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La mort de l'Ecriture

Publié le par Bernard Oheix

De retour de mes pérégrinations, Womex de Copenhague, avec son horizon plat brisé par des cubes de verre et de métal illuminés, le sourire de ses blondes et les distances infinies à parcourir, l'exiguïté de ses chambres d'hôtels, debout entre deux concerts et la bruine froide qui colle à la peau, entre deux moritos consommés avec mes amis les frappadingues, Moscou où j'ai fait le zébre au Festival de Cinéma de L'Ange Rayonnant (cf., les articles !), Puis Paris avec son théâtre et des rencontres d'amitié, Nilda Fernandez, Yves Simon...juste une nouvelle, pour vous. J'ai aimé l"écrire. J'ose espérer que vous prendrez du plaisir à la lire...quoique au vu de son sujet, méfiez-vous quand même ! 


A Florence Demartino

 

 

 

 

L’article du journal s’étalait sous mes yeux avec son titre sur trois colonnes en lettres capitales. J’avais la nausée à la simple idée de lire ce papier grossier, à caresser de mes yeux cette encre grasse qui bavait, à tenter de suivre la prose informe de ce journaliste en mal de copie. Les mots avaient toujours été sacrés pour moi et il y a bien longtemps que mon rapport aux autres et à l’écriture se limitait au strict nécessaire. Il fallait pourtant que j’aille jusqu’au bout, que je sache enfin ce qu’il en était.

 

 

Malaise(s) dans le monde de l’édition.

Une étrange affaire remue le petit univers des faiseurs de livre de la capitale. Depuis quelques jours bruissent des rumeurs sur un mal qui semble frapper certains des responsables des maisons d’édition de la place Parisienne. Il apparaît que tout a commencé chez Milan De Giuglio, la belle et envoûtante directrice d’Idéal Livre, une boîte atypique dont la marque de fabrique est la découverte de nouveaux auteurs qui a lancé sur le marché le talentueux Bô Dukhan dont le prix Goncourt 2005 est venu récompenser sa vision paroxystique d’une société qui ploie sous le joug de la tyrannie de l’argent et des ambitions des puissants et porte un regard novateur sur les mutations des relations amoureuses de ce début du troisième  millénaire. D’après nos informations, sa secrétaire étonnée de ne pas la voir au bureau, s’est rendue chez elle et l’a trouvée dans un état de catatonie devant sa table de travail. Transportée à l’hôpital de Lariboisière, les médecins sont impuissants à définir le mal qui la plonge dans cette inconscience caractérisée par une déconnexion de la réalité. Non-réponse aux stimuli, électroencéphalogramme plat, fonctions réduites à la vie végétative, elle reste totalement coupée du monde extérieur telle un zombie dont seul le souffle attesterait qu’elle est encore de ce monde. Les médecins perplexes, malgré les examens les plus sophistiqués, ne comprennent pas la nature d’un mal dont aucune trace visible n’apparaît sur le corps. Ce qui pourrait n’être qu’un cas isolé, un de ces mystères récurrents de la médecine qui parsèment l’histoire de l’humanité, devient particulièrement troublant quand une série de faits similaires affectent plusieurs autres responsables du domaine de l’édition à Paris.

Un deuxième cas surprenant concerne Stéphane de la Poudrière, le fils particulièrement actif  de la pédégère des éditions du même nom. C’est à son bureau devant son ordinateur en marche qu’il a été découvert inconscient par sa mère éplorée. Transporté aux urgences, c’est le médecin de garde qui avait accueilli Milan de Giuglio qui l’a réceptionné et a averti immédiatement les services du ministère de la Santé de cette étrange coïncidence. L’auscultation de ces deux cas a fait penser à un syndrome nouveau, un cas atypique de maladie dont la source proviendrait d’un virus inconnu et une cellule de crise a été immédiatement constituée par le Ministre.

La troisième alerte est encore plus incroyable dans la mesure où elle touche l’ensemble du comité de lecture des Editions du Figuier réuni pour un « gueuloir », cette démarche si atypique de lecture publique impitoyable imposée par le directeur général afin de filtrer les textes de leurs scories et d’en déceler les lignes de force et les passages faibles. Les huit membres gisaient sur leur table, certains avaient chût dans des positions grotesques, d’autres, dans des attitudes montrant qu’ils avaient été saisis en plein mouvement, portaient les stigmates d’une surprise violente sur leurs traits, tous respiraient mais le présent semble s’être arrêté pour eux, comme si une scansion de notre espace-temps les figeait  dans une dimension parallèle à notre univers.

Au-delà des signes cliniques communs incompréhensibles par la médecine, une enquête est en cours pour tenter de dénouer cette sombre affaire qui a fait immédiatement plonger les actions boursières des sociétés liées à l’édition qui ont perdu entre 9 et 14% de leur valeur. A l’heure des rapprochements, de la reconstruction du paysage éditorial français, quand les grands groupes sont en train de conclure des cessions et des fusions afin de recomposer l’industrie du livre, cette affaire inquiète particulièrement les milieux financiers qui détestent les facteurs aléatoires d’un marché qui subit une crise structurelle.

Parallèlement, l’enquête policière progresse. De source sûre, il apparaîtrait qu’un lien unirait toutes ces victimes, en l’occurrence le texte d’un auteur inconnu des milieux de l’édition. Milan di Guiglio lisait apparemment cette nouvelle intitulée « les chants de l’infini », pour Stéphane de la Poudrière, elle était affichée sur l’écran de son ordinateur et dans le cas du comité de lecture, l’orateur de service en tenait un exemplaire dans sa main crispée. Coïncidence ? Les services de police se perdent en conjonctures et recherchent activement son auteur qui vivrait sur les bords de la Méditerranée, à proximité de la frontière italienne.

