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La transmed (3)

Publié le par Bernard Oheix

On continue sur les traces de nos aventuriers modernes. Bon, c'est pas parce que l'on a rien à dire que l'on va se priver du plaisir d'écrire. Et puis, on rentre sous des latitudes qui enflamment les esprits ! Attention, les derniers miles vont être redoutables !



6ème jour
De Aristano à Marina Sifredi.

Départ à 9 heures. Nous sommes déroutés par des manœuvres militaires. L’aviation, des corvettes, c’est beaucoup pour nous. Après avoir hissé le drapeau blanc, nous nous glissons entre les mailles du filet et retrouvons le grand large, toutes voiles hissées, cap à 180°, conditions idéales pour tester notre voilier, nous filons un 7 nœuds de belle allure.

Des dauphins viennent dans notre sillage. Ils batifolent, nous observent d’un œil moqueur. Ils sont beaux et majestueux et s’amusent en bandes à croiser notre chemin. Des oiseaux les suivent en piaillant, c’est émouvant.

Hervé maître-queue est chargé d’assurer la pitance. C’est le spécialiste de la pêche. Il entretient les lignes, fabrique les amorces, accroche les leurres et reste désespérément optimiste devant la vacuité de ses efforts. Le soir, en général, c’est la boîte de thon et les sardines à l’huile qui meublent notre ordinaire. Pourtant, en ce jour béni des dieux, un espadon suicidaire vient s’embrocher sur l’hameçon. Il réussit l’exploit de le tirer par hasard, cet envoyé miraculeux, et auréolé de son espadon de 1 mètre (sic), se rengorge comme un paon pendant que nous lançons l’information sur les ondes aux autres concurrents furieux.







C'est Hervé le pêcheur... mais sa photo est floue alors j'en profite...




Captain Fifi barre comme un chef. Il a ce petit rien qu’ont les grands au sommet de leur art. Quand il épouse le vent, se fond dans chaque risée afin de s’épanouir en synergie avec les éléments, quand il se donne au maximum, son corps en osmose avec le bâtiment qui trace sa route, il est Dieu, il est celui qui
nous guide, le grand timonier, l’ordonnateur des pompes célestes. Notre Romulus, sous sa poigne et malgré un handicap de taille, se maintient gaillardement dans le peloton de tête.













                                                                                      Captain Fifi, notre maître à tous !


L’entrée en fin de journée dans la marina s’avère délicate. Bernard Force Brutale s’améliore dans ses manœuvres sophistiquées. Haler, tirer, souquer, border, il voltige d’un bord à l’autre comme un marin chevronné, avec la maestria d’un loup de mer, défiant les lois de la pesanteur.

L’accostage s’effectue à cul, en douceur, avec un art consommé de notre capitaine très fier de sa prouesse. Nous aussi partageons sa joie et vénérons notre guide suprême. Hervé maître queue descend le premier sur le quai et d’un air négligent, son espadon à bout de bras, affecte de chercher un point d’eau, juste histoire d’exhiber son trophée de pêche. Les regards de convoitise convergent vers ce monstre marin qu’il prépare en fine lamelles crues baignant dans du citron. Goguenards, nous dégustons notre plat sur le roof avec la mine insouciante de ceux qu’une grande habitude protège des aléas de la faim.

Une petite cantine dans la vieille ville, un repas frugal (amuse-gueules à l’italienne, pâtes en 1er plat, poisson succulent, tiramisu et quelques « dolce »), juste de quoi se sustenter à un prix frisant le ridicule.

Il est temps, après une promenade au long du mail, de réintégrer nos couchettes. Il faut s’économiser car l’air du  large use et la ligne d’arrivée encore si loin.

Je m’endors sur un livre de Schlink. Grand moment !

 

7ème jour.
Journée à quai.

Ôde à Bernard.

Bernard va chercher le pain frais à l’aube et prépare le petit-déjeuner. Bernard est grand. Pendant que Philippe et Hervé badent sous des prétextes futiles, Bernard récure le bateau, nettoie les salissures d’une semaine de mer, il lave les ponts, frotte les cuivres, astique chaque recoin, récure les culottes de son capitaine et les tee-shirts du maître-queue, Bernard est très grand et altruiste.

Le voilier reluit comme un sou neuf, Bernard est un esclave moderne. Grâce à son action efficace et à sa force brutale, il attire les regards des touristes et surtout des jeunes et belles femmes qui cherchent l’aventure sur des quais de fortune, dans les bras robustes de marins boucanés aux vents du grand large. Bernard est si beau à la coupée de son fier destrier des océans.

Notre coursier au repos avant la grande traversée.

Hervé concocte, avec l’espadon, un plat que nous décidons de partager avec les équipiers du Lady Jane qui nous invitent à boire l’apéro. Sans aucun doute, veulent-ils percer les mystères de cet équipage hors norme que nous formons, de cette osmose qui lie comme les doigts d’une main, les gardiens du Romulus, les cerbères de la Méditerranée. Ils en seront pour leurs frais mais nous sortirons de leur pompeux catamaran, ivres comme des marins en bordée dans un bordel de Tanger.

Qu’à cela ne tienne. Une sieste réparatrice et nous repartons pour une visite de la cité lacustre de Carloforte, au milieu des badauds ebaudis. Nous sommes si fiers, les indigènes nous contemplent éblouis, nous sommes à l’égal des dieux, mieux, Bernard est Dieu.

Nous achevons notre soirée avec force gelati et limoncello. L’angoisse commence à monter, une tension perceptible à la seule idée de la grande traversée vers les rivages de l’Orient qui nous attend pour le lendemain.

Que le monde est étrange sous ses latitudes extrêmes.

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La Transmed (2)

Publié le par Bernard Oheix

Suite des aventures de nos marins d'eau douce en route vers Cipango, à  la recherche d'un impossible Eldorado. Ils sont fiers et orgueilleux nos héros d'une Méditerrannée en colère.


3ème jour.
Au long des côtes corses.

Je me lève à l’aube. Je réussis à prendre le zodiac, à l’allumer et à me guider jusqu’à la terre ferme afin de ramener aux membres de l’équipage, les croissants et les journaux, peut-être les derniers, auxquels nous aurons droit avant de plonger dans l’inconnu des mers australes.


Une nouvelle fois, je fais match nul dans la réalisation des mots croisés du Monde avec Captain Fifi... même s’il s’est fait aider par notre maître-queue et que j’étais seul, moi !

Au déjeuner, cailles sur canapé (sic), preuve si besoin était que nous avions raison d’embarquer notre cuistot, bien qu’il boive et fornique comme un suppôt du diable en train de vendre son âme.

Check-point à 13 heures.

Préparation du Romulus qui frémit d’aise et ronronne tel un coursier au moment de s’élancer. L’équipage est frénétique, rodé, notre légende est en marche.

Captain Fifi s’adressant à moi, me lance « -choque le bout de la drisse pour affaler… » ou quelque chose d’approchant. Après plusieurs explications, il convient que « tire sur la corde rouge » est moins seyant mais tout aussi efficace. J’ai conquis un espace de liberté en m'opposant à la terminologie marine, celui du langage et j’en suis fier !

Cap au sud/sud-ouest. Vent de force apparente de plus de 15 nœuds, vitesse de surface de 8 nœuds.

Exaltation. Le Romulus surfe sur une mer d’émeraude. Le vent cingle en rafales les voiles, le coursier se penche toutes voiles dehors. La nuit tombe sur un brelan magique, l’équipage du Romulus en train de naviguer par vent de trois-quarts arrière, la tête dans les nuages, ivre de la beauté du monde !


4ème jour.
Arrivée à Alghero. (Sardaigne)

La nuit fut épouvantable. Après un quart d’Hervé-maître-queue, à minuit, Philippe assure son tour. Las ! Une chute violente du niveau de la batterie ne permet plus d’utiliser le pilote automatique, pire, nous prive de GPS. Philippe nous réveille afin d’effectuer une manœuvre délicate, dans la nuit noire, sans repère si ce n’est quelques lumières de terre. Afin de se remettre dans l’axe, nous tirons un bord sur bord, cherchons notre voie au large d’Asinara et piquons le long de la côte déchiquetée en frôlant les abîmes.

Captain Fifi reste calme et impavide. Il nous renvoie nous coucher. Abruti par l’angoisse, je m’endors immédiatement en rêvant d’une île mystérieuse et de femmes nues. Captain Fifi va camper seul au mitan de son champ de ruines, barrant, la tête dans les étoiles, en se fiant à son instinct, commandant d’une terre de combat peuplée de nos cauchemars.

A 6 heures, il vient me réveiller en douceur par un coup de pied dans les flancs afin que je prenne mon quart et s’abat sur son grabat, ivre de fatigue. Je barre notre navire. La côte est somptueuse. Immenses pans de lave plongeant dans la mer, oiseaux frondeurs, torture des silhouettes découpées par le jour levant, sculptées dans la pierre marmoréenne. Ce rivage sarde est d’une beauté à couper le souffle. La brise est légère.

A 8heure 30, Hervé prend ma place mais je reste avec lui, à contempler le paysage. Arrivée à Algherto en fin de matinée où Captain Fifi effectue une manœuvre complexe pour arriver à s’amarrer en se glissant en arrière entre deux monstres à quai. Je choppe au passage deux cheveux blancs de plus.

Douche et rasage sont les bienvenus, nous commencions à puer le bouc et à ressembler à des chèvres corses.

Un réparateur vient nous secourir en nous délestant d’une poignée d’euros (350). Il s’agit du répartiteur, petite pièce stupide qui a été inventée uniquement pour nous emmerder pendant cette Transmed.

Nous sympathisons avec quelques concurrents même s’ils n’ont pas de femelles à bord. Nous décidons de faire la fête et traquons la Sarde dans la nuit étoilée. Mais la Sarde est sauvage et il n’est pas aisé d’en capturer avec les moyens du bord.

Nous nous consolons avec un repas somptueux au « Pavone » que je règle avec ma largesse coutumière de grand seigneur. Retour à minuit pour un sommeil réparateur. Je me glisse dans mon sarcophage cabine où je me cogne la tête au plafond chaque fois que j’ai un sursaut, c’est-à-dire, chaque fois que j’ai une idée lumineuse. Au matin, j’ai le front zébré de cicatrices !

