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Crime de lèse-Godardisme assumé !

Publié le par Bernard Oheix

 

Pour une génération de soixante-huitards dont je suis, il y a d’innombrables figures tutélaires qui parsèment ce long cheminement de l’acquisition d’une conscience politique et d’une culture universelle se voulant embrasser tous les savoirs. De Wilhelm Reich à Kérouac, des Beatles aux leaders « maximos », de Lacan à Robbe-Grillet… Il y a aussi, les pères fondateurs, les dieux vivants, maîtres parmi les maîtres, que personne assurément ne pouvait toucher, au panthéon des esprits supérieurs, tel Jean-Paul Sartre, le philosophe écrivain engagé, Picasso, l’homme qui restitua la peinture au temps présent ou Jean-Luc Godard, le pape du Cinéma…Film socialisme arrive sur la Croisette, en 2010, quelques décennies après, âge et rides en plus, et il est l’heure des constats…

 

Que Jean-Luc Godard ait transformé le cinéma est un fait. De A bout de souffle à Pierrot le Fou, de Week-end au Mépris, de Deux ou trois choses que je sais d’elle à tous ses films qui dans les années soixante ont inventé une nouvelle façon de filmer, mieux, de penser (panser ?) le Cinéma. Une décade prodigieuse, une tornade respirant les vents de la création. J’étais donc Godardien parce qu’il ne pouvait en être autrement et que chacune de ses œuvres ouvrait les champs de l’impossible, une réflexion tendue entre le savoir et le connaître, entre le possible et l’improbable. La rupture violente de 68 consacrera son isolement dans une logique de contre-production. Il émergera de son utopie créatrice révolutionnaire, et sonnera le glas du temps de l’expérimentation pour entamer un lent chemin de croix vers sa propre glorification, vers l’institutionnalisation de tout ce magma tonifiant qui fondait sa légitimité. A parler de la marge pour investir le centre, il se retrouvera soudain, par l’usure du temps et l’érosion des utopies, à camper au centre du centre, comme l’histrion assumé d’un monde marchand qui avait bien besoin d’un fou du roi pour se régénérer en redéfinissant ses frontières.

Film socialisme est le dernier opus du Maître, sélectionné dans Un Certain Regard, il se devait d’apporter une réponse au temps qui fuit, ambition d’une somme esquissée à travers ses Leçons de cinéma, émergeant d’un silence que sa statue de commandeur imposait aux détracteurs. Tout tourne toujours autour de Godard, que pouvait-il alors nous offrir dans ce chant crépusculaire ?

Entre images sublimes (la mer et l’horizon) et trashs (les lieux de vie), des dialogues cachés par des bruits de fond, des citations parcellaires, des montages en opposition, des collages, du contrepoint, de la distanciation… tout le rituel de l’alphabet d’un cinéma à la Godard est développé sans aucune distance, comme si Godard jouait à être Jean-Luc, comme s’il n’y avait plus de marge entre ce qu’il dynamitait joyeusement et ce qu’il fabrique laborieusement, quête d’un sens caché, étalage de tics et de moments si convenus.

Dans ce prétexte, une croisière sur «Mare Nostrum» déclinant des villes portuaires charnières, plus rien n’a d’importance, que le vide créé par son torrent créatif. -L’imagination au pouvoir- déclinions-nous dans les années ferventes, mais à quelle fin désormais ? Pour perdre le sens du spectateur et la finalité d’un film ? Godard est ailleurs, dans un monde que lui seul reconnaît et peut mesurer, celui d’un alphabet figé qui lui ôte tout espoir de « dire » au détriment d’un « faire ». Et si certains d’entre nous, lui accordons toujours notre crédit, c’est parce qu’il continue d’être celui qui a embrassé pour l’éternité son rôle de bouffon d’une société marchande.

Pendant ce temps, la vie continue. Il restera toujours Le Mépris pour signifier que Jean-Luc Godard fut un des plus grands cinéastes du XXème siècle. Son œuvre restera immortelle même s’il lui faut abdiquer, désormais, tout espoir de se dépasser pour atteindre cette zone improbable où l’instinct vient au secours du génie pour composer une œuvre définitive !

Non, décidément, Film socialisme de Jean-Luc Godard est assurément ennuyeux, très ennuyeux !

