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Naissance de la Quinzaine des Réalisateurs et d'une vocation : ma cinéphilie !

Publié le par Bernard Oheix

La mémoire comme un coup de fouet ! En 1969, quelques mois après un mai 68 qui allait bouleverser ma vie, les bruits d'une étrange manifestation nichée au sein d'un Festival du Film qui succédait à la précédente édition avortée, Godard et Truffaut s'accrochant au rideau du vieux Palais afin d'interrompre les projections dans une France qui s'insurgeait contre un pouvoir fatigué et usé qui n'avait pas su comprendre l'évolution des jeunes et leur soif de liberté.

La Quinzaine des Réalisateurs venait étoffer le conformisme d'un Festival engoncé dans ses ors et ses rites désuets. Une porte s'ouvrait et je m'y suis engouffré avec délectation !

5) La Quinzaine des Réalisateurs : Mai 1969. 1re édition et révolution permanente.

C’est à quelques semaines d’un Baccalauréat qui aurait nécessité un peu plus d’attention et de concentration de ma part que j’ai eu le privilège de vivre une expérience cinématographique fondamentale qui allait bouleverser mes choix et donner un sens à ma vie. Derrière les ors de la compétition officielle au Palais des Festivals, dans une petite salle de la rue d’Antibes, le Rex, une fête du cinéma débutait aux portes grandes ouvertes. La Quinzaine des Réalisateurs sous le slogan « Cinéma en liberté » démarrait dans l’effervescence d’un groupe de réalisateurs (Doniol Valcroze, Costa Gavras, Louis Malle, Jacques Deray, Albicocco...) décidés à casser le moule de la sélection officielle et à imposer des œuvres qui ne se retrouvaient pas sur les écrans du Palais des Festivals.

« Les films naissent libres et égaux » ! Un foutoir gigantesque, accumulation de 62 long-métrages sans critères de sélection, vont se succéder devant un public qui s’entassait dans les travées, en présence des réalisateurs et des équipes des films. Une orgie à l’accès libre, sans protocole, où l’on pouvait dévorer des films représentants cette génération qui aspirait prendre le pouvoir dans le cinéma en imposant un style de rupture.

Barravento de Glauber Roccha, Le Lit de la vierge de Philippe Garrel, Notre Dame des Turcs de Carmelo Bene, le cinéma québécois, La pendaison de Oshima, Le nouveau cinéma Français (Luc Moullet, Michel Baulez, Jean Daniel Pollet), des films de cinématographies inconnues du public (Hongrie avec Jancso et Mészaros, Cuba avec Gomez (La première charge à la machette) et Humberto Solas (Lucia). Et tant d’autres bijoux, important l’air du grand large et des cultures nouvelles dans la Ville des paillettes et des stars.

Il y avait aussi des films de la compétition officielle qui venaient à la rencontre de ce nouveau public jeune et passionné. If, la future Palme d’Or de Lindsay Anderson avec le tout jeune Malcolm McDowell qui portait sur ses épaules notre désir de révolte et croisé dans la salle bondée. Easy Reader de Dennis Hopper, en présence de Peter fonda et de Jack Nicholson que j’aurais pu toucher en tendant le bras...

Des heures scotchées devant l’écran, un monde qui s’ouvrait en direct et des réalisateurs qui s’invitaient pour partager nos rêves d’un avenir meilleur, d’une lecture de notre univers.
Je n’ai pas beaucoup suivi de cours entre les 8 et 23 mai 1969, j’ai beaucoup menti à mes parents sur mes journées et mes soirées, mais j’ai su, après ces 11 jours, que ma vie avait basculé. Désormais, le cinéma y occuperait une place centrale. Je ne pouvais que l’accepter parce que c’était ainsi !

J’ai eu mon Bac malgré tout, et avec mention, s’il vous plait ! En octobre 1969, j’ai intégré l’Université de Nice, section histoire, seule filière qui débouchait sur une Maitrise de Cinéma, mon objectif.
J’étais devenu un Cinéphile et je savais ce que je voulais !

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Oppenheimer : Le cinéma au service de l'intelligence !

Publié le par Bernard Oheix

Moi qui m'insurge à longueur de temps contre les films qui s'étirent au long de la complaisance des réalisateurs, je dois avouer que les 3 heures de Oppenheimer sont indispensables pour entrer dans le cerveau et la vie tumultueuse du père de la bombe atomique, Robert Oppenheimer. 

C'est à une véritable page d'histoire que nous convoque Christopher Nolan, celle d'un homme de génie dans la tourmente d'un pays aux prises avec une guerre et qui devra se relever  dans un monde où les règles sont définitivement changées, à cause, entre autre, de son apport à l'invention la plus terrifiante de l'humanité.

Christopher Nolan, cinéaste britannico-américain à réalisé de grosses machines à cash, Inception, Interstellar, The Dark Knight... Habitué des podiums avec 11 oscars, il est sans conteste, un des acteurs de ce cinéma grand public intelligent capable de drainer des cohortes de spectateurs devant les écrans.

Avec Oppenheimer, il s'est confronté à un personnage de légende, renvoyant à l'histoire controversée d'un pays aux prises avec la réalité d'une guerre monstrueuse, avec l'affrontement d'un bloc communiste, et les tourmentes d'un monde à recréer après l'horreur nazie et la fureur d'une guerre avec le japon ou les soldats américains tombaient les armes à la main devant l'incroyable résistance d'un peuple qui ne cédait rien ! 

Et c'est une belle réussite qui, il fait nul doute, contribuera à accroitre sa collection de statuettes sur les étagères de son succès.

Le film se penche sur 3 périodes de sa vie : sa jeunesse étudiante, gestation d'un cerveau hors-norme, puis le projet Manhattan où la bombe nucléaire devient une réalité dans l'enclave secrète d'Alamo avant d'être larguée au dessus de Nagasaki et de Hiroshima et enfin, l'après guerre où le Maccarthysme tente de le faire chuter, de déboulonner l'idole de la communauté scientifique en raison de ses amitiés avec des communistes.

C'est dans une série d'aller/retour permanents que ces 3 univers se télescopent  avec leur logique intrinsèque. 

Dans la jeunesse, il y a l'éblouissement d'un cerveau sans limites, des rencontres avec d'autres génies, l'intuition comme un clef qui ouvre le futur, les voyages, les langues apprises, la mobilité et l'agilité d'un esprit enfermé dans un corps en train de grandir.

