Le Festival du Film : De la scène à l'écran.
Nous étions nombreux, vieux cinéphiles de Cannes, à nous précipiter au Palais Stéphanie pour un OVNI annoncé depuis des lustres mais sans cesse reporté. Prévu et balayé par la Covid, une pièce au titre peu engageant débarquait enfin et le film pouvait se faire de chair et d'os par la voix de comédiens : Cannes 39/90, une histoire de Festival, programmé par Sophie Dupont (avec un T en final !), où la tentative originale de donner un sens à notre histoire de Cannois, la naissance et la magnificence d'un Festival du Film pour cette Ville atypique.
C'est Etienne Gaudillère, avec sa compagnie Y et une dizaine de comédiens, qui s'est attelé à la tâche de composer et de mettre en scène cette ode à l'histoire d'un Festival.
La première partie du spectacle est enlevée et pointe bien les enjeux d'une période où la Mostra di Venezia règne sur le cinéma mais croule sous la férule de dictateurs qui impriment leur marque au nom de leur toute puissance : en 1938, c'est Mussolini sur injonction de Hitler qui fait primer les Dieux du stade de Leni Riefenstahl sur Autant en emporte le vent de Victor Fleming qui avait la faveur du jury, provoquant la fureur d'un Jean Zay et sa volonté de créer un Festival du monde libre.
Cannes va naître de cette conjonction et la pièce chemine sur cette première période avec un certain bonheur pour le spectateur (de théâtre !).
C'est à partir de 1968 que le processus se grippe quelque peu, et ce n'est pas parce que je suis un soixante-huitard et que j'ai vécu cette période que je réalise ce constat. Sans aucun doute écrasé sous le poids et la richesse du propos, les acteurs perdent parfois le fil narratif, le verbe est trop présent et décousu à l'image de la révolte des Godard et Truffaut, trublions héros d'une Nouvelle Vague en train de submerger les rives de la Méditerranée.
Mais la pièce avance sûrement, les années défilent, la starlette devient reine des sables, le star système impose ses noms de légende, le Festival devient vitrine et acteur du 7ème Art.
On peut regretter l'omission de deux évènements qui ont été particulièrement déterminants : le scandale autour de La Grande Bouffe de Marco Ferrerri et l'accueil plein de haine de La Maman et la Putain de Jean Eustache... (J'y étais, je sais de quoi je parle !)
2 heures pour raconter 50 ans de vie. Le pari était osé mais plutôt réussi. Le final d'une monté des marches sur un tapis rouge renvoie à l'image trop iconique du Festival même si on peut regretter une ultime phrase jetée avec violence au visage du spectateur, trop "accrocheuse" et sans doute écrite pour annoncer une 2ème partie qui courrait de 1990 à nos jours.
Pourquoi pas ? Même s'il n'était pas vraiment opportun de lancer "je me suis fait violer à Cannes" en ultime réplique pour accrocher des producteurs et faire revenir le public par l'odeur du sang alléché !
Il n'en reste pas moins que cette pièce est particulièrement intéressante et pose bien des questions qui interrogent tous les cannois coincés entre un festival omnivore qui se déroule au mois de mai et cette vie quotidienne à l'ombre des palmiers en fleurs tout le reste de l'année !
Alors, attendons cette suite maladroitement annoncée, le Festival a encore tant de secrets à dévoiler !