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Lettre de Moscou à Sophie

Publié le par Bernard Oheix

 
 
Une semaine à Moscou comme un rituel bien léché, mi-janvier, dans le froid, afin de préparer le prochain Festival de l’Art Russe qui aura lieu en août 2008. C’est mon sixième voyage, avec deux jours à Kaliningrad (ex-Königsberg), la région invitée du festival et une innovation de taille. En effet, cette année, je devais partir avec Sophie, directrice-adjointe de l’évènementiel, premier voyage en commun depuis 19 ans d’une collaboration soudée, d’un tandem indissociable qui a survécu à toutes les crises, toutes les tensions de postes exposés. Une façon de faire le point, de se caler sur certaines échéances qui arrivent, d’envisager quelques restructurations à venir pour une dernière tranche de ma vie professionnelle. C’était son premier séjour en Russie. Excitation de la préparation, arrivée en voiture à l’aéroport, passage des enregistrements de bagages, visa conforme, douane et police des frontières franchies… jusqu’à la montée dans l’avion où un cerbère français de l’ « Aéroflot » la refoule pour un timbre mal placé sur un passeport qu’elle a utilisé des dizaines de fois sans rencontrer le moindre problème. Choc.
Ce n’est que partie remise, Sophie, on aura d’autres occasions. En attendant, c’est pour toi que j’écris cette lettre de Moscou.
 
