" à une billetterie informatique pour les manifestations culturelles (ah ! ces fameuses économies d'impression de billets et de salaires de caissières !), la Mostra sortit de sa manche, le joker de Boxol.it, un système kafkaïen où les heures passées devant l'écran de son ordinateur valaient largement celles passées devant un écran du festival. N'en doutons pas, la technologie n'est pas toujours au service de l'humain !
Et si mon score de films réussit à grimper jusqu'à 3 films officiels (zéro de la compétition !) de la série "Orrizonti" payés 8,5€ pièce, plus un "off", mon ami dûment accrédité ne put en voir guère plus, ce qui lui fit revenir chaque film visionné à environ 20€ l'unité !
Bon, à 8000 badges vendus environ, cela fait quand même la somme conséquente de 700 000€ tombant dans l'escarcelle d'un festival jouant sur tous les tableaux (les films en compétition dans la grande salle se monnayaient à plus de 50€ !).
En effet, Venise accueillant en même temps des professionnels et des spectateurs, les salles sont divisées en zone, des quotas répartis entre les différentes catégories rendant quasi insoluble la quadrature du cercle par une firme Boxol.it attaquée par le directeur Barbera devant la levée des boucliers des festivaliers désarmés. Les avocats de la firme annonçant qu'ils se tenaient prêts à répondre à l'ordonnateur de la commande, le dit Barbera fit rapidement marche arrière, et le festival continua devant des salles bien clairsemées mais avec une file de mécontents grossissant au jour le jour et affichant leur colère sur le mur des réclamations au coeur de l'agora du festival.
Mais où atterrit cette manne d'argent ? Dans les salaires des huiles du Festival qui pondent de tels systèmes, dans les poches vides des caissières non-embauchées, dans le réseau des cinémas qui s'essouffle, dans les poches des Netflix et consorts omniprésents et grands vainqueurs de la compétition...
Pas dans les miennes assurément, vidées par le racket organisé à tous les niveaux des festivaliers dans une ville qui sait faire payer son passé pour assurer son avenir !
Reste le plaisir de voir Venise copier Cannes, le jury présidé par Bon Joon-ho primant un film que vous avez compris, je n'ai pas vu, mais dont la réalisatrice Audrey Diwan, française renvoie en écho aux choix de celui dirigé (?) par Spike Lee à Cannes : deux jeunes françaises au sommet dans le capharnaüm d'un monde ivre, belle leçon de chose et espoir de lendemains qui chantent !
Et il reste 2 films pour rêver que l'on est bien à un festival de cinéma, 2 oeuvres fortes et troublantes que les hasards des connexions aléatoires de Boxol.It nous ont permis de visionner. Le premier, L'Aveugle qui ne voulait pas voir Titanic, est un chef d'oeuvre finlandais de Teemu Nikki avec un acteur éblouissant, Petri Poikolainen, qui joue son rôle avec ses propres handicaps. Un aveugle atteint de sclérose en plaques n'a pour seule ouverture sur le monde qu'un téléphone portable à commandes vocales. Bloqué sur son charriot, il décide de partir en expédition pour retrouver celle qu'il aime mais n'a jamais rencontrée, elle-même malade et en crise. L'expédition va tourner au cauchemar, des truands vont tenter de le dépouiller du reste d'humanité qui l'habite mais il arrivera au bout de son périple et découvrira avec ses mains le visage de l'aimée. Ce n'est jamais dans le pathos, l'acteur présent à la séance est incroyable de courage et d'énergie, une oeuvre forte et qui fait appel à toutes les émotions d'un spectateur qui n'est pas pris en otage.
Les 7 prisonniers de Alexandre Moratto filme le cheminement de ces jeunes brésiliens qui quittent leurs campagnes attirés par des recruteurs leur faisant miroiter les richesses de la ville. De ces rêves, il ne leur reste qu'un réseau d'esclavage moderne où, privés de tout, ils sont condamnés à travailler jusqu'à l'épuisement, sans papiers, sans salaires et sans liberté. Un des prisonniers va prendre la tête de la révolte et par une série de glissements, devenir le nouvel assistant du chef du réseau, se calant par mimétisme sur l'ancien qui a vécu la même tragédie. Un film qui, au-delà de la corruption et des réseaux qui utilisent la misère des uns, montre aussi la nature de l'homme attaché à survivre par delà les convenances et les convictions. Les vrais coupables ne sont pas seulement ceux qui tentent de survivre, mais plus largement, le système politico-mafieux greffé sur l'exploitation de l'homme par l'homme, sur un capitalisme débridé et inhumain.
Et pour la route du retour, un film "off" en première vision à l'Académie du Cinéma, petite salle située dans le vieux Venise, réalisé par Daniele Frison, cinéaste de documentaires, un ami par ailleurs des belles soirées turinoises. Le Monde de Riccardo résonne étrangement à ceux qui pensent qu'un juge est automatiquement un rouage du pouvoir, qu'un homme de lois ne peut être un artiste, et que le pouvoir isole de la vie des autres.
Domenico Riccardo Peretti Griva est la preuve que le destin d'un homme n'est jamais écrit. Juge sous le régime de Mussolini, il s'oppose aux lois d'exception raciale, refuse de porter la chemise noire obligatoire pendant les cérémonies officielles, condamne des hommes de main fascistes en 1932 à Piacenza et sera même emprisonné par le régime. Par la suite, il deviendra une pièce maitresse de l'évolution de la vie civile corsetée de l'après guerre, contournant les lois contre le divorce (c'est lui qui a régularisé, par une contorsion législative, en Italie, le divorce de Rossellini qui l'autorisera à épouser Ingrid Bergman), au point qu'une loi anti-Perretti-Griva fut prise par l'institution. Des faits d'armes, il en aura beaucoup dans son métier mais c'est à travers l'objectif de son appareil de photo qu'il s'accomplira, devenant un des maîtres de la photographie italienne, reconnu à l'étranger, exposé.
Homme de conviction au regard acéré, il voyagera dans des pays de mystères pour l'époque de cette moitié du XXème siècle où les images sont encore rares, ramenant des reflets volés au temps, le visage d'un inconnu, la nature insolente qu'il fige à jamais.
C'est un film passionnant sur la part d'humanité de quelqu'un qui à traversé l'horreur du fascisme, qui a su regarder avec des yeux d'enfant, un monde en décomposition en marche vers l'espoir. Un esprit libre.
La réalisation est parfaite, les intervenants brillants et les images d'archives nous ramènent loin en arrière, quand notre monde était en train de s'ériger à marche forcée vers le progrès !
Bravo au producteur courageux et au réalisateur qui signe une oeuvre émouvante sur un homme qui échappe au temps qui passe !
Voilà, 3 films et demi pour satisfaire sa soif d'images et le temps du retour qui sonne. Un détour par Ravenna l'inoubliable cité des mosaïques... mais cela est une autre histoire que je vous conterais au prochain billet !
Et un conseil, si vous voulez dévorer de la pellicule, pas besoin de se rendre à Venise... par contre pour les spaghettis à l'encre de seiches, difficile de faire mieux que la "trattoria" des Alberonni où le patron Pierre, vous accueillera en vous mitonnant quelques plats magiques !