Dans la période de production de la bombe, on trouve sa responsabilité directe dans la constitution d'une équipe de chercheurs, son rôle fédérateur, l'organisation qu'il impose pour fonder la base secrète de Los Alamo où une ville surgit dans le désert habitée par une pléiade de ses relations acceptant de le suivre afin de résoudre le problème d'une première bombe atomique. Mais il y a aussi son rapport à l'armée et à l'autorité qui contrôle tout, ses amitiés avec des communistes, ses doutes, sa peur d'utiliser un fléau pour combattre un autre fléau... et les femmes de sa vies.

Reste la période de l'après-guerre où après avoir été célébré comme le père de la "bombe", il se retrouve dans les mailles du maccarthysme, devant une commission chargée de le piéger et de faire chuter l'idole du monde scientifique. Son retrait, son refus de se défendre, sa découverte des amis traitres et des traitres amis, jusqu'à un rebondissement final qui le lavera de toute tâche et le laisse avec ses doutes et la mort de centaines de milliers de japonais sur les épaules... mais aussi avec cette course définitive vers la bombe H et la création d'une arme que les blocs pourront faire peser comme une menace permanente contre l'humanité.

Cruelle plongée dans un monde qui nous rapproche de ce qui se déroule à l'heure d'une guerre d'Ukraine où les bombes sont brandies comme des flambeaux et menacent directement notre art de vivre. Il restera un homme déchirant, Oppenheimer, partagé entre des idéaux de fraternité, une volonté de paix, l'amour des autres qui restera celui qui a généré l'arme la plus extrême d'une humanité bien incapable de composer avec la raison pour faire cesser la course aux armements... et cela nous concerne tous !

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Festival du Film : cap sur l'ailleurs !

Publié le par Bernard Oheix

35 films et toujours cette interrogation au moment où l'écran s'illumine : être ou ne pas être ? Être scotché à l'image, dévoré par une histoire, fasciné par un plan, une lumière, un cadrage, l'écho d'une musique... ou bien rester sur la touche, à sentir le siège inconfortable, suivre paresseusement une intrigue sans saveur, sentir le temps s'écouler comme un jour sans fin, telle est la question que chaque séance nous pose et à laquelle nous répondons avec nos corps et notre esprit !

Et cette année 2023 nous offre beaucoup de propositions devant lesquelles il est impossible de rester insensible !

C'est avec Banel et Adama de Ramata Soulaye Sy en compétition que nous inaugurons une série de films particulièrement bien construits sur l'Afrique. Dans un Sénégal où les conventions de la communauté et les rites dépassent largement l'amour de deux êtres, quand la sécheresse et le vent bousculent les certitudes, l'amour fou ne trouve plus sa place et s'échoue sur les rives de la réalité. Film bien construit et particulièrement sensible sur la condition de la femme et le poids des traditions.

On enchaînera avec Goodbye Julia de Mohamed Kordofani, pour Un Certain Regard. Dans un Soudan déchiré entre les catholiques et les musulmans, entre le nord et le sud, entre les notables et les exclus, sur cette terre qui résonne cruellement des affres d'une guerre sanglante actuelle, le réalisateur pose un regard sans complaisance sur la culpabilité d'une femme, sur sa frustration d'avoir abandonné ses rêves et sur les désirs inassouvis. C'est un film magistral, ensorcelant.

Pierrette Mambar est couturière à Douala. Elle porte la responsabilité de ses enfants, de sa mère et son mari a disparu la laissant totalement démunie. Elle va subir un vol à la tire, une inondation dans son atelier et continuer son chemin sans jamais faillir, luttant au jour le jour pour assurer un avenir à ses proches, dans la solidarité de ceux qui n'ont rien, sinon leur courage et leur détermination. Un film qui ouvre les portes d'un ailleurs sans concessions.

On pourrait alors rajouter le If only i could Hibernate de la mongole Zoljargal Purevdash où Ulzii, un adolescent vivant dans un quartier défavorisé d'Oulan Bator, se retrouve en train d'assumer son frère et sa soeur pendant que sa mère retourne au village avec ses deux autres enfants. Brillant à l'école, il tente de présenter un concours national afin de gagner une bourse et pendant ce temps, doit trouver du bois pour se chauffer et à manger pour la fratrie. Un film déchirant qui renvoie à l'abondance de nos sociétés face au dénuement de ceux qui vivent au jour le jour.

 

En complétion officielle, Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz présente une page sanglante de l'histoire de l'Angleterre. La 6ème et dernière femme d'Henry VIII va tenter de survivre aux délires paranoïaques d'un roi rongé par la maladie et le délire de persécution. Une belle fresque qui fait passer notre Charles III actuel pour un roi bien sage et Camilla pour une gourgandine !

Anatomie d'une chute de Justine Triet malgré un Swann Arlaud particulièrement juste et un Antoine Reinartz sulfureux, trouve ses limites et manque de créer une authentique sensation. Les 2h30 de projection étaient par trop ambitieuses et 30 mn de moins eussent été salutaires pour l'attention (et la tension !) du spectateur. Hopeless du coréen du sud, Kim Chang-Hoon, restera une des belles surprises de ce festival. Un adolescent confronté à un beau-père qui le bat, est aspiré dans un réseau maffieux pour une dette d'honneur. Face à l'ultra-violence, devant un chef charismatique, il va grandir et vaincre ses démons pour trouver l'espoir et le bonheur. Un film coup de poing où derrière le sang de la mort se dessine l'espoir d'une vie meilleure.

Le 4ème volet de la trilogie d'Aki Kaurismaki, Les Feuilles Mortes, est une déambulation douce amère entre un homme et une femme paumés que tout doit séparer. Pourtant, dans leurs blessures et dans les hasards malencontreux comme bénéfiques de leurs solitudes, un unique et dernier amour va naître enfin. C'est beau comme du Karismaki et tendre comme ceux qui veulent encore espérer de la noirceur de la vie !

Perfect Days de Wim Wenders est une pérégrination passionnante sur les traces d'un homme que le quotidien écrase de son poids. Ce nettoyeur des toilettes de Tokyo, vit dans un rituel mutique mais va être confronté à des évènements qui vont bousculer sa solitude et dérégler ses habitudes. Fascinant même si exigeant ! 

35 films et moi, et moi ! Un appareil défaillant dans cette salle de la Licorne nous a privé du Bellocchio, du Ken Loach et de tant d'autres surprises. Il n'en reste pas moins que cette édition nous aura offert de belles propositions, un niveau de qualité réel et un regard aigüe sur l'état d'un monde en déliquescence.

