Festival du Film Panafricain de Cannes 2021 : Le vent d'ailleurs !
Quand Basile Ngangue Ebelle, président fondateur et âme du FIFP m'a proposé d'être membre du jury de l'édition 2021, j'ai accepté avec enthousiasme cet honneur. En 2015 j'avais déjà connu ce privilège et je me souviens encore des belles heures partagées entre des films excitants venus d'horizons divers, les personnalités attachantes du jury, des rencontres au long des nuits de passion à transformer le monde pour que règne l'harmonie et la fraternité.
Et en ce 19 octobre 2021, je me retrouve donc aux côtés d'un jury de choc (je ne le savais pas encore !), sur la scène de la salle Miramar devant un public chamarré de couleurs, en train d'écouter les incantations d'un griot venu spécialement du Cameroun pour ouvrir la manifestation en lui accordant le regard bienveillant des ancêtres !
L'organisation avait conçu deux jurys, l'un de "fiction" dont je faisais partie, avec Hamid Benamra (réalisateur) et Dorothée Audibert Champenois, chargée des programme courts sur France TV et l'autre sur les documentaires, composé du Prince Kum'a Ndumbe III, une légende africaine, un lettré humaniste et héritier de la tradition, de Roch Lessaint-Amedet, comédien multicartes et bateleur de talent et d'Olivier Rapinier, réalisateur ultramarin. Disons-le tout de suite, l'ambiance fut particulièrement bonne entre les 2 jurys !
Et dès la séance d'ouverture, un court métrage d'animation d' Ingrid Agbo (Togo), Akplokplobito, nous plonge dans l'univers de personnages torturés aux bouches noires béantes qui, au cours de leurs parcours pour reconquérir une part d'humanité, retrouvent leur bouche pour mordre dans la vie. Après ce film passionnant, le 1er long métrage en compétition de la catégorie fiction, Hairareb de Oshoveli Shipoh (Namibie), nous permit de découvrir une oeuvre attendrissante sur l'amour d'un homme et d'une femme, sur le pardon des fautes commises, sur la fatalité de la disparition de l'aimée et sur cet enfant, né pour rattraper la vie et poursuivre le chemin de l'espoir.
Malgré d'évidentes faiblesses dans sa construction, c'est un film attachant plein de sincérité que l'on retrouvera primé pour l'interprétation féminine (Hazel Honda) avec une mention spéciale du Jury Fiction pour la réalisation.
diversité des réalisateurs, scénaristes et producteurs engagés dans un combat ardu pour leur reconnaissance.
Après cette belle ouverture porteuse d'espoir, le festival prit son rythme de croisière avec, il faut bien l'avouer, des hauts et des bas. Une certaine faiblesse dans la qualité des films fictions longs, un trop plein de films documentaires, une grille pas toujours lisible avec en corollaire un public trop clairsemé garnissant les fauteuils accueillants de la salle... Loin de moi l'idée de jeter la pierre ! Je sais d'expérience combien organiser une telle manifestation n'est pas chose aisée mais les recettes pour gommer les aspérités, parfois, se nichent dans les détails. Une grille plus claire indiquant 10 fictions sur les créneaux 19h et 21h, dix documentaires sur les créneaux de 11h et 13h30 auxquels on pourrait rajouter, pour raccrocher le public cinéphile local, un focus sur un pays à l'honneur à chaque édition avec une série de films plus connus à 15h. Des coups de coeur de l'organisation sur le créneau de 9h.
Il appartient à l'équipe en place de trouver l'alchimie entre la vitalité réelle des rencontres, l'ambiance passionnée générée par les présents et un projet cinématographique plus resserré, permettant de mettre à l'honneur ceux qui travaillent sous le soleil des tropiques à faire émerger une cinématographie trop souvent méconnue.
De séance en séance, nous avons continué à ouvrir nos yeux sur des horizons dérobés. Dans la catégorie des courts métrages fictions, quelques productions aux charmes indéniables, comme Juste un moment (France) de Djigu Diarra , Smoking Kills (France) de Steven Luchet jusqu'à nos coups de coeur : mention spéciale pour The Shadow of your smile du Colombien Carlos Espina où l'univers de clowns se transforme en cauchemar de tueurs accomplissants des missions sous peine de perdre la vie. Une image délavée avec des couleurs criardes pour souligner l'éternel combat des miséreux en recherche d'une dignité perdue. Et le Dikalo d'Or, le grand prix, fut attribué à un bijou ultramarin, Dorlis d'Enricka MH. En Martinique, une jeune fille affronte un grand-père incestueux au crépuscule de sa vie et sa mère tue (?) celui qui porte la honte et que le silence a protégé des foudres de la colère et de la vengeance. Un film de 25mn ciselé au cordeau, sans une once de faiblesse, une ambiance entre le mystique et le concret, la qualité technique d'une réalisatrice en pleine possession de ses moyens, accomplissant le tour de force d'aller jusqu'au bout d'une vengeance sans haine où l'ambiguïté reste le ferment de toutes les illusions.
Pour le grand prix des longs métrages fictions, il n'y aura pas de discussions tant les qualités d'Enchained de Moges Tafesse sont évidentes. Dans la lignée d'un Hailé Gérima, il nous propose de partir dans une Éthiopie de la tradition à la reconquête d'un honneur perdu et d'un bonheur retrouvé. Une adolescente est mariée à un homme puissant contre sa volonté malgré un amoureux qu'elle aime profondément. Celui-ci, va perdre son nom en devenant un mendiant et la rechercher à travers le pays pour l'aimer de nouveau. Le mari trompé invoque la coutume et les deux hommes doivent se rendre enchaînés jusqu'à la cour de la reine afin de plaider leur cause. La reine va profiter de ce procès pour affirmer son pouvoir sur les hommes qui l'entourent et la manipulent et le mendiant retrouver son honneur en dénonçant les abus du pouvoir et des juges unis par la corruption. Une image luxuriante d'une richesse incroyable, un jeu d'acteur époustouflant (Grand prix d'interprétation masculine pour Zerihun Mulatu), la beauté de la langue et des traditions, tout était réuni pour faire de cette ode à l'amour et la sensualité, le film détonateur d'une prise de conscience de la révolte des faibles contre les puissants.
Pour le reste, une belle actrice, (Bridget John) au tempérament passionnée obtiendra le co-prix de l'interprétation féminine dans Marrying a Campbell, et même dans les films les moins réussis, un plan, une séquence, une bribe de scénario nous rappellent que le cinéma, pour être un art, est aussi une alchimie mystérieuse entre le travail et l'inspiration.
Bon que dire sur mon jury Fiction. Hamid Benamra, le président, un ami pour la vie, un homme au talent rare, Dikalo d'Or en 2014, fabriquant d'images à l'univers si particulier. Dorothée Audibert Champenois et sa coiffe afro, pétulante et gracieuse responsable des programmes courts à France TV aux idées bien arrêtées, dans le mouvement perpétuel d'une activité débordante.
Pour ce qui est des documentaires, les jurés n'ont pas chômé et si vous voulez connaitre leur palmarès, rendez-vous sur le site du Festival Panafricain. Mais le Prince, Roch et Olivier n'ont pas fini d'entendre la musique de la réalité chanter la complainte des jours heureux.
Et moi, j'étais bien dans cette ambiance ouverte à toutes les différences, quand l'espoir rime avec l'avenir.
Bravo encore et merci à l'équipe d'organisation et à Basile, son chef d'orchestre !