 

5ème jour
De Alghero à Arizzano

Départ sans fanfare. Il n’y a pas de vent, la mer est calme et le soleil brille. Activités diversifiées. Bronzage intégral au grand dam de mes coéquipiers, lecture, mots croisés. Captain Fifi jette un « bout » à la mer et nous nous faisons tirer par le voilier à tour de rôle. Délice. L’eau nous submerge, impression d’avoir le plus grand jacuzzi du monde, massage intégral (mieux qu’une Thaïlandaise en forme), cela épuise malgré tout et nous sortons après quelques minutes le corps brisé, l’esprit reposé.


 

La côte que nous longeons est superbe, grandes plages de sable blanc parsemées de roches éventrées.

Nous arrivons dans la soirée dans une anse magnifique surplombée de vestiges romains. Le site archéologique est dominé par une tour génoise du XVIème. Mouillage forain au milieu de la flottille de voiliers. Après les formalités d’usage, nous débarquons et visitons les ruines. Le silence est impressionnant, une brise nous caresse le visage, les vagues chantent à nos oreilles une douce complainte. Les pierres parlent, la nature nous rappelle que l’homme n’a pas de prise sur le temps et que les siècles forgent des légendes aux artisans de l’éphémère. Nous nous sentons si petits dans ses vestiges d'un monde englouti !

Baignade dans les derniers feux du couchant.
Hervé-maître-queue nous concocte un délicieux repas. Soupe lyophilisée, omelette baveuse, haricots péteurs arrosés d’un petit rosé frais. Il justifie son amour pour la cuisine familiale en nous infligeant ses talents de bricoleur de génie.

Reste le whisky que nous dégustons sur le roof en philosophant sur les aspérités d’un monde cruel et la solitude des marins de fond. Couché à 10 heures. Le sommeil s’empare de moi.

PS : Philippe peine sur La citadelle du désir. Il attaque le 2ème chapitre en hoquetant et ses nuits sont peuplées de cauchemars… Y a-t-il un lien de cause à effet ?

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Journal de Bord de la Transmed (1)

Publié le par Bernard Oheix

Il faut resituer. Philippe C me convainc de participer à la Transméditérranéenne qui part de Saint-Raphael et arrive à Hammamet en Tunisie sur son voilier de 38 pieds et quelques pouces, le Romulus. Nous embarquons notre ami Hervé C dans l'aventure et vogue la galère... Philippe C, alias Captain Fifi est un personnage entier. Il sort d'une opération et cette traversée avec ses amis est une façon de renvoyer son mal aux enfers. Hervé C alias Hervé maître-queue, outre ses talents de cuisinier, a subi une opération très grave, lui aussi. De plus, il ne connait rien à la mer même s'il affecte d'être un grand pêcheur devant l'éternel. Moi, Force brûtale, je suis dans une phase de thyroïdite aiguë et n'ai jamais rien compris à un bateau même si ma plume s'avèrera fort utile pour graver la mémoire de cette expédition dans le marbre de la légende des marins !
Equipage d'enfer pour une course sans carotte, juste le plaisir d'être ensemble et de voir notre passé ricocher sur les vagues de l'avenir.
Je vous offre les aventures des pieds nickelés de la Méditerrannée, j'espère qu'elles vous séduiront comme nous avons aimé les vivre !


Les trois membres de l'expédition dans la tension du départ !


1er jour.

 

De Saint-Raphael à la Corse.

 Prise de contact de l’équipage. Le climat est tendu et la pression à son comble. Nous nous toisons du regard et mesurons notre aptitude à vivre dans des conditions extrêmes. C’est important la confiance envers ses camarades. Dans la tourmente qui se prépare, l'autre peut nous sauver demain, ou nous faire périr. La solidarité n’est pas un vain mot, perdus à des milles dans l’immensité marine, au cœur de la tempête qui se prépare. Nous nous connaissons seulement depuis 40 ans, notre amitié saura-t-elle résister aux aléas de la vie rude du marin et aux épreuves qu’indubitablement nous serons amenées à affronter ensemble ?

Après un repas frugal, sur le port, avec nos familles, l’heure du départ sonne. Nos épouses nous embrassent peut-être pour la dernière fois. Nous sentons leur émotion. Il fait nul doute, que si nous n’étions des mâles arrogants, habitués à jouer avec le danger, nous aurions, aussi, des larmes qui perleraient à la commissure de nos yeux. Mais c’est la vie d’aventuriers que nous avons choisie, il nous faut désormais assumer cette passion de la mer qui nous conduit vers ces horizons lointains. Même si nous devions échouer et périr glorieusement dans cette immense désert d’eau, nous savons que nous vivons pour cet instant précis où la gloire se conjugue avec le dérisoire. C’est la vie, c’est notre vie et elle n’a pas de prix !

Quand le canon a tonné, Capitaine Fifi a bondi vers la barre lançant des ordres auxquels l’équipage a répondu avec enthousiasme. Notre skipper s’impose d’entrée dans le peloton de tête. Pour le 1er challenge de cette Transméditerranéenne, nous avons failli créer la surprise. Arrivés 6ème sur les 15 premiers milles, malgré notre tirant d’eau et la masse de nos flancs chargés de victuailles et de biens de première nécessité… un exploit que nous célébrons dans la nuit tombante par une bordée de hourras adressés à notre valeureux capitaine. Nous savons que d’autres victoires se profileront à l’avenir, ce n’est que partie remise.

Enfin dans le vif du sujet. La mer toujours recommencée (c’est facile, je sais !). Elle roule et défait des montagnes liquides, le vent est soutenu, nous cinglons vers une page d’histoire, une ligne de légende dans cette épopée si riche de la marine. Le sel nous cuit la peau et pendant que la nuit tombe, nos cœurs vomissent les derniers restes de ce que qui nous rattachait à la terre ferme. Nous mangeons frugalement, le maître-coq est en train de dégueuler par-dessus la drisse, l’adaptation est difficile et le roulis pernicieux.

C’est la nuit et une « pétole » terrible nous encalmine. Je prends mon quart à une heure sous un ciel lourd. Je suis épuisé. Malgré le danger qui rôde, je vais sombrer dans un sommeil sans fond, par une nuit sans lune (Euh !). Je me réveille à 3h45, j’ai fait un double quart mais mon capitaine que je réveille me gronde. « Il ne faut pas t’épuiser d’entrée, me dit-il, la route sera longue et les dangers innombrables ». Je n’ose lui confier que j’ai dormi à la barre emmitouflé dans mon ciré comme un gros bébé, au mépris de toutes les consignes de sécurité. Il y a des choses que l’on ne peut avouer, même sous la torture.

Il fait le point, constate que notre côtre a reculé (sic, nous sommes sans aucun doute le seul bateau capable d’aller plus vite en arrière qu’en avant !) et reprend la direction des opérations. Une faible risée lui permet de rectifier le tir et de démontrer toute l’étendue de ses compétences. Il nous remet dans le sens de la marche et swingue avec les éléments pour nous permettre d’atteindre l’Ile de Beauté en évitant de justesse la dernière place et le ridicule d’un fanal rouge.

Hervé, notre maître-coq va mieux. Il est resté évanoui toute la nuit. Il nous promet un bon repas pour la soirée. Auparavant, il est indispensable d’effectuer toutes les manœuvres qui nous permettent un ancrage sécurisé dans la Baie de Sagone. Les autres concurrents ont hissé leur pavois en notre honneur. Quelques coups de canon retentissent… mais nous nous apercevons que ce ne sont que des autonomistes qui pratiquent leur activité favorite : la pêche au « pinsutu » par journée ensoleillée !

 

2ème jour.
Ancré dans la Baie de Sagone.

 

La journée se passe dans le calme. Repos bien mérité, je complète ma nuit par une sieste réparatrice. En fin d’après-midi, les autochtones conduits par le maire de Vico-Marine se réunissent sur la plage pour fêter les concurrents de la Transméditerranéenne. Nous découvrons enfin les visages des équipages ennemis. On ne parle pas énormément de nous au chapitre des prix et médailles mais indubitablement quelques femelles embarquées sur les coursiers adverses nous contemplent avec des regards concupiscents. Même sans la lumière des prix, nous faisons converger les feux de leurs pupilles dilatées sur notre fier équipage. Les marins furieux sentent bien que leurs épouses nous scrutent avec perversité et sont fous de rage. D’aucuns voudraient en découdre mais notre capitaine Fifi à l’intelligence de s’interposer. Nous évitons de justesse la violence d'une rixe qui aurait offert quelques corps en pâture aux poissons de la Corse.

 A bord, Hervé nous a concocté un succulent repas. Il fait montre d’un réel talent pour accommoder les nourritures frustres embarquées et nous offrir des mets de roi. Nous évoquons pendant un long un moment des questions sérieuses, la vie, l’amour, la mort... avant de voir plonger les derniers rayons de soleil dans l’immensité bleue sombre qui borne l’horizon.

Nous allons nous coucher. Capitaine Fifi décide d’entamer la lecture de « La citadelle du désir » de Bô Dukham. Nous l’entendons gerber quelques pages plus loin !
Nuit calme. Satisfaction du devoir accompli.


La suite au prochain numéro.

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Pourquoi Juliette Gréco ?

Publié le par Bernard Oheix

Beaucoup de spectacles en cette période où je termine la programmation de la saison 2008/2009.
Et bien sûr, Cali à Nice, avec cette énergie toujours aussi explosive. Un Cali plus revendicatif encore, moins tourné vers la description de ses états d'âme et de ses relations avec les femmes mais plus dans une dimension sociale de la lutte et des révoltes. Cela donne un cocktail sympathique, parfois un peu brouillon, toujours attachant. Ses musiciens hors pairs ( il faut noter l'époustouflante prestation scénique d'un Kolinka ex-Téléphone qui défit les années !) impriment un rythme d'enfer, les deux cuivres offrent cette touche "mexicano-hispanisante" bien dans l'air du temps, un dispositif astucieux qui leur permet de jouer au milieu du public... Une belle soirée !
Mais que dire de la programmation de Juliette Gréco au Palais des Festivals de Cannes, que dire sinon faire un article pour célébrer un grande Dame et ajouter quelques lignes à la page glorieuse d'un mythe vivant !