Et s’il était venu le temps des remises en question, d’un aggiornamento général concernant nos « amis » Russes. Combien de commisérations, d’ambiguïté, de mauvaise foi quand l’on parle des Russes ! Braillards, buveurs, mal élevés, traîtres, vénaux, racistes, maffieux… et j’en passe ! Au fond, ils portent deux tares indélébiles. Pour ceux qui se réfèrent à la droite, c’est le peuple qui a introduit une idéologie totalitaire au sommet d’un Etat, qui a imposé le communisme comme un système qui a conditionné l’évolution du XXème siècle et induit un affrontement meurtrier et des guerres incessantes et au passage, n’a jamais réglé ses dettes de l’emprunt russe. Pour la population se référant à la gauche, ils ont trahi la seule alternative au capitalisme qui existait et se sont jetés dans les bras d’un libéralisme effréné… avec succès, qui plus est, endossant avec allégresse les oripeaux de leurs anciens ennemis de classe !
Qu’en est-il exactement ? J’ai le privilège de me rendre régulièrement dans ce pays et d’avoir vu l’évolution des dix dernières années, qu’ai-je à dire sur ce pays et sur les gens qui y habitent ?
Les images les plus tenaces de notre inconscient collectif, tournent autour des frasques des nouveaux riches, de l’équation beauté/vénalité des femmes russes potentiellement toutes prostituées, du racisme général et de la montée du sentiment religieux dans la population en plus d’une propension à la boisson, à la violence et à être mal éduqués.
En ce qui concerne les nouveaux riches et leurs frasques dont on fait des gorges chaudes, il est évident que l’ostentation à exhiber le pouvoir d’un argent roi est une agression pour beaucoup de Français englués dans une souffrance quotidienne. Mais prenons un peu de recul sur les milliards d’Abramovitch, les feux d’artifice de Courchevel et les notes de restaurant à 5 zéros… Est-ce fondamentalement différent de l’ignominie d’un golden parachute de dizaines de millions d’euros d’un patron bien hexagonal qui part après avoir échoué dans sa mission avec une galette pillée sur le dos de l’entreprise qui le met à l’abri de tout souci financier jusqu’à la fin de ses jours ? Quand des navires de croisières sillonnent les mers et accueillent les têtes du pouvoir, se sent-on particulièrement dérangé ? N’y aurait-il point deux poids et deux mesures ? L’argent sale des capitalistes russes contre l’argent propre des capitalistes français ? Et les « émirs » alors ? Ils ont pignon sur rue dans les beaux quartiers, font fermer des magasins de luxe pour permettre à leurs épouses d’acheter en « no limit » des produits de luxe, louent des suites royales pour 15 jours dans des palaces, jouent au casino des sommes extravagantes, réquisitionnent contre beaucoup d’argent un Palais des Festivals prestigieux pour l’anniversaire d’une gamine « royale » de douze ans…
Et les autres ? A-t-on attendu les Russes pour asperger de bulles, avec des bouteilles à 10 000 euros, le corps des belles naïades à la Voile Rouge de Saint-Tropez, pour flamber dans les restaurants trois étoiles avec des additions à plusieurs Smic ?
C’est faire un sacré procès d’intention que d’imaginer que toutes les tares de notre société de consommation seraient concentrées dans les mains crochues de quelques « oligarques » d’autant plus coupables qu’ils sont jeunes, qu’ils bouillonnent d’impatience et d’envies et que cette jeunesse est inconvenante avec l’exercice du pouvoir et sa satisfaction. Il est certain que la morgue n’est pas un ferment de rapprochement des peuples mais cette morgue n’est-elle point présente dans la commisération de nos possédants autistes devant les réalités si dures du quotidien de millions de gens.
Pour ce qui est de l’équation à la mode sur la vénalité conjuguée à la beauté des femmes russes, on peut aussi s’interroger. Que les vieux riches s’exhibent avec des jeunes filles à la plastique irréprochable est évidemment du domaine du normal. Que ces « bimbos » slaves démontrent un savoir-faire et une ténacité, une capacité à tirer leur épingle du jeu serait par contre la preuve de leur ignominie, d’un machiavélisme typiquement russe ? Se faire consommer comme de la chair fraîche, d’accord… mais qu’elles pensent, alors là, non ! Une pute doit rester une pute et connaître ses limites, celles d’être un objet soumis. Et bien non, messieurs, si vous voulez frimer avec une « Barbie » slave dans vos dîners d’affaires et ainsi exhiber votre virilité retrouvée, veillez à bien verrouiller vos contrats et à protéger vos arrières… leurs formes voluptueuses méritent bien quelques sacrifices ! Quant aux autres, la plupart des femmes, la grande majorité, elles vivent exactement les mêmes histoires d’amour que vous et nous, Françaises où Russes, elles ont les mêmes chagrins déchirants, des joies extrêmes et souffrent tout pareillement de maux d’amour, de l’inconséquence des mâles et oscillent entre des rêves de princesses la nuit et des réveils de serveuses ou d’employées au matin ! Elles ont d’ailleurs une place non négligeable dans la société civile et commerciale, certainement bien supérieure à celle de nombre de nos pays Européens.
Je suis personnellement très choqué par l’éclosion d’un sentiment religieux si pressant. Ce ne sont qu’églises reconstruites, popes faisant irruption dans la vie quotidienne, icônes et signes de croix. Quand je me suis baigné le 18 janvier dans la Baltique, une croix orthodoxe illuminait la glace, le pope est venu bénir le trou noir à minuit puis s’est déshabillé et a été le premier à s’immerger dans l’eau glacée, rituellement trois fois en se signant. Bon, cela ne m’a pas empêché de plonger dans la mer… N’est-ce point le résultat naturel d’un siècle d’interdiction tel un coup de fouet en retour ? Un peuple à qui on a interdit par la force de prier n’a-t-il point vocation à se jeter dans les bras d’une église retrouvée ?
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Avant d'entrer dans l'eau glacée, je vais hurler un "vive la france" qui fera hurler de rire les 200 russes présents !
Et puis, à l’heure d’un intégrisme islamique si ravageur, il y a encore de la marge pour rattraper les extrêmes ! Quand la plus grande nation démocratique du monde, les USA, a calqué sa politique sur la foi de néoconservateurs extrémistes avec les résultats que l’on connaît, on peut accorder une certaine naïveté au sentiment religieux et aux brouillaminis de popes en mal de reconnaissance. Bon, ce n’est pas ce que je préfère en eux, mais qu’ils se signent, on verra dans quelques années où cela les mène !
Parlons du racisme ordinaire, si présent à l’évidence dans la société russe et qui ne peut que nous interroger. Qui sommes-nous pour donner des leçons sur ce terrain, nous qui avons un parti d’extrême droite qui flirte avec les 30% dans nos régions avec un leader qui s’est retrouvé en position d’être élu à la présidentielle ? Notre humanisme profond se satisfaisait sans problème du sort des harkis, abandonnés, massacrés et pour les rares survivants échouant sur nos rivages, parqués dans des camps ignobles. Nous sommes aussi une société qui a enfermé ses enfants issus de nos différences dans des ghettos urbains qui flambent régulièrement, belle leçon d’éducation civique à transmettre aux Russes !
Ainsi donc la Russie serait le pire ennemi de nos démocraties, tout comme l’Union Soviétique l’était du monde libre, parce que Poutine va se faire nommer 1er ministre après en avoir été le Président. Que deux familles (les Bush et les Clinton) se partagent le pouvoir de père en fils et de mari à femme depuis 25 ans ne gênerait par contre personne !
Ne sont-ils point dangereux parce qu’au fond leur réussite est insolente, qu’ils possèdent du gaz, du pétrole, une industrie qui se développe à 2 chiffres, qu’ils affichent un vrai savoir-faire, des chercheurs et des scientifiques, un talent et une agressivité dans le commerce qui a surpris plus d’un de nos capitalistes qui pensaient leur tondre la laine sur le dos ?
Artistiquement ils sont toujours en pointe même si des petits malins tentent d’exploiter le filon de l’art russe en important du bas de gamme pour un profit maximum, tendance qui est en train de se réguler, les Russes apprenant à faire le ménage devant leur porte très rapidement. Sportivement, ils sont encore au top…Que nous reste-t-il donc ?
 