À noter la confirmation de l'émergence de nombres réalisatrices qui occupent enfin une vraie place dans ce paysage de l'image animée, l'arrivée à maturité d'un cinéma africain qui se regarde dans un miroir sans concessions, et la prégnance d'une fibre "écologique" naturelle !

Pour le reste, pour ce palmarès qui va tomber dans quelques heures, il ne fait aucun doute à mes yeux, nonobstant ceux (nombreux) que je n'ai pu visionner, que The Zone of Interest de Jonathan Glazer sera ma Palme d'Or et que les filles d'Olpha un magnifique prix du Jury... et que le Kaurismaki pourrait créer une surprise !

Et pour le prochain festival, rendez-vous dans un an ! Et en attendant, rappelez-vous, le cinéma c'est dans une salle que cela se déguste, pas dans le fast-food d'un écran de salon !

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Empire of Light.... Ma madeleine à moi !

Publié le par Bernard Oheix

Il y a une délicieuse saveur nostalgique dans les ombres cachées de ce Palais des Lumières de la côte sud anglaise. C'est à une plongée dans les années du punk et des skinheads ultras racistes, des ravages de la politique de Tatcher, que Sam Mendes nous invite sur fond d'un cinéma agonisant et de sa gérante, femme mûre brisée, malade et qu'un souffle d'espoir va entrainer dans un tourbillon d'émotions qu'elle ne pourra maîtriser.

L'arrivée d'un jeune noir dans l'équipe qui ouvre les séances au public va bouleverser l'équilibre précaire qui la maintenait en mode survie. 

Brève rencontre impossible, agonie d'un monde dans lequel les faibles n'ont plus leur place et qui annonce d'autres drames à venir. Mais il reste la magie d'un flux de lumières créant l'illusion du mouvement et d'une réalité que personne ne peut emprisonner, celle d'un univers artificiel qu'un projectionniste peut enclencher en pesant sur un bouton pour faire vaciller les certitudes. 

Quand Stephen, jeune noir brillant qui ne peut intégrer l'université, débarque dans l'équipe de bras cassés qui gère un cinéma, il ne se doute pas que son arrivée va ébranler tout l'édifice, un magnifique bâtiment à l'ancienne dont une partie est désormais abandonnée mais que deux salles aux velours rouges et aux charmes surannés continuent à faire vivre aux ors d'un passé glorieux.

Entre la formidable actrice Olivia Colman, femme subissant les blessures d'une vie, une mère qui ne l'a pas aimée, des hommes qui ont abusé d'elle, dont ce directeur du cinéma, son patron, qui profite d'elle au rythme de ses désirs lubriques, et qui survit avec des médicaments aux dérapages de son inconscient, et ce jeune noir brillant, une étrange amitié amoureuse va naître. Quelques étreintes, ce "lithium" que l'on décide de ne plus ingérer pour se sentir vivante à ses côtés, et surtout, la découverte de ce racisme viscéral d'une société qui chasse le nègre, "le bamboula", afin d'exorciser ses démons !

les maigres fils qui la reliaient à la réalité vont exploser, la laissant face à ses démons, provoquant une nouvelle crise et son enfermement.

Pourtant, ils vont se léguer mutuellement deux cadeaux inestimables : pour lui, la poursuite de ses rêves avec son intégration à l'université et un parcours de vie qui s'ouvre enfin à l'avenir, pour elle, grâce à Stephen, le visionnement pour la première fois d'un film avec une plongée dans un monde d'artifice qui bannit la peur du présent.

Alors c'est vrai que le film est brouillon, part dans tous les sens, manque de rigueur dans son écriture... mais qu'importe devant ce projectionniste fascinant qui créé la l'illusion, devant le sourire d'une femme qui cherche un peu de bonheur et le trouve dans le faisceau d'un arc de lumière, devant ce jeune exilé qui part à la conquête d'un monde entre deux univers.

C'est un hommage au 7ème Art et à un monde qui change. C'est une plongée dans la vie de quelques individus réunis par les hasards de la vie qui voient s'écrouler le monde d'avant pour plonger dans le futur.

C'est avant tout un formidable film sur le racisme à l'heure où il s'est banalisé jusqu'à devenir le crédo officiel de tant de gouvernants et de faiseurs d'une histoire frelatée.

A l'heure où on laisse se noyer des familles dans l'eau saumâtre d'une Méditerranée sans un regard pour leur désespoir, où l'on érige des murs pour ne pas voir les gens mourir, où des guerres trouvent des boucs émissaires aux plus nauséabonds des exutoires  ou l'autre devient un ennemi de la raison, il est salutaire de sentir qu'un film peut avoir envie d'aimer la différence et que l'humanité peut se nicher dans un regard, dans un geste dans un coeur libéré de toute obsession par l'alchimie d'un projecteur qui braque son faisceau sur le rêve d'un monde meilleur. 

Alors je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager la 1ère page d'un livre sur mon "cinéma Paradiso" que j'ai composé en hommage à cette lucarne qui m'a tenu éveillé tout au long d'une vie où les films ont jonglé avec ma réalité. Le cinéma m'a façonné et m'a accompagné toute une vie consacré à la culture et à la fraternité. Mon Empire Of Light s'est échoué  sur les bords de la Manche, dans une Angleterre qui nous a offert tant de bonheur avant de sombrer dans le cauchemar d'un monde moderne où le présent s'écrit avec le sang de ceux qui n'ont plus rien !

1) L’Enfance Nue ou comment devenir un cinéphile.

1) L’arrivée d’un train en gare de ... Nice !

J’ai échappé une nouvelle fois à la surveillance de ma mère. Il faut avouer qu’avec mes deux frères et tout le travail de la maison, elle a fort à faire. Il y a toujours un moment où je peux franchir la porte, traverser la petite cour et ouvrir les deux battants qui me permettent de pénétrer dans ma caverne mystérieuse ! Je me faufile dans le bruit électrique d’une musique et de mots que je ne comprends pas. Ce n’est pas grave ! J’ai l’habitude et même pas peur ! Je m’assieds sur un des fauteuils, mes pieds ballants dans le vide. Il fait noir, mais en levant la tête, je vois un pinceau de lumières qui jaillit d’une ouverture en scintillant.