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K
<br /> <br />   J'ai vu Film Socialisme ce soir au Mercury et effectivement la chronique de Bernard est trés juste....et le film effectivement malgré quelques éclairs, musicaux notamment et quelques<br /> superbes cadrages tourne désespérement à vide...Et quel dommage d'avoir Patti Smith dans son film et de l'utiliser seulement 10 secondes...JLG 2010 est devenu un vieil enfant gaté, finalement<br /> plus intérréssant à ecouter en vidéo sur Médiapart ou il mérite encore une oreille attentive que son cinéma , avec cet "essai" exsangue et autiste..<br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> <br /> Lu sur la Toile, une remarquable défense du film<br /> ...:<br /> <br /> <br />   « Le monde spirituel co-existe avec le monde réel sans<br /> frontière apparente. C’est une inspiration venue d’anciennes formes de narrations, comme les vieux drames télévisés et les comic books thaïs, où un fantôme vient souvent s’asseoir à la table<br /> des vivants. Je ne veux pas faire la distinction entre la pop culture et la culture « haute ». J’ai simplement voulu ramener le passé, jusqu’à cette grotte où nous apercevons des<br /> inscriptions préhistoriques. Mais je ne peux pas trop vous guider. Je souhaite respecter l’imagination du<br /> spectateur. Quand il voit des animaux, puis une princesse, il fait les associations dont il a<br /> envie. […] Le film se compose de six parties qui correspondent à autant de bobines de pellicule. Chacune s’avère différente dans<br /> l’éclairage, le jeu des acteurs et le décor. Pourtant, tout appartient à une seule expérience, une même coulée. Mes films ont des histoires, mais tout n’est pas explicable par les mots. La<br /> structure naît de façon organique, selon les sentiments qui naissent après chaque image. Pour moi, le montage est la partie la plus intuitive du processus créatif. C’est différent du cinéma<br /> narratif, peut-être plus intérieur. » Apichatpong WEERASETHAKUL, Cannes 2010.<br /> <br /> <br />   <br />  <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> uncle boonmee<br /> <br /> <br /> Apichatpong WEERASETHAKUL donne à voir beaucoup de beauté sans non plus<br /> se couper des réalités, ses films se situent souvent dans cette jungle qui sert de refuge aux clandestins en tout genre, insurgés, combattants, mais aussi à notre esprit, en imagination, à nos<br /> rêves, à notre mémoire, personnelle ou collective, sur lesquels ses films nous invitent à nous interroger. On peut d’ailleurs difficilement trouver cinéma plus humble. A une l’époque du<br /> matraquage intensif, de l’exposition massive et unilatérale, on ne saurait trop rendre grâce à un cinéaste qui s’imposera aussi peu, discret jusqu’à la disparition simple :<br /> « Syndromes and a Century » a été censuré et privé de sortie ; « Uncle Boonmee » n’a aucun distributeur (« Pour l’instant, nous<br /> n’avons aucun budget pour  la distribution. Mais est-ce que ça en vaudrait la peine ? Je vais peut-être le montrer ponctuellement à des étudiants et à des gens intéressés. Sinon, il<br /> sortira sans doute en DVD pirates importés de Chine. Je suis OK avec ça » Apichatpong WEERASETHAKUL, entretiens aux Inrockuptibles, Cannes - mai 2010)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> On qualifie avec beaucoup de mépris, d’arrogance,<br /> d’agressivité ce genre de cinéma d’inaccessible ou d’intellectuel, mais ils sont au contraire on ne peut plus accessibles, hyper sensuels, directement palpable, appréhendable par les<br /> sens, tout simplement. Ils ne nécessitent aucun bagage intellectuel particulier... Cela lui est d’ailleurs assez reproché de faire des films où « il ne se passe rien », « sans<br /> scénario ». Ils ne sont inaccessibles qu’à ceux qui par principe ne veulent pas se laisser atteindre, et qui précisément ont perdu peu à peu contact et l’accès à tout un fonds mouvant et<br /> mystérieux, essentiel de la vie humaine : l’esprit, les sensations, en particulier celle du temps qui passe, de la beauté, de la lumière (essentielle au cinéma non ?), imprimant son<br /> propre rythme, fatalement décalé avec le rythme linéaire, trépidant qui tend à s’imposer partout sur la planète, et qui entraine et précipite tout à sa fin instantanément, sans durée. Car un<br /> des reproches qui reviennent le plus, c’est la lenteur et l’ennui. Pourtant les films d'Apichatpong WEERASETHAKUL laissent la part belle au spectateur, riches d’associations, de<br /> résonances multiples, spécialement celui-ci, qui fait écho directement à la magnifique exposition du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris cet hiver.<br /> <br /> <br /> Mais le public aujourd’hui veut du prémâché, c’est dommage. Il faut<br /> qu’on lui serve tout sur un plateau, qu’on lui explique tout très clairement. Il attend la bouche ouverte qu’on lui serve  la soupe. Uniquement de l’explicite, aucune profondeur,<br /> aucune densité, surtout aucune lacune, aucune place à rien d’autre, aucune place à l’imagination, au rêve, à la liberté de chacun, à ses propres sensations ou réflexion, aucun silence. Que<br /> chaque centimètre de pellicule soit rempli de dialogues, d’action, de musique. Parce que le spectateur aujourd’hui finalement n’est qu’un grand trou béant qui angoisse dès la première seconde<br /> de silence, qu’il assimile à du vide, qu’il faut donc combler, sans temps morts, sinon ça le renvoie à son ennui existentiel en quête permanente de stimuli nerveux et de divertissement, ses<br /> ressassements, sa vie plate totalement dénuée d’autonomie, de spiritualité, de richesse intérieure.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> La Presse grand public meure d’envie de retirer des mains d’A.W. sa<br /> palme, lui qui n’a déjà rien, qui fait des films avec trois bouts de ficelles, qui n’a aucun distributeur. Par les mots qu’elle emploie (le Figaro en particulier, qui découvre que le critère<br /> principal des jurés n’est pas l<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Godard est ennuyeux (?) comme une grande partie de l'Art contemporain l'est devenu depuis 10/20 ans alors que dans les années 80, il y avait encore une belle "marge" créative,insolite et<br /> insolente...l'art etait encore irrigué par un courant d'air frais, celui-là même que l'Institution ou le "bon chic mortifère" rejette  de ses murs et ses temples....<br /> <br /> <br /> Mais les Godard de ces 10/20 dernières années que personne ou presque ne voit plus, ne sont pas de mauvais films  mais prennent l'apparence plutôt d'une éloge du Retrait (de<br /> l'artiste)....une méditation filmée dont l'interêt est ce décalage d'avec ce qui nous entoure, oeuvres,objets,formulations sans saveur.....méditation sur le Temps et les Temps qui<br /> s'entrechoquent, Amour de la peinture, Eloge de l'amour, Ode à l'insondable Mystère, (au Vide ?) d'ou surgit finalement souvent un  piment adouci qu'on ne retrouve pas ailleurs....God-Art<br /> est Ailleurs depuis longtemps, cherchant l'Essence..alors que le gros du spectateur cherche simplement à se distraire avec de la fumée.........Qui est de mèche ? :-)<br /> <br /> <br /> <br />
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