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Carnet de bord de Séville

Publié le par Bernard Oheix

Une orgie de spectacles.


Nice le 19 octobre. Acropolis. Stomp. 8 jeunes, filles et garçons, de toutes les couleurs, anglo-saxons dans un décor de bric et de broc, amoncellement de pots, couvercles, tubes et autres surfaces sur lesquelles un être normalement constitué peut taper à s'en déboîter l'épaule. Ils ne vont pas s'en priver dans cette messe du temps présent (notez le glissement sémantique induit par le passage du pour au du !). Symphonie de boîtes d'allumettes, de balais et de bidets plein d'eau. Crissement de papiers et gonflement de sacs en plastique ! Tout y passe, accompagné d'un humour décalé « so british », airs lunaires et airs enchanteurs. On rit, on se divertit, on aime et aspire à retrouver nos chers ustensiles de cuisine afin de copier les acteurs qui s'éclatent en laissant libre cours à notre imagination. Public jeune et connaisseur, issu du bouche-à-oreille, qu'une maigre présence publicitaire semble ne pas justifier. C'est la magie du spectacle, le cauchemar des programmateurs... trouver l'objet indéfinissable qui se vend tout seul ! Stomp n'a besoin de personne, si peu des médias. C'est une cérémonie à laquelle on convoque ses amis et le public croît en cercles concentriques ! Mystère de l'alchimie moderne.

Aucune surprise le 22 octobre dans la loge rouge et or de l'opéra qui nous abrite. La Norma de Bellini. Cela faisait un bon bout de chemin que je n'avais plus vu d'opéra, un vrai dans un vrai ! Le dernier c'était Aïda, en 19... C'est toujours aussi kitch, délicieusement rétro. Les vieilles dames n'ont pas pris une ride sur leur visage parcheminé et les beaux habits sont toujours de circonstance, indémodable mode ! Quand la cantatrice se glisse dans le halo de lumière, sa tiare ridicule surplombant son visage poupin, son corps imposant de dame première et d'amoureuse drapé dans un rideau azur, on craint le pire. C'est le pire, envie de rire et de se gausser. Sauf que la bouche d'Alessandra Rezza s'ouvre si grande, si béante, et que de cette poitrine plantureuse, vont naître des trilles magiques, des roucoulades incroyables, des airs majestueux qui vous emportent dans un éther indicible. Puis-je avouer mes yeux humides dans l'extraordinaire air de la « casta diva », dans le duo invraisemblable de la Norma et d'Adalgisa du dernier acte. Moi, l'opéra, j'aime, envers et contre tout, parce que cet art rococo vous parle directement au coeur sans passer par la case cerveau, évoque l'artifice absolu, celui qui devient magique de créer par le vide, d'être porté par le souffle du vent ! Du kitch, mais du vrai !

24 octobre. Paris. Une rencontre qui s'annonce explosive. Pierre Palmade et Pierre Richard, les deux Pierre et fils, dans une comédie écrite sur mesure par Palmade himself et Christophe Duthuron. J'avais accueilli en janvier dernier, le grand blond dans son one man show, Détournement de Mémoire, un bijou d'émotions qui permettait à Pierre Richard de se pencher sur son personnage lunaire avec humour, tendresse et intelligence. Patatras. L'addition de deux talents n'est pas forcément synonyme d'une augmentation de la qualité même si elle implique une hausse conséquente du cachet des artistes. Scènes convenues cousues de fil blanc, un père marginal et un fil cadre, l'homosexualité dans sa variante bi et la vie sociale, le travail et le loisir, la séquence en voiture, tout y passe pour s'écrouler à bout de souffle après une heure et demie de souffrance ! Pitié les Pierre, n'amassez pas la mousse !

