A l'heure du palmarès...
Festival du Film (3)
32 films visionnés. 15 de la compétition officielle, 6 d’Un Certain Regard, 4 de la Quinzaine des Réalisateurs et les autres répartis entre la Semaine de la Critique, le Cinéma des Antipodes et des séances spéciales.
Globalement cela représente environ plus de 55 heures de films auxquelles il faut rajouter mon travail de directeur de l’évènementiel (en version light !), des rencontres et réunions à entretenir avec des relations du cinéma ou du spectacle… et 16 personnes à la maison en train de dormir, de ripailler et d’ingérer des films à haute dose en se croisant dans une joyeuse panique pour des commentaires enflammés dans le jardin, sous les bananiers, à l’heure où blanchit la campagne !
En contrepoint, on peut, pour l’anecdote, dénombrer 18 parties de rami corse et 12 de dominos entre les séances, qui m’ont rapporté la modique somme de 32,75 € et l’ingestion d’un nombre incalculable de mes bonnes bouteilles (ils avaient trouvé la cachette !).
Et le cinéma dans tout cela ?
Disons-le un fois pour toute : c’était un grand crû, une année d’exception, peu de nectar bouchonné, je ne suis sorti qu’une fois de la salle. En corollaire, cela veut dire, énormément de bonnes surprises, des films intelligents qui font honneur au 7ème Art, des problématiques fortes avec des réflexions pertinentes, des mises en scène fortes, un jeu d’acteurs brillant et surtout des scénarii très riches. Vive le cinéma donc et en avant pour une petite revue de circonstance !
Dans la compétition.
Les déceptions proviennent essentiellement de l’Asie (Johnnie To avec Johnny premier), Lou Ye (Nuit d’Ivresse Printanière) et Park Chan-Wook (Thirst, ceci est mon sang…). Pour le reste, même s’il fallait parfois s’accrocher, la compétition offrait de belles opportunités pour un cinéphile prêt à franchir la ligne d’horizon des deux heures de projection.
Les « panzers divisions » annoncés ont été quelque peu en retraits ( Almodovar et Tarentino) dont leurs ultimes opus, tout en restant fort intéressants, ne sont pas au top de leur filmographie. Trop Almodovarien (l’intégralité de son alphabet y passe !) pour Les Etreintes Brisées qui semble un collage de tout ce qui a constitué son fond de commerce et porte l’handicap de s’exposer comme sa propre marque, où trop Tarentinesque pour Inglorious Bastards avec un Brad P qui en fait à la pelle et le sentiment d’un moteur patinant dans la choucroute allemande pour cette sombre variation d’une guerre à la guerre qui assume son ignominie en perdant un peu de son énergie débridée…
Une des grandes satisfactions de ce festival provient du contingent français (cocorico !). A l’Origine de Xavier Giannoli est un excellent film social bourré de bons sentiments. Cluzet y est remarquable dans le rôle de ce petit arnaqueur piégé à son propre jeu et qui devient le sauveur d’une région contre le système économique des groupes financiers et industriels qui dépossèdent les habitants de leur travail et de leur fierté. C’est Zorro contre les grands décideurs d’une économie qui oublie la réalité de la vie des individus. Applaudissements nourris dans la salle en résonance à cette période troublée.
Dans un tout autre registre, Gaspar Noé avec sa caméra épileptique de Soudain le Vide nous entraîne dans les abysses d’une ténébreuse histoire où la mort n’est qu’une étape vers la réincarnation. Un petit dealer amoureux de sa sœur meurt d’une balle et, prenant de la hauteur, va tenter de revenir se nicher auprès d’elle (en elle plus exactement !). C’est frénétique, parfois redondant, trop sophistiqué comme si le réalisateur ne pouvait se cadrer et dompter toute sa puissance créatrice… mais c’est aussi une véritable performance, avec des images qui alternent le réalisme et le travail graphique, des effets surprenants sur la lumière et les mouvement de caméras. On peut garantir les discussions indispensables au final pour tenter de le décrypter ! Un prix spécial du jury serait une récompense logique pour ce travail d’extraterrestre !
Reste le bijou d’Un Prophète de Jacques Audiard. Un prix assurément, l’interprétation par exemple pour Tahar Rahim ou pour la mise en scène qui fait reculer les limites de ces murs dans lequel notre petit malfrat va survivre avant de pouvoir s’épanouir en devenant un caïd formé à l’école des meilleurs truands.
Quand au Resnais, je ne l’ai malheureusement pas vu.
Formidable coup de cœur pour Ken Loach (Looking for Eric) qui non seulement assume son statut mais nous délivre un de ses plus beaux films. Entre la comédie sociale et la comédie tout court, dans une histoire découpée au cordeau où rien n’est en trop, des acteurs remarquables renvoient de la réalité vers le rêve et nous permettent de mieux lire le monde des petits, ces supporters de Manchester qui n’ont même plus l’argent pour aller au stade malgré leurs salaires de postier et se contentent de regarder le match à la télévision, au bar, tous ensemble. C’est bourré d’humanité, de fraternité…de bons et généreux sentiments, de tranches de vie agrémentées d’un inénarrable Eric Cantona qui se révèle grand acteur. Et comme le film se termine bien, en plus, et qu’il reconquiert le cœur de sa belle… Il sera au palmarès, c’est sûr !
Il faut citer Jane Campion égale à elle-même dans un film à costumes et à beaux sentiments, Andrea Arnold (Fish Tank), nerveux et poignant sur une adolescente en rupture, Elia Suleiman (The Time that remains), israélo-palestinien qui oscille entre Buster Keaton et Tati et délivre sa vision de l’histoire de son peuple à travers les vies de son père et de sa mère et un Bellocchio (Vincere) sur la maîtresse et le fils de Benito Mussolini. L’histoire officielle devra gommer leur existence afin de préserver l’homme d’état. La passion d’Ida ne pourra résister au pouvoir de son amant qui n’aura de cesse d’empêcher le scandale de surgir quitte à nier ces deux vies.