 

 

Parce que Juliette Gréco !
Une Dame immense drapée de noir, une ombre qui naît dans la nuit des cafés enfumés du boulevard Saint-Germain d’un après-guerre où Jean-Paul Sartre compose des chansons, Boris Vian pousse la trompette, les intellectuels s’offrent une icône au corps diaphane, à la silhouette mystérieuse de Javanaise, un sourire charmeur, la fiancée de tous ceux qui imaginent que le monde est en couleur et que l’avenir appartient à ceux qui éperonnent les archétypes d’une société figée au sortir d’une guerre de cauchemars. C’est l’existentialisme, les pavés gris des rues de la Capitale prêts à voler, une pulsion extraordinaire qui va faire fleurir des printemps échevelés, des cheveux longs qui poussent rebelles, en épis, une génération qui croise Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg et tant d’autres artistes, peintres, écrivains, philosophes qui transforment la fête en cénacle de pensées où les théories de l’an nouveau s’épanouissent.

Photo d'Alain Hanel, le réalisateur d'une exposition sur les spectacles des saisons de Cannes.

Juliette Gréco est née dans ce monde de bruit et de fureur, elle s’est déshabillée pour tous ceux qui l’aiment, offrant sa voix légèrement éraillée, profonde, ses inflexions suaves, son intelligence des textes qui collent si bien à cette période de tous les rêves.

Qu’elle soit un mythe est une évidence… mais les mythes ont en commun avec les phantasmes, que parfois il est préférable de les conserver inassouvis, dans les profondeurs d’un non-dit, non avenu, dans l’épaisseur qui sépare le monde virtuel de la réalité.

Avec la programmation de Juliette Gréco au Palais des Festivals de Cannes, mon passé refaisant surface, j’osais regarder le temps de ma jeunesse, celui de tous les espoirs perdus, celui aussi de tous les rêves d’un futur enchanteur.

C’est ainsi que je suis rentré de Marseille où le Bab el Med avait réuni tous les programmateurs, tourneurs et producteurs des Musiques du Monde pour cette Messe pour le Temps Passé. Bien m’en a pris ! Imaginez une conférence de presse exceptionnelle, donnée par une artiste qui a tout connu de la vie, même les chemins les plus tortueux et parle avec la liberté de celle qui n’a plus rien à prouver, plus rien à transmettre et qui peut d’autant plus s’exprimer. Imaginez le concert. La scène du Grand Auditorium dans une configuration d’une sobriété extrême, piano et accordéon légèrement décalés vers la gauche, îlot brillant sur cette scène si vide, si grande. Quelques éclairages sophistiqués par la discrétion et la finesse des découpes de l’espace. Le noir comme permanence avec son compère grisâtre, quelques tâches de blanc. Elle apparaît comme issue de la nuit des temps, intemporelle, évanescente. Sa voix n’a pas bougé d’un iota. Elle est Gréco.

Pendant 21 chansons, et quelques interventions d’une précision extrême, elle va nous envoûter, nous inviter à ses agapes célestes. Elle nous démontre combien elle s’est transformée en mythe vivant, les raisons qui expliquent qu’elle ait échappé aux griffes du temps et de l’usure. Elle est hors du temps, hors du monde, hors de toute contingence. Elle est abstraction. Elle est Gréco.

Des textes à faire pâlir n’importe quel amateur de langue par leur complexité immatérielle, leur formule si précise pour définir un peu de ce sel de la terre, l’agencement de ces mots comme les perles d’un collier de beauté… Carrière, Brel, Ferré, Roda-Gil, Leforestier… Des mélodies à tomber en pamoison, une gestuelle de tragédienne dans sa sobriété soulignant l’épure générale d’une soirée d’élégance.

Dix minutes d’ovation en un salut à la romaine pour la tragédienne grecque, des cris d’allégeance, toutes générations confondues, 1200 personnes déclamant leur dévotion à celle qui venait de vaincre les lois de la pesanteur. Merci Madame Gréco.


Plus tard, dans sa loge, seuls. J’ai invoqué mon droit à la bise à un mythe, elle me l’a accordée ! A la dédicace personnelle, à la photo (elle qui n’aime pas être prise en photo !), j’ai obtenu en sus quelques minutes d’intimité pour me persuader que j’étais bien celui par qui le scandale arrive, le vrai scandale, celui d’une beauté qui brûle, d’une vérité qui échappe à toute logique, d’un art qui n’a pas réussi à transformer le monde mais autorise tous les excès, même ceux que l’utopie engendre !

Merci Madame Gréco,

 

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La Divine Comédie

Publié le par Bernard Oheix

Lasciatte ogni speranze, voi ch'entrate...ce vers connu (je ne garantis pas l'italien, c'est de mémoire !) je l'ai reconnu dans une production pharaonique qui m'a conduit sur les rives du Trastevere à manger des spaghettis alle vongole à défaut d' alimenter mon esprit de nourritures plus spirituelles !
Bon !  On ne va pas regretter le voyage, il y a pire que de humer les effluves de la capitale transalpine et de retrouver ses amis. L'Italie, c'est la patrie de ma mère, ma deuxième culture, et sa langue est un chant qui porte au rêve.

 

Entreprise gigantesque s’il en est, la production romaine « Nova Ars » de La Divine Comédie s’est donnée les moyens de créer l’événement. Dans une période où l’Italie se cherche dans des joutes électorales impossibles, le travail sur l’œuvre de Dante, thème fondateur de l’Italie moderne, première œuvre capitale écrite en italien, étudiée avec permanence à l’école, est un signe de cette perplexité d’une élite qui cherche un sens à son futur dans les pages de son passé glorieux.

Construction d’une salle spécifique de 2500 places en périphérie de Rome, là où s’est déroulé le jubilé de l’an 2000, infrastructure ambitieuse, ligne de produits dérivés élégants et documents soignés, travail sur les scolaires dépassant largement les limites de la province, soutien d’un appareil d’église pour cette opération, temps de création et investissement dans les décors et le casting… A l’évidence, les objectifs étaient ambitieux et le produit fini est appelé à durer et à être exploité non seulement en Italie mais aussi en Europe. Les invitations lancées auprès d’un certain nombre de programmateurs allaient dans le sens de cette recherche ambitieuse d’un marché global et non limité aux frontières du pays.

Marco Fresina, un homme d’église qui a présidé à nombre d’évènements organisés par le Vatican a composé une musique d’excellente qualité, alternant les plages classiques avec des morceaux plus modernes, juxtaposant les ensembles (chœurs, interprètes et musique) et les soli des chanteurs dont on peut parfois regretter certaines facilités, un air clinquant plus comédie musicale qu’opéra moderne. Concession à la modernité des comédies musicales ?

C’est d’ailleurs un des reproches que l’on pourrait adresser à la production et qui semble encore plus apparent dans la deuxième partie : ne pas avoir réellement choisi entre un opéra moderne et une comédie musicale, avoir laissé une ambiguïté s’installer au détriment de la cohérence du projet artistique. Car si on peut affirmer que la tendance opéra moderne est plutôt une réussite, la dérive vers une comédie musicale est d’une facture plus faible et tire vers le bas l’ensemble du projet.

La distribution des chanteurs est d’une grande qualité. Des voix puissantes et des physiques agréables collant parfaitement aux rôles. Ils s’appuient sur un décor conçu pour partie avec des éléments concrets (une immense roue en bois qui tourne sur son axe sur laquelle les acteurs déambulent et qui symbolise le parcours de Dante), et des images de synthèse absolument extraordinaires conçues par Paolo Micccichè qui viennent enrichir les décors naturels. Ce travail de l’image est à l’évidence un des points forts du spectacle. Sur une série de « pendrillons » qui se positionnent en découpant l’espace sur plusieurs niveaux de profondeur et de hauteur, des images de synthèse vont accompagner les acteurs chanteurs en créant des illusions plus vraies que nature. L’enfer, la forêt pétrifiée, sont des réussites absolues. On ne peut que regretter alors l’assèchement créatif de la fin du voyage. Sans doute est-il plus difficile de camper le paradis et la sérénité que les affres des démons qui nous torturent. Il n’en est pas moins vrai que nous avons, dans ce final, la vague impression d’une rupture avec la fièvre créatrice du début, d’un laisser-aller coupable !

En ce qui concerne les costumes, on peut regretter que cela se transforme progressivement en carnaval de Nice, et qu’un manque de sobriété s’empare du créateur parti dans des rêves de cartons-pâtes !

Reste la danse. Las ! Chorégraphies mièvres, danseurs de bas de gamme, apportant une touche de modernité avec vieux modern-jazz sans saveur. Les danseurs occupent une place trop importante, restent visibles sans raison, s’agitent pour créer l’illusion d’un mouvement perpétuel. C’est tellement inutile que cela en devient pénible !

Même les acrobates, parfois émouvants dans les tableaux dans les airs, en perdent de leur superbe et leurs prouesses se transforment en mécanique froide pour cause d’outrances et de répétitions. C’est aussi ce qui déclenche ce glissement vers une comédie musicale plutôt vulgaire, un peu choc et toc, formatée télévision, en décalage avec la dimension initiale d’un opéra moderne.

A l’évidence, dans ce projet, il manque un vrai regard de metteur en scène. Juxtaposition et collage peuvent parfois donner l’illusion d’une énergie libératrice mais en l’occurrence, accroissent la sensation d’une dérive hiératique, d’un patchwork inconsistant. C’est regrettable, tant de qualité et de moyens qui s’échouent sur les rives d’un à-peu-près sans rémission !

La production l’avait pressenti, qui interrompit en décembre les représentations, embauchant un nouveau metteur en scène en complément de l’ancien pour un duo à deux têtes hybrides, chargé de remettre sur les rails du succès et de la cohérence cette Divine Comédie. Après avoir retravaillé et coupé dans la chair à vif, le résultat reste en deçà de ce que l’on peut légitimement attendre d’une production d’une telle ampleur. Si elle peut dans ces conditions réussir à capter le marché italien, elle semble totalement inadaptée à conquérir le public européen sans un travail de réécriture scénique indispensable. Sans cesse sur le métier, il faut remettre son ouvrage… et même si ce n’est pas un italien qui l’a dit, cela reste plus que jamais d’actualité !

A part cela, Rome, quelle ville, quelle beauté, quelle gentillesse. Vive l’Italie et les italiens !

