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Crime de lèse-Godardisme assumé !

Publié le par Bernard Oheix

En 2010, sur le tapis rouge du Palais des Festivals de Cannes, un film débarque dans la section "Un Certain regard" auréolé d'un nom de légende : Film Socialisme de Jean-Luc Godard ! Pour une génération de cinéphiles biberonnés aux images du pape de la révolution du 7ème Art, frustrés depuis des lustres d'un silence si prégnant, ce fut l'enthousiasme, la frénésie et la ruée vers les fauteuils rouges de la salle Debussy.

Mais la potion amère d'un film tourné pour partie un navire de croisière le Costa Concordia, de triste mémoire, s'échouant sur les rives de la Méditerranée deux années après, ne passa pas chez le Fan éperdu de la Nouvelle Vague que j'étais.

Et j'ai pondu dans ce blog un article qui reflétait ce que je pensais de cette oeuvre réalisée par un génie hors norme du cinéma !

Crime de lèse-Godardisme assumé !

Pour une génération de soixante-huitards dont je suis, il y a d’innombrables figures tutélaires qui parsèment ce long cheminement de l’acquisition d’une conscience politique et d’une culture universelle se voulant embrasser tous les savoirs. De Wilhelm Reich à Kérouac, des Beatles aux leaders « maximos », de Lacan à Robbe-Grillet… Il y a aussi, les pères fondateurs, les dieux vivants, maîtres parmi les maîtres, que personne assurément ne pouvait toucher, au panthéon des esprits supérieurs, tel Jean-Paul Sartre, le philosophe écrivain engagé, Picasso, l’homme qui restitua la peinture au temps présent ou Jean-Luc Godard, le pape du Cinéma…Film socialisme arrive sur la Croisette, en 2010, quelques décennies après, âge et rides en plus et il est l’heure des constats.

 Que Jean-Luc Godard ait transformé le cinéma est un fait. De À bout de souffle à Pierrot le Fou, de Week-endau Mépris, de Deux ou trois choses que je sais d’elle à tous ses films qui dans les années soixante ont inventé une nouvelle façon de filmer, mieux, de penser (panser ?) le Cinéma. Une décade prodigieuse, une tornade respirant les vents de la création. J’étais donc Godardien parce qu’il ne pouvait en être autrement et que chacune de ses œuvres ouvrait les champs de l’impossible, une réflexion tendue entre le savoir et le connaître, entre le possible et l’improbable. La rupture violente de 68 consacrera son isolement dans une logique de contre-production. Il émergera de son utopie créatrice révolutionnaire, et sonnera le glas du temps de l’expérimentation pour entamer un lent chemin de croix vers sa propre glorification, vers l’institutionnalisation de tout ce magma tonifiant qui fondait sa légitimité. À parler de la marge pour investir le centre, il se retrouvera soudain, par l’usure du temps et l’érosion des utopies, à camper au centre du centre, comme l’histrion assumé d’un monde marchand qui avait bien besoin d’un fou du roi pour se régénérer en redéfinissant ses frontières.

Film socialisme est le dernier opus du Maître, sélectionné dans Un Certain Regard, il se devait d’apporter une réponse au temps qui fuit, ambition d’une somme esquissée à travers ses Leçons de cinéma, émergeant d’un silence que sa statue de commandeur imposait aux détracteurs. Tout tourne toujours autour de Godard, que pouvait-il alors nous offrir dans ce chant crépusculaire ?

Entre images sublimes (la mer et l’horizon) et trashs (les lieux de vie), des dialogues cachés par des bruits de fond, des citations parcellaires, des montages en opposition, des collages, du contrepoint, de la distanciation… tout le rituel de l’alphabet d’un cinéma à la Godard est développé sans aucune distance, comme si Godard jouait à être Jean-Luc, comme s’il n’y avait plus de marge entre ce qu’il dynamitait joyeusement et ce qu’il fabrique laborieusement, quête d’un sens caché, étalage de tics et de moments si convenus.

Dans ce prétexte d’une croisière sur «Mare Nostrum» déclinant des villes portuaires charnières, plus rien n’a d’importance, que le vide créé par son torrent créatif. -L’imagination au pouvoir- déclinions-nous dans les années ferventes, mais à quelle fin désormais ? Pour perdre le sens du spectateur et la finalité d’un film ? Godard est ailleurs, dans un monde que lui seul reconnaît et peut mesurer, celui d’un alphabet figé qui lui ôte tout espoir de «   dire » au détriment d’un « faire ». Et si certains d’entre nous, lui accordons toujours notre crédit, c’est parce qu’il continue d’être celui qui a embrassé pour l’éternité son rôle de bouffon d’une société marchande.

Pendant ce temps, la vie continue. Il restera toujours Le Mépris pour signifier que Jean-Luc Godard fut un des plus grands cinéastes du XXème siècle. Son œuvre restera immortelle même s’il lui faut abdiquer, désormais, tout espoir de se dépasser pour atteindre cette zone improbable où l’instinct vient au secours du génie pour composer une œuvre définitive !

Non, décidément, Film socialisme de Jean-Luc Godard est assurément ennuyeux, très ennuyeux !

 

Godard restera à jamais celui qui a embrasé le 7ème Art. Il n'était pas le seul tant les Truffaut, Rivette, Resnais et autres ont permis cette éclosion d'une génération qui transformera le cinéma mondial. 

Mais si j'ai un conseil à donner aux jeunes cinéphiles (il en existe encore !)  qui voudraient découvrir son oeuvre, alors, il faut visionner Pierrot le Fou et À Bout de Souffle avec un Belmondo éblouissant, tous ces films des années soixante où la pensée créatrice se confrontait aux désirs d'un spectateur avide de rencontrer la vie sur l'écran de ses désirs.

