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Dance me to the end of love (1)

Publié le par Bernard Oheix

Un titre en hommage à Léonard Cohen
 
Une programmation de Yorgos Loukos, le directeur artistique du Festival de Danse de Cannes est toujours une aventure culturelle intense ! Il y a deux ans, il nous avait asséné une série de spectacles particulièrement éprouvante pour l’organisateur… et le public ! Risque d’un décrochage, on lui avait demandé de tempérer ses ardeurs, la suite et vérification en commentaires !
 
Ouverture le 23 novembre 21h 00 avec le Ballet de Marseille
« Silent Collisions »
Dans ce 3ème volet d’une trilogie sur l’architecture, (les deux précédentes avaient été présentées au festival), Frédéric Flamand, trace sa voie dans la recherche de la place du corps humain dans l’espace urbain.  La première partie balbutie, une gesticulation archétypale qui n’apporte rien à sa recherche, mais l’utilisation (comme toujours chez lui) d’un décor ambitieux (une ville dont les formes se déglinguent au fil du spectacle) lui permet d’introduire une dynamique intéressante dans la seconde moitié. Quelques trouvailles scénographiques, un rythme plus en phase avec le propos, des danseurs un peu figés qui se laissent malgré tout envahir par la tension d’une machinerie sophistiquée…Somme toute, le public, en recherche d’une danse pas trop hermétique, y aura trouvé son compte. A noter, un fossé qui semble se creuser entre un corps de ballet hérité de directeurs néoclassiques (Roland Petit et Marie-Claude Pietragalla) et le style de Flamand qui apparait en inadéquation avec la qualité intrinsèque des danseurs ! Ce qu’a réussi Jean-Christophe Maillot à Monte-Carlo (la mutation d’un corps de ballet et son corollaire, l’évolution du public) semble plus complexe à réaliser dans la Ville de Marseille !
Samedi 24 novembre. 18h30
Compagnie Cave Canem « Dromos 1et 2 »
Chorégraphie Philippe Combes.
Cela commence magiquement. Un drap comme un écran sur un échafaudage, derrière, dans des filets de lumières, la forme d’une femme se dessine comme en filigrane, fantôme du désir. Elle évolue avec grâce, dans une obscurité complice, filigrane de son corps nu, traces d’une féminité qui se dérobe pour mieux s’exhiber. Il y a un jeu subtil sur les formes, le mouvement, l’impossibilité pour le spectateur de s’ancrer dans une logique de « reconnaissance ». C’est somptueux et délicieusement érotique, ambiguë, un rien pervers.
Et puis, patatras !
Le chorégraphe décide de crever l’écran et de faire apparaître la femme ! Las ! Parfois les choses vont tellement mieux sans le dire. Ce qui était magique se dévoile dans son à-peu-près. Elle s’est rhabillée, le mouvement d’hiératique devient ennuyeux, le geste étiré rend insupportable le silence. Chaque doigt, chaque mouvement de tête est une torture ! C’est Mozart qu’on assassine !
Tans pis, on aura vécu la moitié d’un très beau spectacle !
21h00.
Compagnie Israel Galvan.
« La edad de oro »
Déjà le Flamenco… En plus, quand c’est du Nuevo Flamenco !!! Il paraît, à ouïr la salle, que c’était génial, iconoclaste, fantastique… Moi, après 15 minutes, j’avais compris le spectacle et une certaine tendance inclinait mon chef vers le dossier du fauteuil confortable de la salle Debussy qui n’y pouvait rien. Un chant très beau mais on avait l’impression que ses doigts se prenaient dans la porte en permanence et que cela lui faisait vraiment très mal, un morceau de guitare très beau avec plein de notes qui jaillissaient drues, serrées, tellement compressées que cela donnait l’impression que c’était toujours la même chose... Et puis, le seigneur Galvan se lève, il agite ses petits pieds en faisant un maximum de bruit, remue ses petits bras en moulinant comme Sancho Panca, tressaute du derrière et pousse son bassin pour affoler les filles, pour finir par une virgule ironique avec la main à la fin à la dernière note de musique. Tout cela avec l’air d’avoir enterré sa mère au cimetière de La Bocca le matin de sa prestation et en ressemblant à Wladimir Poutine ! Bon, c’est vrai, les gens avaient l’air vraiment content, on aurait dit qu’ils avaient mangé une bonne paella et bu du vino tinto !
Dimanche 25 novembre. 21h00
Ballet Biarritz Thierry Malandain
« Les Créatures »
J’avais adoré son hommage aux Ballets Russes, j’attendais avec une certaine impatience ses « Créatures ». Le ballet est beau, les danseurs évoluent avec cette grâce d’un néoclassicisme qui s’assume. Superbe composition initiale, danseurs qui sautent en cassant les jambes, qui fusionnent sur la musique de Beethoven et nous entraînent dans un univers de mouvements et de silhouettes se fondant dans un noir et blanc austère.
Et puis la mécanique ripe, le propos (trop) ambitieux se perd dans l’agitation et la répétition, les costumes lassent. Quelques idées viendront ranimer la foi en deuxième mi-temps (!), une femme avec de grands voiles, une boule transparente… mais c’est déjà trop tard, Thierry Malandain a presque perdu la partie et n’a pu imposer ce style néoclassique si décrié et snobé par les critiques et les balletomanes branchés… Il a raté une occasion d’affirmer son leadership et d’anoblir le genre. Peut-être que le fardeau était trop lourd à porter ! Le public amateur aura passé une belle soirée… nous savons nous… que avons raté une grande soirée de danse. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois !
Lundi 26 novembre. Toute la journée.
Installation performance du Collectif Loge 22-Michel Pomero.
Bon, des boîtes d’œufs que l’on empile et qui s ‘écroulent, des galets qui roulent et la mousse…des marcheurs qui déambulent le long des murs… j’ai fait cela en 70 avec Ben et ses concerts fluxus de l’Ecole de Nice ! Autant rendre à César ce qui lui appartient et laisser le temps opérer son œuvre sans nous ennuyer !
21h00
Compagnie Maguy Marin.
Turba/ coproduction Festival de Danse de Cannes.
Je suis entré à reculons dans la salle. Je craignais le pire étant de ceux que les agressions récentes de Maguy Marin et de Denis Mariotte épuisent. Où est donc passé la femme capable de créer Cendrillon, May B ? Assurément, elle n’est plus dans le monde d’une danse qu’elle enterre en grande pompe dans cette œuvre somptueusement mortuaire ! Mais la magie opère !
Un « danseur » définitivement comédien s’approche du front de scène, dans un écoulement d’eau qui ruisselle sur des tables… Il va se vêtir d’oripeaux et lire en latin des extraits « de  la nature » de Lucrèce….. C’est beau et bouleversant. La scène en noir et blanc va se meubler de couleurs au fur et à mesure que les danseurs viennent évoquer par petites saynètes, les œuvres de Maguy Marin. Chacun déclame en toute langue des extraits de ce livre brandi. Quand les couleurs gagneront sur le noir, une tempête va se lever et briser l’ordonnancement des choses. Ce sera alors la cacophonie d’une inspiration désespérée, un renoncement général que deux portés et un duo étiré au maximum vont définitivement sceller. Maguy Marin, son double, va revêtir une couronne et laisser sa place aux jeunes dans une mort symbolique de son flux créatif. Testament crépusculaire. En cela, elle est redevenue cette immense dame d’images, même s’il lui reste le plus difficile à faire : rompre avec la danse dans les faits, et pas seulement par l’imagination.
Merci Madame Marin pour nous avoir offert ce poème somptueux, cette mort au travail, cette agonie de tous les idéaux. Il y a chez vous le génie du contre-pied et de l’entrechat. Vous errez dans un monde si particulier que votre sincérité ne peut que toucher ceux qui se dressent contre vous !
Mardi 27 novembre. 18h30.
Compagnie Pockemon Crew.
« C’est ça la vie !? »
En gros, la vie c’est d’être riche, de voyager, de voir plein de pays, de rencontrer des meufs, de kiffer grave… de rester très humble comme Zizou tout en faisant savoir que c’est nous, les Pockemon Crew… quand même !
Bon pour le reste, une absence de mise en scène à la Star’Ac, le showbiz avec ses gros sabots en un marketing soigneux, le public (très) jeune qui hurle les prénoms à s’en casser la voix et, disons-le, des danseurs plein de fougue, bourrés d’énergie et de talent. Ils méritaient peut-être mieux… mais c’est ça la vie !
21h.00
Sylvie Guillem et Russell Maliphant.
« Push »
Comment dire la grâce absolue, l’imagination sans limite, les lois de la pesanteur niées. Cela commence par 3 soli. Russel Maliphant à la recherche de son double en ombre. Sylvie dans les trouées de lumières qui écharpent la musique flamenco. Et « two », hallucinant, où la danseuse tente d’échapper à un cône de lumière, par la répétition et l’accélération, de briser sa prison dorée par le mouvement rythmé sur une musique électro envoûtante.
Et puis il y a « Push », un duo de 32 minutes qui amène le spectateur à un point de rupture introduisant la danse dans une dimension parallèle. Cela nous permet de gommer les lois élémentaires de la nature, de défier les normes et les alphabets. Imaginez le noir de la scène. Un rai de lumière vient lécher le corps d’une Sylvie Guillem perchée sur les épaules de son partenaire. Elle va glisser en s’enroulant autour de lui, attirée vers le sol. Quand elle y arrivera : noir. Quelques secondes et la lumière revient l’épingler dans un autre coin de la scène, toujours portée par Russell Maliphant. Et toujours, elle glisse vers le plancher, et toujours ses formes sont fières, droites, sans déroger à l’harmonie, quelle que soit l’orientation, la hauteur, le sens du mouvement des deux corps unis. C’est bouleversant et magique !
J’ai rarement, dans ma carrière de programmateur, pu ressentir un tel degré de perfection, une osmose aussi totale entre deux danseurs et le public, un environnement où rien ne semble déroger à l’harmonie des courbes, à la rigueur des lignes, à la tension des silhouettes, à la plastique des formes. Un corps théorique vers l’astre de la nuit. Le chemin d’un couronnement.
Merci Russell Maliphant pour ces chorégraphies et ces « portés » offerts à une déesse intemporelle, merci aux techniciens, merci au public… et merci avant tout à Sylvie Guillem d’exister et d’être la plus grande danseuse du monde ! J’étais le 27 novembre 2007 dans la salle Louis Lumière du Palais des Festivals, à Cannes, je peux vous le confirmer !
 
Voilà, la suite au prochain numéro…dans quelques jours. Vous aurez encore beaucoup de spectacles de danse à vous mettre sous la dent, encore de belles surprises et quelques « plantades » mémorables !. Juste un peu de patience et je les mets en ligne !
 
 
 
 
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