 

 

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Hommage à Cannes

Publié le par Bernard Oheix

Cannes est ma ville, j'ai grandi entre ses murs, je suis allé au collège puis au lycée Carnot, j'ai fréquenté les adolescentes de Capron, j'ai plongé du haut des rochers rouges de La Bocca, j'y ai embrassé ma première fiancée, pris ma première cuite et suis devenu un garde rouge pendant le mois de mai 68 !
En hommage à ma ville, même si je suis né à Nice et reste un inconditionnel de OGCN, voici ces quelques lignes comme un reflet dans un oeil sombre, quand les années de jeunesse semblent si loin. 
En cette période d'élection, juste une image sépia de cette ville incomparable !


 La Ville de Cannes est si belle d'hiver comme d'été. Je longeais le quai de la Pantiéro qui donne sur le vieux port et ses pêcheurs en train de ravauder leurs filets avec un gros couteau à maillage. En levant la tête, on distingue la silhouette des Monts de l'Esterel, avec leurs calanques rouges qui plongent dans la mer turquoise. Au large, les îles de Lérins ceinturent l'horizon, l'île Sainte-Marguerite, avec son fort et sa prison au masque de fer et plus loin encore, Saint-Honorat, avec son monastère cistercien qui se dresse en sentinelle d'une civilisation évanouie, où ses moines cultivent le raisin et produisent la Lérina, un petit vin chargé des saveurs d'une terre gorgée de soleil et de sel marin. Plus loin le Cap d'Antibes dont le phare veille sur les embarcations qui sillonnent la Baie des Anges vers les pointes rocheuses qui enferment la Principauté de Monaco. Surplombant les Allées de la Liberté, la colline du Suquet et son église Notre-Dame de l'Espérance avec son clocher qui donne l'heure aux habitants et la tour carrée du Musée de la Castre où flotte, dans le vent, l'écusson bleu et blanc de la Ville de Cannes. Il y a un air de fête permanente dans cette petite cité les pieds dans l'eau, la couronne de palaces en arc de cercle le long de la Croisette, le Palais des Festivals comme un navire tourné vers le large et qui éperonne l'horizon du gris de son béton et des coursives qui courent le long des pans de murs vers le bleu de la mer avec son pendant du Palm Beach qui s'arc-boute sur la langue de terre qui pénètre dans la baie de Cannes. Plus haut encore, les Préalpes avec le plateau de Caussols qui ceint Grasse d'une couronne blanche et le Baou de Saint-Jeannet qui se dresse orgueilleux et fier dans la perspective des montagnes du Mercantour dont les sommets sont enneigés jusqu'au mois de Mai.
C'est un vrai paradis que des couchers de soleil somptueux embrasent à la tombée du jour, où une brise marine légère adoucit les chaleurs de l'été, où les fleurs poussent même pendant l'hiver parant les collines du jaune des mimosas, où chaque saison invente une symphonie de couleurs et des palettes de senteurs comme pour une invitation à la quiétude et à l'art de vie de tous ceux qui ont peuplé ses rivages et y ont construit leur abri.
Je suis né et j'ai grandi dans cette ville. Il m'a fallu quelques années d'absence de cette région pour comprendre la mer si calme au matin le long du boulevard du Midi que j'emprunte pour rejoindre mon bureau à moto, la ligne d'horizon si bleue avec son odeur salée, et le bruissement des vagues qui meurent sur les plages de sable fin.

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Détours par l'Université de Nice

Publié le par Bernard Oheix

J'ai enseigné pendant 9 années à l'Université de Nice. La semaine dernière, j'ai fait une intervention à la demande d'un responsable à l'IUT info/com de Sophia-Antipolis. J'aime toujours autant ce contact, transmettre, regarder et analyser comme si cela me permettait de mieux comprendre ce que je fais, d'éclairer ma pratique. A la fin des deux heures, ils m'ont applaudi...ce qui est  toujours agréable pour son ego !
Cela m'a remis en mémoire de mauvais souvenirs. Comment l'Université de Nice m'avait amené à démissionner et à renoncer à cette volonté de transmettre. Je me suis aussi souvenu que jamais personne n'a parlé de cet épisode, aucun responsable pour
 dialoguer, aucun retour comme si ce qui était arrivé n'existait point, n'avait jamais eu lieu.
J'ai décidé de publier dans mon blog cette lettre de démission adressées aux responsables de l'université qui ne m'ont jamais répondu... Vive l'Université française et ses cadres performants, vive les enseignants courageux qui osent affronter le monde de la réalité !


Madame B...,                                                                                                   Le 15/04/2005
Assesseur à la pédagogie.                                                                          A Cannes,                                                                                                                                                                                                        
 
Copie    : Madame la Doyenne.
   Monsieur Jean-Pierre T....
   Madame Marina N. : Responsable section Danse
   Madame Ghislaine Del R... : Responsable théâtre
 
 
Enseignant, chargé de cours depuis 9 ans à l’Université de Nice, Licence arts du spectacle, je tiens par la présente à vous informer que ma démission sera effective à partir du 22 avril 2005. Je n’effectuerai pas mon jubilé des dix ans, malgré l’intérêt réel et l’attachement que j’ai pour cette fonction de transmission d’une expérience acquise à un poste de responsabilités importantes. Je suis depuis 15 ans Directeur de l’Evénementiel au Palais des Festivals et des Congrès de Cannes et par ailleurs titulaire de deux maîtrises et d’un DEA dans cette même université de Nice.
En effet, face aux décisions scandaleuses qui ont été prises le 7 avril, je ne peux que constater que ma hiérarchie ne m’a pas suivi, bien au contraire, donnant raison à trois étudiantes (Charlotte C..., Marianne R..., Myriame B...) contre l’avis de l’enseignant, passant outre sa position, infirmant ses propos et la bonne marche administrative des règles énoncées par l’université elle-même.
J’assume un cours mensuel de 3 heures d’Economie de la Culture et de Culture d’Entreprise pour les licences arts : théâtre, danse. Mon cours comprend une partie théorique d’une heure, (économie du spectacle) et une partie pratique de deux heures, (gestion et encadrement d’un stage) obligatoire dans leur cursus…même si aucun créneau temps n’est prévu pour leur permettre d’assumer ce stage dans des conditions normales comme je le demande instamment depuis toujours. Depuis quelques années l’accroissement des effectifs (40 étudiants) pose le problème d’un suivi personnalisé de leurs travaux. J’ai toujours maintenu une réelle qualité d’enseignement et chaque étudiant a mon portable personnel et professionnel, mon mail et peut me contacter en permanence. Ils ne s’en privent d’ailleurs point et je suis toujours disponible pour les aider dans leurs démarches !
Au premier cours théorique de cette année, 3 étudiantes ont décidé de contester mon enseignement après 30 minutes, m’obligeant à intervenir et à leur demander de sortir. C’est la première fois qu’en 9 années d’enseignement je suis confronté à une telle situation.
Elles ont exigé un aménagement des modalités de validation vu « qu’elles ne pouvaient assister à des cours nuls » (dixit Myriame B... qui me l’a déclaré en face… en cela, elle avait au moins le courage de ses opinions).
L’administration (qui ?) sous leur pression, a décidé de les exonérer de contrôle continu…laissant la porte ouverte à un absentéisme chronique de cette section théâtre, par rapport à la section danse. De plus, comment peut-on passer en contrôle final un stage de 3 semaines qui implique le choix et la validation d’un stage, l’élaboration d’un mémoire et une soutenance publique ?
L’obligation de réaliser ce stage les a réveillées 3 jours avant leur départ en vacances. J’ai reçu un mail de leur part le 4 avril à 22h22 (cf : documents joints) me demandant de faire signer les conventions de stages par la Responsable de la section théâtre sans qu’il soit validé par mes soins...
J’ai répondu le 5 avril à 9h45 que je souhaitais qu’elles me présentent la structure dans laquelle elles devaient réaliser leur stage. Elle ont refusé (le 6 avril à 16h03) et malgré ma réponse à 18h16 ne m’ont pas contacté au téléphone pour trouver une solution. Vous avez apparemment décidé de faire avaliser cette conduite scandaleuse en prenant la décision de faire signer les conventions par la responsable de la section théâtre malgré mon opposition claire et cela sans même avoir le courage de me téléphoner pour en parler et m’annoncer cette décision. Je l’ai apprise le lendemain par un coup de fil volontariste de ma part à Ghislaine Del R....
J’en tire les conséquences.
 
Si je devais vous faire un cours sur la culture d’entreprise dont vous avez manifestement besoin, je vous dirais que le respect des règles et de la hiérarchie est la base même sur laquelle une équipe de travail peut fonctionner et atteindre ses objectifs. Quels sont les vôtres en l’occurrence ? Surtout pas de vagues, pas d’étudiants en colère, pas de bruit, quitte à abandonner toute autorité et à mettre l’enseignant en difficulté par le seul fait de refuser les règles que vous avez édictées et qu’il se doit d’appliquer.
Depuis des années je m’escrime avec passion à transmettre un « principe de réalité » à des jeunes bien démunis devant lui mais aussi devant une administration universitaire elle-même désemparée par cette ouverture au monde des entreprises (j’en veux pour preuve cette absence de planification d’une période de stage…bien qu’obligatoire !) .
Mon cours économie du spectacle s’appuie sur mon expérience de terrain ( je gère 100 jours/spectacles pour un budget annuel de plusieurs millions d’€ et dirige une équipe de 12 personnes) et sur une ouverture à la réalité des événements, sur ma pratique de Directeur et sur mes capacités pédagogiques à transmettre ce savoir et ces modes opératoires (en l’occurrence insuffisantes face à trois étudiantes en recherche existentielle de certitudes).
 
 
Mais si la peur de voir ces trois étudiantes soupirer un peu trop fortement suffit à faire trembler tout l’édifice d’une université, alors je n’ai malheureusement plus rien à faire dans cet établissement. J’aurais aimé que vous preniez vos responsabilités comme je prends les miennes quand je suis seul devant des étudiants.
 
 
 
PS : Je vous transmets ci-joint les mails concernés et mon CV.
 
Bernard Oheix
Ex-chargé de cours de l’Université de Nice, licence arts du spectacle.

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Sur quelques livres...

Publié le par Bernard Oheix

Sur quelques livres….
 
