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La Divine Comédie

Publié le par Bernard Oheix

Lasciatte ogni speranze, voi ch'entrate...ce vers connu (je ne garantis pas l'italien, c'est de mémoire !) je l'ai reconnu dans une production pharaonique qui m'a conduit sur les rives du Trastevere à manger des spaghettis alle vongole à défaut d' alimenter mon esprit de nourritures plus spirituelles !
Bon !  On ne va pas regretter le voyage, il y a pire que de humer les effluves de la capitale transalpine et de retrouver ses amis. L'Italie, c'est la patrie de ma mère, ma deuxième culture, et sa langue est un chant qui porte au rêve.

 

Entreprise gigantesque s’il en est, la production romaine « Nova Ars » de La Divine Comédie s’est donnée les moyens de créer l’événement. Dans une période où l’Italie se cherche dans des joutes électorales impossibles, le travail sur l’œuvre de Dante, thème fondateur de l’Italie moderne, première œuvre capitale écrite en italien, étudiée avec permanence à l’école, est un signe de cette perplexité d’une élite qui cherche un sens à son futur dans les pages de son passé glorieux.

Construction d’une salle spécifique de 2500 places en périphérie de Rome, là où s’est déroulé le jubilé de l’an 2000, infrastructure ambitieuse, ligne de produits dérivés élégants et documents soignés, travail sur les scolaires dépassant largement les limites de la province, soutien d’un appareil d’église pour cette opération, temps de création et investissement dans les décors et le casting… A l’évidence, les objectifs étaient ambitieux et le produit fini est appelé à durer et à être exploité non seulement en Italie mais aussi en Europe. Les invitations lancées auprès d’un certain nombre de programmateurs allaient dans le sens de cette recherche ambitieuse d’un marché global et non limité aux frontières du pays.

Marco Fresina, un homme d’église qui a présidé à nombre d’évènements organisés par le Vatican a composé une musique d’excellente qualité, alternant les plages classiques avec des morceaux plus modernes, juxtaposant les ensembles (chœurs, interprètes et musique) et les soli des chanteurs dont on peut parfois regretter certaines facilités, un air clinquant plus comédie musicale qu’opéra moderne. Concession à la modernité des comédies musicales ?

C’est d’ailleurs un des reproches que l’on pourrait adresser à la production et qui semble encore plus apparent dans la deuxième partie : ne pas avoir réellement choisi entre un opéra moderne et une comédie musicale, avoir laissé une ambiguïté s’installer au détriment de la cohérence du projet artistique. Car si on peut affirmer que la tendance opéra moderne est plutôt une réussite, la dérive vers une comédie musicale est d’une facture plus faible et tire vers le bas l’ensemble du projet.

La distribution des chanteurs est d’une grande qualité. Des voix puissantes et des physiques agréables collant parfaitement aux rôles. Ils s’appuient sur un décor conçu pour partie avec des éléments concrets (une immense roue en bois qui tourne sur son axe sur laquelle les acteurs déambulent et qui symbolise le parcours de Dante), et des images de synthèse absolument extraordinaires conçues par Paolo Micccichè qui viennent enrichir les décors naturels. Ce travail de l’image est à l’évidence un des points forts du spectacle. Sur une série de « pendrillons » qui se positionnent en découpant l’espace sur plusieurs niveaux de profondeur et de hauteur, des images de synthèse vont accompagner les acteurs chanteurs en créant des illusions plus vraies que nature. L’enfer, la forêt pétrifiée, sont des réussites absolues. On ne peut que regretter alors l’assèchement créatif de la fin du voyage. Sans doute est-il plus difficile de camper le paradis et la sérénité que les affres des démons qui nous torturent. Il n’en est pas moins vrai que nous avons, dans ce final, la vague impression d’une rupture avec la fièvre créatrice du début, d’un laisser-aller coupable !

En ce qui concerne les costumes, on peut regretter que cela se transforme progressivement en carnaval de Nice, et qu’un manque de sobriété s’empare du créateur parti dans des rêves de cartons-pâtes !

Reste la danse. Las ! Chorégraphies mièvres, danseurs de bas de gamme, apportant une touche de modernité avec vieux modern-jazz sans saveur. Les danseurs occupent une place trop importante, restent visibles sans raison, s’agitent pour créer l’illusion d’un mouvement perpétuel. C’est tellement inutile que cela en devient pénible !

Même les acrobates, parfois émouvants dans les tableaux dans les airs, en perdent de leur superbe et leurs prouesses se transforment en mécanique froide pour cause d’outrances et de répétitions. C’est aussi ce qui déclenche ce glissement vers une comédie musicale plutôt vulgaire, un peu choc et toc, formatée télévision, en décalage avec la dimension initiale d’un opéra moderne.

A l’évidence, dans ce projet, il manque un vrai regard de metteur en scène. Juxtaposition et collage peuvent parfois donner l’illusion d’une énergie libératrice mais en l’occurrence, accroissent la sensation d’une dérive hiératique, d’un patchwork inconsistant. C’est regrettable, tant de qualité et de moyens qui s’échouent sur les rives d’un à-peu-près sans rémission !

La production l’avait pressenti, qui interrompit en décembre les représentations, embauchant un nouveau metteur en scène en complément de l’ancien pour un duo à deux têtes hybrides, chargé de remettre sur les rails du succès et de la cohérence cette Divine Comédie. Après avoir retravaillé et coupé dans la chair à vif, le résultat reste en deçà de ce que l’on peut légitimement attendre d’une production d’une telle ampleur. Si elle peut dans ces conditions réussir à capter le marché italien, elle semble totalement inadaptée à conquérir le public européen sans un travail de réécriture scénique indispensable. Sans cesse sur le métier, il faut remettre son ouvrage… et même si ce n’est pas un italien qui l’a dit, cela reste plus que jamais d’actualité !

A part cela, Rome, quelle ville, quelle beauté, quelle gentillesse. Vive l’Italie et les italiens !

 

 

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