Journal de Bord de la Transmed (1)
Il faut resituer. Philippe C me convainc de participer à la Transméditérranéenne qui part de Saint-Raphael et arrive à
Hammamet en Tunisie sur son voilier de 38 pieds et quelques pouces, le Romulus. Nous embarquons notre ami Hervé C dans l'aventure et vogue la galère... Philippe C, alias Captain Fifi est un
personnage entier. Il sort d'une opération et cette traversée avec ses amis est une façon de renvoyer son mal aux enfers. Hervé C alias Hervé maître-queue, outre ses talents de cuisinier, a
subi une opération très grave, lui aussi. De plus, il ne connait rien à la mer même s'il affecte d'être un grand pêcheur devant l'éternel. Moi, Force brûtale, je suis dans une phase de thyroïdite
aiguë et n'ai jamais rien compris à un bateau même si ma plume s'avèrera fort utile pour graver la mémoire de cette expédition dans le marbre de la légende des marins !
Equipage d'enfer pour une course sans carotte, juste le plaisir d'être ensemble et de voir notre passé ricocher sur les vagues de l'avenir.
Je vous offre les aventures des pieds nickelés de la Méditerrannée, j'espère qu'elles vous séduiront comme nous avons aimé les vivre !
Les trois
membres de l'expédition dans la tension du départ !
1er jour.
De Saint-Raphael à la Corse.
Prise de contact de l’équipage. Le climat est tendu et la pression à son comble. Nous nous toisons du regard et mesurons notre aptitude à vivre dans des conditions extrêmes. C’est important la confiance envers ses camarades. Dans la tourmente qui se prépare, l'autre peut nous sauver demain, ou nous faire périr. La solidarité n’est pas un vain mot, perdus à des milles dans l’immensité marine, au cœur de la tempête qui se prépare. Nous nous connaissons seulement depuis 40 ans, notre amitié saura-t-elle résister aux aléas de la vie rude du marin et aux épreuves qu’indubitablement nous serons amenées à affronter ensemble ?
Après un repas frugal, sur le port, avec nos familles, l’heure du départ sonne. Nos épouses nous embrassent peut-être pour la dernière fois. Nous sentons leur émotion. Il fait nul doute, que si nous n’étions des mâles arrogants, habitués à jouer avec le danger, nous aurions, aussi, des larmes qui perleraient à la commissure de nos yeux. Mais c’est la vie d’aventuriers que nous avons choisie, il nous faut désormais assumer cette passion de la mer qui nous conduit vers ces horizons lointains. Même si nous devions échouer et périr glorieusement dans cette immense désert d’eau, nous savons que nous vivons pour cet instant précis où la gloire se conjugue avec le dérisoire. C’est la vie, c’est notre vie et elle n’a pas de prix !
Quand le canon a tonné, Capitaine Fifi a bondi vers la barre lançant des ordres auxquels l’équipage a répondu avec enthousiasme. Notre skipper s’impose d’entrée dans le peloton de tête. Pour le 1er challenge de cette Transméditerranéenne, nous avons failli créer la surprise. Arrivés 6ème sur les 15 premiers milles, malgré notre tirant d’eau et la masse de nos flancs chargés de victuailles et de biens de première nécessité… un exploit que nous célébrons dans la nuit tombante par une bordée de hourras adressés à notre valeureux capitaine. Nous savons que d’autres victoires se profileront à l’avenir, ce n’est que partie remise.
Enfin dans le vif du sujet. La mer toujours recommencée (c’est facile, je sais !). Elle roule et défait des montagnes liquides, le vent est soutenu, nous cinglons vers une page d’histoire, une ligne de légende dans cette épopée si riche de la marine. Le sel nous cuit la peau et pendant que la nuit tombe, nos cœurs vomissent les derniers restes de ce que qui nous rattachait à la terre ferme. Nous mangeons frugalement, le maître-coq est en train de dégueuler par-dessus la drisse, l’adaptation est difficile et le roulis pernicieux.
C’est la nuit et une « pétole » terrible nous encalmine. Je prends mon quart à une heure sous un ciel lourd. Je suis épuisé. Malgré le danger qui rôde, je vais sombrer dans un sommeil sans fond, par une nuit sans lune (Euh !). Je me réveille à 3h45, j’ai fait un double quart mais mon capitaine que je réveille me gronde. « Il ne faut pas t’épuiser d’entrée, me dit-il, la route sera longue et les dangers innombrables ». Je n’ose lui confier que j’ai dormi à la barre emmitouflé dans mon ciré comme un gros bébé, au mépris de toutes les consignes de sécurité. Il y a des choses que l’on ne peut avouer, même sous la torture.
Il fait le point, constate que notre côtre a reculé (sic, nous sommes sans aucun doute le seul bateau capable d’aller plus vite en arrière qu’en avant !) et reprend la direction des opérations. Une faible risée lui permet de rectifier le tir et de démontrer toute l’étendue de ses compétences. Il nous remet dans le sens de la marche et swingue avec les éléments pour nous permettre d’atteindre l’Ile de Beauté en évitant de justesse la dernière place et le ridicule d’un fanal rouge.
Hervé, notre maître-coq va mieux. Il est resté évanoui toute la nuit. Il nous promet un bon repas pour la soirée. Auparavant, il est indispensable d’effectuer toutes les manœuvres qui nous permettent un ancrage sécurisé dans la Baie de Sagone. Les autres concurrents ont hissé leur pavois en notre honneur. Quelques coups de canon retentissent… mais nous nous apercevons que ce ne sont que des autonomistes qui pratiquent leur activité favorite : la pêche au « pinsutu » par journée ensoleillée !
2ème jour.
Ancré dans la Baie de Sagone.
La journée se passe dans le calme. Repos bien mérité, je complète ma nuit par une sieste réparatrice. En fin d’après-midi, les autochtones conduits par le maire de Vico-Marine se réunissent sur la plage pour fêter les concurrents de la Transméditerranéenne. Nous découvrons enfin les visages des équipages ennemis. On ne parle pas énormément de nous au chapitre des prix et médailles mais indubitablement quelques femelles embarquées sur les coursiers adverses nous contemplent avec des regards concupiscents. Même sans la lumière des prix, nous faisons converger les feux de leurs pupilles dilatées sur notre fier équipage. Les marins furieux sentent bien que leurs épouses nous scrutent avec perversité et sont fous de rage. D’aucuns voudraient en découdre mais notre capitaine Fifi à l’intelligence de s’interposer. Nous évitons de justesse la violence d'une rixe qui aurait offert quelques corps en pâture aux poissons de la Corse.
A bord, Hervé nous a concocté un succulent repas. Il fait montre d’un réel talent pour accommoder les nourritures frustres embarquées et nous offrir des mets de roi. Nous évoquons pendant un long un moment des questions sérieuses, la vie, l’amour, la mort... avant de voir plonger les derniers rayons de soleil dans l’immensité bleue sombre qui borne l’horizon.
Nous allons nous coucher. Capitaine Fifi décide d’entamer la lecture de « La citadelle du désir » de Bô Dukham. Nous
l’entendons gerber quelques pages plus loin !
Nuit calme. Satisfaction du devoir accompli.
La suite au prochain numéro.