 
Depuis décembre, j’ai plongé dans les livres. Au cours des temps morts des voyages (et dieu sait combien il y en a, même dans les plus exotique !), en rentrant pour se détendre et se laver la tête, accroché par une phrase ouverte sur le monde, contemplant les nombreux cadeaux d’un Père Noël particulièrement culturel…Entre deux mouvements d’écriture, le désir de consommer passivement…
Quelques commentaires à partager.
 
Cul de sac. Douglas Kennedy.
C’est moite au début, étouffant à la fin. Un homme rompt avec la routine, prend son argent et décide de traverser l’Australie. Ce coup de dé n’abolit pas le hasard. Une terre de chaleur, des êtres comme des fantômes errant dans un bush parsemé d’embûches. Une femme va se jeter dans ses bras et l’attirer dans un trou perdu, au fin fond d’une piste abandonnée, village rayé de la carte routière, vieille mine fermée depuis quelques décennies, repeuplé par quelques familles dans un rêve utopique d’une rupture avec la modernité. Cette « cité du soleil » retournée aux sources de l’humanité dans des règles frustres édictées par 4 gardiens du temple, s’est transformée en « cité de l’enfer ». Il est échoué dans ce paradis perdu afin de devenir un procréateur. Afin de lutter contre l’inceste, les enfants de 18 ans, doivent partir sur la route en un voyage initiatique pour  ramener de la chair fraîche apte à renouveler le capital génétique de ce cheptel humain. Notre héros marié de force à une gorgone va vivre l’enfer au vrai sens du terme. Enfermé dans une prison ouverte, il tentera de se libérer de ses chaînes pour retrouver la civilisation et ses codes.
C’est une œuvre au couteau, une écriture lourde mais terriblement efficace, des mots qui suintent la peur et l’horreur, des phrases qui campent l’abomination d’une utopie qui s’est inversée en une monstruosité niant le temps. Ames sensibles s’abstenir !
 
Millénium 1
Millénium 2
Millénium 3. Steag Larson.
Comment ne pas être fasciné par l’histoire de cette oeuvre. Un homme écrit pendant des années dans l’ombre pour déposer ses tapuscrits auprès d’un éditeur et décéder avant leur parution. Déjà, cela ennoblit d’entrée l’auteur ! Avoir l’élégance de disparaître quand une œuvre émerge, quel talent ! Et si le livre et bon, quel génie !
3 tomes de 1000 pages, le pari semble impossible, l’ambition hors de propos. Pourtant, dès le premier paragraphe, dès la première page avalée, vous savez au fond de vous que vous êtes piégé, qu’il va falloir désormais puiser dans vos nuits pour les terminer, que vous allez enchaîner les tomes au rythme d’une lecture frénétique. Ce n’est pas de la grande littérature, c’est même, osons le dire, plutôt banalement écrit. Mais les personnages vivent, sont attachants, on les voit se dessiner derrière les mots. Les situations sont exacerbées à souhait, les dénouements tombent piles. C’est de l’écriture efficace, sans génie, mais diablement percutante. Même si le deuxième tome se perd quelque peu dans un dénouement facile, même si le troisième vous parait recouper des situations passées, même si parfois les clefs du royaume s’avèrent tendancieuses, quelle efficacité, quel punch dans ces trois Millénium. C’est du roman à l’image de notre époque, un brin m’as-tu-vu, parfois scabreux, toujours accrocheur, traçant un chemin dans une forêt de phrases pour déboucher vers un monde où s’affrontent la soif de découvrir et la capacité de dissimuler. L’informatique comme levier, le journalisme comme vision, des individus de chair et de sang qui souffrent et se perdent.
 
 
 
La route. Cormack Mcarty.
Le thème est connu. Dans le pays ravagé d’une post-apocalypse, un homme et son fils tentent de survivre et de rejoindre la mer. Des hordes de cannibales errent sur des chemins désertés par la civilisation. L’homme, malade, protège son fils et lui inculque les rudiments d’une culture disparue, celle des hommes d’avant le cataclysme. Ils vont s’épuiser à marcher, éviter des pièges, tomber dans d’autres, abandonner toute humanité afin de survivre et de se protéger. L’auteur s’interroge sur ce qui pourrait unir l’homme à l’homme quand tout lien social disparaît, quand la survie dépend de la solitude et du hasard. Au bout du chemin, on trouve le désert de l’océan vide, la mort pour l’un, l’espoir pour l’enfant. Si un embryon d’humanité peut être conservé, alors tout est possible, même l’avenir !  C’est un thème mainte fois traité que ce soit par Stephan King, ou plus proche de nous, par Robert Merle dans Malevil. Ce n’est pas le meilleur, mais Mcarty est un vrai écrivain. Il sait peindre la réalité et introduire une réflexion dans les dialogues simples d’un père et de son enfant. Comment survivre, sinon en tuant sa part de rêve et l’image du passé ? Rien ne doit raccrocher aux souvenirs, une seule règle prévalant : rester du côté des gentils contre les méchants (les cannibales). Si vous n’êtes pas fan de science-fiction, replongez-vous dans « de si jolis chevaux », un chef-d’œuvre sur la mort de l’ouest et les derniers cow-boys.
 
Je passerai sur un de mes péchés de jeunesse, le polar pur et dur, en l’occurrence Nicci French dans Jeux de dupes, une vraie histoire à l’américaine dans la tradition des MacDonald, Highsmith and co. Un  bouquin à lire dans l’avion qui me ramenait de Russie et à filer à un ami après lecture. Il n’y avait pas de trou d’air et j’ai pu le siroter comme une bière un peu fade, fraîche mais sans consistance !
 
Plus troublant, le récit de Jean Teulé dans un Darling glauque à souhaits lu à Madrid. Rencontre entre l’auteur et l’héroïne du livre pour une œuvre duale. Enfant grosse et laide qui traversera sa vie à coup de viol, mépris, coups et autres tentatives de suicide, ce livre est un témoignage poignant et désespéré sur une femme aux confins de rien, quand l’individu ne rêve plus parce que la réalité est le reflet déformé de nos cauchemars. Morbidité assurée !
 
Tout ancien soixante-huitard a forcément. Entendu parler de Phillippe Sollers, mais qui le connaît vraiment ? Le nom de Tel Quel résonne encore. Il y a ses écrits rarement lus, il y a le personnage public, rares apparitions, un brin désinvolte, intelligentsia décalée, hors du temps, il y a l’ancien révolutionnaire maoïste que l’on voit si peu dans les débats contemporains… Un vrai roman est une fausse autobiographie. S’appuyant sur son passé, il livre des bribes de son histoire pour introduire des clefs de lecture plus générales de cette période d’une extrême densité. Très rapidement, il va s’extraire du passage obligé de la confidence pour passer à l’universel d’une conception de la vie. La religion, le pouvoir, l’écriture, mais aussi l’amour, le cinéma, le théâtre par le prisme des ceux qui ont croisé sa lumière.
De cette plongée, on ressort plus intelligent, il a réussi à nous faire partager ses rencontres avec Ponge, Aragon, Mauriac, Breton, toutes les personnalités fascinantes de ce milieu du 20ème siècle qui vont faire de Paris une capitale intellectuelle, les Barthes, Foucault, Sartre, Althusser, Deleuze, Derrida… On rêve ! Il n’y a point d’affectation dans ses anecdotes, il y a la vie extraordinaire d’un être qui rend naturel cette destinée hors du commun.
Il y a aussi ses femmes, Dominique Rolin, la maîtresse mère et Julia Kristeva, la femme pour l’éternité… et toutes les autres évoquées avec pudeur.
Au fond, plonger dans ce livre, c’est ouvrir une page de notre propre passé tant son histoire extraordinaire colle à notre vie ordinaire. Il nous restitue ce qui en a fait un être d’exception… plutôt sympathiquement, comme s’il nous aidait à mieux comprendre ce qui s’est joué dans ces années de soufre où tout était possible. Il nous remets du sens dans ce qui brillait au point de nous aveugler. Toutes les générations vieillissantes ont tendance à penser que leur jeunesse avait des vertus que le présent a chassées… Sollers nous prouve que c’est bien dans cette moitié du siècle que les idées avaient encore la possibilité d’être des armes au service de la raison. Bienheureux celui ou celle qui peut désormais lire ce livre en sachant qu’à défaut de comprendre, il a pu respirer l’air contemporain de ces penseurs qui ont éclairé l’humanité ! Combien apparaît d’une grande pauvreté le degré zéro de la réflexion actuelle et d’une politique de l’image où tout est dérobé, même la critique !
 
Et pour finir, c’est à Rome que j’ai terminé le prix Goncourt 2007. Alabama Song de Gilles Leroy. Est-ce un grand Goncourt ? Je n’en ai pas l’impression ! Pourtant, même si le livre démarre doucement, il ferre avec douceur et l’on se surprend à terminer cette fausse biographie d’une Zelda Fitzgerald plus vraie que nature. La part de fiction s’imbrique si parfaitement dans les maigres éléments de ma culture « Fitzgéraldienne » que le thème éternel de la vampirisation d’un être par un autre devient l’axe qui accroche le lecteur. L’homme célèbre qui dévore sa compagne dont l’œuvre sera captée et détournée pour sa seule gloire est un thème récurent de la création ! En l’occurrence, une petite musique suave à l’écriture fine et élégante, mais  pourquoi pas ? Cette oeuvre ne devrait pas passer à la postérité, elle engrangera toutefois quelques royalties conséquentes et semble être le produit consensuel d’une alchimie où la cuisine littéraire l’emporte largement sur les considérations esthétiques ! Peut-être que la vraie création était en panne en cette année de 2007.
 
Bon, à bientôt pour d’autres rendez-vous sur mon blog, de nouvelles aventures nous attendent !.

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Le Festival International des Jeux de Cannes.

Publié le par Bernard Oheix

C'est le terminus d'une semaine de folie... et je n'étais pas tout seul à être ivre de bonheur et de fatigue ! 15 000 joueurs, 125 000 personnes sur le salon en train de jouer à tous les jeux du monde, de jour comme de nuit, dans une ambiance de folie sans aucun incident... On prouve à Cannes que les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes, les nations (50 pays représentés), les religions, les différences, ne sont pas des obstacles mais peuvent, bien au contraire, être un ferment d'émulation, un enrichissement,  une façon de mieux se comprendre ! 
Comme une tour de Babel, un phare dans la nuit des vieux démons, nous avons éclairé le monde d'un faisceau lumineux d'humanité, d'un bonheur simple et immédiat. Dans le dépassement de soi, l'affrontement aux autres, le respect des règles et la dimension ludique sont chargés de ce lien social possible et souhaîtable que le monde politique cherche sans jamais trouver. Les adieux déchirants sonnent l'heure des retrouvailles... A l'an prochain, déjà !

