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Los Frappa "Dinguos"

Publié le par Bernard Oheix

Ils sont là mes producteurs préférés, ceux qui ont répondu à mon invitation de partager 4 jours de musique sur Cannes et de nouer des liens indéfectibles de travail et d'amitié. Bref aperçu de leur chaleureuse présence !Chacun m'avait apporté une spécialité de sa région en cadeau...Un Tour de France des "gâteries", le Père Noël en septembre ! J'ai dû manger des trucs bizarres, d'Amiens, du Jura et d'ailleurs...Heureusement, il y avait un excellent Bordeaux pour faire digérer le tout !


Le monde de la culture en général et de la musique en particulier ne représente pas grand-chose en regard du poids économique de l’industrie, du commerce, des banques…Pourtant, dans une société en crise, quand l’emploi fond comme neige au soleil (les mines sont fermées depuis longtemps et c’est pas dans le textile ou l’automobile que l’on créera les centaines de milliers de salaires nécessaire !), quand les grandes crises artificielles (comme celle des banques !) tétanisent le corps social, que la spéculation l’emporte sur la création de richesse, que le « papy boom » débarque des retraités encore jeunes sur le marché de la consommation, alors, l’industrie culturelle devient un complément effectif de la vie économique, un réservoir d’emplois et de richesse qui, bien que modeste, a sa place entière dans la société du loisirs du XXIème siècle.

Notons que c’est dans ce domaine que l’esprit « capitaliste » originel est encore possible. Avec une mise de départ dérisoire, on peut toucher le jackpot, une voix faire couler des richesses, un texte, accumuler des biens. Esprit d’aventure, pas de règles, pas de normes…la culture est un Eldorado pour les aventuriers de l’esprit, les marginaux et ceux qui refusent une société trop formatée !

A l’intérieur de ce vaste domaine, on retrouve les clivages traditionnels de l’économie réelle. Il y a les gros producteurs et les grands artistes, indissolublement liés jusqu’à faire des couples solides qui trustent les entrées. Camus/Halliday, Coullier/ Polnareff, Drouot/Leonard Cohen…Les gros producteurs détiennent les grandes salles (Zéniths et autres Palais des Congrès), s’échangent les artistes « bancables », ne sécrètent que peu d’emplois, ayant recours aux statuts particuliers de ce secteur d’activité, privatisant les gains conséquents de ce secteur d’activité.

Il reste alors les autres, artistes en mal de cachets, techniciens subissant l’intermittence des intermittents, les promoteurs locaux qui œuvrent à 3% du chiffre d’affaires et sont tenus à des objectifs impossibles de remplissage de salles, les tourneurs et producteurs positionnés sur des niches tellement pointues que plus personne ne les trouvent, les responsables des structures exsangues, tétanisés par la raréfaction des subventions, l’augmentation des tarifs artistiques, la fuite du public …

Effectivement, dans ce constat amer, le public a démissionné de son rôle moteur. Il ne va pas toujours là où il devrait aller et ne cherche plus depuis longtemps. L’esprit d’aventure est en train de se perdre, la télé et les médias poussant à une banalisation et une consommation de plus en plus ciblée de produits formatés à des prix rédhibitoires. Tous les lieux et les acteurs trinquent alors devant ce rouleau compresseur sans âme dont le public est totalement complice. C’est l’ère des méga-shows et des foules de 50 000 personnes agglutinées dans des conditions indignes d’un spectacle vivant. Spectateurs robotisés, consommation et merchandising, fric es-tu là ?

Et mes « frappadingues » alors, me direz-vous ?

Dans cet univers de plus en plus aseptisé d’une industrie culturelle en marche forcée vers une productivité artificielle, il existe encore une armée du soleil, des hommes et femmes qui pensent la culture autrement, vivent l’artiste et le spectateur au quotidien, investissent leur temps avec passion afin de construire les bases d’une rencontre authentique entre le public et la scène. Ils sont des accoucheurs de bonheur, des praticiens de l’esthétique, panseurs de maux pour bonheurs éphémères…

On se rencontre au WOMEX (marché des Musiques du Monde, à Bab El Med, dans des concerts et des Festivals. Ils aiment la vie, rire, se défoncer et éperonner les conventions, être iconoclastes. Ils ont entre 25 et 40 ans, sont les cadres de demain, survivent difficilement dans cette jungle où les chausse-trappes sont nombreuses…Ils ne perçoivent que les miettes du festin de la culture mais en représentent les forces vives, régénérantes. Quand l’un d’entre eux sombre, il y en a toujours qui se lèvent afin de porter le flambeau de ceux qui marchent debout et perpétuent leurs espoirs. J’aimerais avoir leur âge, leur passion et leur insouciance, je les aime parce qu’ils sont fiers et beaux et qu’ils font exactement ce que je ferais à leur place si d’aventure, on m’enlevait une vingtaine d’années.