Et quand je regarde devant moi, c’est l’illumination. Des ombres noires et des taches blanches, des silhouettes qui courent, des masses qui dérapent, des pleurs et des rires. C’est ma caverne secrète et j’aime m’y réfugier même si je ne comprends rien à ce qui s’y déroule.

Nous sommes en 1955 et j’ai cinq ans. Mes parents habitent un appartement de pauvres parce qu’on l’est ! Traverse Longchamps à Nice, derrière la rue de France. Deux pièces où l’on s’entasse, donnant sur l’arrière-cour du « Cinémonde », avec la cabine du projectionniste à laquelle on accède par un escalier métallique extérieur en face de notre entrée et l’issue de secours du cinéma barrée par cette porte à deux battants que j’ai appris à franchir discrètement.

Mais il y a toujours un moment où je sens une main me saisir pour me ramener dans la cour et tomber les reproches de ma mère, « -J’étais folle d’inquiétude, je t’ai dit de ne pas aller dans la salle tout seul, c’est dangereux ! » Frisson rétrospectif délicieux. Il faut alors que je promette de ne plus m’y rendre, ce que je fais en sachant pertinemment que, dès que je le pourrai, je retournerai dans ce monde d’une « lanterne magique » où rien n’est vrai, mais tout si réaliste...et que ma mère viendra de nouveau pour me récupérer.

Au fond, entre l’affolement des premiers spectateurs d’un art nouveau, qui se lèvent précipitamment et fuient devant une locomotive entrant en gare de La Ciotat en fonçant sur eux, et mon attirance pour cet objet confus qui me fascine, il y a la même part de mystère, la même dose de magie qui échappe à la raison. L’inconscience du public en ce 25 janvier 1896 devant ce film de 50 secondes n’a d’égale que mon jeune âge qui obère ma perception de la réalité, 60 ans plus tard. Le spectateur est toujours prêt à être un grand enfant, moi, j’étais un petit enfant toujours prêt à être un grand spectateur !

En 1957, nous deviendrons un peu moins pauvres. Mon père troquera sa tenue de livreur en vélo pour une maroquinerie niçoise contre celle plus chamarrée d’un sapeur-pompier à Cannes, et nous déménagerons. Entre temps, j’avais appris à escalader cet escalier de fer, et le projectionniste m’avait ouvert les entrailles de son domaine. Des appareils qui grondent, de la pellicule qui défile, le contrôle par la lucarne, le point à l’objectif... même tout petit encore, je comprenais que derrière le mystère, il y avait la mécanique d’une technique bien rodée que des accidents pouvaient entraver, déchirure de la pellicule, les charbons générateurs de l’arc électrique à changer en urgence...

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Aucun Ours... mais un chef d'oeuvre !

Publié le par Bernard Oheix

Je m'en souviens encore, comme si c'était hier... Étudiant à l'orée des années soixante-dix, entrant dans une salle de cinéma de la MJC Gorbella à Nice, pour visionner le film d'un jeune réalisateur peu connu, Bernardo Bertolucci. Cette séance allait bouleverser ma vie et me donner l'occasion de prendre mon envol. Une maitrise de cinéma sur son oeuvre sous la direction de mon maître Jean A Gili dont une grande partie sera publié dans Études Cinématographiques, une maitrise de linguistique et un DEA de communication pour achever mon apprentissage, puis l'envol dans une carrière professionnelle où le cinéma sera toujours présent, jusqu'à la Direction de l'Évènementiel dans le temple du 7ème Art, ce Palais des Festivals de Cannes qui allait m'héberger pendant 22 années d'une vie de passions.

En ce samedi 7 janvier 2023, dans la nuit qui allait voir la mia mama partir en douceur pour une terre inconnue, je me présente au cinéma Raimu, petite salle de la MJC de Ranguin à la programmation remarquable que je fréquente avec assiduité pour un film d'un réalisateur iranien bardé de prix. Ours d'or, Lion d'or, Léopard d'or, une véritable ménagerie enchantée, Prix spécial du jury à Cannes après une caméra d'or pour des films fascinants comme Taxi Téhéran, Le cercle, Le Miroir, 3 visages... autant de perles serties dans un pays corseté par les interdits, la censure et la difficulté d'être un intellectuel épris de liberté dans un univers étranglé sous la botte des intégristes.

Jafar Panahi où l'intelligence et la sensibilité au service d'un Art humaniste.

Alors disons-le, quand je suis sorti de la salle, un demi-siècle après La Stratégia del ragno de Bertolucci, la même impression de vertige, la certitude d'avoir touché à l'essentiel sur les pas d'un réalisateur sachant allier la forme au fond d'une petite histoire ancrée dans une grande tragédie de la vie.

 

Le visage poupin de Jafar Panahi éclaire d'emblée l'écran. Le réalisateur joue le rôle d'un réalisateur qui télécommande le tournage de son film avec un assistant, par le biais d'un ordinateur trop souvent sans réseau. Lui, a fuit Téhéran et s'est réfugié dans une petite ville frontière, loin de la capitale, et son équipe de tournage a franchi le pas, exilée dans un pays riverain. Ce film qu'il tourne à distance parle d'un homme et d'une femme amoureux qui cherchent a fuir leur pays pour vivre leur amour dans la liberté.

On discerne dans l'entourage du réalisateur un village perdu confronté à sa présence inquiétante, source d'insécurité pour les habitants qui ont peur d'être sous le feu de la police à cause de lui. La réalité renvoie au sujet du film qu'il tourne dans une mise en abîme saisissante.

Il va parcourir ces chemins de traverse qui longent la frontière, lieu de tous les trafics, mais ne pourra physiquement la franchir afin de basculer de l'autre côté du miroir. Sa liberté ne peut se construire sur la fuite et le reniement de son pays, même s'il sort de quelques années de prison et que l'aile d'une justice aveugle peut s'abattre à tout moment sur le libre penseur qui filme la vie et s'interroge sur le temps présent. Alors il va continuer à télécommander le tournage, affrontant le filet qui se resserre autour de lui en apportant leurs nuages d'incertitudes.

Pendant ce temps, dans un décalage incroyable, les acteurs qui interprètent le rôle des deux jeunes amoureux se posent la question de fuir définitivement leur terre et leurs familles, troisième niveau d'une interrogation fondamentale : l'exil est-il la solution d'une vie rongée par l'interdit ?

