Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Festival du Film : cap sur l'ailleurs !

Publié le par Bernard Oheix

35 films et toujours cette interrogation au moment où l'écran s'illumine : être ou ne pas être ? Être scotché à l'image, dévoré par une histoire, fasciné par un plan, une lumière, un cadrage, l'écho d'une musique... ou bien rester sur la touche, à sentir le siège inconfortable, suivre paresseusement une intrigue sans saveur, sentir le temps s'écouler comme un jour sans fin, telle est la question que chaque séance nous pose et à laquelle nous répondons avec nos corps et notre esprit !

Et cette année 2023 nous offre beaucoup de propositions devant lesquelles il est impossible de rester insensible !

C'est avec Banel et Adama de Ramata Soulaye Sy en compétition que nous inaugurons une série de films particulièrement bien construits sur l'Afrique. Dans un Sénégal où les conventions de la communauté et les rites dépassent largement l'amour de deux êtres, quand la sécheresse et le vent bousculent les certitudes, l'amour fou ne trouve plus sa place et s'échoue sur les rives de la réalité. Film bien construit et particulièrement sensible sur la condition de la femme et le poids des traditions.

On enchaînera avec Goodbye Julia de Mohamed Kordofani, pour Un Certain Regard. Dans un Soudan déchiré entre les catholiques et les musulmans, entre le nord et le sud, entre les notables et les exclus, sur cette terre qui résonne cruellement des affres d'une guerre sanglante actuelle, le réalisateur pose un regard sans complaisance sur la culpabilité d'une femme, sur sa frustration d'avoir abandonné ses rêves et sur les désirs inassouvis. C'est un film magistral, ensorcelant.

Pierrette Mambar est couturière à Douala. Elle porte la responsabilité de ses enfants, de sa mère et son mari a disparu la laissant totalement démunie. Elle va subir un vol à la tire, une inondation dans son atelier et continuer son chemin sans jamais faillir, luttant au jour le jour pour assurer un avenir à ses proches, dans la solidarité de ceux qui n'ont rien, sinon leur courage et leur détermination. Un film qui ouvre les portes d'un ailleurs sans concessions.

On pourrait alors rajouter le If only i could Hibernate de la mongole Zoljargal Purevdash où Ulzii, un adolescent vivant dans un quartier défavorisé d'Oulan Bator, se retrouve en train d'assumer son frère et sa soeur pendant que sa mère retourne au village avec ses deux autres enfants. Brillant à l'école, il tente de présenter un concours national afin de gagner une bourse et pendant ce temps, doit trouver du bois pour se chauffer et à manger pour la fratrie. Un film déchirant qui renvoie à l'abondance de nos sociétés face au dénuement de ceux qui vivent au jour le jour.

 

En complétion officielle, Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz présente une page sanglante de l'histoire de l'Angleterre. La 6ème et dernière femme d'Henry VIII va tenter de survivre aux délires paranoïaques d'un roi rongé par la maladie et le délire de persécution. Une belle fresque qui fait passer notre Charles III actuel pour un roi bien sage et Camilla pour une gourgandine !

Anatomie d'une chute de Justine Triet malgré un Swann Arlaud particulièrement juste et un Antoine Reinartz sulfureux, trouve ses limites et manque de créer une authentique sensation. Les 2h30 de projection étaient par trop ambitieuses et 30 mn de moins eussent été salutaires pour l'attention (et la tension !) du spectateur. Hopeless du coréen du sud, Kim Chang-Hoon, restera une des belles surprises de ce festival. Un adolescent confronté à un beau-père qui le bat, est aspiré dans un réseau maffieux pour une dette d'honneur. Face à l'ultra-violence, devant un chef charismatique, il va grandir et vaincre ses démons pour trouver l'espoir et le bonheur. Un film coup de poing où derrière le sang de la mort se dessine l'espoir d'une vie meilleure.

Le 4ème volet de la trilogie d'Aki Kaurismaki, Les Feuilles Mortes, est une déambulation douce amère entre un homme et une femme paumés que tout doit séparer. Pourtant, dans leurs blessures et dans les hasards malencontreux comme bénéfiques de leurs solitudes, un unique et dernier amour va naître enfin. C'est beau comme du Karismaki et tendre comme ceux qui veulent encore espérer de la noirceur de la vie !

Perfect Days de Wim Wenders est une pérégrination passionnante sur les traces d'un homme que le quotidien écrase de son poids. Ce nettoyeur des toilettes de Tokyo, vit dans un rituel mutique mais va être confronté à des évènements qui vont bousculer sa solitude et dérégler ses habitudes. Fascinant même si exigeant ! 

35 films et moi, et moi ! Un appareil défaillant dans cette salle de la Licorne nous a privé du Bellocchio, du Ken Loach et de tant d'autres surprises. Il n'en reste pas moins que cette édition nous aura offert de belles propositions, un niveau de qualité réel et un regard aigüe sur l'état d'un monde en déliquescence.

