C’est à quelques semaines d’un Baccalauréat qui aurait nécessité un peu plus d’attention et de concentration de ma part que j’ai eu le privilège de vivre une expérience cinématographique fondamentale qui allait bouleverser mes choix et donner un sens à ma vie. Derrière les ors de la compétition officielle au Palais des Festivals, dans une petite salle de la rue d’Antibes, le Rex, une fête du cinéma débutait aux portes grandes ouvertes. La Quinzaine des Réalisateurs sous le slogan « Cinéma en liberté » démarrait dans l’effervescence d’un groupe de réalisateurs (Doniol Valcroze, Costa Gavras, Louis Malle, Jacques Deray, Albicocco...) décidés à casser le moule de la sélection officielle et à imposer des œuvres qui ne se retrouvaient pas sur les écrans du Palais des Festivals.
« Les films naissent libres et égaux » ! Un foutoir gigantesque, accumulation de 62 long-métrages sans critères de sélection, vont se succéder devant un public qui s’entassait dans les travées, en présence des réalisateurs et des équipes des films. Une orgie à l’accès libre, sans protocole, où l’on pouvait dévorer des films représentants cette génération qui aspirait prendre le pouvoir dans le cinéma en imposant un style de rupture.
Barravento de Glauber Roccha, Le Lit de la vierge de Philippe Garrel, Notre Dame des Turcs de Carmelo Bene, le cinéma québécois, La pendaison de Oshima, Le nouveau cinéma Français (Luc Moullet, Michel Baulez, Jean Daniel Pollet), des films de cinématographies inconnues du public (Hongrie avec Jancso et Mészaros, Cuba avec Gomez (La première charge à la machette) et Humberto Solas (Lucia). Et tant d’autres bijoux, important l’air du grand large et des cultures nouvelles dans la Ville des paillettes et des stars.
Il y avait aussi des films de la compétition officielle qui venaient à la rencontre de ce nouveau public jeune et passionné. If, la future Palme d’Or de Lindsay Anderson avec le tout jeune Malcolm McDowell qui portait sur ses épaules notre désir de révolte et croisé dans la salle bondée. Easy Reader de Dennis Hopper, en présence de Peter fonda et de Jack Nicholson que j’aurais pu toucher en tendant le bras...
Des heures scotchées devant l’écran, un monde qui s’ouvrait en direct et des réalisateurs qui s’invitaient pour partager nos rêves d’un avenir meilleur, d’une lecture de notre univers.
Je n’ai pas beaucoup suivi de cours entre les 8 et 23 mai 1969, j’ai beaucoup menti à mes parents sur mes journées et mes soirées, mais j’ai su, après ces 11 jours, que ma vie avait basculé. Désormais, le cinéma y occuperait une place centrale. Je ne pouvais que l’accepter parce que c’était ainsi !
J’ai eu mon Bac malgré tout, et avec mention, s’il vous plait ! En octobre 1969, j’ai intégré l’Université de Nice, section histoire, seule filière qui débouchait sur une Maitrise de Cinéma, mon objectif.
J’étais devenu un Cinéphile et je savais ce que je voulais !