Moi, j’ai vécu les glorieuses années d’une culture rempart, frontière, bien que largement assistée, elle avait conquis son indépendance dans les luttes. Elle était apte à se revendiquer telle une citadelle inexpugnable. J’ai été Directeur de MJC, puis au Palais des Festivals de Cannes…Je ne savais pas que ce capital extraordinaire pouvait fondre et se dissoudre aussi rapidement dans l’indifférence, la montée des haines et l’ostracisme d’une société qui se contracte sur elle-même, soumise devant les idéaux religieux et le fanatisme, l’égoïsme et le mercantilisme.

C’est sans doute pour cela que je les apprécie encore plus mes « frappadingues » car ils me donnent la certitude que l’essence de l’art, la rencontre des univers multiples, des cultures différentes, des individus se fondant dans un groupe pour garder leur authenticité, tous ces gestes d’avenir ont encore des passeurs de rêves, mes amis remuant de la culture, cœur gros et plein d’espoir, les frappadingues de Séville !

Certaines et certains étaient à Cannes pour les Concerts de Septembre…Ourida Yaker (la femme forte d’un Maghreb ouvert, celle-là, c’est un roc, elle résiste à tout !) et Sabine Grenard (la douce et efficace spécialiste des voix…A Filetta, Sam Karpiena, Darko Rundec, c’est elle !), avec leur Band of Gnawa, superbe projet charnière entre un plan culture et le showbiz. La secrétaire du groupe informel de Séville, Aurélie Walfisz, administratrice du Festival d’Amiens, pétulante et hilarante, remplie de tendresse et capable d’autodérision jusqu’à en pleurer des larmes de joie. Elle sème le rire sans se départir de son air lunaire. Claire Henocque, la « big mama » du reggae (Alpha Blondy), une gamine élégante en pays de barbus fumeurs d’herbe qui a les yeux remplis de vie et sait utiliser sa fausse naîveté pour mieux cerner les autres. Laurence Samb, une métisse sénégalaise belle comme un soleil d’Afrique, perdue entre Berlin et le Niger, à moitié toujours ailleurs. Elle suit le groupe en prenant des chemins de traverse, appel de la solitude et recherche d'un équilibre intérieur, à la fois indépendante et fusionnelle…Et puis les mecs aussi. François Saubadu, grosse agence à Turin, qui fait des affaires sans oublier de vivre et cherche le geste juste, l’équilibre dans le désordre, toujours prêt à s'enthousiasmer pour un artiste et à passer du futile au sérieux. Valentin Langlois, visage d’ange absent, redoutable dans le décalage, toujours attentif derrière sa nonchalance affectée, il analyse son entourage sans en donner l'impression et possède l'art d'être juste où il faut comme s'il n'y était pas. Laurent Benhamou, de Crunk Production, féroce dans son humour et sa volonté de foncer à 100 à l’heure dans le fou rire et la passion de vivre. Il dérègle les codes, éperonne le consensus et lance des éclairs de génie qui laissent un sillon enflammé derrière lui ! 

Au départ, j’avais prévu de les héberger dans une résidence hôtelière et de leur offrir les spectacles. Ils se sont retrouvés au Gray d’Albion, 4*, plage privée, badges « all accès », mangeant au catering avec les artistes, copinant avec la sécurité, ils se sont fondus dans le Palais comme s’ils y avaient toujours trainé leurs guêtres, terminant tard dans la nuit, à la fermeture du Sun7 avec Thomas, le patron, qui les a adoptés en leur servant forces « morito » ou « Champagne-vodka ».
Sur la plage des Rochers Rouges, ma plage ! C'est là que l'on dispersera mes cendres dans quelques décennies. Un des rochers (celui que l'on entrevoit en arrière-plan), sera officiellement dénommé "Le Rocher de Bernard"). En attendant, ils ont fière allure ces Guevarra de la culture, à poser pour l'éternité en consommant les biens fort terrestres d'une Côte d'Azur hospitalière !


Ils ont eu droit à ma plage privée des « Rochers Rouges », à des baignades tous les jours avec un soleil estival, à des pâtes chez mon voisin « Di Giuglio » et nous avons ri en reconstruisant le monde comme si la vie pouvait se résumer à un grand pied de nez à la conformité et à la tristesse.

Les concerts furent fabuleux (cf. comptes rendus précédents) et je les aime toujours plus, mes « frappadingues », parce qu’ils sont une partie de mon passé et un morceau de cet avenir qui m’est dérobé. Ils me permettent d’exister encore et de rêver que la culture sera, demain, au centre du monde, une vraie fraternité basée sur l’harmonie universelle !  


Ils sont repartis. Au mur l'affiche montage qu'ils m'ont offerte et le chapeau vert mascotte qui fit toutes les scènes de Séville à Paris et se retrouva sur la tête le chanteur des Gnawas. J'ai une mission, le convoyer jusqu'à Copenhague où je les retrouverai pour la plupart  pour de nouvelles aventures  !
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K
<br /> "Un grand pied de nez à la conformité et à la tristesse".....Bravo ! Je signe..:-)  <br /> <br /> <br />
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