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Père Noël (1)

Publié le par Bernard Oheix

Souvenirs, souvenirs... En 1981, J'étais directeur à la MJC de Bourg en Bresse pour mon premier vrai travail après 10 années d'études. Il y avait trois quotidiens et un hebdo dans une ville de 40 000 habitants perdue entre les étangs de la Dombe et les plaines de la Bresse. Deux déserts de volailles et de génisses laitières. Le journal local du Courrier de l'Ain par l'entremise de son directeur PDG, chroniqueur, livreur et animateur, (c'était la fin de l'âge d'or, quand les gens achetaient encore un journal qui était fabriqué par des journalistes aimant leur métier) me proposa d'écrire une nouvelle pour le jour de Noël. Banco. Le texte parut à la Une du journal du 25 décembre 1981. Il eut un certain retentissement dans la ville (n'exagérons pas quand même, ce ne fut pas la révolution espérée !!). Dans le climat ambiant burgien, il possédait manifestement des vapeurs iconoclastes qui remuèrent nos bons bourgeois de cette cité alanguie par des années de conformisme. C'était le but recherché ! S'ensuivirent des années de collaboration épistolaire et quelques textes à venir pour mon plaisir et le vôtre... je l'espère ! 

Le Père Noël a un bouton sur le nez

Il pleuvait, ou neigeait, bruinait, glaçait, ventait. Un temps de réveillon pour Père Noël. Ses grosses chaussures s'enfonçaient dans la boue et la pluie glissait le long de sa chevelure grisâtre, gouttant entre son cou et le col de sa chemise, l'imbibant d'une moisissure froide.
« Un petit Cognac me ferait du bien, pensa-t-il. La nuit allait être interminable. La nuit sans étoiles, à se faufiler dans des millions de foyers, par le toit, le radiateur, les ventilateurs et lucarnes de toutes sortes.
Une nuit épuisante à visiter les maisons, une par une, avec ses deux hottes, toujours aussi lourdes pour ses vieilles jambes variqueuses qui, depuis des millions d'années, s'escrimaient à le porter.
Des larmes perlaient de ses yeux et suivaient les étranges contours des cicatrices qui marbraient son visage. Deux abcès avaient percé sur sa joue, et le dernier chicot de sa gueule noirâtre branlait sérieusement, menaçant de tomber en le condamnant à la purée... ou plutôt à la mousseline.
Toutes ses articulations n'étaient que douleurs, brûlures et ganglions. Quelques bubons avaient paralysé son bras gauche et une hernie discale l'immobilisait à moitié.
Quant à la tachycardie, elle emballait son coeur au rythme des la maladie de Parkinson et des quelques crises d'épilepsie qui parsemaient sa longue nuit.
Des centaines de Noël, des milliers d'heures à marcher et à monter, descendre, ramper, pour atteindre le coeur de la maison, de la hutte, de la grotte ou de la paillotte.
Et à chaque fois, les mêmes gestes. Prendre des jouets de sa hotte dorsale, les déposer devant les chaussures (avec ses tremblements, plus question de les enfiler dedans), ramasser les péchés de toute l'année, les glisser dans sa hotte ventrale.
Action répugnante s'il en est. Ces péchés froids, gluants, puant le rance et la rancoeur, la mauvaise humeur, la colère, les coups et les cris, ces fautes accumulées pendant 364 jours et qu'il fallait solder la nuit de Noël !
La nuit de l'horreur, oui !
Le Père Noël, on le montre sans hotte ou de dos... mais jamais de face ou de profil. On verrait alors ce que lui même refuse de regarder, ce qu'il sent grouiller contre son ventre, ce qui le mine et l'use : tous les péchés de chaque foyer de cette terre maudite, tous les péchés qu'il faut bien liquider... Et qui fait le sale boulot ? Le gentil Papa Noël, bien sûr ! Et qui est-ce qui trinque ? Le Père Noël, naturellement...
Tenez, par exemple, au B2 du 94 de la rue de l'Ane Rouge de notre ville. Quatorze foyers seulement pour un meurtre, deux viols, huit vols (dont quatre à main armée), un nombre incalculable de mensonges et tromperies (qu'il avait enfournés sans même les trier), des adultères en série, de la jalousie et de l'hypocrisie, de la petitesse... et caetera, et bla bla bla...pouët, pouët...
Non, ce n'est plus possible, se dit le Père Noël, en attaquant dans la foulée le B3 du même numéro de la même rue, toujours de notre ville.
Quand il arriva au 4ème étage, il eut la surprise de sentir quelqu'un s'approcher. Très étonné, (d'habitude les gens étaient trop saouls pour l'attendre), il chaussa ses lunettes triple foyer et regarda le petit bébé (six mois) ramper vers lui.
-Ô mon Père Noël, je t'attendais. Que tu es beau et gentil. J'espère que tu m'apportes des jouets magnifiques.
Le Père Noël faillit se laisser attendrir et caresser la petite tête bouclée. Un réflexe lui fit plonger les yeux dans ceux de l'adorable chérubin.
« Et merde ! » s'écria-t-il, en déchirant sa carte syndicale : le « génial-bébé-menteur-tricheur-flagorneur » était né, et le Père Noël renonça définitivement à apporter des jouets le 25 décembre. Les péchés s'accumulèrent alors dangereusement au fil des ans, plus personne ne les vidant au jour de Noël !
La suite, vous la connaissez, non ?
Goldorak qui appuya sur le bouton rouge pendant que le Père Noël défroqué se saoulait la gueule en enfer avec Lucifer.
Décidemment, quand il n'y a plus de Père Noël, il n'y a plus rien.
Plus rien du tout !

Bernard n'est pas le Père Noël... même si Sophie est une fée qui a croisé son chemin, il y a quelques siècles. La Belle et la Bête de la culture cannoise !

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