Une journée (bien) ordinaire
Festival du Film (2)
Réveil à 7 heures. La tête dans le sac. La conjugaison du film coréen, Thirst, ceci est mon sang, une histoire de curé qui devient vampire et bondit comme un cabri en patinant dans la semoule imbibée du sang de ses victimes et du film chinois, Nuit d’ivresses printanière, où les acteurs passent leur temps à se sodomiser dans les couleurs crues de néons chargés de rappeler que la Chine est aussi un pays moderne, m’avaient quelque peu assommé pour ce lancement du Festival 2009 !
Une douche, la moto (650 bandit Suzuki), badge en oriflamme et par l’entrée des artistes, petit privilège d’un directeur, je pénètre dans la salle obscure en attendant que l’écran s’illumine pour mon premier film de la journée.
8h30 Vengeance. Johnnie To. Chine. (Compétition) Palais des Festivals.
Je m’installe dans un des fauteuils rouge de la grande salle pour les presque 2 heures d’un show réunissant les 2 Johnny (le To et le Halliday). Dur, dur… lunettes noires optic 2000 comme les flingues dégainés dans la nuit sombre, histoire ridicule sombrant dans le n’importe quoi, violence et vengeance, (mémorable réplique de Johnny devenu amnésique à cause d’une balle qui se promène dans son cerveau « -C’est quoi la vengeance !»). Notre héros national joue vraiment comme une chaussette et le réalisateur ne l’aide pas beaucoup…pourquoi n’est-ce pas Delon qui a eu le rôle ? Bof !
11h. Polotist, Adjectiv. Corneliu Porumboiu. Roumanie. (Un certain Regard) Salle de la Licorne.
Une enquête sur un jeune qui se défonce au H dénoncé par son ami. Le policier doute car il subodore que le corbeau veut en fait sortir
avec la petite amie de l’autre. Un chef obtus va lancer la machine policière et briser la vie du jeune. Film intéressant, un peu lent dans sa première partie qui pose le problème de la frontière
des délits et de la culture de la dénonciation et des « balances ».
Petit détour par mon jardin, sous le soleil, juste en face de la salle de projection. Une bande l’occupe. Je dénombre, un Allemand (Hartmut, fidèle complice qui fait son festival depuis une dizaine d’années chez nous), 3 Corses, mes 2 enfants, 2 de leurs amis de Paris, deux Avignonnais plus leur progéniture et son copain… soit 14 personnes attablées en train de manger et de boire quelques unes de mes excellentes bouteilles sous la tonnelle.
Après une dinette rapidement ingérée, les trois quarts des présents se lèvent pour filer au cinéma.
14H. Lost persons area. Caroline Strubbe. Belgique. (Semaine de la critique) Salle de la Licorne.
Dans un chantier improbable avec des ouvriers hongrois, un couple et leur petite fille solitaire et solaire. Un accident et la vie d’une communauté d’hommes durs au labeur, l’amitié et l’amour. C’est lent et long (2h), ample, une première moitié qui chemine sinueusement pour terminer plus violemment. Un film étrange quelque peu envoûtant mais qui laisse sur sa fin (faim) !
Petite pause d’une heure. Détente avec une partie de cartes (le rami corse) en compagnie de mon fils, Julien (redoutable aux cartes, même contre son père !) et de Christian, le beau-frère corse. Je perds mes 2€ de mise.
17h. Neuilly…sa mère ! Gabriel Laferrière. France. Ecran Junior. Salle de la Licorne.
Un petit bijou. Enfin du rire, de la rapidité, des répliques qui fusent ! Comédie sur un petit beur d’une cité de Chalon transplanté chez sa tante (sublimissime Rachida Brakni !) à Neuilly, coincé dans une famille de « bourges » où le fils rêve d’un destin présidentiel, la fille épouse toutes les révoltes, et lui obligé de terminer la saison scolaire dans un collège privé ! Une bouffée d’air frais. Le cinéma sert aussi à se détendre intelligemment, il n'y a pas de honte à prendre son plaisir !
19h. Samson et Delilah. Australie. Warwick Thornton. (Un certain Regard) Salle de la Licorne.
Dans le bush Australien, deux adolescents aborigènes vont tisser leur destin, affronter l’exil à la ville, se retrouver brutalement plongés dans l’horreur (viol, drogue) et partiront se reconstruire sur leur terre natale en apaisant leur colère. Une belle histoire d’amour sans amour, une errance terrible. C’est d’une lenteur inutile dans la première partie mais tout le final accroche. Derrière les images du miracle de la modernité australienne, il y a l’expropriation et le vide de l’espoir des jeunes natifs. Le dénuement est absolu tant dans la réalité que dans l’imaginaire. Un beau film dérangeant parfois un peu pesant !
21h Un prophète. Jacques Audiard France. (Compétition). Salle de la Licorne
Plongée dans l’univers carcéral des « grands », un jeune sauvageon va faire l’apprentissage de la survie à l’école des truands pour devenir un loup. La mafia des Corses qui tiennent le pouvoir, les « barbus » qui se structurent, chacun cherche sa place entre ses murs trop hauts et tente de survivre. La frontière entre le maton et le prisonnier est ténue, comme le fil qui retient à la réalité. Malik va trouver sa place, devenir un prophète, aidé par les apparitions du premier meurtre sur commande des corses venant le hanter avec récurrence. Son habileté et sa rage de survivre vont lui permettre de s’affranchir de toutes les règles et quand il sortira enfin, il sera prêt à devenir le caïd redouté, celui que plus rien n’arrêtera ! 2h30 terrible, haletante, dénonciation froide et sans concession d’une machine carcérale faite pour forger l’horreur. La cruauté affleure sans arrêt, révélatrice de la capacité d’adaptation de l’individu. Grandir ou mourir, Malik a choisi ! Superbes compositions d’acteurs, filmage au plus proche, coulé dans le moule sans espace de murs froids, une belle façon de terminer cette journée cinéma avec un film qui devrait se retrouver au Palmarès. Tentons le pari : Prix Spécial du Jury !
Voilà donc l’heure d’aller se coucher. Demain matin, 8h30, j’ai rendez-vous avec Ken Loach et Eric Cantona (« -I am not a man, i am Eric Cantona !) …En attendant, cette journée de cinéma m’aura permis de visionner 6 films pour 11h30 de pellicule, 2 en compétition, et 4 de sections différentes, de ne pas m’assoupir une minute malgré la lenteur évidente de 3 œuvres, de découvrir des horizons perdus, quelques jets de sang ne dissimuleront pas la beauté de sentiments et la grandeur de la peine d’hommes de bonnes volontés…C’est le 7ème Art, celui que j’aime !