C'est littéralement éblouissant techniquement, malgré des moyens limités, prouvant à l'évidence que le cinéma n'est pas seulement un Art de la démesure, bien au contraire, la fiction naissant d'une réalité triplement renvoyée à la vraie nature de ce que vivent les iraniens, les intellectuels et ces femmes prêtent à dénouer leur foulard pour crier leur révolte.

Jafar Panahi, lui, refuse de partir et sera emprisonné dans les geôles d'Evin, le 11 juillet 2022 à l'âge de 62 ans pendant qu'Aucun Ours obtient le prix spécial du jury à Venise. Les spectateurs du monde entier auront la possibilité de voir son oeuvre pendant qu'il croupit derrière des barreaux. Sa libération intervient le 3 février 2023, en pleine crise d'un régime à bout de souffle que les femmes viennent éperonner en dévoilant leur visage et en exhibant leurs mèches de cheveux.

Jafar Panahi, en plus d'être un très grand cinéaste est un grand monsieur... alors chapeau l'artiste, et continue de filmer tes bouts de misère pour parler de la grandeur de l'homme !

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Le Festival du Film : De la scène à l'écran.

Publié le par Bernard Oheix

Nous étions nombreux, vieux cinéphiles de Cannes, à nous précipiter au Palais Stéphanie pour un OVNI annoncé depuis des lustres mais sans cesse reporté. Prévu et balayé par la Covid, une pièce au titre peu engageant débarquait enfin et le film pouvait se faire de chair et d'os par la voix de comédiens : Cannes 39/90, une histoire de Festival, programmé par Sophie Dupont (avec un T en final !), où la tentative originale de donner un sens à notre histoire de Cannois, la naissance et la magnificence d'un Festival du Film pour cette Ville atypique.

C'est Etienne Gaudillère, avec sa compagnie Y et une dizaine de comédiens, qui s'est attelé à la tâche de composer et de mettre en scène cette ode à l'histoire d'un Festival. 

La première partie du spectacle est enlevée et pointe bien les enjeux d'une période où la Mostra di Venezia règne sur le cinéma mais croule sous la férule de dictateurs qui impriment leur marque au nom de leur toute puissance : en 1938, c'est Mussolini sur injonction de Hitler qui fait primer les Dieux du stade de Leni Riefenstahl sur Autant en emporte le vent de Victor Fleming qui avait la faveur du jury, provoquant la fureur d'un Jean Zay et sa volonté de créer un Festival du monde libre.

Cannes va naître de cette conjonction et la pièce chemine sur cette première période avec un certain bonheur pour le spectateur (de théâtre !).

C'est à partir de 1968 que le processus se grippe quelque peu, et ce n'est pas parce que je suis un soixante-huitard et que j'ai vécu cette période que je réalise ce constat. Sans aucun doute écrasé sous le poids et la richesse du propos, les acteurs perdent parfois le fil narratif, le verbe est trop présent et décousu à l'image de la révolte des Godard et Truffaut, trublions héros d'une Nouvelle Vague en train de submerger les rives de la Méditerranée.

Mais la pièce avance sûrement, les années défilent, la starlette devient reine des sables, le star système impose ses noms de légende, le Festival devient vitrine et acteur du 7ème Art.

On peut regretter l'omission de deux évènements qui ont été particulièrement déterminants : le scandale autour de La Grande Bouffe de Marco Ferrerri et l'accueil plein de haine de La Maman et la Putain de Jean Eustache... (J'y étais, je sais de quoi je parle !)

2 heures pour raconter  50 ans de vie. Le pari était osé mais plutôt réussi. Le final d'une monté des marches sur un tapis rouge renvoie à l'image trop iconique du Festival même si on peut regretter une ultime phrase jetée avec violence au visage du spectateur, trop "accrocheuse" et sans doute écrite pour annoncer une 2ème partie qui courrait de 1990 à nos jours.

Pourquoi pas ?  Même s'il n'était pas vraiment opportun de lancer "je me suis fait violer à Cannes" en ultime réplique pour accrocher des producteurs et faire revenir le public par l'odeur du sang alléché !

Il n'en reste pas moins que cette pièce est particulièrement intéressante et pose bien des questions qui interrogent tous les cannois coincés entre un festival omnivore qui se déroule au mois de mai et cette vie quotidienne à l'ombre des palmiers en fleurs tout le reste de l'année !

Alors, attendons cette suite maladroitement annoncée, le Festival a encore tant de secrets à dévoiler !

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Crime de lèse-Godardisme assumé !

Publié le par Bernard Oheix

En 2010, sur le tapis rouge du Palais des Festivals de Cannes, un film débarque dans la section "Un Certain regard" auréolé d'un nom de légende : Film Socialisme de Jean-Luc Godard ! Pour une génération de cinéphiles biberonnés aux images du pape de la révolution du 7ème Art, frustrés depuis des lustres d'un silence si prégnant, ce fut l'enthousiasme, la frénésie et la ruée vers les fauteuils rouges de la salle Debussy.

Mais la potion amère d'un film tourné pour partie un navire de croisière le Costa Concordia, de triste mémoire, s'échouant sur les rives de la Méditerranée deux années après, ne passa pas chez le Fan éperdu de la Nouvelle Vague que j'étais.

Et j'ai pondu dans ce blog un article qui reflétait ce que je pensais de cette oeuvre réalisée par un génie hors norme du cinéma !

Crime de lèse-Godardisme assumé !

Pour une génération de soixante-huitards dont je suis, il y a d’innombrables figures tutélaires qui parsèment ce long cheminement de l’acquisition d’une conscience politique et d’une culture universelle se voulant embrasser tous les savoirs. De Wilhelm Reich à Kérouac, des Beatles aux leaders « maximos », de Lacan à Robbe-Grillet… Il y a aussi, les pères fondateurs, les dieux vivants, maîtres parmi les maîtres, que personne assurément ne pouvait toucher, au panthéon des esprits supérieurs, tel Jean-Paul Sartre, le philosophe écrivain engagé, Picasso, l’homme qui restitua la peinture au temps présent ou Jean-Luc Godard, le pape du Cinéma…Film socialisme arrive sur la Croisette, en 2010, quelques décennies après, âge et rides en plus et il est l’heure des constats.