Alors rêve en paix Jean-Luc Godard dans ton paradis d'images et merci de cette oeuvre si foisonnante et riche qu'elle en était parfois difficile à comprendre mais jamais inutile !

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Revoir Paris... et revivre ! Mais sans Godard !

Publié le par Bernard Oheix

 En 2014, jeune retraité, je me laisse porter par l'art de vivre au jour le jour, sans contraintes. Une rencontre sur une plage, une discussion amicale et me voilà embarqué dans le tournage d'un film dans une villa luxueuse du cap d'Antibes comme figurant durement rétribué pour les heures à attendre dans la fraicheur nocturne, un improbable "action", que la complexité du lieu (une villa avec piscine), une scène de baignade de nuit, le nombre de figurants et les acteurs (Matthias Schoenaerts et Diane Kruger) rendaient impossible. Il a fallu prendre son mal en patience en observant la jeune réalisatrice en train de s'évertuer à organiser le chaos avant de toucher le maigre chèque de son labeur.

Ce film était dirigé par Alice Winocour et sortira sous le titre de Maryland... mais ne me cherchez pas dans le flot des convives, même moi, je ne m'y suis pas retrouvé ! Et ce n'est pas pour cette raison, avouons-le qu'il ne marquera pas l'histoire du 7ème Art !

Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !

Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !

Je ne savais pas, à l'époque, derrière  cette silhouette gesticulant devant les difficultés de tourner cette séquence nocturne pour crier le mot "fin", que la réalisatrice, 8 ans plus tard, me provoquerait un des électro-chocs les plus forts et étonnants que le cinéma m'ait donné de vivre au visionnement d'un film : quand l'usine à rêves rejoint la zone des cauchemars !

Une femme (Virginie Efira) esseulée, entre dans un restaurant branché. Elle contemple les gens et son regard est attiré par un homme (Benoit Magimel) à qui l'on fête son anniversaire. Elle se lève pour aller aux toilettes quand des détonations retentissent, des corps s'écroulent, elle rampe entre les victimes et le sort joue à la roulette russe entre ceux qui échapperont aux balles de la Kalachnikov et ceux qui, pour un gémissement, la vibration d'un téléphone où autres détails se font déchiqueter.

La scène est insoutenable, et cela d'autant plus, qu'elle est tournée avec pudeur, sans effets d'hémoglobine et de plans rapprochés soulignant  et grossissant l'impact de cette fusillade d'un attentat jusqu'au noir de l'inconcience !

3 mois après, temps qu'il a fallu pour tenter de se reconstruire chez sa mère en province, elle revient vivre à Paris. Mais les cicatrices sont bien présentes. Elle passe devant le restaurant et est attirée comme par une force à laquelle elle ne peut s'opposer. Elle pénètre dans la salle, erre jusqu'à ce qu'un serveur comprenne qu'elle est une des nombreuses victimes revenant sur le lieu du crime. Il lui annonce qu'il y a des réunions pour les "gens comme elle" le matin et qu'elle peut y venir pour y rencontrer des survivants et des responsables...

Elle va alors entamer un processus de reconnexion avec la réalité, de réapropriation d'une mémoire qui a oblitéré les faits. Grâce à une psychologue qui suit le groupe, elle va tenter de renouer les fils de ce drame pour en faire la lumière. Elle a des bribes par flash, une main secourable, un tatouage sur un bras, un tablier de serveur, un homme qui l'aurait aidée.

L'homme qui fêtait son anniversaire, la jambe déchiquetée maintenue par des attelles, va croiser son histoire, lui apporter la certitude que tout cela était vrai et qu'ils sont des victimes, lui offrir un amour qui aurait pu être le produit de la paix mais se retrouve un lent chemin vers la guérison à deux.

La résilience est en marche et quand elle retrouvera le partenaire avec qui elle a survécut, elle recollera tous les morceaux du puzzle et pourra enfin accepter de vivre, plus tout a fait la même, mais enfin libre d'accepter un futur.

C'est un film éblouissant, sans pathos, qui éclaire de bonheur le drame d'une vie. Les acteurs sont merveilleux de justesse et derrière la face cachée d'un monstre froid, l'espoir demeure de pouvoir surmonter la douleur.

Bravo à toute l'équipe de réalisation et à Alice Winocour pour ce film salutaire dans un monde où l'on voit que les blessures profondes érigées des murs d'incompréhension peuvent aussi cicatriser et autoriser la vie à l'ombre de la barbarie !

 

Et pour terminer, pendant la correction de cet article, une nouvelle vient de tomber : Jean-Luc Godard est allé tourner un dernier film dans un paradis d'images parfaites qui doit bien l'insupporter ! L'homme qui a révolutionné le cinéma à la machette, aux sentences cinglantes, et fait rentrer l'Art Cinématographique dans la modernité n'a plus de voix pour faire entendre des sons nouveaux.

Même si, cinématographiquement, sa mort était depuis longtemps acquise, (cf mon article dans ce blog : "Crime de Lèse-Godardisme assumé !"), l'homme a tellement compté, est un tel repère, que pour les cinéphiles de ma génération, il restera l'éternel commencement d'un mouvement profond qui changera le regard et la perception du monde.

Jean-Luc Godard pendu avec François Truffaut aux rideaux rouges du Palais des Festivals de Cannes en mai 68 pour empêcher que le festival ne se déroule : c'était il y a plus d'un demi-siècle déjà !

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