Au fond, pour cet énième voyage en Russie de 6 jours, qu’ai-je vu, entendu, perçu de leur vie ?
Il y a des villes, et dans les villes, des gens. Les villes sont souvent belles, bien éclairées, des avenues larges et malgré cela, on subit des bouchons permanents. Les femmes ne sont pas toutes jeunes et belles, on voit aussi des vieilles et des laides. Le matin, tôt, dans la nuit et par -10, les métros et bus sont bondés de travailleurs et leurs regards portent autant de brumes que ceux des Parisiens. Ils balaient les rues, servent dans les restaurants, réparent les routes qui subissent des dégâts à cause du climat, conduisent (pas seulement des Mercedes), encaissent, marchent d’un pas pressé emmitouflés ou se promènent d’un pas nonchalant (toujours vêtus chaudement), fument des cigarettes, subissent la plupart des tracas que nous vivons dans nos sociétés. Ils ont les défauts de tout le monde.
Ils aiment rire aussi, une joie de vivre qui s’exprime en public, ils sont souvent serviables et se mettent en quatre quand ils vous voient perdu même s’ils ne parlent pas encore beaucoup les langues étrangères, encore que l’anglais s’impose de plus en plus. Ils ont une vraie culture qui ferait pâlir d’envie beaucoup de nos concitoyens, aiment parler (souvent trop !) boire (beaucoup trop !), rêvent d’un monde meilleur et ont peur de la mort.
A travers mes séjours réguliers, j’ai perçu l’évolution très rapide des Russes vers la modernité. Ne nous trompons pas, ils ne sont pas un peuple arriéré de descendants de moujiks, tarés par le communisme et la vodka, confinés dans l’obscurantisme et la violence. Ils ont une capacité d’adaptation remarquable, un niveau de performance étonnant, pour preuve ce chemin qu’ils ont parcouru qui les mène par une route différente (le communisme) au point exact où ils rivalisent avec le capitalisme des Etats-Unis au bout d’un siècle.
Il ne s’agit pas de les ériger en modèle, ils sont comme les autres, capables du pire sans doute, comme du meilleur certainement.
Nos propres errements et quelques pages peu glorieuses de notre histoire devraient nous inciter à plus de discernement dans nos jugements et dans le regard que nous portons sur le comportement des autres. Un peu d’humilité ne ferait pas de mal !
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On a beau se baigner... il fait froid sur la Place Rouge !
Et puis, il y a Moscou sous la neige, la Place Rouge illuminée avec le tombeau de Lénine en sentinelle d’une histoire tourmentée, un bain dans la Baltique par un trou dans la glace, la discussion passionnée avec un « oligarque » féru de culture française, le regard émouvant d’une attachée culturelle, le sauna où nous transpirons en livrant nos corps sans pudeur ni affectation, le bortsch chaud dégusté dans un restaurant géorgien de la rue d’Arbat… tout cela vaut bien ces quelques lignes écrites pour Tatiana, la présidente de la Fondation de la Culture Russe, le sourire enjoué de Madame Medvedev, la future première dame de Russie avec qui j’ai échangé quelques mots, Nadia la technicienne et Eléna, ma traductrice, celle par qui la culture russe ouvre quelques lucarnes dans ma perception d’un monde figé.
Elles sont toutes là, mes amies russes, dans ces lignes, et tu étais présente, Sophie, toute au long de ce périple, parce qu’il était pour toi ce voyage aux confins de nos frontières.
Vive la Russie !
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V
Bon, c'est sûr il y'a du mieux, mais l'arbitraire existe, et les moujiks en nombre.Bref, ce n'est pas encore des Russes...blancs
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