 Que Jean-Luc Godard ait transformé le cinéma est un fait. De À bout de souffle à Pierrot le Fou, de Week-endau Mépris, de Deux ou trois choses que je sais d’elle à tous ses films qui dans les années soixante ont inventé une nouvelle façon de filmer, mieux, de penser (panser ?) le Cinéma. Une décade prodigieuse, une tornade respirant les vents de la création. J’étais donc Godardien parce qu’il ne pouvait en être autrement et que chacune de ses œuvres ouvrait les champs de l’impossible, une réflexion tendue entre le savoir et le connaître, entre le possible et l’improbable. La rupture violente de 68 consacrera son isolement dans une logique de contre-production. Il émergera de son utopie créatrice révolutionnaire, et sonnera le glas du temps de l’expérimentation pour entamer un lent chemin de croix vers sa propre glorification, vers l’institutionnalisation de tout ce magma tonifiant qui fondait sa légitimité. À parler de la marge pour investir le centre, il se retrouvera soudain, par l’usure du temps et l’érosion des utopies, à camper au centre du centre, comme l’histrion assumé d’un monde marchand qui avait bien besoin d’un fou du roi pour se régénérer en redéfinissant ses frontières.

Film socialisme est le dernier opus du Maître, sélectionné dans Un Certain Regard, il se devait d’apporter une réponse au temps qui fuit, ambition d’une somme esquissée à travers ses Leçons de cinéma, émergeant d’un silence que sa statue de commandeur imposait aux détracteurs. Tout tourne toujours autour de Godard, que pouvait-il alors nous offrir dans ce chant crépusculaire ?

Entre images sublimes (la mer et l’horizon) et trashs (les lieux de vie), des dialogues cachés par des bruits de fond, des citations parcellaires, des montages en opposition, des collages, du contrepoint, de la distanciation… tout le rituel de l’alphabet d’un cinéma à la Godard est développé sans aucune distance, comme si Godard jouait à être Jean-Luc, comme s’il n’y avait plus de marge entre ce qu’il dynamitait joyeusement et ce qu’il fabrique laborieusement, quête d’un sens caché, étalage de tics et de moments si convenus.

Dans ce prétexte d’une croisière sur «Mare Nostrum» déclinant des villes portuaires charnières, plus rien n’a d’importance, que le vide créé par son torrent créatif. -L’imagination au pouvoir- déclinions-nous dans les années ferventes, mais à quelle fin désormais ? Pour perdre le sens du spectateur et la finalité d’un film ? Godard est ailleurs, dans un monde que lui seul reconnaît et peut mesurer, celui d’un alphabet figé qui lui ôte tout espoir de «   dire » au détriment d’un « faire ». Et si certains d’entre nous, lui accordons toujours notre crédit, c’est parce qu’il continue d’être celui qui a embrassé pour l’éternité son rôle de bouffon d’une société marchande.

Pendant ce temps, la vie continue. Il restera toujours Le Mépris pour signifier que Jean-Luc Godard fut un des plus grands cinéastes du XXème siècle. Son œuvre restera immortelle même s’il lui faut abdiquer, désormais, tout espoir de se dépasser pour atteindre cette zone improbable où l’instinct vient au secours du génie pour composer une œuvre définitive !

Non, décidément, Film socialisme de Jean-Luc Godard est assurément ennuyeux, très ennuyeux !

 

Godard restera à jamais celui qui a embrasé le 7ème Art. Il n'était pas le seul tant les Truffaut, Rivette, Resnais et autres ont permis cette éclosion d'une génération qui transformera le cinéma mondial. 

Mais si j'ai un conseil à donner aux jeunes cinéphiles (il en existe encore !)  qui voudraient découvrir son oeuvre, alors, il faut visionner Pierrot le Fou et À Bout de Souffle avec un Belmondo éblouissant, tous ces films des années soixante où la pensée créatrice se confrontait aux désirs d'un spectateur avide de rencontrer la vie sur l'écran de ses désirs.

Alors rêve en paix Jean-Luc Godard dans ton paradis d'images et merci de cette oeuvre si foisonnante et riche qu'elle en était parfois difficile à comprendre mais jamais inutile !

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Revoir Paris... et revivre ! Mais sans Godard !

Publié le par Bernard Oheix

 En 2014, jeune retraité, je me laisse porter par l'art de vivre au jour le jour, sans contraintes. Une rencontre sur une plage, une discussion amicale et me voilà embarqué dans le tournage d'un film dans une villa luxueuse du cap d'Antibes comme figurant durement rétribué pour les heures à attendre dans la fraicheur nocturne, un improbable "action", que la complexité du lieu (une villa avec piscine), une scène de baignade de nuit, le nombre de figurants et les acteurs (Matthias Schoenaerts et Diane Kruger) rendaient impossible. Il a fallu prendre son mal en patience en observant la jeune réalisatrice en train de s'évertuer à organiser le chaos avant de toucher le maigre chèque de son labeur.

Ce film était dirigé par Alice Winocour et sortira sous le titre de Maryland... mais ne me cherchez pas dans le flot des convives, même moi, je ne m'y suis pas retrouvé ! Et ce n'est pas pour cette raison, avouons-le qu'il ne marquera pas l'histoire du 7ème Art !

Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !

Photo volée entre deux attentes étirant le temps ! Bernard Oheix dans son costume de figurant et Diane Kruger se prêtant au jeu d'une photo souvenir non sans me faire remarquer que cela n'était pas très professionnel !

Je ne savais pas, à l'époque, derrière  cette silhouette gesticulant devant les difficultés de tourner cette séquence nocturne pour crier le mot "fin", que la réalisatrice, 8 ans plus tard, me provoquerait un des électro-chocs les plus forts et étonnants que le cinéma m'ait donné de vivre au visionnement d'un film : quand l'usine à rêves rejoint la zone des cauchemars !

Une femme (Virginie Efira) esseulée, entre dans un restaurant branché. Elle contemple les gens et son regard est attiré par un homme (Benoit Magimel) à qui l'on fête son anniversaire. Elle se lève pour aller aux toilettes quand des détonations retentissent, des corps s'écroulent, elle rampe entre les victimes et le sort joue à la roulette russe entre ceux qui échapperont aux balles de la Kalachnikov et ceux qui, pour un gémissement, la vibration d'un téléphone où autres détails se font déchiqueter.

La scène est insoutenable, et cela d'autant plus, qu'elle est tournée avec pudeur, sans effets d'hémoglobine et de plans rapprochés soulignant  et grossissant l'impact de cette fusillade d'un attentat jusqu'au noir de l'inconcience !