À noter la confirmation de l'émergence de nombres réalisatrices qui occupent enfin une vraie place dans ce paysage de l'image animée, l'arrivée à maturité d'un cinéma africain qui se regarde dans un miroir sans concessions, et la prégnance d'une fibre "écologique" naturelle !

Pour le reste, pour ce palmarès qui va tomber dans quelques heures, il ne fait aucun doute à mes yeux, nonobstant ceux (nombreux) que je n'ai pu visionner, que The Zone of Interest de Jonathan Glazer sera ma Palme d'Or et que les filles d'Olpha un magnifique prix du Jury... et que le Kaurismaki pourrait créer une surprise !

Et pour le prochain festival, rendez-vous dans un an ! Et en attendant, rappelez-vous, le cinéma c'est dans une salle que cela se déguste, pas dans le fast-food d'un écran de salon !

Voir les commentaires

Festival du Film de Cannes 2023 : 4 jours, 16 films, et après ?

Publié le par Bernard Oheix

C'est reparti pour une rafale de films dans ce monde en colère où les images de la réalité sont bien plus dramatiques que celles des fictions d'un après-covid qui a laissé des traces. L'option pandémie semble trainer dans de nombreux films, comme si les certitudes d'antan vacillaient devant le spectacle de l'incertitude générée par un virus délétère.

Mais la vie doit continuer et regarder notre passé, c'est aussi construire l'avenir !

À l'évidence de ces premiers jours, deux films en compétition que l'on retrouvera dans le palmarès... si le jury est à la hauteur de sa mission ! Réponse dans une semaine !

Le premier est un chef d'oeuvre, The Zone of interest de Jonathan Glazer et fait la jonction avec mon précédent article consacré à Simone Weil, les combats d'une effrontée.

Rudolf Hoss est le commandant du camp d'Auschwitz, particulièrement apprécié pour son efficacité, sa capacité organisationnelle dans le traitement de l'extermination des juifs, sa rigueur dans la gestion des équipes de SS...

Sa femme et ses enfants ont construit un hâvre de paix sous les murs de ce camp que l'on ne verra jamais... si ce n'est quelques cheminées rougeoyantes, une litanie de cris sourds et les fumerolles de trains débarquant leurs cargaisons.

Mais une promotion va éloigner Rudolph de son lieu de vie et sa femme refuse de le suivre, s'accrochant à ce jardin fleuri, à cette paix si durement gagnéé par son mari.

C'est dans le final qu'enfin nous pourront entrevoir la réalité de l'horreur en jeu, dans un saut temporel où les vestiges d'une humanité perdue nous sautent aux yeux dans l'insoutenable tragédie d'un siècle perdu.

La construction originale, les vides d'un écran emplit des noirs desseins de la folie humaine, nous parlent au coeur et font de ce film une oeuvre majeure pour entrevoir les failles d'une humanité perdue.

Tout aussi passionnante est l'horreur moderne que dessine Les Filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania. La plongée dans l'univers de Daesh de deux soeurs est confrontée au sort de la mère courage et des deux autres filles trop petites pour faire le grand saut. Des années après, dans un film sur le film passionnant, de la réalité à la fiction, quand les contours du jeu d'actrices affrontent le documentaire d'une vie, s'affrontent le silence des absentes aux regrets des présentes.

C'est un film sur la radicalisation de deux tunisiennes dans une après-dictature qui a libéré toutes les forces les plus néfastes de la société au service d'une religion intégriste mais dont le sourire d'une mère laisse augurer que la vie sera plus forte que la mort.

En attendant, les deux soeurs sont détenues dans un camp en Lybie et espèrent une extradition vers la Tunisie.

Reste quelques belles pépites qui font espérer... Ama Gloria de Marie Amachoukeli à la semaine de la critique (1er ou 2ème film), où les vacances d'une petite fille chez sa nounou adorée obligée de rentrer dans son pays, au Cap-Vert. Le rapport entre Cléo et Gloria rythme le tempo de ce beau film émouvant et sincère.

Dans la même catégorie, Vincent doit mourir de Stéphan Castang, où l'excellent Karim Leklou se retrouve agressé par des inconnus qui croisent sont regard à cause d'un virus (!) mystérieux. Le film est délirant et plein d'humour, un OFNI (Objet Filmique Non-Identifié) qui part dans tous les sens et nous offre quelques scènes d'anthologie sur la manière de faire l'amour sans croiser le regard de l'autre ou d'entraver sa partenaire avec des menottes sans esprit sm mais avec l'instinct de survie !

Le Retour de Catherine Corsini est un beau film loin du parfum de scandale dont il était précédé. Khédidja, une nounou (encore !) a le tort de retourner pour son travail en Corse avec ses 2 filles adolescentes Jessica et Farah. Le passé va resurgir, les haines d'antan se cristaliser, les non-dits se découvrir dans une île pas toujours tendre avec les autres. Mais la vie sera plus forte que les haines.