Le texte que vous pouvez lire a été composé en 2003... Il est extrait d'un projet avorté mais il garde toute son actualité concernant le Festival des Jeux de cannes. C'est la 16ème "histoires vraies" du blog. Une page de mon passé au sein de cette structure !

 
Garry Kasparov, parmi tous les joueurs que j'ai rencontrés, est celui qui m'a le plus impressionné tant par la brutalité absolue qu'il dégage que par cette obstination qui se cache au fond de lui et l'empêche de s'avouer vaincu quelles que soient les situations. Au Championnat du Monde en parties semi rapides organisé avec la Fédération Française d'Echecs et le club de Cannes de Damir Levacic dans le cadre du Festival International des Jeux 2001, la finale se déroulait sur le plateau du Palais des Festivals et se présentait comme l'affrontement logique entre la star qui avait renoué avec une compétition officielle de la FIDE, la fédération internationale, et un de ses dauphins naturels, le Russe Evgeny Bareev qui culminait à 2704 points Elo dans le classement des joueurs et rendait 145 points à "l'ogre de Bakou".
Kasparov est une légende et continue, dans une longévité exceptionnelle, à régner sur les 64 cases, défiant le temps et l'usure des sommets vertigineux sur lesquels il campe en tsar indéboulonnable. Né en 1963, il devient le plus jeune Champion du Monde de tous les temps en 1985, à l'âge de 22 ans, endossant par la même occasion, le statut de leader de l'opposition et de la révolte contre l'establishment russe qui imprimait sa main de fer sur l'univers de ce jeu, institution en Union Soviétique et source d'accession aux plus hautes sphères de l'Etat garantissant les honneurs et privilèges attachés à ceux qui le servent et lui rendent grâce.
Sa rivalité avec Anatoli Ievguenievitch Karpov a marqué l'histoire des échecs de la deuxième partie de ce XXème siècle de quelques pages d'or. Karpov, de douze ans plus âgé, élève de Botvinnik, triple Champion du Monde qui lui permettra d'obtenir ses premiers succès dès l'âge de 15 ans, devient l'idole de l'Union Soviétique après la retraite de l'Américain Bobby Fischer et sa victoire aux Philippines, à Baguio en 1978, contre le dissident Victor Korchnoï, au bout d'un suspense de trente deux parties acharnées, parsemées d'incidents innombrables déclenchés alternativement par les deux joueurs qui luttaient, non seulement pour leur suprématie, mais aussi pour la victoire politique de leur camp. Des coups fourrés, des changements de positions, des médiums invités à la grand-messe, des exigences sur les meubles et les lumières, les attitudes des arbitres, tout fut prétexte à un duel acharné opposant les deux clans et se soldant par un combat planétaire entre les forces de l'establishment et celles de la dissidence. Kasparov n'avait que 15 ans à l'époque du sacre de Karpov et il avait analysé ses parties des nuits entières, jusqu’à voir l’aube se lever sur des rêves de conquête d’un titre mondial qui lui permettrait de régner sur le monde des échecs, son ambition et la certitude d’un destin planétaire n’ayant pas de limites. Déjà proche de la perfection, son jeu s'était affirmé entre la science tactique, l'originalité de ses stratégies, une approche purement animale et ce formidable instinct de tueur qui allaient devenir le sceau de son talent.
C'est en 1984 que leur duel annoncé allait se concrétiser, dans un premier round qui dura quarante-huit parties d'un championnat marathon interrompu par le président de la Fédération en dépit de toute équité, pour des raisons fallacieuses qui tendaient à protéger le tenant du titre, duel fratricide des deux produits les plus parfaits de l'école russe des échecs, match sans vainqueur, débridé, sans foi ni loi, que Karpov menait mais où Kasparov semblait en mesure de pouvoir revenir. Ce n'était que partie remise pour celui qui avait gagné un surnom à défaut du championnat, "l'ogre de Bakou" qui, en 1985, terrassait Karpov et l'Union Soviétique en pleine décomposition pour ne plus lâcher prise et sceller son nom au destin des échecs de la fin du millénaire, devenant la plus grande légende vivante, rejoignant au Panthéon des grands hommes, ceux qui marquent l'histoire de leur empreinte et transforment la réalité.
De cette première rencontre avec lui, je me souviens, dans les coulisses du Palais des Festivals, juste avant la finale que je devais présenter avec Damir devant 1500 personnes, de son regard noir, de ses épaules qu'il rentrait, sa tête basse et l'authentique violence qui émanait de lui, cette haine qui jaillissait en flots tumultueux, n'épargnant personne, de sa capacité à se concentrer en tournant comme un fauve en cage, et de l'explosion quand nous sommes entrés sur scène, sous les sunlights et que plus rien ne comptait que ce titre de Champion du Monde en parties semi rapides qu'il voulait reconquérir pour son come-back dans les compétitions officielles de la Fédération Internationale. Celle-ci était dirigée par son ennemi, Kirsan Ilyumjinov, président de la République autonome de Kalmoukie, petit Etat de la Fédération de Russie, peuplée de descendants des Torgouts, guerriers mongols qui régnèrent sur l'Asie Centrale et campent désormais sur une terre aux réserves de pétrole enfouies sous les sabots de leurs chevaux et dont la production de caviar est une des ressources naturelles génératrices de revenus substantiels. Ilyumjinov avait réussi une OPA, au congrès de Paris en 1995, en se faisant élire président de la Fédération Internationale des Echecs, deuxième fédération sportive au monde après le football, à l'époque sous la coupe d'un personnage trouble aux relents sulfureux, le Philippin Campomanes celui-là même qui avait organisé le match de 1984 entre Karpov, le Champion du Monde en titre et son challenger Garry Kasparov. Depuis, ce chef d'Etat de la seule République bouddhiste d'Europe, sorti de l'HEC russe, qui avait surfé sur la vague du libéralisme embrasant la Russie pour accumuler une fortune colossale, ami de Wladimir Poutine, était devenu le bailleur de fonds d'un sport échiquéen surmédiatisé mais qui n'arrivait pas à drainer les moyens financiers nécessaires à son développement.  
J'avais rencontré le Président Ilyumjinov à Istanbul, pendant les olympiades d'échecs qu'il sponsorisait avec largesse, dans la période de préparation du Championnat du Monde et je le revoyais, avec ses lunettes noires, jeune, visage de Yakusa égaré dans un costard noir qui lui cintrait une taille fine et des muscles d'acier, tout droit sorti d'un film de Kitano, ses deux porte-flingues à ses côtés, le regard absent ne s'animant qu'à l'annonce que Kasparov allait réintégrer le giron des compétitions internationales et serait présent pour cette coupe du monde organisée à Cannes sous son égide, après plus de cinq ans de brouilles et sa tentative avortée de créer une fédération concurrente.
 