 

 

  J’ai posé le journal sur la table et j’ai laissé mon regard fuir vers l’horizon. Le ciel clair me permettait de voir la silhouette de la Corse se dessiner en ligne de fuite. Il est avéré que le vent qui chasse les nuages et la chaleur qui fait évaporer la mer permettent cet effet d’optique et rendent cette île si proche qu’elle semble suspendue dans l’éther. Ma maison perchée sur les hauteurs de Eze surplombait la baie de Villefranche et je pouvais embrasser la côte de Saint-Tropez à la riviera italienne. Le soleil tapait si dur et j’avais la nausée. Ainsi donc j’étais le responsable de cette épidémie, j’avais enfin réussi après tant d’années, je touchais désormais au but ultime. Il ne me restait plus qu’à passer à l’étape pandémique, juste un téléchargement de mon fichier et un coup d’index sur la touche envoi, 45 kilo-octects qui se diffuseraient dans les fils souterrains que l’homme avait tissé pour abolir les frontières, une minuscule portion de la mémoire collective qui allait déferler comme un tsunami et dévaster l’univers. J’avais réussi, il ne me restait plus qu’à attendre la venue de la police et à presser sur ce foutu bouton et j’aurai enfin accompli ma mission.

 

 

Que vous dire de ma vie ? Que ma mère s’est enfuie avec un danseur de tango en Argentine pour l’anniversaire de mes quatre ans. Elle s’est fondue dans les nuits moites de Buenos Aires dans les bras de son « gaucho » et je n’ai plus jamais entendu parler d’elle ! Que mon père, qu’elle a eu raison de quitter si ce n’est qu’elle aurait pu m’emmener, était un immigré dont le sang pulsait toutes les traces des croisements sauvages qui l’avaient mené de son Anatolie à une France occupée dans laquelle il  trouva un terrain d’expérimentation pour son inventivité et son absence de scrupules si caractéristiques de ceux que la faim et la peur du lendemain marquent de leur sceau. Que son commerce avec l’occupant nazi à qui il fournissait des métaux rares fut couvert à la libération par des aides soigneusement dispensées, échappant ainsi à l’épuration et pouvant accumuler des biens jamais en quantité suffisante tout au long de ces glorieuses années de la reconstruction ?  Il devint si riche que cela en était indécent et quand en Mai 68, il découvrit ma photo à la Une de Paris-Match en train de lancer un pavé vers les Gardes Mobiles encadré par les leaders de la révolution étudiante, il attrapa une attaque qui lui paralysa le flanc gauche et le laissa impotent le reste de sa triste vie. Il mourut quelques années après pendant que, jeune maoïste, je tentais d’apporter le souffle de la révolution culturelle dans une filature de Tourcoing aux masses opprimées si rétives  à se mettre en marche que notre élan se brisa sur leur inertie. Je ne l’avais pas revu depuis 4 ans et il me manquait si peu que sa mort fut aussi inutile que sa vie.

Il fit pourtant quelque chose dont je lui suis particulièrement gré. Il verrouilla si bien sa succession que je ne pus, comme je l’avais décidé, remettre l’intégralité de mon héritage au parti de la Gauche Prolétarienne en train de voler en éclats sur les aspérités de la réalité. J’ai dû conserver jusqu’à 30 ans l’usufruit confortable de son travail et ne rentra en possession de mon bien que trentenaire et bien décidé à conserver ce magot acquit à la sueur du front des exploités qui m’avaient si lâchement trahis. Le temps des rêves était bien terminé. J’ai voyagé pendant dix ans sur toutes les terres de cette planète en train de s’ouvrir, d’éliminer ses frontières et de se coucher devant l’art de vivre des anciens impérialistes. J’ai touché à toutes les formes de voyages et quand je plongeais dans les bras d’une femme d’un coin perdu d’un continent lointain, bourré de cachets ou de substances plus ou moins illicites, je me fuyais, je me détournais de moi-même, je refusais d’entendre cette voix qui s’imposait, me susurrant avec toujours plus de force et d’insistances que j’avais quelque chose à donner au monde, une trace à laisser, une œuvre à accomplir et qu’il était temps désormais de m’y consacrer. Je deviendrai donc écrivain pour accrocher mon nom aux étoiles, pour m’inscrire dans la réalité, pour fuir le présent et devenir immortel.

 


Bon, vous vous demandez quel est le rapport entre cet article initial qui parle d'une mystérieuse maladie et les textes à venir de cet écrivain ? Et bien, il faudra attendre la suite dans ma prochaine livraison....
A la semaine prochaine, juste avant la nouvelle année !

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B
<br /> <br /> Je connais Bô Dukham, l'auteur caché de cette nouvelle. Rien de neuf. Tous ses écrits témoignent de sa mélancolie profonde à l'idée qu'il ne laissera peut-être aucune oeuvre à la postérité.<br /> C'est pas grave mon vieux Bô ( excuse-moi ). On t'aime quand même et on te souhaite un joyeux Noël.<br /> <br /> Old REGIS futur Goncourt <br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> Bon, Old Régis, tu aurais du attendre la fin de la nouvelle avant de faire ton commentaire...En affet, au vu de sa conclusion, je n'aurai bientôt plus besoin d'écrire ni vous de lire !<br /> Mais qui est donc ce Bô Dukhan dont il parle et que tu sembles apprécier ?<br /> <br /> <br />