Et comment ne pas parler des films ratés qui auraient pu être bons, comme Los délincuestes de Rodrigo Moreno qui, sur une bonne idée, réussit à gâcher son film en l'étirant sur 2h30 et en massacrant la 2ème partie à coups de hache dans le scénario ! Tout aussi regrettable, l'explosion en plein vol de The New Boy de Warwick Thornton qui massacre ses images superbes, une Cate Blanchett sublime et une histoire qui aurait pu être passionnante en se perdant dans les tourments intérieurs d'une jeune aborigène fascinant !

Quand à Jeunesse de Wang Bing, 20mn sur les 3h de film m'auront suffit pour apprécier la qualité de la démarche sans en supporter la longueur insupportable infligé au spectateur !

Dommage !

Mais le grand cirque continue et les films de demain seront peut-être meilleurs  que ceux d'aujourd'hui, alors vite, aux écrans, dans une course contre la montre d'une horloge qui suspend son vol !

Voir les commentaires

Simone Veil, Les combats d'une effrontée.

Publié le par Bernard Oheix

Comment ne pas sortir bouleversé du spectacle Simone Veil, Les combats d'une effrontée, qui plus est, quand on a eu le privilège d'assister à cette représentation au Mémorial de la Shoah, à Paris, dans le Marais, dans ce temple d'un drame à nul autre pareil, dans cette période ou trop nombreux sont les héritiers de ce "détail de l'histoire"comme disait Le Pen, où même un bateleur de la dernière présidentielle a pu soutenir que Pétain avait sauvé des juifs.

Quand l'antisémitisme et tous les ostracismes fleurissent et que les portes du pouvoir s'ouvrent aux tenants d'une extrême droite même camouflée, alors il faut accepter ces mots d'une violence sans partage écrits par une survivante de ce massacre au regard lucide et à l'engagement sans faille.

 

Cette pièce, tirée de son autobiographie, écrite par Antoine Mory et Cristiana Reali, mise en scène par Pauline Susini parcourt les étapes d'une vie hors du commun. La déportation et la disparition d'êtres chers dans les soubresauts de la solution finale, l'extermination des juifs et des tsiganes, puis son engagement politique et cette lutte d'une violence inimaginable pour la légalisation de l'avortement devant une assemblée d'hommes ne reculant devant aucunes vilenies  pour couvrir sa voix.

Elle est la femme alibi comme elle se définit elle-même, celle qui offre une bonne conscience à ceux qui n'ont pas voulu voir la réalité ou en portant la parole des femmes dans une assemblée d'hommes pas du tout prêts à lâcher une partie de leurs pouvoirs pour laisser la parole à l'autre moitié de l'humanité.

Le droit de vote, la possession d'un chéquier, l'accès au travail et aux études supérieures se dessinent dans cette 2ème moitié d'un siècle de toutes les fureurs pour les femmes qui tentent d'exister.

Une jeune journaliste, Camille intervient dans une émission de radio pour parler de ses recherches sur Simone Veil. C'est alors qu'elle entre littéralement sur scène, une Cristiana Reali incarnant jusqu'à la fascination les traits de Simone Veil. Tailleur, visage encadré par des cheveux tirés, elle en est la porte parole troublante, lui permettant de la faire revivre le temps d'une scène, d'une tirade, d'une larme.

Dans une mise en abîme incroyable, l'actrice offre son corps et sa voix à l'expression d'un passé toujours présent.

C'est bouleversant, d'autant plus que les auteurs ont évité le pathétique des situations extrêmes pour faire sonner les mots justes d'un éveil de la conscience. 

Cette pièce est d'utilité publique, elle enchante l'esprit et donne le ton d'un regard sans concession mais jamais misérabiliste sur les pages troubles qu'ont vécu nos anciens. C'est aussi une leçon salutaire pour tous ces jeunes qui imaginent des vérités multiples au fil de ces réseaux où tout peut se dire, même l'inconcevable.

Oui l'être humain a une valeur, oui, il y a des principes auxquels on ne peut et doit déroger et Simone Weil, l'effrontée, nous porte vers un éveil de la conscience bien salutaire.

Et comment ne pas terminer par une plongée dans les arcanes du mémorial de la Shoah. Quand les mots de la pièce résonnent encore en nous et que nous découvrons ces bribes de l'horreur. 76 000 noms de victimes, portraits infinis de visages où les sourires nient l'horreur qui arrive à marche forcée, débris et oripeaux d'étoiles jaunies, vestiges d'une vie projetée dans le vide, photos de charniers et corps décharnés.

Oui le drame des juifs nous concerne, oui, nous nous devons de ne jamais oublier que "La Bête est toujours vivante" et qu'il suffit de si peu de choses (l'actualité nous le démontre tous les jours) pour que l'horreur fige à jamais le sourire des enfants ! 

Voir les commentaires