3 mois après, temps qu'il a fallu pour tenter de se reconstruire chez sa mère en province, elle revient vivre à Paris. Mais les cicatrices sont bien présentes. Elle passe devant le restaurant et est attirée comme par une force à laquelle elle ne peut s'opposer. Elle pénètre dans la salle, erre jusqu'à ce qu'un serveur comprenne qu'elle est une des nombreuses victimes revenant sur le lieu du crime. Il lui annonce qu'il y a des réunions pour les "gens comme elle" le matin et qu'elle peut y venir pour y rencontrer des survivants et des responsables...

Elle va alors entamer un processus de reconnexion avec la réalité, de réapropriation d'une mémoire qui a oblitéré les faits. Grâce à une psychologue qui suit le groupe, elle va tenter de renouer les fils de ce drame pour en faire la lumière. Elle a des bribes par flash, une main secourable, un tatouage sur un bras, un tablier de serveur, un homme qui l'aurait aidée.

L'homme qui fêtait son anniversaire, la jambe déchiquetée maintenue par des attelles, va croiser son histoire, lui apporter la certitude que tout cela était vrai et qu'ils sont des victimes, lui offrir un amour qui aurait pu être le produit de la paix mais se retrouve un lent chemin vers la guérison à deux.

La résilience est en marche et quand elle retrouvera le partenaire avec qui elle a survécut, elle recollera tous les morceaux du puzzle et pourra enfin accepter de vivre, plus tout a fait la même, mais enfin libre d'accepter un futur.

C'est un film éblouissant, sans pathos, qui éclaire de bonheur le drame d'une vie. Les acteurs sont merveilleux de justesse et derrière la face cachée d'un monstre froid, l'espoir demeure de pouvoir surmonter la douleur.

Bravo à toute l'équipe de réalisation et à Alice Winocour pour ce film salutaire dans un monde où l'on voit que les blessures profondes érigées des murs d'incompréhension peuvent aussi cicatriser et autoriser la vie à l'ombre de la barbarie !

 

Et pour terminer, pendant la correction de cet article, une nouvelle vient de tomber : Jean-Luc Godard est allé tourner un dernier film dans un paradis d'images parfaites qui doit bien l'insupporter ! L'homme qui a révolutionné le cinéma à la machette, aux sentences cinglantes, et fait rentrer l'Art Cinématographique dans la modernité n'a plus de voix pour faire entendre des sons nouveaux.

Même si, cinématographiquement, sa mort était depuis longtemps acquise, (cf mon article dans ce blog : "Crime de Lèse-Godardisme assumé !"), l'homme a tellement compté, est un tel repère, que pour les cinéphiles de ma génération, il restera l'éternel commencement d'un mouvement profond qui changera le regard et la perception du monde.

Jean-Luc Godard pendu avec François Truffaut aux rideaux rouges du Palais des Festivals de Cannes en mai 68 pour empêcher que le festival ne se déroule : c'était il y a plus d'un demi-siècle déjà !

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Des Films, sinon rien : La nuit du 12, Has Bestas et Là où chantent les écrevisses !

Publié le par Bernard Oheix

Dominik Moll nous avait fascinés avec son Harry, un ami qui vous veut du bien, un polar dérangeant. Il renouvelle ici son coup d'éclat avec une affaire non-élucidée, nous le savons d'entrée, qui va explorer toutes les possibilités sans donner aucune clef, l'affaire n'étant toujours pas résolue à ce jour.

Et pourtant, nous allons être scotchés sur les diverses clefs explorées dans le labyrinthe des pistes et fausses pistes jusqu'à ce que la vraie réponse soit posée par l'amie de la victime : Clara a été tuée parce qu'elle était une femme !

Quelle que soit les raisons, femme libre, provocante, ce n'est pas elle la coupable, mais bien ce meurtrier inconnu que nous ne connaîtrons jamais et qui dort d'un sommeil du juste pendant que la mémoire de Clara s'estompe et se dilue dans les questions et les interrogations d'un crime non-élucidé.

Ce film fascinant, La Nuit du 12, plonge délibérément le spectateur dans un état de voyeurisme insidieux, comme si nous avions les clefs d'un mystère sous nos yeux sans pouvoir en connecter les évènements et dénicher le coupable. Le couple d'enquêteurs (Bastien Bouillon et Bouli Lanners) fonctionne à merveille et la musique lancinante ronge nos derniers espoirs d'une solution rationnelle à ce qui ne l'est peut-être pas !

Has Bestas de Rodrigo Sorogoyen nous plonge dans une région montagneuse de la Galice où un couple de français autour de la cinquantaine s'est installé afin de vivre une deuxième partie de leur vie dans un cadre écologique et en accord avec leurs convictions. Ils pratiquent une agriculture moderne et plus saine en respectant la nature, réparent bénévolement des maisons afin de redonner vie à ce village perdu et tentent de s'intégrer à cette communauté de montagnards.

Las, leur décision de s'opposer à l'installation d'un parc d'éoliennes sur leur terre et ainsi les quelques retombées économiques va braquer les locaux contre eux et entrainer une escalade de tensions et le drame. 

Denis Menochet et Marina Fois sont extraordinaires de justesse et le final surprenant d'une femme s'accrochant à la mémoire de son mari et à cette terre qu'elle façonne de ses mains est un hymne à une nature dont on sait désormais combien nous la maltraitons et comme elle peut se révolter sous le joug des hommes inconséquents.

Un polar agreste passionnant et la preuve que le cinéma peut parler au coeur et à la tête en même temps !

La où chantent les écrevisses de Olivia Newman est une ode à la nature, à l'amour et à la différence. Kya, abandonnée par sa mère et ses frères fuyant un père qui les bat, se retrouve seule avec un alcoolique qui l'abandonnera aussi...

Elle va grandir et s'élever dans sa solitude des marais de Caroline du Nord, à Barclay Cove, aidée de quelques rares personnes (dont un couple d'épiciers noirs), recherchée par les services sociaux, devenant un objet de singularité auréolé de mystère pour sa communauté : la fille des marais !

C'est Tate, un jeune garçon qu'elle a rencontré sur sa barque qui va l'initier à l'amitié, puis à l'amour avant de partir pour l'université en l'abandonnant mais non sans avoir au préalable permis qu'elle s'accomplisse comme une écrivaine et dessinatrice du marais et de sa faune reconnue et célébrée. Chase va la séduire pendant son chagrin et l'utiliser comme un prédateur jusqu'à ce que l'on retrouve son cadavre dans les marais.

