Les ilotes de l'intellect
Dans le monde tourmenté de l’université, les couches successives de réformes morts-nées, les coupes sombres dans les budgets, le vieillissement des équipes pédagogiques et l’absence de perspectives à moyen terme ont entraîné une vague de renoncement et de pertes de sens pour ce lieu qui est sensé formé notre élite.
Décréter que 80% d’une couche d’âge doit pouvoir intégrer une formation supérieure est un pari généreux et osé qui ne peut être tenu que si les structures s’adaptent à cette demande nouvelle, que si le phasage avec l’extérieur s’effectue, que si les corps de métiers et les privilèges obsolètes sont remis en cause et accouchent d’une dynamique de transformation au service de l’éducation.
Las ! Le modèle en vigueur ne peut évoluer sous la pression des corporatismes divers. Celui des enseignants accrochés à leurs horaires et à un rythme de renoncement d’investissement de leur pratique d’enseignement au profit tout au plus de leur démarche individuelle. Celui des étudiants, avec leur formation de base décapitée, jouant des peurs et de l’incapacité d’une administration à assumer sa mission et toujours prête au recul pour éviter
Le grossissement inconsidéré des effectifs a obligé à ouvrir une brèche dans la formation des cadres et de recruter à l’emporte pièce un corps de chargés de cours. C’est ce corps d’esclaves modernes que nous allons situer dans ce processus d’un grand bateau ivre qui a perdu son cap.
Si l’on analyse une section comme celle des arts du spectacle qui par essence fait la jonction avec le monde réel et ne peut exister que si elle est branchée sur la pratique, les chargés de cours représente plus de 50% des heures et les trois quart du personnel enseignants. Or ces chargés de cours rétribués sur des segments de 20 à 40 heures annuelles pour des montants frisant les 1000€ annuel ne peuvent enseigner que s’ils ont une activité principale, ce qui exonère l’université de toute couverture à l’exception de celle de la retraite.
A raison d’un cours par semaine de deux heures, sur des modules hybrides de 3 à 4 mois, ils sont livrés à des étudiants dont la plupart ont un niveau artistique proche du zéro, une formation de base débilitante (cf les fautes d’orthographe, l’incapacité absolue d’écrire et une difficulté à raisonner). Ils sont recrutés sans véritable examen de leurs capacités, il n’y a aucun suivi de leur enseignement…mais en même temps, ils sont totalement démunis devant une administration qui ne fait aucun cas de leur rôle et refuse de considérer la nécessité de les encadrer dans leurs droits et leurs devoirs. Ils sont devenus des pions corvéables à merci, que l’on sous-paye (ce qu’ils tolèrent soit à cause de la précarité générale et au complément de ressources que représente ce mini-salaire, soit en raison de la réelle image valorisante qui est encore attachée à cette fonction), qui occupent les heures en bouche-trous des enseignants, qui ne peuvent que constater les difficultés de la machine universitaire à former des cadres pour la société civile !
Pire ! L’administration, au moindre problème, a la consigne de « donner raison à l’étudiant », seule façon de se protéger de remous des associations estudiantines, d’autant plus virulentes qu’elles ne représentent qu’une frange toujours plus réduite des étudiants. Le chargé de cours devient ainsi le bouc émissaire de toutes les failles d’un système qui a érigé le renoncement en dogme, qui a réduit ses objectifs à la plus simple expression d’une absence de contestation et d’évaluation de ses objectifs.
Il reste des professeurs permanents qui a tour de rôle s’engagent et maintiennent l’illusion d’un dynamisme, démunis de tout et surtout d’un sens de réalité qui leur fait percevoir le monde extérieur à l’aune de ce prisme déformant d’une université repliée sur elle-même.
Prenons l’exemple de ce stage en entreprise (trois semaines) obligatoire au niveau de
Pauvre université à la recherche de son temps perdu, de son lustre passé et qui perd son âme de ne plus avoir de capitaine quand les politiques sont incapables de donner du sens à ce qui en a tant besoin.
Pauvres chargés de cours, qui sont les cache-sexes de l’incurie générale, sans qui l’université ne pourrait fonctionner, constitués en un corps de métier au rabais qui s’est créé pour répondre aux besoins mais qui n’ont d’autres perspectives que de colmater des brèches béantes condamnant les étudiantes et les étudiantes à sortir de l’université en étant désormais totalement inadaptés au monde des études comme à celui du travail !