La glorieuse incertitude de l'art
L'industrie culturelle, forme ultime du rapport de l'art à l'économique, n'est pas un monstre froid paré de tous les vices dont l'art se libèrerait d'être déconnecté de son temps et de ses règles. Cette vision mécanique est à bannir même si l'on peut regretter que trop souvent des chefs de produits remplacent les directeurs artistiques au sein des quelques firmes qui se partagent désormais le marché de l'art vivant. Elle est aussi le produit de notre logique, d'un monde que nous avons créé, des règles que nous nous sommes données pour architecturer l'économie de l'art. A nous d'en repérer les failles afin d'introduire dans cet univers de la rentabilité, la notion du long terme en opposition d'un profit à court terme.
Pour l'industrie culturelle née sur l'expansionnisme de deux catégories de consommateurs dans les dernières décennies, les jeunes de moins de 25 ans et les ménagères de plus de 50, le problème est de placer sur des parts de marché, des offres qui se combinent et assurent un taux de pénétration maximum. Si la ménagère a des désirs mesurables d’une grande stabilité que l'on peut approcher par des enquêtes, il n'en est pas de même pour la jeunesse. Inventant le monde au jour le jour, déconnectés de la réalité, les adolescents et leurs grands frères détiennent des moyens conséquents prêts à être engloutis dans les concerts, au cinéma, dans l’achat de matériel audiovisuel... Ils introduisent toutefois un facteur aléatoire, une prise de risque inhérente en corollaire à leur aptitude au zapping, aux modes de consommation, à l’effet kleenex qui brûle aujourd’hui ce que l’on a encensé hier. Ils sont la grande inconnue des équations économiques dans les firmes capitalistes qui tentent de dompter le marché… même si leur absence de défenses permet une captation par l’effet mode entretenu par le levier pub.
Le succès d'une "Star Academy" provient de la conjugaison du désir des jeunes, assimilation au statut de star/miroir (la réussite sans l’effort !) et de celui de la ménagère, le revival reflet de sa jeunesse passée et de ses émois d’antan. Il génère des profits colossaux, engrangeant sur le dos du consommateur mais aussi de l’artiste (confère son statut et les contrats signés à la sélection qui le dépossèdent de tous ses droits) des sommes astronomiques que le promoteur heureux détourne dans son escarcelle, inversant le rapport traditionnel entre l’artiste et son producteur. On connaît le nom de Gérard Louvain, le deus ex-machina de la « star’ac », qui se rappelle encore les prénoms des premières lauréats de l’Academy, version An 01.
Il est significatif par ailleurs que les artistes issus de cette télévision n’aient plus de noms mais soient revêtus de prénoms, comme s’il était inutile de les affubler d’un véritable patronyme puisqu’ils sont destinés à rejoindre l’ombre dont on les a extraits, dès la fin de leur épopée, dès que les sunlights s’éteignent… même et surtout si une poignée survit à la fuite du temps et obtient un succès de circonstance.
L'échec d'un certain nombre de comédies musicales, après les triomphes de "Notre-Dame de Paris" et "Roméo et Juliette" démontre pourtant que la cause n'est jamais gagnée d'avance pour ces capitaines d’une industrie culturelle florissante et que, quels que soient les moyens investis et le niveau de compétence des managers, il reste une part non maîtrisable dans le montage d'une opération artistique, cette « glorieuse incertitude de l’art » qui nous laisse espérer que la mécanique des flux de l’argent de la culture ne sera jamais un long fleuve tranquille et viendra toujours perturber la règle du jeu qu’ils tentent d’imposer.
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