Débute la curée d'un procès où elle est forcément coupable malgré l'absence de preuves, la haine morbide de ceux pour qui elle est un être du mal.

Mais la justice triomphera, Tate reviendra de son exil et ils vivront d'amour et de partage dans ces marais qu'elle a magnifiés de sa plume et l'ont rendue célèbre.

Jusqu'à son décès après une longue vie de quiétude et de bonheur où Tate fera une étrange découverte...

Ces 3 films font honneur au cinéma. Ils proposent des visions personnelles et des histoires fortes. Ils sont filmés avec délicatesse et donnent le désir de s'immerger et de mieux comprendre le monde qui nous entoure. C'est le cinéma que l'on aime, celui qui nous transporte à travers un écran, dans un univers que rien ne peut troubler, celui de nos désirs et des fantômes du passé ! C'est l'image qui prend le dessus et nous guide par la main vers un lendemain qui chante. Que vive le 7ème Art !

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Palme d'Or : le hold up !

Publié le par Bernard Oheix

34 films et le palmarès qui tombe sur l'écran de la télévision publique. Un Vincent Lindon plutôt à l'aise dans un exercice qui l'est rarement. Les films primés s'égrènent, un beau prix d'interprétation féminine pour Zar Amir Ebrahimi Holy Spider de Abbasi, un étrange prix du 75ème pour Tori et Lokita des frères Dardenne, un façon de ne pas leur offrir cette 3ème Palme d'Or inédite à ce jour, il fait nul doute ! Plus réservé sur l'interprétation masculine du Kore-Eda, beau film certes, mais sur ce créneau, d'autres pouvaient prétendre à cette récompense dont le héros tout en finesse de Nostalgia de Mario Martone. Rien à dire sur les 2 prix du jury que je n'ai pas vus, Les 8 montagnes et Eo. Applaudissements pour le film égyptien, Boy from Heaven de Tarik Saleh, un de mes chouchou, film superbement filmé sur une trame passionnante et pour Décision to Live de Park Chan-Wook.

On arrive donc dans le dur du sprint final vers le graal de l'Or convoité. Les Grands Prix annoncés pour le magnifique et émouvant Close de Lukas Dhont largement justifié... mais la machine se dérègle quand on annonce le 2ème grand prix ex-aequo : Stars at Noon de Claire Denis, un film médiocre, surfait, alambiqué à souhait... Aïe !

Il ne reste donc plus qu'un film à honorer. On pense à tous ces bijoux non-cités, le sublime RMN de Mungiu, l'étonnant et riche Leila's Brothers de Saeed Roustaee, quelques autres pas vus, pas pris... quand la sanction tombe : ce sera Triangle of Sadness de Ruben Ostlund pour une seconde Palme d'Or après The Square en 2017 !

Il ne me reste alors que la solution de le visionner dans les séances du Palais des Festivals offertes aux cannois au lendemain de la proclamation, tradition bien cannoise, et ce sera mon 35ème et dernier film de la 75ème édition.

Avec Pascal, le dernier des burgiens présent, nous nous rendons donc munis de nos précieux sésames à la séance de rattrapage, escaladons les 24 marches habillées de tapis rouge et nous retrouvons assis à l'orchestre sans l'espoir que Carole Bouquet nous roule une pelle, comme à Vincent Lindon, mais avec la certitude de passer un moment historique. Dans une session foisonnante de belles propositions avec des thématiques fortes renvoyants aux tourments d'un monde en colère, nul doute que cette palme serait à la hauteur de nos espérances.

Patatras ! J'aurai dû me méfier à la relecture de mes notes concernant leur précédente Palme : "... verbeuse, longuette et sans grand intérêt, dont on peut imaginer qu'un simple accessit aurait été largement suffisant pour une présence somme toute déjà symbole de victoire pour son réalisateur...".

Et l'impensable aura lieu : un film s'étirant sur 2h30, avec une première partie insupportable de lenteur axée sur un jeune couple (elle influenceuse et lui mannequin), une 2ème plus originale et qui démontre que le film aurait pu fonctionner, dans les coursives d'une croisière de luxe débouchant sur un naufrage où des séquences illustrent un monde figé dans le rapport entre les puissants et les faibles, où tout se dérègle pendant une tempête, et une 3ème sensée inverser ces rapports de classes et donner le pouvoir à une femme de ménage sachant faire du feu et pêcher pour la poignée de rescapés qui s'échouent sur un îlot perdu. Le réalisateur sombre alors devant l'ampleur du propos et son incapacité à offrir une vision originale en phase avec sa charge contre les nantis.

Le ton se veut débridé et iconoclaste mais seul le vide et la confusion surnagent. Là où Wes Anderson, les Monty Python ou autre provocateur auraient peut-être tiré leur épingle du jeu, Ostlund perd le fil de sa charge et se retrouve en rase campagne, entre le vaudeville et la comédie de moeurs, dans un territoire sans saveur qui aurait dû l'écarter de cette Palme d'Or.

 

Le jury 2022 a tranché. Le précédent qui avait offert une Palme à Ruben Ostlund était composé de Almodovar, Agnès Jaoui, Sorrentino, Park Chan Vook, Will Smith...excusez du peu ! Cette fois, un Vincent Lindon président, accompagné de Asghar Faradi, Jeff Nichols, Joachim Trier, Ladj Ly et autres Noomi Rapace représentant un cinéma de qualité, à récidivé en lui offrant une portion d'éternité. Pourquoi ? Vincent Lindon dont on connait l'engagement a-t-il été dépassé par les membres de son jury ou, bien au contraire, a-t-il tiré le jury vers son choix ? Mystère des délibérations, des états d'âmes et de l'état de sidération que provoque le choix d'élire à la plus grande des consécrations un film parmi d'autres !

Ruben Ostlund est par deux fois passé au travers du chas d'une aiguille, grand bien lui fasse ! C'est dommage pour cette édition du renouveau qui offrait tant de pages de qualité sur les thèmes forts d'une actualité chargée. Le cinéma n'est pas seulement un art de la diversion, il fait aussi acte de conversion et sans doute le monde avait-il plus besoin d'un regard chargé de sens que cet essai laborieux de tenter de renverser les rapports de force dans une provocation juvénile !

Une certitude, Vincent Lindon, malgré son plaidoyer vibrant pendant la remise des prix pour être reconduit à sa fonction de Président du jury pendant les 5 années qui viennent,  a perdu l'autorité naturelle que son nom lui permettait d'espérer ! Dommage !

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