Le champion n'a pas eu besoin de départage, ces parties complémentaires que l’on doit jouer en cas d'égalité au score, tant il s'était programmé pour vaincre. Pour la finale, les deux compétiteurs trônaient sur une estrade, séparés par une table qui supportait un échiquier et la pendule électronique où s'égrenaient les vingt minutes de base octroyées à chacun, auxquelles s'ajoutaient dix secondes par coup joué pour l'emballage final. Des caméras reprenaient leur visage et fixaient leurs attitudes sur l'écran gigantesque où avaient été projetés les plus grands films de l'histoire du cinéma. Entre les images des joueurs, un échiquier géant télécommandé par informatique permettait de suivre la partie en direct pendant que Damir Levacic, en cabine, commentait les coups relayé par des écouteurs HF, expliquant les positions et les choix stratégiques, faisant participer le spectateur au suspense de cette finale arbitrée par un Canadien, Stephen Boyd, au flegme tout britannique. Dans la première manche, Kasparov avait tiré les noirs et résistait dans une partie anglaise où les pions C4-C5 maîtrisent l'espace central, donnant une force aux blancs et instaurant un avantage positionnel microscopique mais durable, une approche du jeu exploitable par un jongleur du type de l'opportuniste Bareev, grand spécialiste de cette ouverture. C'est un style de jeu karpovien que Bareev développait, un Karpov auquel il ressemble physiquement, même maigreur, même taille, yeux clairs, cheveux blonds sur le côté, attitude nonchalante dissimulant une volonté de fer. Au bout d'un combat acharné, Garry arrachait la parité, un bon résultat qui le positionnait en force pour la revanche où il récupérait les blancs et l'avantage de l'ouverture, produit d'un combat où rien n'avait été cédé, où les défenses avait pris le pas sur les attaques dans une véritable guerre de tranchées où chaque interstice dans les positions donnait lieu à un affrontement pied à pied menant vers une neutralisation finale.
 J'étais sur scène avec l'arbitre de plateau, l'oreillette me permettant de suivre les commentaires enflammés de Damir, micro à la main, prêt à intervenir. Avec les blancs, Garry ouvre d'un E4 sur lequel Bareev opte pour le E6 de la défense française. Un flottement, une rumeur incrédule est montée de la salle stupéfaite par ce traitement de l'attaque d'ouverture, Kasparov allant provoquer son adversaire sur son terrain de prédilection. C'est dans le style de Karpov que le champion venait chercher cette victoire, une confrontation inédite par échiquier interposé avec son légendaire adversaire dont Bareev était le meilleur exégète. Kasparov savait que le départage lui serait favorable tant sa capacité d'improvisation et sa rapidité d'exécution étaient légendaires, pourtant il impulsait une pression formidable, prenant tous les risques, usant de ses coups de boutoir qui l'avaient rendu célèbre, s'engouffrant par une brèche infime pour ne plus lâcher sa proie, le talonnant jusqu'à la perte du temps, des repères et du sang-froid, dans un abandon final devant la trotteuse de la pendule. C'était la victoire d'un stratège au zénith de ses moyens, à l'optimum de ses capacités sur un guerrier qui n’avait jamais abdiqué.
 Kasparov avait le regard fixe et haineux, le corps ramassé et noueux, les veines de ses mains d'homme de la terre d'Azerbaïdjan couvertes de poils noirs, palpitaient pendant qu'il les frottait l'une contre l'autre. Il semblait prêt à jaillir de son siège, comme si cette position assise en ce final à couteaux tirés lui devenait insupportable, comme si son énergie ne lui permettait plus de contrôler les mouvements sporadiques qui ne se calmaient que quand sa main saisissait une pièce et la déplaçait sur l'échiquier, plongeant toujours plus son challenger dans le doute et le désarroi, parachevant sa victoire d'une maîtrise du temps qui laissa pantois l'ensemble des spécialistes garnissant les fauteuils de la salle, médusés par ce combat de légende.
C'est à ce moment précis, en le voyant sous mes yeux, dans une proximité qui me permettait de ressentir physiquement ses réactions, que j'ai perçu à quel point les champions hors norme échappent aux codes en vigueur chez les communs des mortels. Dans ce jeu, il n'y a, au monde, qu’une poignée d'hommes à être capables de transgresser les règles, de les faire évoluer, une minorité seule a le talent de l'inconscience et peut atteindre à la grâce sublime de ceux que l'aile du génie effleure. Je me suis demandé si mon ami Massoud, qui avait été formé dans le même moule, qui avait côtoyé tous ces grands champions, qui avait été nourri des sources de cet enseignement, aurait trouvé sa place sur l'échiquier de la vie si le conflit absurde dans lequel les soviétiques s'étaient enlisés en Afghanistan ne l'avait irrémédiablement chassé dans les limbes du jeu, dans un hors case qui avait ruiné les chemins de sa destinée et conduit vers la solitude et l'abandon.
Quelques heures après cette victoire, Garry me fit porter un pli par son secrétaire particulier, sparring-partner et homme de confiance qui le suivait comme son ombre. Il m'invitait à souper avec lui à La Belle Otero, un restaurant panoramique qui dominait la baie de Cannes au septième étage de l'hôtel Carlton et dont le chef avait deux étoiles. Autour du maître et de ses deux assistants de jeu, le président de la Fédération Française et Damir Levacic m'attendaient en dégustant un verre d’un Grand Cru classé qui trônait sur la table miroitante d'argenterie et jetait des éclairs sanguins sur la nappe immaculée. Kasparov était en train de commenter les noms de ses rivaux, à la recherche d'un successeur potentiel qui saurait l'abattre et récupérer le sceptre qu'il venait de reconquérir. D'Annand, l'Indien trop inconstant et fragile à Kramnik, le Russe manquant d'imagination selon lui, aucun de ses dauphins naturels ne lui semblaient posséder la capacité de le battre sur le temps, et dans la suffisance et la morgue de sa victoire, Garry le Magnifique plastronnait, dégustant à petites lampées son nectar, déclamant des sentences à la cour qui l'entourait et l'écoutait religieusement. Tout au plus la nouvelle génération à l'image d'Etienne Bacrot, le surdoué français qui avait porté le titre de plus jeune grand maître de l'histoire des échecs ou le talentueux Ponomariov, une nouvelle pépite de l'école russe, trouvaient-ils grâce à ses yeux et, bien que trop tendre pour l'heure, lui donnaient l'impression de prendre date avec le futur. En se projetant ainsi dans l'avenir, "l'ogre de Bakou" niait le présent et en gommant une génération, inconsciemment, perpétuait son règne et s'octroyait un peu de ce temps qui lui filait entre les doigts, sonnant l'heure d'une retraite inéluctable et la victoire des années qui s'écoulaient sur sa volonté de fer. En aparté, Damir me confia qu’il l'avait vu recevoir de Moscou des fax qui analysaient les parties de l'Ambler Tornement qui se déroulait, avec quelques-uns uns de ses principaux rivaux, à Monaco, trente kilomètres plus loin. Garry, derrière le talent brut, est aussi une bête de travail et un monstre d'organisation, utilisant les moyens techniques les plus sophistiqués, recrutant les meilleurs assistants et les stratèges les plus performants afin de les mettre à son service et de les utiliser au profit de la construction d'un mythe qu'il s'attelle à bâtir tous les jours et qui porte son nom en lettres d'or.
A table, confortablement installés, il nous régala de quelques anecdotes sur les innombrables tournois qui l'avaient entraîné aux quatre coins du monde, d'un avion à l'autre, d'un hôtel à un lit de hasard, avec toujours cette réputation de tueur qui le précédait et dont il tirait une réelle jouissance, se repaissant du visage apeuré de ses adversaires, des rictus nerveux au moment de la mise à mort, de la sueur et du goût de sang qui concluaient les mouvements compulsifs des mains sur l'échiquier, de cette dualité d'un monde où le noir et le blanc des pièces de bois bornent l'horizon d'une frontière infranchissable. L'histoire des coqs nous fit rire aux larmes tant sa façon de la raconter, son sabir mêlant un fond de russe sur des pans d'anglais saupoudrés de zestes de français, espagnol et italien, épiçait cette farce d'un KGB qui, en 1990, à Lyon dans la revanche du championnat du monde qui l'opposait à son éternel rival, Anatoly Karpov, avait payé les paysans qui habitaient autour de sa résidence pour que des dizaines de coqs chantent dès les premières lueurs de l'aube et l'empêchent de dormir.
Je dégustais un foie gras poêlé en chapelure d'oignon qui fondait dans la bouche, le vin coulait comme un ruisseau de vie dans notre gorge et lui, plus que jamais certain de sa toute puissance, nous affirmait qu'il règnerait encore dix ans sur l'homme et que Deep Blue, l'ordinateur diabolique, ne l'avait battu que sur l'abandon de son physique et la trahison de son corps. Il resterait pour l'éternité le 13ème Champion du Monde, celui qui, au 13ème coup de la 13ème partie avait proposé une innovation théorique qui avait stupéfié tous les commentateurs et analystes de ce jeu, celui qui ne pouvait dormir dans un hôtel qu'à la chambre 13 et ne sortait jamais sans ce chiffre 13 caché dans une de ses poches, sur un porte-clefs dont il ne se séparait jamais. Au fond, sa vie réelle n'avait que peu d'importance devant la richesse de sa vie rêvée et il n'était pas indispensable de savoir que ce symbole de la révolte, cet étendard de l'anticonformisme avait été inscrit aux Jeunesses Communistes avant de rejoindre le camp de Gorbatchev sous Brejnev, puis d'être Eltsinien sous Gorby, de prôner Lebed à la disparition de Eltsine et de chercher sa place sous Poutine, toujours ailleurs, jamais présent, la tête dans les nuages à côtoyer des dieux désincarnés et à se perdre dans les arcanes des stratégies et des recherches d'un geste impossible et d'une perfection inhumaine.
 
 C’était il y a 7 années, pendant un Festival des Jeux qui avait drainé dix mille joueurs venus de 37 pays de la planète, permis à 1250 scrabbleurs de s'affronter, à 600 bridgeurs de surenchérir, aux Africains de l'awalé de découvrir les subtilités du go, aux taroteurs de faire rouler les dés du Backgammon et à toutes les générations de se confronter en une gigantesque foire d'empoigne dans les règles de l'art. C'est une vraie ville éphémère de province qui se constitue, une ville de 10 000 habitants où seuls les joueurs peuvent s'établir, qui possède ses codes et ses habitudes, ses vainqueurs et ses perdants, ses drames et ses joies, son fair-play et ses tricheurs. Depuis 1987, pendant une semaine, Cannes devient la capitale incontournable des amateurs de jeux, des classés aux débutants, jeunes, vieux, hommes, femmes, ils viennent tous par milliers afin de se frotter aux meilleurs et de mesurer leur niveau. Ils dorment en jouant et se nourrissent des aspirations les plus étranges, sous perfusion d'un alchimiste pervers qui leur aurait inoculé le vice du jeu, les vertus du dérisoire.
25 000 m2 de stands, de moquettes, de salles aménagées avec des tables et des chaises, et du matin à tard dans la nuit, cette foule d'yeux impatients, de mains avides, de cette sueur qui sourd quand le moment décisif du choix intervient, de ces gestes frénétiques qui rythment l'existence du joueur et le coupent de la réalité. Le joueur est un être qui vit sur une autre planète, perdu dans les arcanes de l'initiation et qui se reconnaît une famille composée, s'invente des histoires et brave la destinée des mortels en tentant de lire les signes du ciel. Il espère arracher des bribes d'immortalité aux jours qui s'écoulent, cherche toujours à transformer l'échec en un cheminement vers la perfection et quand il se campe au-dessus des lois, qu'il est le meilleur, le vainqueur, alors il sent approcher la défaite et s'apprête à subir les affres de l'angoisse et du renoncement. Par un cruel paradoxe, c'est dans l'accession aux sommets des arts du jeu que les grands se perdent et se laissent emporter dans les nuits glacées de la déraison. Bobby Fisher, génie absolu, en est un exemple, capable des coups les plus improbables, seul occidental qui a su à dominer les Soviétiques en un demi-siècle d'opposition de style, vainqueur au finish d'un Boris Spassky à la dérive en 1972 à Reykjavik. Il entre en religion échiquéenne à l'âge de six ans, quitte l'école à quatorze, devient le plus ignare des champions américains, étalant une inculture que seul son génie, les pièces de bois en main, pouvait compenser et, ceint de la couronne mondiale, s'isole dans un silence austère et incompréhensible, se coupant du monde en un autisme définitif. Derrière la légende, on trouve le grand mystère de sa mère, cacique de l'école du Parti à Moscou à la fin des années trente et de sa demi-sœur, Joan, née en URSS en 1938, jetant un voile trouble sur la victoire de l'Occident sur l'Orient.
Il en va ainsi pour tous ceux qui vivent leur vie dans les tournois, se transcendent pour une série, se dépassent pour un contrat et deviennent des géants parmi les hommes. La perfection d'une stratégie, l'intuition sublime qui embrase, l'instinct définitif qui corrobore les éléments d'analyse, tout cela s'élabore dans la tension et la fureur de l'impuissance, entre l'imaginaire et le réel.
 

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Une pincée de culture...

Publié le par Bernard Oheix

 
 
Mon dernier voyage sur Paris s’était soldé par une compilation de pièces peu intéressantes, des brouillons vagues, sans désir. Je suis en retard sur ma programmation de la saison 2008-2009, ce nouveau rendez-vous avec les scènes de la Capitale était d’importance : allais-je enfin trouver ces pépites dorées que tout programmateur rêve de dénicher ?
 