Reste les deux bijoux d’une sélection très riche. Sur ce que je pense d’Antichrist de Lars Von Trier vous pouvez vous reporter aux articles précédents. Michael Haneke compose Le Ruban Blanc comme une œuvre naturaliste toute en douceur, sans donner les clefs d’une histoire complexe qui doit trouver son sens chez le spectateur. Divers incidents surviennent dans un village rural type du début du XXème siècle et le film se termine en 1914, au début de la grande guerre. Ces dérèglements de la vie affectent tous les piliers de l’ordre social (un médecin, le baron propriétaire des terres et le pasteur de la communauté). Ils sont contés par le survivant, un instituteur, en voix off. Chacun de ces tenants de l’ordre social est gangrené de l’intérieur (le médecin est incestueux, la Baron un pantin cocu, le pasteur un tyran possédé par la hantise du mal). Même si cela n’est pas affirmé, les enfants du village sont les « damnés » responsables de ces incidents. Porteurs des vices des parents, ils préfigurent l’effondrement de toutes les valeurs et l’entrée dans la première guerre qui débouchera sur le nazisme. C’est magistral, jamais didactique, un film intelligent qui pose les problèmes sans répondre aux questions, qui ouvre les perspectives d’une lecture de la société allemande en train d’exploser. De l’infiniment petit à l’holocauste, il n’y avait qu’une lente érosion d’un monde en train de muter sans se prémunir contre ses propres démons. Malgré une certaine lenteur inutile, c’est du grand Haneke, et pour moi, la Palme d’Or naturelle d’une sélection extrêmement riche.
Les autres sélections.
En plus des films cités dans l’article précédent, deux bijoux terrifiant de violence intérieure. Daniel y Anna du Mexicain Michel Franco, s’appuie sur un fait réel. Le développement de la pornographie sur Internet pousse des gangsters à organiser des enlèvements de couples issues d’une même famille et à filmer leurs ébats sous la menace. Au Mexique, un frère et une sœur d’une famille aisée sont contraints à l’inceste. Libérés, ils vont tenter de survivre à ce cauchemar en taisant ce qui leur est arrivé. La sœur aînée, mieux armée, grâce à une psychologue, pourra dépasser ce drame. Le frère adolescent, qui n’avait jamais fait l’amour et ne possède pas encore les clefs de la parole, plongera dans une dépression, dans un cycle pervers où tout devient absurde. Sans aucun voyeurisme, sans jamais s’exposer à utiliser le matériau brut de scènes atroces, le réalisateur fait ressentir l’horreur absolue de cette transgression ultime. C’est un film sur la violence qui ne montre pas la violence, il la fait exister à l’intérieur de chaque spectateur transformé en victime !
Une vie toute neuve de Lee Chang Dong sur un scénario de Oumie Lecomte (une Franco-Coréenne) montre la vie d’une petite fille brutalement abandonnée par son père dans un orphelinat catholique en Corée. Elle va l’attendre, persuadée de son retour…C’est poignant, déchirant, un conte sur l’abandon, autobiographique (on voit l’arrivée à Paris de la petite qui a été adoptée par des français !) mais sans pathos. Plusieurs histoires se croisent qui tissent entre ces enfants du désespoir, l’écheveau d’une humanité blessée. Un concurrent sérieux pour la caméra d’or !
Beaucoup d’émotions avec The Silent Army, du Néerlandais Jean Van de Velde, sur les enfants embrigadés dans l’armée et qui apprennent à devenir des bourreaux au prix de leur vie, jouets d’adultes à la conquête du pouvoir dans une géopolitique où les occidentaux sont à l’origine des maux et avivent les tensions en leur vendant des armes.
Reste une bonne comédie, Les Beaux Gosses, où l’art de se masturber sans que cela soit dramatique, (bien au contraire !), et qui campe une joyeuse bande d’adolescents perturbés par la « chose » dans un collège bien de chez nous et un magnifique film de Denis Dercourt avec Vincent Pérez et Jérémie Renier, Demain dès l’Aube, confirmant la bonne qualité des films Français. Un pianiste célèbre, mal dans son couple, réintègre la maison de sa mère en phase terminale du cancer. Son frère passionné de jeux de rôle l’entraîne dans son univers des armées napoléoniennes. Bientôt, les frontières entre le présent et le passé vont s’effacer...Un drame magnifiquement filmé qui tient en haleine le public jusqu’à un dénouement particulièrement surprenant !
Voilà, beaucoup de films cités, mais aussi beaucoup de passion pour cette décade de tous les films, lucarne ouverte vers le monde extérieur. Des thèmes surnages (l’inceste cette année tenait la corde !), des techniques se ressemblent provenant de tous les continents (utilisation du bruitage en fond sonore), des scénarii, des cadrages, des couleurs…et toujours cette passion intacte des cinéphiles sans âge, ceux qui vont de salle en salle, de film en film, afin d’épuiser leur soif de découvertes et qui pensent que le temps peut s’arrêter de défiler à 24 images seconde.
Je vous ai donné mes impressions, quelques minutes seulement avant le Palmarès. C’était un pari sur leur intelligence. Rendez-vous devant l’écran de télévision pour voir la remise de la Palme d’Or à Haneke et le prix spécial du Jury à Lars Von Trier avec un Ken Loach heureux de son prix du jury ! Non, mais !