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La transmed (3)

Publié le par Bernard Oheix

On continue sur les traces de nos aventuriers modernes. Bon, c'est pas parce que l'on a rien à dire que l'on va se priver du plaisir d'écrire. Et puis, on rentre sous des latitudes qui enflamment les esprits ! Attention, les derniers miles vont être redoutables !



6ème jour
De Aristano à Marina Sifredi.

Départ à 9 heures. Nous sommes déroutés par des manœuvres militaires. L’aviation, des corvettes, c’est beaucoup pour nous. Après avoir hissé le drapeau blanc, nous nous glissons entre les mailles du filet et retrouvons le grand large, toutes voiles hissées, cap à 180°, conditions idéales pour tester notre voilier, nous filons un 7 nœuds de belle allure.

Des dauphins viennent dans notre sillage. Ils batifolent, nous observent d’un œil moqueur. Ils sont beaux et majestueux et s’amusent en bandes à croiser notre chemin. Des oiseaux les suivent en piaillant, c’est émouvant.

Hervé maître-queue est chargé d’assurer la pitance. C’est le spécialiste de la pêche. Il entretient les lignes, fabrique les amorces, accroche les leurres et reste désespérément optimiste devant la vacuité de ses efforts. Le soir, en général, c’est la boîte de thon et les sardines à l’huile qui meublent notre ordinaire. Pourtant, en ce jour béni des dieux, un espadon suicidaire vient s’embrocher sur l’hameçon. Il réussit l’exploit de le tirer par hasard, cet envoyé miraculeux, et auréolé de son espadon de 1 mètre (sic), se rengorge comme un paon pendant que nous lançons l’information sur les ondes aux autres concurrents furieux.







C'est Hervé le pêcheur... mais sa photo est floue alors j'en profite...




Captain Fifi barre comme un chef. Il a ce petit rien qu’ont les grands au sommet de leur art. Quand il épouse le vent, se fond dans chaque risée afin de s’épanouir en synergie avec les éléments, quand il se donne au maximum, son corps en osmose avec le bâtiment qui trace sa route, il est Dieu, il est celui qui
nous guide, le grand timonier, l’ordonnateur des pompes célestes. Notre Romulus, sous sa poigne et malgré un handicap de taille, se maintient gaillardement dans le peloton de tête.













                                                                                      Captain Fifi, notre maître à tous !


L’entrée en fin de journée dans la marina s’avère délicate. Bernard Force Brutale s’améliore dans ses manœuvres sophistiquées. Haler, tirer, souquer, border, il voltige d’un bord à l’autre comme un marin chevronné, avec la maestria d’un loup de mer, défiant les lois de la pesanteur.

L’accostage s’effectue à cul, en douceur, avec un art consommé de notre capitaine très fier de sa prouesse. Nous aussi partageons sa joie et vénérons notre guide suprême. Hervé maître queue descend le premier sur le quai et d’un air négligent, son espadon à bout de bras, affecte de chercher un point d’eau, juste histoire d’exhiber son trophée de pêche. Les regards de convoitise convergent vers ce monstre marin qu’il prépare en fine lamelles crues baignant dans du citron. Goguenards, nous dégustons notre plat sur le roof avec la mine insouciante de ceux qu’une grande habitude protège des aléas de la faim.

Une petite cantine dans la vieille ville, un repas frugal (amuse-gueules à l’italienne, pâtes en 1er plat, poisson succulent, tiramisu et quelques « dolce »), juste de quoi se sustenter à un prix frisant le ridicule.

Il est temps, après une promenade au long du mail, de réintégrer nos couchettes. Il faut s’économiser car l’air du  large use et la ligne d’arrivée encore si loin.

Je m’endors sur un livre de Schlink. Grand moment !

 

7ème jour.
Journée à quai.

Ôde à Bernard.

Bernard va chercher le pain frais à l’aube et prépare le petit-déjeuner. Bernard est grand. Pendant que Philippe et Hervé badent sous des prétextes futiles, Bernard récure le bateau, nettoie les salissures d’une semaine de mer, il lave les ponts, frotte les cuivres, astique chaque recoin, récure les culottes de son capitaine et les tee-shirts du maître-queue, Bernard est très grand et altruiste.

Le voilier reluit comme un sou neuf, Bernard est un esclave moderne. Grâce à son action efficace et à sa force brutale, il attire les regards des touristes et surtout des jeunes et belles femmes qui cherchent l’aventure sur des quais de fortune, dans les bras robustes de marins boucanés aux vents du grand large. Bernard est si beau à la coupée de son fier destrier des océans.

Notre coursier au repos avant la grande traversée.

Hervé concocte, avec l’espadon, un plat que nous décidons de partager avec les équipiers du Lady Jane qui nous invitent à boire l’apéro. Sans aucun doute, veulent-ils percer les mystères de cet équipage hors norme que nous formons, de cette osmose qui lie comme les doigts d’une main, les gardiens du Romulus, les cerbères de la Méditerranée. Ils en seront pour leurs frais mais nous sortirons de leur pompeux catamaran, ivres comme des marins en bordée dans un bordel de Tanger.

Qu’à cela ne tienne. Une sieste réparatrice et nous repartons pour une visite de la cité lacustre de Carloforte, au milieu des badauds ebaudis. Nous sommes si fiers, les indigènes nous contemplent éblouis, nous sommes à l’égal des dieux, mieux, Bernard est Dieu.

Nous achevons notre soirée avec force gelati et limoncello. L’angoisse commence à monter, une tension perceptible à la seule idée de la grande traversée vers les rivages de l’Orient qui nous attend pour le lendemain.

Que le monde est étrange sous ses latitudes extrêmes.

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