Mercredi 6 février. Carpentras. Salle polyvalente. Les moines de Shaolin.
Il existe autant de troupes de Shaolin que de Chœurs de l’Armée Rouge ou de Cirques de Pékin sur le marché. Il était indispensable que je visionne la troupe qui m’était proposée afin de vérifier que j’avais bien de « bons » et « vrais » Shaolin. Mission accomplie. Dans une salle de gymnase mal aménagée (mais qui fait une belle petite programmation sur l’année), les moines bondissent, se fracassent des barres de fer sur la tête, s’empalent sur des clous, des lances, exécutent des figures toutes plus improbables les unes que les autres, deviennent oiseaux, tigres et crapauds. Cela reste beau, élégant, lumières soignées et chorégraphies particulièrement réglées. Un beau spectacle tout public à déguster en famille. Il y a même un soupçon d’élévation d’âme dans les sentences de respect et d’accomplissement de soi prodiguées au fil des numéros. Pas de problème donc, les Moines de Shaolin trôneront dans ma programmation entre le Casse-noisettes du Cirque de Dalian et un Festival International des Jeux 2009 à dominante asiatique.
 
Jeudi 7 février. Paris. La tectonique des sentiments. Eric-Emmanuel Schmitt.
Une pièce originale de Schmitt, mise en scène par l’auteur, avec Clémentine Célarié et Tcheky Karyo, ne peut, à priori, laisser indifférent. Pari réussi. Un texte étourdissant d’intelligence et de finesse, marivaudage moderne sur deux êtres qui, ne pouvant se dire -je t’aime- (par pudeur, par fierté, par aveuglement ?), vont s’annoncer la fin d’un amour et entrer en guerre. Chaque situation est décrite avec la précision d’une chirurgie des sentiments, un tableau somptueux de la tempête intérieure, le calcul le plus froid et l’incandescence des pulsions les plus primitives en un dosage qui mène chaque individu vers sa propre frontière. C’est un jeu de l’amour et du hasard, une réflexion sur la patine de l’habitude et l’impossibilité d’être autre, sur des mots que l’on ne prononce pas et qui se transforment en maux. C’est du théâtre à l’ancienne au verbe moderne.
En conclusion, j’ai adoré mais je ne suis pas sûr, hélas, de sélectionner cette pièce. La première raison en est la dimension du décor qui impliquerait deux jours d’immobilisation de la salle mais la cause principale réside dans le filet fluet de la voix de Karyo qui est, au demeurant, un excellent comédien. Les dialogues intimistes se perdraient dans la grande salle Debussy du Palais. Un coup à avoir des rafales de« vieux » en train de hurler « –plus fort » en pleine tirade, et de recevoir une dizaine de lettres me demandant pourquoi on entend rien dans la salle. Un truc à me gâcher tout le plaisir rien que d’y penser !
 
Vendredi 8 février. 15h. Réunion Zone Franche. (Musiques du Monde)
Je retrouve mes copines productrices, tourneuses, bookeuses et autres Delaporte and Co. Discussions. Se dessinent une soirée latino pour les Concerts de Septembre et une programmation espérée de Diego Amador dans la saison pour une soirée jazz manouche branchée. A Suivre pour les amateurs.
 
21h. Le dindon. Mise en scène Thomas Le Douarec.
C’est mon ami JB Guyon qui produit cette énième version d’un Feydeau. Il m’avait averti…mais je n’avais pas vraiment entendu ! Le Douarec est connu pour ses adaptations déjantées. Il allait nous servir ! Le lieu est étrange, un cabaret dans le quartier chaud de Pigalle, en face du Moulin Rouge, entre peep-show et sex-shops, de petites tables avec abat-jour, une scène ouverte où trône un canapé et une série de portes comme seul décor.
Les acteurs vont démarrer à fond de cale et tenir pied au plancher pour un vrai divertissement, une loufoquerie sans retenue. C’est un Feydeau totalement enivré d’une jouissance communicative. Même si le genre est périlleux et parfois frôle le mauvais goût, parfois dérape (les chansons mauvaises du début !), l’énergie des comédiens servis par un texte limpide, des situations extrêmes et des retournements incessants, permettent à ce Feydeau d’être un pur divertissement. Banane de rigueur à la sortie ! Bon, on ne s’ennuiera pas la saison prochaine, le 25 avril 2009 au Théâtre Croisette !
 
Samedi 9 février.
Pari difficile pour cette journée de folie. Je vais visionner 4 pièces à 15, 17, 19, 21 heures dans 3 salles de Paris, avec quelques minutes seulement pour me rendre de l’une à l’autre ! Et dire qu’il y en a qui affirme que je m’amuse dans mon métier ! Et bien, c’est vrai ! Cela m’excite et je suis heureux en train de courir à la recherche de l’émotion perdue sur les pavés de l’espoir !
15 h. Balé de Rua. Danse et percussions du Brésil.
Je n’étais pas convaincu en m’y rendant. TS3 m’avait poussé, me sollicitant instamment. Je m’y rendais en traînant les pieds, persuadé que je sortirais après une demi-heure afin de ne pas speeder pour le prochain rendez-vous. Au fond de la scène, des échafaudages sur trois niveaux, une vingtaine de danseurs et une danseuse ( !), la musique, moitié enregistrée, moitié live, et la sarabande peut commencer. Pendant plus d’une heure, ils vont accomplir une prouesse physique étonnante, dansant en un ensemble parfait à la limite de la rupture les rythmes les plus chauds de l’Amérique du Sud. De la rumba à la samba en passant par la capoeira et le hip-hop, ils se déchaînent emportant tout sur leur passage. Les spectateurs du Trianon sont scotchés sur leur siège tant une force tribale est en jeu, histoire d’un pays par sa danse brute. Certains tableaux sont surréalistes comme ces fleurs qui éclosent sur les échafaudages ou ces couleurs dont ils se parent en se crachant dessus. C’est la fête des corps luisants, des muscles au service de la grâce dans un tempo de frénésie. Cela me fait penser au formidable Mayumana que nous avons reçu pour les fêtes de fin d’année au Palais des Festivals. Je subodore une forte envie de les programmer… il va falloir en discuter avec la production. Le public se lèvera pour une ovation à la fin du show comme si c’était enfin à nous de nous libérer de toute cette tension accumulée pendant  1 h 20.
 
En sortant, je prends le métro pour le Châtelet et me dirige vers la rue duTtemple. Au passage, je tombe sur les célébrations du nouvel an chinois. Comme dans un film de Cimino, les pétards, le grand serpent qui ondule, les costumes magnifiques, les roulements de tambours, des centaines de Chinois et de Chinoises défilant dans les rues…la communauté asiatique en démonstration dans le Marais. Cela vaut le coup d’œil !
 
17 h. Café de la Gare. Le Tour du monde en 80 jours.
Pour moi, le Café de la Gare est un symbole des belles années, quand Romain Bouteille et son équipe inventaient une nouvelle façon d’être, un style différent tant sur scène que dans le public. Le lieu n’a rien perdu de son charme désuet. Une cour bruissant des académies de danse qui mêlent des sonorités africaines, sévillanes, jazz…Un bar où les gens fument et consomment au soleil. Un foutoir sympathique, un accueil décontracté. Sur les planches, c’est toujours la même chose. D’excellents comédiens dans un pastiche dérisoire où se marient en écho l’œuvre de Jules Verne et les accents d’une actualité politique brûlante. C’est frais et amusant, un moment de détente sur les traces des aventuriers d’un monde en train de s’ouvrir au regard de l’Occident. Les acteurs en font des tonnes et l’interprétation permet à la sauce de prendre. Spectacle tout public, les enfants rient et les parents aussi, pas toujours d’ailleurs pour les mêmes raisons !
19 h. Question d’envie.
En avais-je vraiment le désir ? En prélude à la pièce de 21 h, un objet théâtral non identifié. Un jeune homme parle au public et nous comprenons qu’il s’agit d’une émission de téléréalité ou autre jeu. 3 filles le rejoignent et chacun sera dans sa bulle sauf pour des césures où ils se rejoignent en un procédé de rupture. Les archétypes fleurissent, la frustrée pour laquelle le désir ne peut être que sexe, le jeune sûr de lui, heureux et vide de tout, l’écervelée qui rêve la vie sans la connaître, la femme qui a un enfant et dont le seul désir et de parler pour lutter contre la peur… C’est séduisant, joué à la perfection par une brochette de jeunes comédiens talentueux. Les textes sont incisifs et collent aux personnages et aux situations. C’est brut comme un exercice d’école de théâtre, frais et généreux, une leçon de chose sur une humanité inconsistante en train de fleurir sous les décombres d’une société de consommation qui a perdu le sens des valeurs. Que vais-je bien pouvoir faire de cette pièce ?
21 h. La forme des choses. Neil Labute.
Une étudiante s’entiche d’un gardien de musée. Elle est belle, brillante. Il est laid, timide. Elle va le transformer, l’habiller, changer sa coiffure et faire opérer son nez. Il perdra 12 kilos par la pratique du sport. Elle va le façonner comme de la pâte à modeler… mais voilà ! Comment vous dire la suite sans vous dévoiler un ressort qui doit rester caché ? Comment vous amener à suivre les rapports ambigus entre les deux amants sans vous dévoiler ce qui doit être tu ? Sachez que cette pièce est un bijou, un chef-d’œuvre d’intelligence et de finesse, une vraie plongée dans les rapports entre deux êtres que tout oppose ! Démonstration brillante autour du concept de l’art, du pouvoir de l’individu et de sa liberté, de l’échange et de l’aliénation. Rendez-vous le 3 avril 2009 dans la saison « Sortir à Cannes ».
 
Le dimanche, j’avais prévu de me rendre au Palais des Sports afin de voir la dernière œuvre posthume de Béjart. Crise de lèse-majesté, dans la nuit après un sommeil difficile, je décide de m’en retourner sur mes terres cannoises. Le Festival International des Jeux approche et je n’ai pas envie de tomber malade. Je cours me réfugier dans mon home comme un animal blessé afin de récupérer quelques maigres forces. On ne devrait pas vieillir ! Tant pis pour Béjart, il nous a bien laisses orphelins, lui !
 
 

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