Round de Séville. Le Womex. Du 26 au 29 octobre.
La Babel de la musique du monde, celle qui campe à l'orée du showbiz pour irriguer les champs fertiles de la créativité. Racines des musiques de l'Afrique et de l'Asie, melting-pot fabuleux, richesse des croisements et de la mixité entre l'ancien et le moderne, l'électrique et l'éclectique, le barde songeur et l?univers rugissant de la contre-culture. C'est cela le Womex, dans une ville magique. Des rencontres où les rêves s'égrènent comme des perles sertissant un collier d'espoirs. Séville, c'est l'avenida de la constitution, la cathédrale de la plazza Vittoria de los Reyes, érigée pour défier le temps, les ruelles aux maisons fraîchement repeintes avec des balcons surplombant les passants, des couleurs chaudes et des arbres et parcs qui noient les immeubles bas, le Guadalquivir qui serpente dans la ville au long du paseo de Cristobal. De l'espace et toujours ces bars à tapas autour de l'Arènas, où l'on grignote en buvant du vino tinto, en parlant jusqu'au bout de la nuit des affaires du monde. Séville est une beauté ibère qui se dérobe en permanence et qui possède la fierté d'un peuple conquérant, des traces de son passé comme un rappel vivant de sa noblesse orgueilleuse.
Et des spectacles à n'en plus finir, dans le bruit et la fureur du Palais des Congrès et, il faut bien le dire, les approximations (c'est un comble !) d'une accoustique qui ne fait pas honneur à la musique.
Quelques perles glanées entre les soirées arrosées et les négociations de comptoirs. Des projets futurs qui naîtront sans doute au moment propice, et la réalité du présent qui nous accroche, les amis et les relations d'un jour, quand tout est possible, même l'espoir.
The shin/project « EgAri » vient de Géorgie. Coup de coeur et coup de maître. Entre le trad. et le moderne, sur des chants géorgiens, les musiciens se fondent dans un univers chatoyant. C'est beau et touche à l'essentiel. La musique s'évade, oscillant entre la force et la finesse, ponctuée par les voix de deux chanteurs instrumentistes. Un danseur intervient par intermittence, hiératique, les bras en croix, il tourne et syncope la musique. Etrange cet univers macho où la danse est l'apanage de l'homme, le reflet de sa virilité et de codes d'honneur, si loin de notre conception occidentale plutôt efféminée.
Orange Blossom, entre l'Orient et l'Occident, est un groupe qui monte. Ils tiennent la scène, une chanteuse à la voix chaude surfe sur des complaintes envoutantes. Elle crée un contraste entre l'énergie de la rythmique et la sonorité arabisante des instruments. C'est beau, étrange et dynamique, vous en entendrez parler ! Ils occupent un créneau original, synthèse idéale entre un rock nerveux universel et les mélopées orientales. La chanteuse va se balader entre ces deux univers et donner le tempo d'un concert où les portes de la perception s'ouvrent sur l'ailleurs.


Darko Rundek et Cargo Orchestra est un mixte entre la Croatie et la France, porté par un chanteur Croate, un ensemble « balkan » qui introduit une vraie poésie dans cette musique efficace porté sur la fête. On pense aux films de Kusturica, à Goran Brégovic, aux tsiganes des Carpates. Univers étrange, oscillant entre le rythme pur, vagues montant à l'assaut pour cristalliser la passion en d'étranges compositions qui font références à la nature, à la sérénité, à l'amitié et à l'amour. C'est mon coup de coeur avec les Géorgiens, vous les verrez sans aucun doute du côté de Cannes, un jour prochain.
Tcheka vient du Cap-Vert, une partie de son équipe est portugaise. Il a une voix chaude, des textes superbes en plusieurs langues. Son batteur officie avec des balais sur une caisse métallique produisant des roulements fins et puissants. Guitare et basse l'accompagnent. Il est le renouveau de cette filière Cap-Verdienne si riche qui produit des pépites. Pourquoi certaines régions de notre planète croulent sous les groupes, accouchent de tous les talents musicaux pendant que d'autres peinent à imposer leurs rythmes. Mystère que les Balkans, la Corse, Le Cap-Vert, l'Afrique noire (le Sénégal, le Mali, la Guinée...) ne veulent pas dévoiler mais qui nous séduit à chaque plongée dans leur monde de sons si parfaits !
Beaucoup d'autres groupes aussi, pas toujours géniaux, mais acharnés à conquérir la planète des sons. On les reverra demain, ailleurs, dans d'autres formations et projets avant de toucher à la grâce et à la perfection de ceux qui ont trouvé la voie intérieure !

Come back to Séville et au passage, le lundi 30 octobre, Paris, les Chevaliers du Fiel dans L'Assassin est dans la salle. Enfin du rire, du vrai. Sur une trame classique, un meurtre dans le théâtre « Rive gauche », deux policiers du petit « Nicolas » vont mener l'enquête, chercher le coupable sensé assister au spectacle et en profiter pour mettre à feu et à sang toutes les conventions et les tares de notre société. Regards absurdes par le petit bout de la lorgnette où rien ne trouve grâce. C'est sans prétention, un feu roulant de non-sens où l'absurde côtoie le présent, où les victimes choisies parmi le public sont consentantes et acceptent les règles d'un jeu jamais cruel mais toujours iconoclaste. Rendez-vous en 2007/2008 dans la saison de Cannes, vos zygomatiques me remercieront.

Voilà donc le périple « culturello-touristique » de mes deux dernières semaines. Quelques photos l'agrémentent. Si elles vous font rêver, tant mieux. Sinon, rendez-vous au paradis des artistes, celui de la note pure et du geste parfait. Ils sont aussi un moyen de mieux comprendre le monde et de s'évader du présent.

PS : Merci à ceux qui m'ont accompagné pendant ces spectacles et supporté pendant ces deux semaines. Thérèse, Angéla et Julien O. Bertrand D. Yves A. Annie R. Adriana D. Jean-Paul B. Anna B. Sabine G. Sylvain C. Magali L. Virginie B... et tous les autres, ceux pour qui un simple regard vaut un passeport vers l'amitié !


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