FIF (4) : Enfin des films !
Il faut savoir ne pas désespérer. Dans ce festival de films avortés, bien à l’image d’une société malade et d’un cinéma en crise, les moments de bonheur peuvent aussi nous rattraper ! Il suffit de peu de chose finalement pour nous rendre au plaisir d’une manifestation hors norme… juste un enchaînement de bons films qui font pleurer et rire, d’histoires touchantes et bien interprétées, d’une lumière qui embrase la nuit, d’un réalisateur qui a décidé de parler au spectateur, de créer pour lui…
Cela arrive aussi à Cannes ! Et n’en déplaise aux sceptiques, je vais arrêter de commenter les mauvais films, par exemple le Kaboom de Gregg Araki, ou le médiocre Tavernier, La Princesse de Montpensier, ou…
Parlons plutôt d’Un homme qui crie, de Mahamat-Saleh Haroun. Un film tchadien, bien éloigné des clichés que véhiculent les cinématographies de ce continent, souvent taxées d’être naïves, « surjouées », techniquement faibles. Ici, l’image est parfaite, les acteurs justes, la dramaturgie cohérente. Même les lenteurs sont puissantes, incluses dans le développement logique d’un drame en train de se dérouler sous nos yeux. N’Djamena, capitale du Tchad, est lentement encerclée par les insurgés, sa situation se détériore en même temps qu’un homme « champion », maître-nageur d’une piscine dans un hôtel de luxe qui se vide de ses clients, voit sa vie basculer dans l’horreur, la trahison et un drame cornélien. Jamais la violence n’est montrée, jamais le sang jaillit, pourtant, un sentiment de détresse et d’oppression inexorable grandit chez le spectateur. C’est un vrai drame sans issue, magnifié par la beauté des paysages, la grandeur des hommes et femmes qui y vivent, l’amour et les sentiments les plus nobles confrontés à la rigueur de sociétés déchirées.
Parlons Des hommes et des dieux, la somptueuse oeuvre de Xavier Beauvois, oscillant entre le sacré et le profane, l’univers clos des Moines de l’Atlas et le village arabe de Tibéhirine qui l’entoure, le jeu entre les groupes armés du GIA et les forces officielles de l’Algérie, la montée des périls extérieurs et l’action collective de ces moines pour créer un havre de paix et d’hospitalité dans un territoire dévasté par la haine. Composition picturale et chants rituels contre effervescence populaire et tension de la société en guerre fratricide, subtil dialogue entre ces deux forces où la terreur triomphera. Là aussi, la violence n’est jamais explicite, lovée qu’elle est dans la vie réelle et dans la vision de ses conséquences, pas de ses actes. Cela la rend d’autant plus insoutenable… comme si les deux cinéastes précités retrouvaient la vertu de ne pas exhiber pour mieux dévoiler et asséner. La lente procession dans la forêt neigeuse des moines en route vers leur calvaire restera un des moments les plus poignants de ce Festival 2010.
Parlons de La nostra vita de Daniele Luchetti, anticomédie à l’italienne, tranche de vie d’un maçon heureux soudain confronté au drame de sa femme qui décède en accouchant de son 3ème enfant et le laisse avec la nécessité d’inventer une nouvelle vie, cherchant dans le travail la force de survivre en compagnie de ses ouvriers clandestins, cerné par les maffieux de l’immobilier d’une société civile sans cadre ni lois, et d’une famille qui le soutiendra contre l’adversité. C’est un hymne à la vie réelle, à la beauté d’une Italie du terroir, hospitalière, ouverte sur elle-même et sur les autres, en dehors des codes figés et des règles, borderline dans sa façon de se pérenniser mais vivante, avec de l’humanité et de l’honneur, de l’amour sans normes, sans couleurs, sans frontières. Un vrai film sur la vraie Italie d’aujourd’hui.
Parlons enfin de Biutiful de Inarritu. C’est ma Palme d’Or à l’heure actuelle, sans hésitation et sans regrets. Après l’académisme de Babel, le réalisateur revient vers un cinéma moins « propre », plus « trash », plus authentiquement ancré dans la misère actuelle. Un homme, extraordinaire performance de Javier Bardem, atteint d’un cancer en phase terminale, doué de la faculté de communiquer avec les morts, tente de mettre de l’ordre dans sa vie afin de partir en paix. Il élève ses deux enfants, vit d’expédients, entre les vendeurs sauvages africains qu’il approvisionne et les Chinois qui produisent des contrefaçons dans des locaux insalubres. Il touche l’argent de la misère mais n’est pas corrompu par lui, restant un individu se battant dans un monde cruel en éprouvant la compassion de ceux qui souffrent de concert. Il tente d’humaniser l’abomination. C’est un hymne à la beauté sauvage, à l’horreur quotidienne de ceux qui sont les rebuts de la société, clandestins, chairs bonnes à toutes les surexploitations, la mort comme viatique, l’horizon bouché par les sociétés occidentales qui vivent de leurs trafics en les niant comme individus. Corps inanimés allongés sur les plages dans l’aube grise, funèbre et crépusculaire, le réalisateur montre ce que nous savons, ce que nous lisons, ce que nous ne voulons pas voir de nos turpitudes de sociétés gavées se vautrant dans l’indicible afin de préserver leurs privilèges. C’est du cinéma de révolution, où tout est pensé, ajusté et mis en déforme afin que le spectateur ne puisse plus jamais dire, -je ne savais pas !- Et en prime, il nous offre un regain d’optimisme, tant avec une immigrée, Ige, qui assumera le rôle de mère pour le futur qui lui attribuait, que dans cette mort enfin apaisée d’un homme que les démons avaient pourchassé toute son existence morcelée !
Voilà, j’aime encore et toujours le cinéma, j’aime cette foire de pellicules de Cannes où le meilleur peut côtoyer le pire, où la vie rêvée peut naître des décombres de nos empires à la dérive. Le 7ème Art a encore un rôle à jouer pour éveiller nos consciences. Merci à Alejandro Gonzalez Inarritu, à Xavier Beauvois, à Mahamat-Saleh Haroun, à Daniele Luchetti pour les émotions si fortes qu’ils sont capables de provoquer en nous !
Mon maître en cinéma à l'Université de Nice : Jean A Gili avec sa toge d'apparat pour la soutenance de thèse de Julien Gartner sur la place de "l' Arabe dans le cinéma français depuis 1970". Mention très honorable avec félicitations, 10 ans d'études sanctionnées par une note maximale...Et moi, j'en profite pour retrouver celui qui a été un de mes maîtres spirituels, un de ceux qui m'a transmis le goût d'étudier et de comprendre. Bernard ému !
PS : dernière minute. Vous pouvez rajouter aux belles aventures du Festival du Film 2010, Route Irish le dernier Ken Loach, opus mortifère sur la guerre d’Irak et ses conséquences, les trafics d’armes et les profiteurs de guerre et Hors la Loi de Rachid Bouchared sur lequel nous n’avons pas fini de gloser. Le talent cinématographique du réalisateur et d’acteurs d’exception au service d’une page peu glorieuse de notre histoire…Nostalgiques d’une France forte et coloniale…réveillez-vous, bon sang !